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Date : 19991027

Dossier : 97-3509-IT-G

ENTRE :

MARKLIB INVESTMENTS II-A LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Brulé, C.C.I.

[1] Marklib Investments II-A Limited, l'appelante, interjette appel de la cotisation datée du 12 septembre 1997 établie à son égard relativement à ses années d'imposition 1991, 1992 et 1993. L'appelante possédait un certain nombre d'immeubles locatifs dont elle tirait un revenu de location et dont elle assurait la gestion.

Faits

[2] L'appelante a acquis les immeubles portant la désignation civique 10-12, promenade St. Dennis et 35, boulevard Cedarcroft. Les immeubles situés au 10-12, promenade St. Dennis comprenaient 325 appartements et l'immeuble situé au 35, boulevard Cedarcroft, 207. Les autorités municipales concernées avaient envoyé à l'appelante plusieurs avis et ordre d'exécution afin que certaines réparations soient faites aux immeubles.

[3] L'appelante a fait de nombreuses réparations aux immeubles. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1991, elle a déduit des dépenses de 3 457 385 $. L'appelante se trouvait donc à avoir subi une perte de 2 593 054 $. Dans la nouvelle cotisation qu'il a établie pour l'année d'imposition 1991, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé les dépenses de l'appelante. À la place d'une perte, l'appelante avait un revenu net révisé de 864 331 $. Elle avait des pertes autres que des pertes en capital de 380 $ et de 36 584 $ respectivement au cours de ses années d'imposition 1989 et 1990. Ayant produit ses déclarations de revenu pour l'année d'imposition 1991 en prenant pour acquis qu'elle avait subi une perte, l'appelante n'a pas inclus les pertes autres que les pertes en capital subies en 1989 et 1990 dans le calcul de son revenu imposable pour l'année 1991.

[4] Le 12 septembre 1997, le ministre a émis un avis de nouvelle cotisation dans lequel il admettait une déduction pour amortissement de 69 148 $ et des pertes autres que des pertes en capital de 36 964 $, et confirmait le refus de la déduction de 3 457 385 $.

Question en litige

[5] Il s'agit de déterminer si les dépenses engagées par l'appelante pour rénover les trois biens en 1991 étaient des frais d'exploitation ou des dépenses en capital.

Disposition législative pertinente

18(1) — Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) Idem.— un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

b) Dépense ou perte de capital. — une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;

La preuve

[6] Sheldon Libfeld, le directeur général de l'appelante, a témoigné au procès.

[7] Avant 1988, la famille Libfeld avait une participation minoritaire dans un certain nombre de sociétés. En 1988, à la suite d'une transaction papillon, les sociétés ont été réorganisées et la famille Libfeld (ou Marklib) est devenue propriétaire à 100 % de quelques biens. Marklib Investments II-“ A ” Limited a été constituée en personne morale sous le régime des lois de la province de l'Ontario aux fins de cette réorganisation. À la suite de la réattribution des biens en 1988, la famille Libfeld est devenue propriétaire à 100 % du 10-12, promenade St. Dennis et du 35, boulevard Cedarcroft. Il ne devait plus y avoir d'ordre d'exécution en souffrance au moment de la réorganisation.

[8] L'appelante a reçu le premier avis ou ordre d'exécution le 16 mars 1989. La plupart des avis ou ordres lui sont toutefois parvenus entre le mois de novembre 1989 et le mois de juin 1990.

[9] M. Libfeld a témoigné que la municipalité émettait d'abord un “ avis de violation ” et que, si celui-ci n'avait pas été exécuté au moment où elle procédait à une vérification, elle délivrait alors un “ ordre d'exécution ”. Le non-respect d'un “ ordre d'exécution ” peut notamment avoir pour conséquence l'imposition d'amendes, le gel des loyers, la réduction des loyers; il arrive aussi que la municipalité effectue les travaux aux frais du propriétaire. Les inspections avaient lieu environ tous les deux ans.

[10] M. Libfeld a passé en revue la liste des réparations effectuées en précisant si des avis ou des ordres d'exécution avaient été émis, quelles réparations avaient été effectuées et pour quelle raison elles avaient été effectuées. Il a également expliqué comment Marklib procédait quand il recevait un avis ou un ordre d'exécution. Il a déclaré que Marklib n'attendait pas toujours de recevoir un ordre d'exécution pour faire les réparations. La liste des réparations effectuées par l'appelante et rejetées par le ministre est reproduite ci-après :

RÉPARATIONS

10-12, prom. St. Dennis

35, bd Cedarcroft

Rénovation du garage

695 000 $

275 000 $

Consultation d'ingénieurs pour la rénovation du garage

48 500 $

21 250 $

Ventilateurs d'extraction du garage

10 000 $

Systèmes de canalisation d'air

17 400 $

12 600 $

Remplacement de la toiture

176 700 $

Réparation et remplacement de la céramique dans les aires communes

58 050 $

30 500 $

Appareils d'éclairage

57 780 $

38 285 $

Garde-corps pour les cages d'escalier

23 900 $

30 000 $

Comptoirs et armoires de cuisine

49 392 $

76 927 $

Éviers de cuisine et plomberie

38 886 $

15 600 $

Murs extérieurs — matériaux

206 628 $

Murs extérieurs —main-d'oeuvre

135 787 $

Remplacement des fenêtres

610 000 $

425 000 $

Garde-corps pour les balcons

185 000 $

Séparateurs de balcon

60 200 $

Nouvelle chute à déchet

14 800 $

Remplacement de la moquette

75 400 $

68 800 $

TOTAL

1 699 108 $

1 758 277 $

[11] Après que les réparations eurent été effectuées, la Division de la politique de la révision des loyers a accordé une augmentation de loyer (15 % sur trois ans), mais la valeur de l'immeuble est demeurée la même. Pendant toutes les périodes pertinentes, les immeubles étaient utilisés (c'est-à-dire que les appartements étaient loués).

[12] De plus, M. Barry Lebow, un témoin expert, a témoigné pour le compte de l'appelante au sujet de la juste valeur marchande (JVM) des immeubles en 1990. Il a précisé qu'il n'était pas inhabituel que des particuliers demandent des estimations de la valeur de remplacement et non pas uniquement la JVM. En 1988, la JVM des immeubles de la promenade St. Dennis était de 7 235 000 $ et celle de l'immeuble du boulevard Cedarcroft, de 6 600 000 $. M. Lebow a fixé la valeur de remplacement des immeubles à cette époque à environ 20 millions de dollars dans le cas des immeubles de la promenade St. Dennis et à 16 millions de dollars dans le cas de l'immeuble du boulevard Cedarcroft.

[13] Il a été convenu que la question à trancher était celle de savoir si les dépenses engagées par l'appelante pour rénover les trois biens en 1991 étaient des dépenses courantes ou des dépenses en capital.

[14] Il n'a pas été question du fait que le ministre avait reporté deux fois les pertes de 1989 et 1990. Aucune des parties ne semble s'être intéressée au fait que la déduction du montant de 678 549 $ avait déjà été admise et que le total des dépenses dont la déduction était demandée s'établissait à 4 134 934 $. Toutefois, on a fourni une liste qui semble être la liste des réparations déjà permises par le ministre. On ne sait toujours pas avec certitude pourquoi le ministre a admis les dépenses énumérées et a rejeté celles faisant l'objet du présent litige. Cependant, ni l'appelante ni l'intimée n'ont donné beaucoup de précisions sur la lettre.

[15] Deux ans après la réorganisation, l'appelante a dépensé beaucoup d'argent pour effectuer des réparations aux immeubles afin de se conformer aux ordres d'exécution délivrés par la municipalité. Elle a soutenu que toutes les dépenses étaient déductibles dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1991 étant donné qu'elles se rapportaient à des réparations ou au remplacement de parties usées ou endommagées des immeubles.

[16] L'intimée a fait valoir que, sans égard aux avis et aux ordres d'exécution, les dépenses engagées étaient bien plus que des dépenses courantes. Il s'agissait d'une rénovation complète, et les dépenses étaient des dépenses en capital. L'intimée a soutenu que l'appelante avait acquis les biens en 1989 lorsque la famille Libfeld avait abandonné sa participation minoritaire dans les autres biens pour devenir propriétaire à 100% de ces immeubles particuliers. Elle a ajouté qu'au moment de leur acquisition les immeubles étaient en très mauvais état. L'appelante n'a pas subi de pertes autres que des pertes en capital dans l'année d'imposition 1991 et, par conséquent, il n'y avait aucune perte autre qu'une perte en capital à reporter prospectivement sur les années d'imposition 1992 et 1993.

Analyse

[17] Pour qu'un contribuable puisse déduire une dépense, celle-ci doit être faite ou engagée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Ce premier critère n'est pas contesté par l'appelante. Celle-ci possédait et exploitait une entreprise de location d'appartements; toutes les dépenses engagées en vue de tirer un revenu des immeubles locatifs satisfont aux exigences du critère. Toutefois, c'est le second critère exposé à l'alinéa 18(1)b) qui peut poser des difficultés à l'appelante. Celle-ci doit démontrer que les dépenses ne sont pas des dépenses en capital, mais des dépenses courantes.

[18] Il n'existe aucun critère rigide pour déterminer si un débours est une dépense en capital ou une dépense courante. La question doit plutôt être tranchée en fonction des faits et des circonstances propres au contribuable concerné. Pour déterminer si des dépenses doivent être qualifiées de dépenses courantes ou de dépenses en capital, il faut examiner non pas la nature du bien acquis mais la nature de la dépense engagée. La description classique de ce qui constitue une dépense en capital est donnée dans l'affaire British Insulated and Helsby Cables Limited and Atherton, [1926] AC 205 (H.L.), à la page 213 :

[TRADUCTION]

[...] lorsqu'une dépense est engagée, non pas une fois pour toutes, mais en vue de créer un bien ou un avantage pour le bénéfice durable d'un commerce, j'estime qu'il y a de très bonnes raisons (en l'absence de circonstances particulières conduisant à une conclusion contraire) de traiter une telle dépense comme si elle était à juste titre imputable au capital et non au revenu.

[19] Toutefois, cette description a été diluée et les décisions subséquentes ont essayé d'éviter les interprétations extrêmes. Certains juges s'en sont tenus au seul critère “ une fois pour toutes ”, mais d'autres l'ont appliqué en conjugaison avec une série d'autres facteurs. Le juge Abbott de la Cour suprême du Canada a mentionné expressément le critère “ une fois pour toutes ” dans l'arrêt M.N.R. v. Haddon Hall Realty Inc. (1961), 62 DTC 1001 [ci-après appelé Haddon Hall]. Toutefois, en 1985, dans l'arrêt Johns-Manville Canada Inc. v. The Queen (1985), 85 DTC 5373 [ci-après appelé Johns-Manville],la Cour suprême du Canada a essayé de définir les circonstances dans lesquelles une dépense est déductible et les critères à utiliser à cette fin. Le juge Estey, s'exprimant au nom de la Cour, a invoqué les propos de Lord Pearce dans l'arrêt B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224, aux pages 264 et 265 :

[TRADUCTION]

On ne peut pas trouver la solution du problème en appliquant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un autre. Une considération peut se détacher si nettement qu'elle domine d'autres et de plus vagues indications dans le sens contraire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale. Bien que les catégories de dépenses de capital et de dépenses d'exploitation soient distinctes et facilement reconnaissables dans les cas clairs qui sont loin des cas limites, la distinction est souvent difficile à établir dans les cas limites; les considérations contradictoires peuvent engendrer une situation où la réponse tient à des facteurs de degré et d'insistance.

Dans l'affaire Johns-Manville, la société voulait déduire les frais engagés pour creuser des trous dans le sol et le coût du bien-fonds. L'analyse des faits propres à l'affaire a révélé que les dépenses étaient effectuées année après année, qu'elles constituaient un élément plus ou moins constant des coûts quotidiens et annuels de production, qu'elles procuraient un avantage provisoire qui n'avait pas de valeur durable et qu'elles n'avaient pas augmenté la capacité de production de la mine.

[20] Dans l'arrêt Canada Steamship Lines Limited v. M.N.R., 66 DTC 5205 (C. de l'É.) [ci-après appelé Canada Steamship Lines], les ponts, les ponts de cloisonnement et une des chaudières du navire avaient été remplacés. La Cour a statué que le remplacement des ponts et des ponts de cloisonnement constituait une réparation qui était déductible à titre de dépense courante. Il s'agissait de réparations majeures ayant coûté très cher, mais la Cour a conclu qu'elles étaient des réparations courantes d'un navire et résultant de l'usure. Le remplacement de la chaudière était toutefois une amélioration qui constituait donc une dépense en capital non déductible. À la page 5207, le président Jackett a dit ceci concernant les dépenses :

[TRADUCTION]

Les choses employées dans une entreprise pour gagner un revenu, — terrains, bâtiments, usines, machines, automobiles, bateaux, — constituent l'actif immobilisé. Les dépenses faites pour acquérir ledit actif sont des dépenses de capital. Pour la même raison, l'argent dépensé pour améliorer ledit actif, — pour lui donner une nature différente de celle qu'il avait, — constitue une dépense de capital. D'autre part, une dépense faite dans le but de compenser l'effet matériel de la détérioration dudit actif au cours de l'exploitation de l'entreprise, — que ladite détérioration résulte d'une usure normale ou d'un accident, — n'est pas une dépense de capital. C'est une dépense courante.

[21] Pour en revenir à la question du critère “ une fois pour toutes ”, le juge Jerome dans l'arrêt Gold Bar Developments Ltd. v. M.N.R. (1987), 87 DTC 5152 (C.F.) [ci-après appelé Gold Bar], s'est également penché sur l'application du critère. La contribuable avait effectué des réparations à l'extérieur d'un immeuble locatif dont les briques se détachaient. Elle avait utilisé un revêtement métallique au lieu du revêtement de briques utilisé lors de la construction de l'immeuble 10 ans plus tôt. En accueillant l'appel de la contribuable et en annulant par le fait même la décision de la Cour de l'impôt, le juge Jerome de la Cour fédérale, Section de première instance, a souligné l'importance de tenir compte de l'intention du contribuable lorsqu'il a pris la décision de dépenser l'argent, en plus de déterminer s'il avait ou non le choix d'effectuer la réparation. À la page 5153, il a déclaré ce qui suit :

Je ne crois pas que l'on puisse trouver la solution à ce problème en regardant l'effet de la dépense. Des réparations d'un bien en immobilisation devraient normalement améliorer ce bien. Lorsque la source du revenu est un immeuble d'appartements résidentiels, il en est toujours ainsi, particulièrement lorsqu'il s'agit de réparations importantes. Le critère “ une seule fois pour toutes ” ne nous aide pas beaucoup non plus, selon moi. Plus la réparation est importante, moins elle est susceptible de se répéter (c'est en tout cas ce que le propriétaire espère fortement), mais elle n'en demeure pas moins une réparation.

Je pense qu'il est plus utile d'examiner le but de la dépense du contribuable. Quelle était son intention lorsqu'il a pris la décision de dépenser cet argent? Voulait-il améliorer son bien en immobilisation, le rendre différent? Une telle décision comporte un choix très important qui n'existe pas lorsqu'il s'agit d'une réparation vraiment urgente.

On n'a pas contesté le fait que, comme l'a découvert la demanderesse en 1979, les briques se détachaient et tombaient au sol autour de l'immeuble où circulaient les locataires et les passants. De toute évidence, il s'agissait d'un danger inacceptable pour le public et susceptible d'entraîner une réaction des fonctionnaires municipaux, qui auraient pu aller jusqu'à fermer les locaux. Dans les circonstances, je ne puis conclure que la demanderesse avait réellement le choix. Si elle avait ignoré la situation, il y aurait certainement eu une diminution du nombre des locataires et, par conséquent, des revenus locatifs.

[22] Le juge Jerome a conclu que la contribuable voulait remédier à une situation qui était devenue dangereuse et qu'elle ne cherchait pas à améliorer le bien. Parce que les plaignants dans cette affaire ne s'étaient pas limités à réparer les défectuosités, et qu'en plus de rendre l'immeuble résistant au problème initial ils en avaient amélioré considérablement l'apparence, les dépenses engagées ne prenaient pas nécessairement valeur de dépenses en capital. Lorsque le contribuable est forcé d'effectuer des réparations, il ne doit pas faire fi des nouvelles techniques de construction et de la technologie moderne pour effectuer le travail. Le juge Jerome a toutefois fait un rapprochement entre la valeur de l'immeuble à l'époque pertinente et le montant des réparations effectuées et a conclu que celles-ci représentaient moins de 3 % de la valeur du bien. Par conséquent, on ne pouvait pas dire que la dépense était à ce point considérable qu'elle constituait un remplacement du bien. Le juge Jerome a également conclu que la structure de l'immeuble n'avait nullement été modifiée.

[23] Le juge Jerome a également reconnu que la détérioration du revêtement de briques était due au mauvais travail du premier sous-entrepreneur lors de la construction de l'édifice quelque dix ans plus tôt. Il a ajouté, à la page 5153, que le mauvais travail

[...] [n'est] pas directement pertinent relativement au point en litige, il vient certainement confirmer que la demanderesse a été forcée de faire les réparations en question. Il ne s'agissait pas d'une dépense volontaire en vue de créer un nouveau bien en immobilisation pour produire un revenu ou en vue d'améliorer l'immeuble pour augmenter les revenus. La demanderesse se trouvait en présence d'une détérioration inattendue des murs de l'immeuble qui menaçait de détruire son bien. Pour remédier à cette situation d'urgence, elle a décidé de dépenser de l'argent pour effectuer des réparations et, malgré qu'elle espérait à l'époque, et espère encore aujourd'hui j'en suis sûr, qu'une telle dépense ne se reproduirait plus durant la durée matérielle de l'immeuble, il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait essentiellement d'une dépense relative à des réparations.

[24] Dans l'affaire Canaport Limited v. The Queen (1993), 93 DTC 1226 (C.C.I.), le juge Beaubier a conclu que la dépense était une dépense courante, même si elle ne sera vraisemblablement jamais plus effectuée. Une gaine renforcée de fibre de verre avait été insérée dans un oléoduc sous-marin que la corrosion avait lourdement endommagé. On a découvert que la gaine était dépendante de la résistance structurale de la conduite d'acier originale et du revêtement de béton, et, par conséquent, qu'il ne s'agissait pas d'une structure distincte. Dans le sommaire de la décision, à la page 1226, il est précisé ce qui suit :

[TRADUCTION]

Par conséquent, la dépense de 4 047 470 $ en litige avait pour but de permettre aux opérations courantes, le pompage du pétrole par le Sealine, de continuer. Par ailleurs, c'est une dépense qui ne sera vraisemblablement jamais plus effectuée, et les avantages qu'elle a procurés étaient plutôt transitoires en ce sens qu'ils ne pouvaient durer que ce que peut durer le Sealine même, et même moins.

[25] Hormis le fait qu'elle s'est appuyée sur le critère “ une fois pour toutes ” dans l'arrêt Haddon Hall, la Cour suprême du Canada a néanmoins statué que l'acquisition de réfrigérateurs, de cuisinières et de stores vénitiens pour une maison à logements était une dépense en capital et ne constituait pas des réparations à un immeuble. Cette conclusion ne diffère pas de celle tirée dans l'arrêt Canada Steamship Lines, où il a été statué que la chaudière était une dépense en capital. Dans l'arrêt Haddon Hall, le juge Abbott a déclaré ce qui suit à la page 1002 :

[TRADUCTION]

[...] Parmi les critères permettant de déterminer s'il s'agit d'une dépense faite en vue de gagner un revenu ou d'une dépense de capital, on a soutenu qu'il faut classer dans cette dernière catégorie des dépenses faites une fois pour toutes dans le but de créer un actif ou un avantage au bénéfice durable d'un commerce.

Des dépenses faites pour remplacer un actif immobilisé détérioré ou suranné sont tout à fait différentes des dépenses annuelles ordinaires pour réparations qui tombent tout naturellement dans la catégorie des débours faits en vue de gagner un revenu. [...]

[26] À la différence de la Cour suprême dans l'arrêt Haddon Hall, la Cour d'appel du Québec, dans la décision Le Sous-Ministre du Revenu du Québec c. Denise Goyer, 1987 CarswellQue 122 [ci-après appelée Goyer], a conclu que la tuyauterie, les fenêtres, les portes et les balcons tout décrépits qui avaient été remplacés ne constituaient pas des biens en capital, mais uniquement des composantes intégrantes de ces biens qu'il fallait simplement réparer et non pas remplacer. Il importait de déterminer si un bien en capital nouveau avait été créé. Le juge Vallerand a déclaré ce qui suit au paragraphe 19 :

[...] aussi longtemps qu'on ne crée pas un bien capital nouveau, qu'on n'accroît pas la valeur capitale normale du bien et qu'on ne remplace pas un bien disparu par un autre, il s'agit de réparation et d'entretien tendant à ramener le capital à sa valeur précisément normale.

[27] Lorsqu'un particulier ne s'est pas limité à réparer la défectuosité mais qu'il a créé quelque chose de nature différente, on considère alors qu'il y a eu dépense en capital. Lorsque le plancher d'un immeuble locatif s'est affaissé et s'est brisé parce que le remblayage d'ordures et de terre sous-jacent s'était tassé rendant le plancher inutilisable et endommageant les structures complémentaires dans l'arrêt Shabro Investments Limited v. The Queen (1979), 79 DTC 5104 (C.A.F.) [ci-après appelé Shabro], on a insisté sur la façon dont les dommages avaient été réparés. La Cour d'appel fédérale a accueilli en partie l'appel du contribuable dans le cas de la réparation des dommages aux structures complémentaires, mais elle a rejeté le remplacement du plancher. Celui-ci avait été remplacé par un plancher fait de béton armé posé sur des pieux d'acier. Le président Jackett a déclaré ce qui suit à la page 5107 :

Je suis d'avis que si le remplacement du plancher peut être autrement considéré comme la réparation d'un dommage à la structure même du bâtiment, la déduction à titre de dépense d'exploitation pour réparations aurait été pertinente nonobstant le fait que le dommage :

a)                    a été causé par un vice caché de la structure initiale, et non par l'usure, le vieillissement des matériaux ou par quelque accident ou destruction criminelle au cours de l'utilisation, ou

b)                    a été réparé conformément à des techniques ou à des connaissances nouvelles ayant eu incidemment pour effet d'entraîner une amélioration de la structure primitive.

À mon avis, en ce qui concerne la portion du montant de 95 198,10 $ imputable au remplacement du plancher, le véritable problème consiste à déterminer si ce remplacement n'est qu'une réparation des dommages causés à la structure du bâtiment tel qu'il a été construit, ou s'il fait partie intégrante de travaux destinés à améliorer le bâtiment par le remplacement d'une partie importante de celui-ci par quelque chose de tout à fait différent.

[28] La Cour a conclu que des améliorations de nature tout à fait différente avait été apportées à la structure originale. Elle ne prétendait pas qu'il fallait utiliser exactement les mêmes matériaux, mais l'enfoncement de pieux en acier et l'installation d'une dalle de béton armé constituaient une amélioration de la structure originale de l'immeuble. Le président Jackett, bien avant le juge Jerome dans l'arrêt Gold Bar, a déclaré ce qui suit à la page 5107 :

[...] il ne faut pas refuser la qualification de “réparation” pour une réparation du seul fait que celle-ci a été faite en application d'une technique inconnue au moment de la construction de la structure initiale, ou prend en compte des circonstances (telles que l'humidité) négligées au moment de la construction de la structure initiale [Note de bas de page : Dans un sens restreint, des réparations semblables peuvent être considérées comme des améliorations, mais, du point de vue d'un homme d'affaires (qui est celui adopté en l'espèce), dans une mesure raisonnable, il en va autrement.]

[29] En ce qui concerne les améliorations jugées de nature différente, la décision Earl v. The Queen (1992), 93 DTC 65 (C.C.I.) [ci-après appelée Earl], et l'arrêt Shabro sont des affaires qui sont souvent citées. L'appelante et l'intimée les ont toutes deux invoquées dans l'affaire en l'instance. Dans la décision Earl, il a été statué que le montant de 33 039 $ que l'appelante avait dépensé pour remplacer la toiture d'un immeuble locatif était une dépense en capital non déductible. Il ne s'agissait pas du remplacement de l'ancienne toiture par une nouvelle toiture de qualité semblable, la contribuable ayant remplacé le toit-terrasse qui fuyait par un toit à versants. Le juge Rowe de notre cour a conclu que le nouveau toit améliorait l'immeuble de façon durable. L'apparence de l'immeuble n'avait pas beaucoup changé, et le nouveau toit n'avait pas fait augmenter la valeur de l'immeuble; il constituait toutefois une partie intégrante sensiblement différente du bien en capital constituant l'immeuble. Le juge Rowe a conclu que, exception faite de la décision rendue dans l'affaire Goyer, la jurisprudence lui donnait raison; il a déclaré ceci à la page 69 :

[...] En principe, il n'existe aucune différence réelle entre l'installation d'un nouveau toit et les dépenses engagées dans l'affaire Goyer, lorsque l'objet des travaux est de conserver le bien dans son état normal aux fins de la production d'un revenu. Cependant, exception faite de la décision rendue dans l'affaire Goyer, la tendance jurisprudentielle est, sauf circonstances exceptionnelles, de considérer comme des dépenses d'immobilisations les travaux du genre de ceux effectués par l'appelante.

[30] Dans l'affaire Goyer, on donne très peu de renseignements au sujet de l'ampleur des réparations. Dans l'affaire Earl, il y avait eu une modification de la structure de l'immeuble; dans l'affaire Goyer, toutefois, il est possible que la structure originale de l'immeuble soit restée la même après les travaux de réparation.

[31] Dans la décision Blanche Morel v. M.N.R. (1951), 51 DTC 431 [ci-après appelée Morel], la Commission de révision de l'impôt a conclu que le changement d'emplacement de la cuisine, de la salle de lavage et des bars dans l'hôtel constituait une dépense en capital. Le contribuable a prétendu qu'il avait engagé les dépenses afin de se conformer aux règlements de la Régie des alcools de l'Ontario. La Commission d'appel de l'impôt a statué que, quelles que fussent les raisons pour lesquelles les dépenses avaient été engagées, la nature des dépenses restait la même. Elle a déclaré ceci à la page 433 :

[TRADUCTION]

[...] même si les travaux avaient été exécutés dans le but de se conformer au règlement de la Liquor Control Board de l'Ontario, cela ne changerait en rien la nature des dépenses; car si une dépense constitue en soi une dépense en capital, je ne vois pas comment la nature de cette dépense pourrait être modifiée du seul fait que le contribuable a été obligé de la supporter.

[32] Cependant, dans cette affaire en particulier, le président Fabio Monet a conclu non seulement que la preuve sur cette question n'était pas concluante, mais aussi que les travaux avaient très probablement été effectués avant toutes choses pour soutenir la concurrence et par crainte que d'autres permis soient accordés dans la région. Dans la décision Sydney Harold Healey v. M.N.R. (1983), 84 DTC 1017 (C.C.I.) [ci-après appelée Sydney Harold], il a été statué que la très grande majorité des dépenses avaient été faites à titre de nouvelles additions ou de rénovations et que les changements apportés étaient si importants qu'il était absolument impossible de les considérer comme des dépenses courantes. Vingt-trois ans après la décision Morel, le juge en chef Christie a réitéré dans la décision Sydney Harold, à la page 1026, que la nature des dépenses et la raison pour laquelle elles ont été engagées étaient deux choses différentes :

[...] même si les travaux avaient été exécutés en vertu d'une exigence légale énoncée dans un code de sécurité ou de santé, cela ne pourrait suffire pour transformer en dépenses d'exploitation ce qui serait autrement une dépense en capital.

[33] Cependant, il est important de se rappeler que le juge Jerome, de la Cour fédérale, reconnaît dans l'arrêt Gold Bar que les intentions et le but du contribuable doivent également être examinés.

[34] La Cour s'interroge sur la pertinence d'un certain nombre d'affaires que l'intimée a invoquées dans son argumentation. Elle a cité des affaires où il était question d'immeubles en mauvais état et nouvellement acquis, des réparations à effectuer pour rendre l'immeuble habitable et du paiement d'un prix d'achat réduit en raison du mauvais état de l'immeuble. Toutes les affaires mentionnées précédemment diffèrent de l'affaire dont je suis saisi car toutes portaient sur l'achat ou l'acquisition par le contribuable d'immeubles délabrés. Les contribuables étaient au courant de l'état du bien au moment de son acquisition. Je dois me demander si l'intimée n'isole pas les raisonnements dans les affaires et ne les érigent pas en principes généraux sans tenir compte des faits propres à ces affaires. S'il y a une chose d'établie dans la jurisprudence, c'est, à mon avis, que pour trancher la question des dépenses en capital ou des dépenses courantes il faut examiner et pondérer les faits propres à l'affaire.

[35] C'est l'objet d'une dépense plutôt que son résultat qui détermine si elle sera qualifiée de dépense en capital ou de dépense courante; le critère a pour but de déterminer si la dépense crée un bien de valeur durable, non pas d'en établir la fréquence ou le caractère répétitif. Les affaires semblent promouvoir l'idée que, tant que les réparations ont été effectuées pour préserver ou conserver le bien et non pour créer un nouveau bien, elles seront considérées comme des dépenses courantes.

[36] Une dépense engagée simplement dans le but d'entretenir un bien ou de le ramener à son état original est une dépense courante déductible. Comme on l'a vu dans les affaires mentionnées précédemment, cela est plus simple à dire qu'à faire. La distinction entre une dépense en capital et une dépense courante est très floue. En outre, il faut faire un rapprochement entre l'importance de la dépense et la valeur de l'immeuble. Cependant, une dépense ne devient pas une dépense en capital du simple fait que le montant dépensé est élevé.

[37] Il n'existe pas de critère unique pour déterminer si la dépense est une dépense en capital ou une dépense courante. Il faut examiner et pondérer un certain nombre de facteurs et de circonstances. L'appelante a cité le Bulletin d'interprétation IT-128R — Déduction pour amortissement — Biens amortissables, qui énumère un certain nombre de facteurs communs à examiner. De l'avis de la Cour, l'intimée a cité de nombreuses affaires qui différaient de l'affaire en l'instance, sans compter qu'elle met l'accent sur le fait que les immeubles sont une acquisition récente et sur le critère “ une fois pour toutes ”. Compte tenu de la jurisprudence et du Bulletin d'interprétation, le critère “ une fois pour toutes ” n'est pas le seul facteur qui doit être examiné. Appelés à se prononcer sur la question des dépenses en capital et des dépenses courantes, le juge Bowman et notre cour, à l'instar d'autres juges, ont cité cette partie du bulletin IT-128R. Elle est ainsi libellée :

Dépenses en capital pour des biens amortissables par opposition aux dépenses courantes pour des réparations et de l'entretien

4. Les lignes directrices suivantes peuvent servir à déterminer si une dépense est imputable au capital parce que le bien amortissable a été acquis ou amélioré ou si elle est déductible parce qu'elle a été engagée pour réparer ou entretenir un bien :

a) Avantage durable — Selon les décisions rendues par les tribunaux, lorsqu'une dépense est faite a l'égard d'un bien amortissable corporal “ une fois pour toutes et en vue de créer un bien ou un avantage pour le bénéfice durable d'une entreprise ”, cette dépense est ordinairement considérée comme une dépense en capital. Toutefois, lorsqu'il est vraisemblable que de nouvelles dépenses du genre seront engagées pour remplacer ou renouveler un article en particulier parce que son utilité ne dépassera pas une période relativement courte, ce fait constitue une indication qu'il s'agit d'une dépense courante.

b) Entretien ou amélioration — Lorsqu'une dépense est engagée à l'égard d'un bien dans le seul but de le restaurer à son état d'origine, ce fait constitue une indication qu'il s'agit d'une dépense courante. Ce cas se présente souvent lorsque, par exemple, on remplace un plancher ou un plafond. Toutefois, lorsqu'une dépense a pour résultat d'améliorer sensiblement le bien par rapport à ce qu'il était à l'origine, par exemple un nouveau plancher ou un nouveau plafond nettement de meilleure qualité et plus durable que l'ancien, il faut alors considérer la dépense comme une dépense en capital. Le fait que la valeur marchande du bien augmente ou non par suite de la dépense n'est pas un facteur important dans la décision. Si la dépense comprend à la fois des éléments de dépense courante et de dépense en capital qui peuvent être identifiés, il faut procéder à la répartition pertinente des frais. Si seulement une faible partie de la dépense est une dépense en capital, le Ministère est prêt à considérer la dépense totale comme une dépense courante.

c) Partie intégrante ou bien séparé — Il peut y avoir lieu de déterminer également si la dépense a été engagée pour réparer une partie d'un bien ou pour acquérir un bien qui constitue en soi un bien distinct. Dans le premier cas, la dépense est vraisemblablement une dépense courante et dans le deuxième, une dépense en capital. Par exemple, le coût de remplacement d'un gouvernail ou d'une hélice de bateau est considéré comme une dépense courante, car il s'agit d'une partie intégrante du bateau et il n'y a pas d'amélioration; mais le coût de remplacement d'une machine dans une usine est considéré comme une dépense en capital, car la machine n'est pas une partie intégrante de l'usine mais un bien qui peut être vendu séparément. Entre ces cas bien tranchés, il y en a d'autres où un article remplacé peut être une partie essentielle d'un bien entier sans en être une partie intégrante. En pareil cas, d'autres facteurs, comme la valeur relative, doivent entrer en ligne de compte.

d) Valeur relative — Il y aura peut-être lieu d'évaluer le montant de la dépense par rapport à la valeur du bien entier ou par rapport à la moyenne des frais d'entretien et de réparation déjà engagés. Cela est particulièrement le cas lorsque le remplacement en soi peut être considéré comme étant un bien vendable distinct. Bien qu'une bougie dans un moteur puisse être un tel bien, personne ne considérerait son coût de remplacement autrement que comme une dépense; mais, si le moteur lui-même est remplacé, la dépense ne vise pas seulement un bien vendable distinct mais peut également être très importante par rapport à la valeur totale du bien dont le moteur fait partie; dans ce cas, la dépense serait vraisemblablement considérée comme une dépense en capital. D'autre part, le rapport qui existe entre le montant de la dépense et la valeur du bien entier n'est pas en soi nécessairement décisif dans d'autres circonstances, spécialement lorsqu'est effectuée une réparation importante constituant une accumulation de petits travaux qui aurait été classés comme des dépenses courantes si chacun avait été fait au moment où le besoin s'était d'abord fait sentir; le fait que ces travaux n'aient pas été effectués plus tôt ne change pas la nature du travail lorsqu'il est fini, quel que soit son coût total.

[...]

[38] En ce qui concerne la question de l'acquisition, s'il est vrai que la famille Libfeld avait une participation minoritaire dans ces biens en particulier et, qu'à la suite d'une réorganisation, elle en est devenue propriétaire à 100 %, il ne s'agit vraisemblablement pas d'une acquisition. Cependant, il faut préciser que c'est Ted Libfeld Holdings Limited et Marklib Holdings Limited qui détenaient la participation minoritaire, et que c'est Marklib Investments Limited qui est ensuite devenu propriétaire à 100 %. Dans une certaine mesure, la question ne semble pas pertinente étant donné que la majeure partie des réparations ont été effectuées une ou deux années plus tard, à la suite d'avis et d'ordre d'exécution spécifiques. Aucun élément de preuve n'indique que l'appelante a acheté ou reçu les biens à un prix réduit en raison de l'état de délabrement de l'immeuble; de même, il n'existe aucune preuve que les réparations ont été effectuées pour rendre l'immeuble habitable. En tout temps, les immeubles étaient utilisés comme des biens locatifs. Par ailleurs, M. Libfeld a témoigné que ce genre d'immeuble a constamment besoin de réparations. De l'avis de la Cour, il est compréhensible, en raison du nombre et de la grandeur des appartements, que les immeubles subissent dans une certaine mesure les assauts des locataires et des voisins.

[39] Il incombe à l'appelante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la cotisation établie par le ministre était erronée. Il y a de nombreuses zones grises dans la présente affaire et, selon la façon dont les faits présentés sont interprétés, la réponse peut varier. La Cour est d'avis que M. Libfeld était un témoin crédible et que la majeure partie de son témoignage ne semble pas avoir été contredite; qui plus est, les ordonnances d'exécution et les avis que contenait le recueil de documents de l'appelante étaient très clairs et très précis. Par conséquent, la Cour est d'avis que l'appelante a réussi à démontrer que la plupart des réparations n'étaient pas des dépenses en capital.

[40] La Cour n'est pas certaine de l'incidence des ordres d'exécution émis et des modifications des règlements municipaux sur l'analyse effectuée dans la présente affaire, ni de l'importance qu'ils revêtent. D'une part, le fait que les ordres d'exécution ont été émis ou que les règlements municipaux ont été modifiés explique uniquement pourquoi la totalité des réparations ont soudainement été effectuées, mais il n'en fait pas d'office des dépenses courantes. Les décisions Morel et Sydney Harold précisent toutes deux en passant que la nature d'une dépense ne change pas parce qu'un contribuable a été forcé d'effectuer celle-ci. Cependant, ces deux affaires portent sur des rénovations majeures et des dépenses en capital assez évidentes. D'autre part, dans l'arrêt Gold Bar, le juge Jerome insiste sur l'importance de déterminer si les dépenses ont été faites volontairement dans le but de créer un nouveau bien en capital producteur de revenu. En d'autres termes, le juge Jerome met l'accent sur l'intention du contribuable. Le non-respect des avis et des ordres d'exécution peut non seulement avoir de graves conséquences financières pour l'appelante, il peut également susciter des situations dangereuses pour les locataires.

[41] Il convient aussi de noter que les ordres d'exécution et les avis étaient très précis. M. Libfeld a décrit les graves répercussions du non-respect des ordres d'exécution et des règlements municipaux et, au vu de celles-ci, je crois qu'on pourrait soutenir que l'appelante s'est trouvée dans une situation où elle devait malgré elle effectuer certaines réparations et où il y avait véritablement urgence.

[42] Par ailleurs, je dois me demander si une modification d'un règlement municipal peut être considérée comme un vice caché, pour reprendre la discussion dans l'arrêt Shabro, et, aussi longtemps que la réparation ne modifie pas la structure originale de l'immeuble, la dépense est alors considérée comme une dépense courante.

[43] En outre, M. Libfeld et l'avocat de l'appelante ont mentionné à un certain nombre de reprises que les réparations remplissaient la même fonction. De l'avis de la Cour, il ne s'agit pas de déterminer si les réparations remplissent la même fonction. Un toit à versants remplit la même fonction qu'un toit-terrasse et il en va de même d'un plancher en béton et d'un plancher en béton armé. La question est de savoir s'il y a eu une amélioration durable. La question est celle de savoir si une amélioration a été apportée à l'immeuble qui en modifie de façon substantielle la structure originale, non pas celle de savoir si les réparations remplissent la même fonction.

L'ensemble des réparations

[44] L'intimée s'est appuyée sur la décision rendue dans les affaires Audrey B. Wager v. M.N.R., 85 DTC 222 (C.C.I.) [ci-après appelée Wager] et Jean Méthé v. M.N.R. (1986), 86 DTC 1360 (C.C.I.) [ci-après appelée Méthé] pour faire valoir qu'en bout de ligne il y avait eu reconstruction des immeubles de l'appelante ou que l'effet total était à tout le moins un projet de rénovation et que les dépenses étaient donc des dépenses en capital. Dans la décision Wager, la Cour de l'impôt a conclu que des réparations importantes avaient été effectuées à l'un des deux immeubles que le contribuable avait achetés en très mauvais état et que ces dépenses étaient des dépenses en capital parce que les réparations avaient été effectuées pour rendre l'immeuble habitable. Le juge Taylor a déclaré ceci à la page 224 :

[...] En conséquence, selon moi, la nature d'une dépense particulière pourrait ne pas être, dans des circonstances telles que celles de l'espèce, le critère unique de distinction. Le remplacement d'une porte peut manifestement constituer une réparation, mais il peut aussi représenter une dépense en immobilisations lorsque l'ensemble des réparations peut généralement être considéré comme une reconstruction ou une remise en état total du bâtiment.

[45] De même, dans l'affaire Méthé, il est dit que le remplacement de certains éléments qui seraient normalement considérés comme un travail de réparation pourrait fort bien être qualifié de dépense en capital lorsque le remplacement s'inscrit dans un projet de rénovation complète. Selon le témoignage de M. Libfeld, une grande partie des réparations n'aurait pas été effectuée s'il n'y avait pas eu d'ordres d'exécution. Par conséquent, il faut maintenant déterminer si l'appelante était engagée dans un projet de rénovation. La Cour estime que c'est peu probable; pour la plupart, les réparations n'ont pas eu pour effet de prolonger la durée de vie des l'immeubles; elles ont simplement permis de les conserver en bon état. Les seules réparations sur lesquelles la Cour s'interroge véritablement sont les réparations du garage. Après avoir examiné les détails des réparations énumérées dans les ordres d'exécution et les avis, les appels d'offre et les honoraires de consultation, — outre l'installation de nouveaux ventilateurs dans le garage —, on peut soutenir qu'il y a peut-être eu réhabilitation totale de la structure du garage.

[46] L'autre point sur lequel la Cour s'interroge est le fait que les dépenses effectuées l'année antérieure à l'année 1991 et les deux années consécutives se situaient entre 130 000 et 180 000 $ pour le 10-12, St. Dennis et entre 50 000 et 110 000 $ pour le 35, Cedarcroft. Ces dépenses n'ont aucune commune mesure avec les montants dépensés en 1991. Cependant, la Cour réalise que ces immeubles ne sont pas de petites maisons de cinq pièces avec stationnement attenant pour une voiture, mais de grands immeubles d'habitation dont les frais de réparation et d'entretien sont en conséquence élevés. En outre, la Cour ne croit pas que les immeubles soient bien situés. L'impression qui se dégage du témoignage de M. Libfeld est que les immeubles subissent une quantité exceptionnelle de dommages de la main des locataires et des voisins de l'appelante en raison simplement de leur emplacement. Dans une certaine mesure, la Cour estime qu'il faut accorder une certaine importance au fait que ces immeubles ont toujours été habités et que des frais d'entretien ont dû être engagés afin de protéger et de maintenir le niveau du revenu de location.

[47] La Cour ne croit pas que l'appelante devrait être pénalisée simplement parce qu'elle a effectué beaucoup de réparations au cours d'une année. Comme le juge Jerome l'a mentionné dans l'arrêt Gold Bar, il faut tenir compte de l'intention et du but de l'appelante. Étant donné les ordonnances d'exécution et la modification des règlements municipaux, il ne semble pas y avoir eu d'intention d'améliorer le bien ou d'apporter des changements substantiels à la structure des immeubles. La plupart des réparations ont été effectuées dans le but de respecter les exigences municipales. Si M. Libfeld dit vrai en affirmant que les inspections municipales ont lieu à peu près tous les deux ans, les avis et les ordres d'exécution émis en 1989-1990 auraient été la conséquence de la première inspection effectuée après que l'appelante fut devenue propriétaire à 100 % des immeubles. M. Libfeld a témoigné qu'aux termes de la transaction papillon l'appelante devait recevoir les biens libres de tout ordre d'exécution en souffrance. Par conséquent, en supposant que les graves problèmes ont surgi dans les deux années qui ont suivi l'acquisition des immeubles et que les règlements municipaux ont été modifiés au cours de cette même période, les réparations étaient indépendantes de la volonté de l'appelante, mais elle devait quand même les effectuer pour ne pas que son revenu diminue.

[48] La Cour ne croit pas qu'il soit possible de dire que la rénovation des immeubles en question a amélioré la structure originale, comme ce fut le cas dans les arrêts Shabro et Sydney. Dans la décision Chambers c. Canada, [1997] A.C.I. no 1244 [ci-après appelée Chambers], la Cour a déclaré ce qui suit :

Il semblerait que, si les réparations permettent de garder l'immeuble dans un état pour ainsi dire identique à celui dans lequel il se trouvait avant que les réparations soient effectuées, ces réparations ont alors été, à bon droit, portées au compte des dépenses courantes mais que, si les réparations ont pour résultat un nouvel immeuble, pour ainsi dire, ou un immeuble à tout le moins très différent, elles doivent être considérées comme des dépenses en capital.

[49] La Cour admet l'appel pour le motif que les dépenses n'étaient pas des dépenses en capital. Les dépenses étaient peu élevées en regard de la valeur de l'immeuble. En l'espèce, la Cour a de la difficulté à croire que les réparations mentionnées ont entraîné la création d'un immeuble pratiquement neuf.

Conclusion

[50] La Cour estime que les dépenses engagées par l'appelante peuvent à bon droit être considérées comme des dépenses courantes et non pas comme des dépenses en capital. La question sera déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d'octobre 1999.

“ J. A. Brulé ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de juillet 2000.

Benoît Charron, réviseur

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