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Date: 19990329

Dossier: 96-2492-GST-G

ENTRE :

BANQUE RÉPUBLIQUE NATIONALE DE NEW YORK,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Cet appel est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”), dont l'avis est daté du 17 décembre 1993, pour la période allant du 1er janvier au 31 octobre 1991. Dans la cotisation qu'il a établie à l'égard de l'appelante, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé un crédit de taxe sur les intrants (“ CTI ”) de 980 833,10 $ qui était demandé, en vertu du paragraphe 183(7) de la Loi, relativement à la vente d'un immeuble commercial.

Faits

[2] Conformément à un acte de prêt signé le 17 novembre 1989 et enregistré le 20 novembre 1989 (pièce A-1), le Yarkon Financial Group (le groupe “ Yarkon ”) avait consenti à prêter 14 000 000 $ à la Yorkville Bellair Limited (la “ débitrice ”) pour la mise en valeur d'un bien situé au 5915, 5935 et 5965, Côte de Liesse, Ville St-Laurent (Québec) (le “ bien ”). Ce prêt de 14 000 000 $ se composait des sommes suivantes : la somme de 5 500 000 $, soit le “ montant de clôture ” relatif à une dette de 7 000 000 $ contractée par la débitrice envers le groupe Yarkon en vertu d'un acte de prêt antérieur; la somme de 8 500 000 $, qui devait être déboursée par voie d'avances conformément aux modalités de l'acte de prêt signé le 17 novembre 1989.

[3] Comme sûreté réelle garantissant le remboursement des 14 000 000 $, la débitrice avait accordé au groupe Yarkon une hypothèque de ce montant sur le bien. En outre, ce prêt était garanti par une clause de dation en paiement relative au bien en faveur du groupe Yarkon et était personnellement garanti par le président de la débitrice, Hugh MacLean. À l'époque de l'acte de prêt, le bien était également assujetti à une hypothèque de premier rang de 945 000 $ détenue par Les Entreprises Federet Ltée, laquelle hypothèque a été transférée à la Banque Toronto-Dominion le 8 décembre 1987 (pièce A-10).

[4] De même, le 17 novembre 1989, le groupe Yarkon avait signé un acte de prêt (pièce A-2) avec la Banque République Nationale de New York (l'“ appelante ”), dont le siège est à Montréal (Québec). En vertu de cet acte de prêt (enregistré le 20 novembre 1989), l'appelante devait prêter au groupe Yarkon la somme de 8 500 000 $. Cette somme devait être versée par voie d'avances conformément à des modalités qui étaient les mêmes que celles qui étaient énoncées dans l'acte de prêt entre le groupe Yarkon et la débitrice. En fait, la débitrice et son président, Hugh MacLean, étaient intervenus dans ce second acte de prêt.

[5] Comme sûreté réelle relative à ce prêt, le groupe Yarkon avait cédé à l'appelante tous les droits qu'il avait en vertu du premier acte de prêt (pièce A-1) entre lui et la débitrice, y compris la créance de 14 000 000 $ et le droit à la dation en paiement.

[6] Le 14 août 1990, conformément aux droits qui lui étaient conférés en vertu de la dation en paiement, le groupe Yarkon avait enregistré un avis de 60 jours en vertu de l'article 1040a du Code civil du Bas Canada (le “ CCBC ”) (pièce A-3). Selon cet avis, la débitrice avait omis de faire en sorte que tous les coûts de matériaux, de main-d'oeuvre et de services relatifs au bien soient payés en temps opportun et elle avait donc omis de faire en sorte qu'aucun privilège ne soit enregistré à l'égard de ce bien. Ainsi, la débitrice était en défaut en vertu de l'acte de prêt (pièce A-1).

[7] L'avis de 60 jours énumérait tous les privilèges enregistrés à l'égard du bien de mai à août 1990. La plupart de ces privilèges sont indiqués dans le sommaire de privilèges — d'un montant total de 1 111 321,76 $ — enregistrés à l'égard du bien (pièce A-18) qui a été déposé par l'appelante à l'appui de sa demande de CTI.

[8] De plus, selon le même avis de 60 jours (pièce A-3), sur les 14 000 000 $ devant être avancés à la débitrice, seulement 11 000 000 $ avaient effectivement été prêtés par le groupe Yarkon à la débitrice au 6 août 1990. Cela a été confirmé par M. David Schouela, administrateur et vice-président directeur responsable du crédit immobilier pour l'appelante.

[9] Comme le groupe Yarkon avait transféré à l'appelante ses droits, actions, privilèges et hypothèques ainsi que les effets de la dation en paiement en vertu de l'acte de prêt (pièce A-2) et qu'il y avait des défauts de paiement, relativement à l'acte de prêt signé par l'appelante en faveur du groupe Yarkon (pièce A-2), depuis le mois d'août 1990, l'appelante avait enregistré son propre avis de 60 jours, conformément à l'article 1040a du CCBC, le 14 novembre 1990 (pièce A-4). Dans cet avis, l'appelante indiquait que le capital et les intérêts dus au 12 novembre 1990 s'élevaient à 11 545 148,59 $, les intérêts sur cette somme étant de 5 269,20 $ par jour. Dans l'intervalle, Les Entreprises Federet Ltée et la Banque Toronto-Dominion avaient également enregistré un avis de 60 jours, en vertu de l'article 1040a du CCBC, le 23 août 1990 (pièce A-10).

[10] Le 31 janvier 1991, après l'expiration de l'avis de 60 jours, l'appelante avait intenté une action (pièce A-5), contre la débitrice comme défenderesse et le groupe Yarkon et Hugh MacLean comme mis-en-cause, devant la Cour supérieure du district de Montréal de la province de Québec. Par cette action, l'appelante cherchait à se prévaloir des droits qu'elle avait en vertu de la clause de dation en paiement et elle demandait à être déclarée le seul et unique propriétaire du bien — avec effet rétroactif au 31 octobre 1986, soit la date d'enregistrement d'un premier acte de prêt entre le groupe Yarkon et la débitrice —, libre et quitte de l'ensemble des hypothèques, baux et autres charges touchant le bien après l'enregistrement dudit acte de prêt. Dans sa déclaration, l'appelante disait que, à la date de son action, elle avait avancé comme capital 5 500 000 $ sur les 8 500 000 $ qu'elle s'était engagée à prêter au groupe Yarkon.

[11] Le 31 janvier 1991, l'appelante avait en outre conclu une convention (pièce A-6) avec le groupe Yarkon et la Belcourt Inc. (“ la Belcourt ”), soit une société qui avait beaucoup d'expérience en mise en valeur immobilière et qui était intéressée à participer à l'achèvement de la mise en valeur du bien. Le préambule de cette convention disait que la débitrice avait été obligée d'abandonner le projet de mise en valeur de bureaux à cause de difficultés financières. Il disait aussi que le groupe Yarkon avait avancé 11 000 000 $ à la débitrice au titre du financement du projet et que l'appelante avait avancé 5 500 000 $ au groupe Yarkon pour aider ce dernier dans son financement de la débitrice. Il mentionnait en outre de nombreux privilèges qui avaient été enregistrés à l'égard du bien et qui l'étaient encore.

[12] En vertu de cette convention, le groupe Yarkon renonçait à sa sûreté réelle à l'égard du bien contre l'engagement de l'appelante de payer à Yarkon une somme de 5 500 000 $ plus des intérêts ainsi que toutes les avances supplémentaires consenties par Yarkon pour couvrir des prélèvements faits en vertu d'une garantie supplémentaire donnée par Yarkon à l'appelante. Cette somme était appelée le “ solde de Yarkon ”. Le paiement du solde de Yarkon devait être fait par l'appelante au moment de la vente, du refinancement ou de l'exploitation du bien, sous réserve du recouvrement préalable complet, par l'appelante, de toutes les sommes prêtées ou investies par elle (section 6.02 de la pièce A-6).

[13] Dans cette même convention (pièce A-6) figure ce qui suit :

[TRADUCTION]

3.00 PROCÉDURES

3.01 YARKON accepte de ne pas poursuivre son ACTION EN DATION EN PAIEMENT. La BRN [l'appelante] poursuivra sa propre ACTION EN DATION EN PAIEMENT pour être déclarée propriétaire du BIEN — avec effet au plus tôt comme le prévoient les modalités de la SÛRETÉ RÉELLE [les différents actes de prêt passés entre Yorkville et Yarkon et l'acte de prêt passé entre l'appelante et Yarkon] — libre et quitte de toutes charges subséquentes. YARKON s'engage à ne pas contester les conclusions de l'ACTION EN DATION EN PAIEMENT de la BRN.

3.02 YARKON a entamé des discussions avec YORKVILLE [la débitrice] en vue d'obtenir que YORKVILLE consente à la cession volontaire (la “ CESSION VOLONTAIRE ”) du BIEN À LA BRN, ce qui supprimerait la nécessité d'une poursuite de l'ACTION EN DATION EN PAIEMENT DE LA BRN. Il est reconnu qu'un tel consentement peut impliquer que la BRN accorde un droit ou option de rachat du BIEN (l'“ OPTION DE RACHAT ”) à un acheteur éventuel (l'“ ACHETEUR ”).

3.03 Les parties reconnaissent que les modalités de la présente convention supposent que l'ACTION EN DATION EN PAIEMENT DE LA BRN ou la CESSION VOLONTAIRE aura pour résultat que la BRN deviendra le propriétaire du BIEN. Si l'ACTION EN DATION EN PAIEMENT DE LA BRN ou la CESSION VOLONTAIRE ne donnait pas lieu à ce résultat, les dispositions de la présente convention ne s'appliqueraient plus. Toutefois, les deux parties conviennent de coopérer ensuite dans la mesure du possible, chacune agissant raisonnablement mais sans mettre en péril leurs situations respectives et toujours compte tenu des objectifs généraux mentionnés précédemment, dans la poursuite de leurs droits et recours respectifs.

3.04 Les parties reconnaissent que le BIEN n'a pas été entretenu correctement par YORKVILLE et que le fait que YORKVILLE continue d'être propriétaire et possesseur du BIEN conduira à une détérioration encore plus grande du BIEN et à une dégradation encore plus grande de la SÛRETÉ. Donc, la BRN, YARKON et BELCOURT conviennent expressément de ne pas, directement ou indirectement, faire de paiements ou prendre de mesures qui permettraient de remédier avant jugement aux manquements à la base des ACTIONS EN DATION EN PAIEMENT ou qui, si la CESSION VOLONTAIRE a lieu, permettraient à l'ACHETEUR d'acquérir le contrôle du BIEN ou le titre relatif au BIEN par l'exercice du DROIT DE RACHAT ou aideraient l'ACHETEUR à cet égard.

3.05 Si YORKVILLE exécute la CESSION VOLONTAIRE et que l'OPTION DE RACHAT est levée par l'ACHETEUR, la BRN s'engage à signer les documents raisonnablement requis pour reconnaître et assurer le rétablissement des droits et de la sûreté réelle de YARKON à peu près de la même manière que ce qui existe à la présente date en vertu des modalités de la SÛRETÉ et de la CESSION DE YARKON.

4.00 AUTRES CRÉANCIERS

4.01 Il est reconnu que la charge correspondant à l'HYPOTHÈQUE DE FEDERET est enregistrée à l'égard d'une partie importante du BIEN et doit être traitée de manière à ne pas menacer la capacité d'acquérir la propriété de l'ensemble du BIEN. Il est entendu que le principal dû aux créanciers en vertu de l'HYPOTHÈQUE DE FEDERET est de NEUF CENT QUARANTE-CINQ MILLE DOLLARS (945 000 $), que certains paiements d'intérêts y afférents sont actuellement en souffrance et que les créanciers détenant l'HYPOTHÈQUE DE FEDERET ont enregistré un “ avis de 60 jours ” le 23 août 1990.

4.02 Les parties conviennent de verser aux créanciers détenant l'HYPOTHÈQUE DE FEDERET la somme requise pour empêcher lesdits créanciers de poursuivre une action en forclusion ou pour obtenir une subrogation complète en faveur de la BRN dans tous les droits desdits créanciers à l'égard de l'HYPOTHÈQUE DE FEDERET et du prêt sous-jacent, pourvu que la somme devant être versée ne soit pas beaucoup plus élevée que le montant du principal mentionné précédemment, plus les intérêts courus. Si elle est beaucoup plus élevée, il est convenu que les parties, agissant raisonnablement, réévalueront la situation et envisageront des lignes de conduite de rechange, y compris, notamment, l'abandon de cette partie du BIEN. Toute décision finale à ce sujet sera prise par la BRN.

4.03 Les parties conviennent d'analyser chacun des PRIVILÈGES et de traiter avec chacun des créanciers détenant ces privilèges de manière à régler définitivement les réclamations en suspens de ces créanciers, dans la mesure du possible, avant que l'une quelconque desdites réclamations ne soit mise en jugement. BELCOURT et la BRN travailleront de concert relativement à de telles négociations et à un tel règlement, étant entendu que toute décision finale quant au paiement relatif à une telle réclamation sera prise par la BRN.

4.04 Le financement requis pour effectuer les paiements prévus à l'article 4.00 et pour acquitter tous les frais y afférents sera fourni par la BRN (le “ FINANCEMENT GLOBAL ”) et, jusqu'à ce que la BRN soit déclarée propriétaire du BIEN ou le devienne par ailleurs et vende à BELCOURT quarante-neuf virgule neuf pour cent (49,9 %) de ses intérêts dans le BIEN (comme il est prévu ci-après), le total de ces paiements (et des avances décrites à la section 7.04 ci-dessous) s'ajoutera au PRÊT DE LA BRN et sera réputé en faire partie.

[14] Le 4 février 1991 (la convention ayant été signée le 1er février 1991), le titre relatif au bien a été transféré de la débitrice à l'appelante (pièce A-7) par voie de dation en paiement volontaire, conformément aux clauses de dation en paiement figurant dans les divers actes de prêt entre Yarkon et Yorkville (enregistrés le 31 octobre 1986, le 8 juin 1988 et le 20 novembre 1989), ainsi que dans l'acte de prêt entre l'appelante et Yarkon enregistré le 20 novembre 1989, et conformément à l'avis de 60 jours enregistré le 14 novembre 1990. Dans le document de transfert, il est dit que l'appelante avait une créance de 11 545 148,59 $, plus les intérêts y afférents exigibles au 12 novembre 1990 et depuis cette date, et que la contrepartie du transfert était de ce montant. Par le même document, l'appelante se réservait le droit de chercher à faire radier tous privilèges, hypothèques et autres charges enregistrés à l'égard du bien après la date effective du transfert de propriété.

[15] Le 1er février 1991, l'appelante avait en outre conclu avec Hugh MacLean une convention (pièce A-8) accordant à M. MacLean l'option de racheter le bien n'importe quand avant le 24 mai 1991. Le prix devant être payé par M. MacLean, si ce dernier levait bel et bien l'option, était le total du solde de prêts dû à Yarkon et à l'appelante en vertu des différents actes de prêt (nonobstant le paiement réputé en vertu de la cession volontaire) et l'ensemble des éléments suivants, plus les intérêts :

- la somme payée par l'appelante à la société Les Entreprises Federet Ltée (945 000 $);

- toutes les sommes payées par l'appelante pour des privilèges enregistrés à l'égard du bien;

- toutes les sommes dépensées par l'appelante pour entretenir, améliorer et construire ou exploiter le bien;

- tous les arriérés d'intérêts dus par la débitrice à Yarkon et à l'appelante en vertu des différents actes de prêt;

- tous les frais ainsi que tous les honoraires professionnels payés par l'appelante et Yarkon relativement à l'un quelconque des paiements susmentionnés pour protéger leurs droits à l'égard du bien.

[16] M. David Schouela a déclaré dans le cadre de son témoignage que l'appelante avait laissé entendre à M. MacLean qu'elle envisageait d'intenter des poursuites en justice contre la débitrice pour obtenir une vente judiciaire et d'engager une action contre M. MacLean à l'égard de la sûreté personnelle de ce dernier. Comme M. MacLean ne voulait pas être tenu responsable personnellement et qu'il avait abandonné le bien, M. Schouela a dit que M. MacLean avait décidé de transférer volontairement le bien à l'appelante de manière à être libéré de sa sûreté personnelle. Quant à l'option d'achat accordée à M. MacLean, M. Schouela a dit qu'elle avait été accordée dans l'éventualité où M. MacLean mettrait ses affaires financières en ordre. En fait, l'appelante n'oeuvre pas dans le domaine immobilier, et M. Schouela a dit que l'on aurait été heureux de revendre le projet à M. MacLean.

[17] Le 8 avril 1991, une ordonnance de mise sous séquestre a été accordée à l'encontre de la débitrice et, le 11 avril 1991 (pièce A-9), un avis de suspension des procédures a été déposé auprès de la Cour supérieure de la province de Québec en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R. 1985, ch. B-3.

[18] Le 26 juin 1991, une offre d'achat du bien a été signée entre l'appelante et Shoubel Holdings Inc. (“ Shoubel ”) (voir la pièce A-17). L'offre contenait une disposition indiquant que Belcourt pourrait être coacheteur avec Shoubel. Le prix d'achat payable par l'acheteur à l'appelante était déterminé comme suit :

[TRADUCTION]

4.1 Le prix d'achat total (le “ PRIX D'ACHAT ”) payable par l'ACHETEUR [Shoubel et Belcourt] au VENDEUR [l'appelante] relativement à la vente et au transfert du BIEN sera le total des sommes suivantes :

a) la somme de CINQ MILLIONS CINQ CENT MILLE DOLLARS (5 500 000 $), soit le montant initial du PRÊT DE LA BRN;

b) tous les arriérés d'intérêts, s'il en est, dus par YARKON au VENDEUR à l'égard du PRÊT DE LA BRN à la DATE DE CLÔTURE;

c) toutes les sommes avancées par le VENDEUR jusqu'à la DATE DE CLÔTURE à l'égard du BIEN pour conserver et protéger ses intérêts dans le BIEN et à l'égard de la SÛRETÉ RÉELLE, y compris, notamment, toutes les sommes avancées conformément aux modalités de la CONVENTION relativement au “ FINANCEMENT GLOBAL ” et au “ FINANCEMENT DE MISE EN VALEUR ”, selon les définitions qui en sont données dans la CONVENTION.

Il était également stipulé dans l'offre que l'appelante fournirait du financement à l'acheteur, soit un montant égal à 80 p. 100 du prix d'achat, en conformité avec les arrangements en matière de financement dont l'appelante et l'acheteur avaient convenu.

[19] L'offre disait également ce qui suit au paragraphe 4.6 (pièce A-17) :

[TRADUCTION]

4.6 Outre qu'il acquittera le PRIX D'ACHAT, l'ACHETEUR sera responsable des éléments suivants et devra prendre en charge le paiement ou le règlement de ce qui suit :

a) le prêt existant garanti par une hypothèque de premier rang, en faveur de la société Les Entreprises Federet Ltée, enregistrée à l'égard d'une partie du BIEN,

b) les PRIVILÈGES ainsi que les réclamations des CRÉANCIERS détenteurs des privilèges,

le tout de manière à décharger le VENDEUR. L'ACHETEUR s'engage également à exécuter l'engagement du VENDEUR en faveur de YARKON quant au paiement du “ SOLDE DE YARKON ” (au sens de la définition figurant dans la CONVENTION), conformément aux modalités de la CONVENTION.

Il est dit en outre dans la section relative aux garanties, au paragraphe 7.3 :

[TRADUCTION]

7.3 L'ACHETEUR reconnaît l'existence des PRIVILÈGES et reconnaît que le PRIX D'ACHAT inclut toutes les sommes qui ont été payées ou qui auront été payées par le VENDEUR à cet égard jusqu'à la DATE DE CLÔTURE. Le VENDEUR accepte de ne pas consentir au règlement ou paiement relatif à l'un quelconque des PRIVILÈGES sans l'approbation écrite préalable de l'ACHETEUR.

À la section II de l'offre (pièce A-17), intitulée “ Background ” (contexte), il est dit aux paragraphes 2.10 à 2.13 inclusivement :

[TRADUCTION]

2.10 Des poursuites judiciaires (les “ ACTIONS RELATIVES AUX PRIVILÈGES ”) ont été engagées en vertu des PRIVILÈGES par certains des CRÉANCIERS et, dans un cas, un jugement a été rendu à l'encontre de YORKVILLE;

2.11 Le VENDEUR a déposé des interventions (les “ INTERVENTIONS ”) dans chacune des ACTIONS RELATIVES AUX PRIVILÈGES en vue d'en contester la validité et a, dans le cas de l'action à l'égard de laquelle un jugement a déjà été obtenu, déposé une requête en révocation (la “ REQUÊTE EN RÉVOCATION ”) dudit jugement;

2.12 Le VENDEUR a déposé ou est en voie de déposer des requêtes en radiation (les “ REQUÊTES EN RADIATION ”) des PRIVILÈGES à l'égard desquels des poursuites judiciaires n'ont pas été engagées;

2.13 Conformément aux modalités de la CONVENTION, le VENDEUR a retenu les services de la BELCOURT pour qu'elle analyse chacun des PRIVILÈGES et pour qu'elle communique avec chacun des CRÉANCIERS en vue de régler chacune de leurs réclamations.

De plus, il est dit à la section III de l'offre, intitulée “ Closing ” (clôture), aux paragraphes 3.5 et 3.6 :

[TRADUCTION]

3.5 À la date de CLÔTURE, le VENDEUR et l'ACHETEUR signeront un acte de cession (la “ NOUVELLE CESSION ”) en vertu duquel le VENDEUR cédera à l'ACHETEUR tous ses droits, titre et intérêts concernant les PRÊTS DE YARKON, le PRÊT DE LA BRN, la SÛRETÉ RÉELLE et la CESSION. En même temps, le VENDEUR signera tous les documents requis pour permettre à l'ACHETEUR de continuer toutes les procédures engagées par le VENDEUR à l'égard du BIEN et des PRIVILÈGES, y compris, notamment, les PROCÉDURES EN DATION EN PAIEMENT, les INTERVENTIONS, la REQUÊTE EN RÉVOCATION et les REQUÊTES EN RADIATION.

3.6 À la DATE DE CLÔTURE (date de prise d'effet), le VENDEUR cédera à l'ACHETEUR tous ses droits et avantages en vertu de la CONVENTION, et l'ACHETEUR assumera toutes les obligations et responsabilités du VENDEUR en vertu de la CONVENTION, de manière à décharger complètement le VENDEUR, le tout comme si l'ACHETEUR avait initialement signé la CONVENTION à la place du VENDEUR.

[21] Le 27 juin 1991, l'opération entre l'appelante (le vendeur) et Shoubel et Belcourt (l'acheteur) s'est conclue et, le 28 juin 1991, la vente a été enregistrée (pièce R-1). La convention de vente stipulait que la vente était faite en contrepartie du prix total de 5 915 922,58 $. En vertu de cette convention, l'acheteur acceptait de prendre en charge tous les privilèges, hypothèques et autres charges enregistrés à l'égard du bien, le tout de manière à décharger complètement l'appelante.

[22] Les parties convenaient en outre que les modalités, déclarations et garanties figurant dans l'offre d'achat du 26 juin 1991 entre l'appelante et Shoubel devaient être réputées faire partie de la convention comme si elles y étaient énoncées intégralement. Les parties convenaient également qu'aucun nouveau privilège ou hypothèque n'était créé par la convention de vente, l'appelante renonçant expressément à de tels privilèges, hypothèques ou privilèges de vendeur. Enfin, les parties déclaraient que la contrepartie de la vente était de 5 915 922,58 $ aux fins de la loi de l'assemblée législative du Québec autorisant les municipalités à lever et à percevoir une taxe sur le transfert de biens immeubles.

[23] M. Paul Grayson, qui occupait un poste de cadre supérieur en administration du crédit chez l'appelante durant l'année en cause, a également témoigné. Il a dit que l'appelante s'était vu offrir la possibilité de vendre le bien à Shoubel, une société qu'elle connaissait par l'entremise de M. Edouard Schouela (l'oncle de David Schouela), qui est le président de Shoubel. M. Grayson a dit que c'était une occasion de recouvrer le montant du prêt et d'échapper à des responsabilités effectives et potentielles concernant le bien, soit des privilèges ainsi que des hypothèques prioritaires.

[24] M. Grayson a expliqué que le prix d'achat offert pour le bien totalisait environ 14 000 000 $. Ce montant correspondait aux éléments suivants :

- le montant du principal dû à la banque (5 500 000 $, plus les intérêts);

- le solde de Yarkon, soit les sommes que Yorkville devait à Yarkon (5 500 000 $, plus les intérêts) et que l'appelante s'était engagée à rembourser sur le produit de la vente du bien lorsque Yarkon lui avait cédé tous les droits qu'il avait à l'égard du bien (clause 6.02 de la pièce A-6);

- un prêt initial consenti à la société Les Entreprises Federet Ltée (945 000 $);

- tous les privilèges enregistrés à l'égard du bien (environ 1 100 000 $).

[25] Il a été établi par des documents déposés sous la cote R-3 que trois privilèges se rapportant à des créances totalisant 27 115,38 $, énumérés dans la pièce A-18, avaient fait l'objet d'une libération au mois de juin 1991.

[26] Le 17 mars 1992, Les Entreprises Federet Ltée et la Banque Toronto-Dominion ont reconnu avoir reçu paiement du montant du principal, 945 000 $, avec tous les intérêts exigibles, et ont accordé une libération complète définitive à l'égard de toutes les sommes qui leur étaient dues. Elles ont également accordé une mainlevée complète définitive ainsi qu'une quittance à l'égard de tous leurs droits relatifs au bien (pièce A-10).

[27] Tout au long de son témoignage, M. David Schouela a dit que la débitrice avait abandonné le projet relatif au bien vers septembre 1990. D'après lui, à partir de ce moment, il n'y avait plus d'activité concernant l'immeuble, il n'y avait plus de construction et il n'y avait pas de location.

[28] M. Antoine Chalhoub, un architecte qui travaillait au projet de mise en valeur lorsque le bien appartenait encore à la débitrice, a été appelé comme témoin par l'intimée. Il a dit que la débitrice lui avait donné le mandat d'assurer une vue d'ensemble architecturale. Il a dit qu'il y avait trois immeubles dans le projet. Il n'avait pas travaillé au premier, qui était déjà en construction. Il avait effectué certaines études concernant le deuxième, qui était en voie de démolition. Enfin, il avait fait certains travaux pour le maintien du zonage commercial du troisième immeuble, soit, d'après M. Chalhoub, un ancien garage de la Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal (“ CTCUM ”). M. Chalhoub n'était toutefois pas certain de l'adresse du troisième immeuble, et on ne sait pas clairement si cet immeuble faisait partie du bien en question.

[29] M. Chalhoub avait travaillé au zonage relativement au troisième immeuble en 1990. Il avait dû établir des plans concernant l'immeuble pour obtenir des permis pour entreprendre la construction. Il a dit que c'était à ce moment que la débitrice avait commencé à avoir des problèmes financiers. M. Chalhoub a déclaré dans le cours de son témoignage qu'il avait effectué des travaux jusqu'à ce que la débitrice lui dise que la dernière promesse de paiement ne serait pas honorée. Cela serait arrivé vers le mois de février 1991. À cette époque, d'après M. Chalhoub, 80 à 90 p. 100 des plans avaient été exécutés. M. Chalhoub a dit qu'il avait enregistré un privilège correspondant à une somme de 38 000 $ qui lui était due à cette époque. Ce privilège, qui est mentionné dans le sommaire de privilèges (pièce A-18) et à l'égard duquel un montant de seulement 22 000 $ avait été approuvé comme représentant du travail effectivement accompli, a ultérieurement été annulé. Ce privilège radié doit donc être ajouté aux autres privilèges qui ont fait l'objet d'une libération selon les documents déposés (pièce R-3).

[30] Après la vente du bien, l'appelante avait demandé un CTI fictif à l'égard du bien conformément au paragraphe 183(7) de la Loi, tel qu'il se lisait alors. Ce CTI a été refusé par le ministre dans la cotisation du 17 décembre 1993, d'où le présent appel. Tous les documents déposés en preuve sous les cotes A-11 à A-16 inclusivement montrent que le ministre a refusé le CTI pour le motif que l'appelante n'avait pas “ saisi ” le bien ou “ repris possession ” du bien au sens de l'article 183 de la Loi. Le ministre était d'avis que l'appelante avait acquis le bien par un acte signé volontairement, après l'avis de 60 jours.

[31] L'intimée a appelé comme témoin Mme Hélène Couture, une vérificatrice de TPS de Revenu Canada. Durant sa vérification, Mme Couture avait en main les états financiers de la débitrice pour l'année se terminant le 31 décembre 1990 (pièce R-4). À partir de ces états financiers, elle avait déterminé que la débitrice était associée à d'autres compagnies qui étaient des inscrits aux fins de la TPS. Elle avait donc conclu que la débitrice, qui n'était pas un inscrit, aurait dû être un inscrit. Sur la foi de sa propre interprétation, elle estimait donc que, si la débitrice était tenue d'être un inscrit, c'était la débitrice qui était en droit de demander le CTI en vertu du paragraphe 183(7) de la Loi. En contre-interrogatoire, elle n'a pu confirmer que cette question avait été soulevée par Revenu Canada avant la cotisation. Elle avait quitté le service de vérification en octobre 1992, et la cotisation est datée du 17 décembre 1993. En outre, elle ne savait pas si la débitrice exerçait une activité commerciale quelconque en 1991.

[32] Lors du réinterrogatoire, elle a dit que l'information qu'elle avait reçue durant sa vérification était que la débitrice avait emprunté de l'argent pour rénover un immeuble commercial à Ville St-Laurent. D'après sa source, l'immeuble en question était anciennement une “ crèche ” appartenant à des religieuses et était situé au 5935, Côte de Liesse, Ville St-Laurent (Québec). La construction avait débuté en 1989, et les travaux relatifs à l'immeuble avaient cessé en septembre 1990.

Analyse

[33] Le paragraphe de la Loi sur la taxe d'accise en cause dans la présente espèce est le paragraphe 183(7), qui, pour la période en question, dit[1] :

(7) Vente d'un bien — Pour l'application de la présente partie, le créancier qui effectue, à un moment donné, la fourniture taxable par vente, sauf une fourniture réputée par une disposition de la présente partie autre que l'article 177 avoir été effectuée, du bien d'une personne — qu'il a saisi ou dont il a repris possession d'une personne dans les circonstances visées au paragraphe (1) — qui n'est pas réputé par les paragraphes (4), (5), (6) ou (8) avoir déjà effectué ou reçu une fourniture du bien et qui convainc le ministre que la personne n'a pas reçu, ni n'a le droit de recevoir, un crédit de taxe sur les intrants ou un montant remboursable relativement au bien est réputé :

a) avoir reçu, immédiatement avant le moment donné, une fourniture du bien pour une contrepartie égale à celle de la fourniture taxable;

b) avoir payé, immédiatement avant le moment donné et relativement à la fourniture réputée par l'alinéa a) avoir été reçue, une taxe égale au résultat du calcul suivant :

A – B

où :

A représente la taxe calculée sur cette contrepartie,

B le total des montants représentant chacun un crédit de taxe sur les intrants ou un montant remboursable en vertu de la présente partie que le créancier pouvait demander relativement au bien ou à des améliorations afférentes.

[34] Le résultat de cette disposition est essentiellement que, lorsqu'un créancier vend un bien qui a été “ saisi ” ou qui a été l'objet d'une “ reprise de possession ”, il est réputé avoir acquis le bien pour une contrepartie égale au prix de vente et avoir payé la TPS applicable. Ainsi, si ce paragraphe s'applique, l'appelante dans la présente espèce sera réputée avoir acquis le bien au prix de vente et avoir donc droit à un crédit fictif de taxe sur les intrants égal à 7 p. 100 de ce prix. Toutefois, pour que la loi s'applique, le bien doit avoir été “ saisi ” ou avoir été l'objet d'une “ reprise de possession ”. En l'espèce, il y a eu une dation en paiement en vertu des dispositions du CCBC, ce que l'avocat de l'appelante considère comme une “ saisie ” ou “ reprise de possession ”, tandis que l'intimée soutient que tel n'est pas le cas puisque c'était une dation purement volontaire. La question de savoir ce qu'est au juste une dation en paiement et ce que représente une “ saisie ” ou “ reprise de possession ” est donc au coeur de la présente espèce.

Dation en paiement : “ saisie ” ou “ reprise de possession ”

[35] Le CCBC traite de dation en paiement aux articles 1040a et 1592. La dation en paiement prévue à l'article 1592 est purement volontaire, équivaut à une vente et n'a pas d'effet rétroactif[2]. Les deux parties ont convenu que l'article 1592 n'était nullement pertinent aux fins de la présente espèce. La dation en paiement utilisée par l'appelante est une dation prévue aux articles 1040a et suivants :

1040a En vertu d'un contrat consenti pour la garantie d'une obligation, un créancier ne peut exercer le droit de devenir propriétaire irrévocable d'un immeuble ou le droit d'en disposer que soixante jours après avoir donné et enregistré un avis de l'omission ou contravention en raison de laquelle il veut le faire.

Cet avis doit être enregistré avec désignation de l'immeuble et signifié à la personne dont les droits comme détenteur de l'immeuble à titre de propriétaire sont alors enregistrés; il a effet contre tout autre intéressé auquel les droits du créancier sont opposables.

La signification de l'avis au détenteur ou à ses héritiers peut être faite de la même manière qu'une assignation suivant le Code de procédure civile.

Le registrateur est tenu de dénoncer l'enregistrement de l'avis par lettre recommandée ou certifiée à chaque créancier hypothécaire ou privilégié qui a donné avis de son adresse ou de son domicile élu et à chaque bénéficiaire de la déclaration de résidence familiale dont l'adresse ou le domicile élu fait l'objet d'un avis.

1040b Le débiteur ou tout autre intéressé peut empêcher l'exercice par le créancier de son droit de devenir propriétaire irrévocable de l'immeuble ou d'en disposer, en remédiant à l'omission ou contravention mentionnée dans l'avis et à toute omission ou contravention subséquente et en payant les frais, en tout temps pendant le délai d'avis et, par la suite, avant que le créancier ait été déclaré, par acte signé volontairement ou par jugement, propriétaire irrévocable de l'immeuble, ou, dans le cas du droit d'en disposer, avant que le créancier ait exercé ce droit.

Au cas d'omission de payer une somme d'argent ou de fournir des garanties ou au cas de faillite ou d'insolvabilité du débiteur, le créancier qui a donné l'avis prévu à l'article précédent n'a droit à aucune indemnité autre que l'intérêt et les frais.

[...]

1040e Les dispositions de la présente section ont effet nonobstant toute convention contraire. Une renonciation à l'avis ci-dessus prescrit est réputée non écrite.

[36] Dans un cas de défaillance du débiteur, le créancier peut déposséder le débiteur de son bien après l'expiration de l'avis de 60 jours si le débiteur n'a pas remédié à la contravention mentionnée dans l'avis avant que le créancier ait été déclaré, par acte signé volontairement ou par jugement, propriétaire irrévocable du bien.

[37] La dation en paiement n'est pas automatique. En fait, une dation en paiement donne lieu à une dépossession seulement dans deux cas : si le débiteur cède volontairement le bien ou si une ordonnance de tribunal est obtenue. Donc, comme le soutenait à juste titre l'avocat de l'intimée, le créancier ne devient pas automatiquement le propriétaire du bien à l'expiration de la période de 60 jours prévue à l'article 1040a du CCBC. Cependant, l'intimée n'a pas démontré pourquoi le fait que la dation en paiement n'est pas automatique ou immédiate influe de quelque manière sur la question de savoir s'il y a eu “ saisie ”. Il s'agit plutôt de savoir si la cession du bien, par le débiteur, était purement volontaire, auquel cas on ne peut dire qu'il y a eu “ saisie ” ou “ reprise de possession ”.

[38] L'intimée soutient que le bien en cause dans la présente espèce n'a pas été “ saisi ” puisqu'il a été cédé volontairement et que l'appelante n'a pas été obligée d'obtenir une ordonnance de tribunal. L'appelante soutient qu'une “ saisie ” est une prise de possession et que le fait qu'aucune ordonnance de tribunal n'a été obtenue n'est pas pertinent.

[39] Le Oxford English Dictionary (volume XIII, deuxième édition, Clarendon Press, Oxford, 1989) donne les définitions suivantes des mots “ seize ” et “ seizure ” :

seize [TRADUCTION] II. Prendre possession. [...] 5.b. Prendre possession (de marchandises) en exécution d'une ordonnance judiciaire.

seizure [TRADUCTION] 1. Action de saisir ou fait d'être saisi; confiscation ou prise de possession de force (d'un bien-fonds ou de marchandises); action de s'emparer de qqch. soudainement et de force.

[40] Le Random House Dictionary of the English Language (deuxième édition, 1987) définit ces termes comme suit :

seize [TRADUCTION] 3. Prendre possession de force ou à volonté [...] 5. Prendre possession en vertu d'une autorisation de droit; confisquer.

seizure [TRADUCTION] 3. Prise de possession (s'applique à qqch. ou à qqn) de droit ou de force.

[41] Le Black’s Law Dictionary (sixième édition, West Publishing, St. Paul, 1990) donne les définitions suivantes :

Seize. [TRADUCTION] Prendre possession de force, empoigner, saisir ou mettre en possession.

Seizure [TRADUCTION] Prise de possession d'un bien, par exemple pour violation de la loi ou en exécution d'un jugement. Implique le fait de soustraire quelque chose à la possession, effective ou réputée, d'une ou plusieurs autres personnes.

[42] Les définitions précitées définissent essentiellement une “ saisie ” comme une prise de possession. Il reste que, dans la plupart des contextes, elles impliquent bel et bien le fait de prendre de force ou avec une autorisation judiciaire. Par exemple, les articles 733 à 740 inclusivement du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C-25, décrivent les circonstances dans lesquelles un bien peut être saisi et indiquent qu'il faut toujours un bref ou l'autorisation d'un juge.

[43] Dans l'affaire Mintzer v. The Queen, 96 DTC 6027, à la p. 6033, la Cour d'appel fédérale répétait ce qu'avait dit le juge Cave dans l'affaire Johnston & Co. v. Hogg, (1882-83) 10 Q.B.D. 432 :

Qui plus est, “saisie” dans son sens ordinaire et naturel tel qu'il s'entend en common law, signifie “prise de possession forcée”.

[44] Il s'agit donc de savoir si la cession du bien, par la débitrice, était réellement volontaire ou s'il s'agissait d'une cession forcée. Est-ce que le fait que la débitrice n'a pas forcé l'appelante à obtenir une ordonnance indique que la cession était volontaire?

[45] Dans l'affaire Pople v. Dauphin, (1921) 60 D.L.R. 30, le juge Cameron, de la Cour d'appel du Manitoba, disait à la page 32 :

[TRADUCTION]

Un paiement n'est pas considéré comme volontaire lorsqu'il est fait sous la menace d'une action pénale, lorsqu'il est fait sous la menace d'une exécution, même si aucune exécution ne pourrait juridiquement être imposée, lorsqu'il est réclamé et fait selon une loi, un acte ou une décision d'arbitre qui est ultra vires (au-delà des pouvoirs) ou lorsqu'une partie est en mesure d'imposer des modalités à l'autre; un paiement n'est pas non plus considéré comme volontaire simplement parce que la personne qui le fait n'a pas attendu d'être poursuivie pour le faire ou qu'on lui a donné du temps pour le faire. Il peut y avoir une contrainte “ concrète ” ainsi qu'une contrainte “ juridique effective ”.

[46] Dans l'affaire Riverside Concrete Ltd. v. M.N.R., (1995) 92 F.T.R. 241, la section de première instance de la Cour fédérale a examiné une question semblable concernant le caractère volontaire de paiements fiscaux. À la page 247, le juge Rothstein, titre qu'il portait alors, a cité avec approbation un article de Clifford L. Pannam[3] :

[TRADUCTION]

Il découle de la nature même de la question que chaque cas doit être jugé à partir de ses propres faits. Toutefois, certaines règles générales peuvent être énoncées avec une certaine confiance. Premièrement, l'expression “paiement volontaire” ne désigne pas nécessairement un paiement que le payeur désire faire. Comme l'a dit un juge australien: “Pour bien des gens, leurs paiements ne sont jamais volontaires en ce sens!”. Un paiement est clairement volontaire, même si le payeur souhaiterait ne pas avoir à le faire, lorsque ce paiement est fait en vertu du libre exercice de sa volonté de se débarrasser d'une obligation pécuniaire. La question cruciale est celle de savoir s'il a le choix entre payer et ne pas payer. Ou, pour exprimer cela par une tournure négative, avant qu'un paiement ne soit qualifié d'involontaire, il doit y avoir utilisation ou menace d'utilisation de moyens, qui sont à la disposition de la partie exigeant le paiement, contre la personne ou les biens du payeur, et auxquels ce dernier ne peut dans l'immédiat se soustraire autrement qu'en payant la somme demandée.

[47] Les définitions que les dictionnaires français donnent du mot “ saisir ” mettent toutefois beaucoup plus l'accent sur l'exigence d'une intervention judiciaire. Le Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse (tome 9, Librairie Larousse, Paris) donne la définition suivante :

Saisir Dr. Opérer une saisie.

Saisie Dr. 1. Voie d’exécution forcée tendant à faire placer sous main de justice un bien dont la propriété est revendiquée, ou sur lequel un créancier entend se faire payer.

[48] Le Dictionnaire de Droit Québécois et Canadien (Hubert Reid, Wilson & Lafleur, 1994) présente des définitions semblables :

Saisir 1. Mettre des biens sous le contrôle de la justice.

Saisie Mesure de nature conservatoire ou voie d’exécution par laquelle un créancier met sous le contrôle de la justice des biens appartenant à son débiteur dans le but d'assurer la conservation de ses droits ou d’obtenir l’exécution efficace d’un jugement.

[49] Ces définitions sont semblables aux définitions anglaises mais mettent davantage l'accent sur l'aspect judiciaire, par l'emploi de mots comme “ sous main de justice ” et “ sous le contrôle de la justice ”. Cela tend à indiquer que, en l'absence d'une ordonnance, il ne pourrait y avoir de “ saisie ”.

[50] Les parties ne m'ont renvoyée à aucune jurisprudence québécoise qui établirait clairement qu'une dation en paiement volontaire ayant lieu après l'expiration de l'avis de 60 jours serait ou non considérée comme une “ saisie ”.

[51] L'intimée soutient en outre que l'appelante n'a pas “ repris possession ” (“ repossessed ” dans la version anglaise) du bien en l'espèce puisqu'elle n'en a jamais préalablement eu la possession. Le Oxford English Dictionary définit comme suit le mot “ repossession ” :

repossession [TRADUCTION] Recouvrement; possession renouvelée. Spécialement, recouvrement de biens lorsque, dans le cadre d'une location avec option d'achat, un acheteur est défaillant à l'égard de ses paiements; procédures judiciaires à cet effet.

[52] Le Random House Dictionary définit le verbe “ repossess ” comme signifiant : posséder de nouveau; reprendre possession, notamment pour omission de payer une somme due.

[53] La cinquième édition du Black's Law Dictionary (West Publishing, St. Paul, 1979) définit comme suit le mot “ repossession ” :

Repossession. [TRADUCTION] Fait de reprendre — par exemple, lorsqu'un vendeur reprend un article ou en reprend possession si l'acheteur omet d'effectuer un versement. Fait de recouvrer des marchandises vendues à crédit ou à tempérament lorsque l'acheteur omet de les payer. [...]

S'entend généralement de la reprise de possession d'un bien lorsque l'acheteur omet d'effectuer les versements [...] Action ou processus par lequel des marchandises sont recouvrées par un vendeur ou une société de crédit lorsque l'acheteur omet de payer.

[54] Deux des définitions anglaises précitées utilisent le mot “ recover ” (rendu par “ recouvrer ” dans notre traduction). Deux définitions pertinentes du mot “ recover ” figurent dans le Oxford English Dictionary :

Recover [TRADUCTION] 1. a. Ravoir (ou occasionnellement faire en sorte de ravoir) qqch. entre ses mains ou en sa possession; rentrer en possession (de qqch. que l'on avait perdu ou qui nous avait été retiré).

5. Droit. a. Ravoir ou obtenir par jugement devant une cour de justice; obtenir la possession de qqch. ou un droit à qqch. par processus judiciaire.

[55] Le Random House Dictionary donne à peu près les mêmes définitions. En utilisant la définition précitée de “ recover ”, le second paragraphe de la définition de “ repossession ” figurant dans le Black's Law Dictionary semblerait s'appliquer à la présente espèce : une société de crédit (l'appelante) a recouvré le bien lorsque l'acheteur a omis de payer. Il est toutefois à noter que ce paragraphe de la définition a été omis de la sixième édition du Black's Law Dictionary.

[56] La version française du paragraphe 183(7) utilise les mots “ repris possession ”. Le Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse définit comme suit le mot “ reprendre ” :

REPRENDRE 1. Reprendre qqch, le prendre de nouveau ou prendre une autre fois, en plus, davantage [...] 2. Reprendre qqch, rentrer en possession de ce qu’on a donné, accordé, consenti [...]

[57] Le Grand Robert de la Langue Française, deuxième édition, tome VIII, Le Robert, Paris, définit ce mot comme signifiant “ prendre de nouveau (ce qu'on a cessé d'avoir ou d'utiliser pour une raison ou pour une autre) ”. Ces deux définitions semblent exiger que l'on ait déjà eu la possession de quelque chose pour pouvoir en “ reprendre possession ”.

[58] Une analyse de l'utilisation faite par les tribunaux du terme “ repossession ” montre que, à de nombreuses occasions, des tribunaux canadiens ont utilisé ce terme pour désigner la prise de possession d'un bien, par une banque, lorsque la banque n'en avait jamais déjà eu la possession.

[59] Dans l'affaire Houle c. BCN, [1990] 3 R.C.S. 122, la Cour suprême du Canada disait en anglais “ the appellant bank's impulsive and detrimental repossession and sale of the company's assets ”. La version française du jugement de la Cour suprême disait non pas “ reprendre possession ” mais plutôt “ prendre possession ” : “ en agissant sans justification de façon impulsive et dommageable pour prendre possession et vendre les actifs de la compagnie ”. Toutefois, dans d'autres décisions, soit dans des décisions de la Cour d'appel du Québec (Bergeron c. Métallurgie Frontenac Ltée, [1992] R.J.Q. 2656; Gamma Properties Inc. c. Montréal, (1987) 16 A.Q. no 2200) ou dans des décisions de la Cour supérieure du Québec (National Trust Co. c. Gilles Bureau Ltée, [1979] C.S. 241) ou encore dans des commentaires de la Chambre des Notaires du Québec figurant dans le Guide Pratique sur la T.P.S. et l'immeuble (mars 1991), le mot “ reprise de possession ” est fréquemment utilisé pour désigner la prise de possession, par une banque, d'un bien affecté en garantie, lorsqu'un emprunteur est défaillant à l'égard d'un prêt. Dans l'affaire National Trust Co., précitée, le juge Chevalier, de la Cour supérieure du Québec, estimait nettement que prendre possession du fait d'une dation en paiement signifiait “ reprendre possession ”.

[60] Mme le juge Lamarre Proulx, de notre cour, arrive à la même conclusion dans Les Placements R.I.O. Inc. v. The Queen, 96 DTC 1646, quand elle dit, à la page 1650 :

[...] De plus, je ne vois aucune distinction juridique essentielle entre la situation d'une personne qui, après l'avis de 60 jours, passe un acte de rétrocession signé volontairement ou se soumet à l'effet d'un jugement.

[61] Quelle est la façon appropriée d'interpréter le paragraphe 183(7) de la Loi? Comme l'a établi l'arrêt Corporation Notre-Dame-de-Bon-Secours v. Communaute Urbaine de Quebec et al., 95 DTC 5017 (C.S.C.), il faut obéir aux règles ordinaires d'interprétation. Il faut lire les termes “ dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur ” (E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (1983), à la p. 87, cité avec approbation par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578). Le “ sens grammatical ” d'un terme peut être considéré comme celui qui est donné par les dictionnaires, tandis que le “ sens ordinaire ” correspond à l'usage habituel du terme. Comme ces significations s'opposent jusqu'à un certain point dans la présente espèce, l'objet de la Loi et l'intention du législateur jouent un rôle décisif.

[62] L'objet du paragraphe 183(7) a été énoncé dans les notes techniques de 1990 sur le paragraphe 183(5)[4] :

Ce paragraphe a pour but de prévoir un crédit fictif de taxe sur les intrants à l'égard d'un bien qui a été saisi par un inscrit ou dont celui-ci a repris possession, lorsqu'il fournit ensuite le bien dans le cadre d'une fourniture taxable.

[...]

Cela évitera de soumettre deux fois le bien à la TPS.

[63] Les notes techniques de février 1993 sur le paragraphe 183(7) disent explicitement que cette “ disposition vise à accorder au créancier un crédit pour la TPS comprise dans la valeur du bien ”.

[64] Une interprétation stricte des définitions de “ saisie ” (“ seizure ”) peut amener à conclure que la dation en paiement par la voie d'un acte signé volontairement n'est pas une saisie à cause de l'absence d'autorisation judiciaire. Cependant, je reste d'avis que la dation en paiement a toutes les caractéristiques communes à la “ saisie ” et à la “ reprise de possession ”.

[65] La dation en paiement est un moyen, prévu par le CCBC, de prendre possession d'un bien pour cause de défaillance d'un débiteur. Je ne puis accepter que le législateur entendait que les termes “ qu'il a saisi ou dont il a repris possession ” soient interprétés de manière à exclure un bien simplement parce qu'une ordonnance de tribunal n'a pas été obtenue. En fait, bien souvent, le débiteur cède volontairement le bien non pas parce qu'il est désireux de le faire, mais parce qu'il n'a pas d'autre choix et qu'il ne veut pas engager de frais juridiques supplémentaires (voir l'affaire Société canadienne d'hypothèques et de logement, précitée (dans la note de bas de page no 2), à la p. 10).

[66] Ce point de vue est renforcé par l'énoncé de politique P-102 sur les saisies et les reprises de possession (11 novembre 1993), qui dit :

La saisie ou la reprise de possession est réalisée à l'étape du processus d'exécution où le créancier qui a le pouvoir légal de priver le débiteur du contrôle du bien ainsi que des pouvoirs légaux suffisants dans le bien pour en transférer le droit de propriété à un tiers a adopté des mesures suffisantes pour contrôler un bien, immeuble ou meuble, privant ainsi le débiteur de son contrôle.

[67] De plus, malgré le fait que l'on ne considérerait pas une dation en paiement volontaire comme une saisie en droit civil, j'estime que le créancier reprend possession du bien lorsque la dation en paiement a lieu. À mon avis, une possession préalable n'est pas pertinente aux fins du paragraphe 183(7) de la Loi. L'usage courant de “ reprise de possession ” — et de son équivalent anglais “ repossession ” — inclut une prise de possession, par une banque, pour cause de défaillance à l'égard d'une dette, que la banque ait ou non déjà eu la possession. Je pense que telle est la signification que le législateur avait à l'esprit et que c'est cette signification qui sert le mieux l'objet de la loi. Je conclus donc que les termes “ qu'il a saisi ou dont il a repris possession ” incluent la prise de possession d'un bien par voie de dation en paiement.

[68] L'intimée soutient également que la débitrice a reçu une contrepartie sous la forme d'une option d'achat en échange de la renonciation à toute opposition à la dation en paiement. L'option d'achat était en fait accordée au président de la débitrice, Hugh MacLean, et non à la compagnie débitrice elle-même. David Schouela a déclaré dans son témoignage que l'option d'achat bénéficiait à l'appelante en ce que, l'entreprise de cette dernière n'étant pas la vente ou la mise en valeur d'immeubles, il s'agissait pour l'appelante d'un moyen opportun et rentable de se départir du bien. En outre, M. MacLean avait personnellement garanti le prêt, et l'appelante le menaçait de le poursuivre personnellement s'il ne coopérait pas. Si la débitrice ou M. MacLean avait refusé de se conformer, il est évident que l'appelante, qui avait déjà engagé une action en justice, aurait mis sa menace à exécution. En ce sens, je ne conclus pas que la débitrice avait reçu une contrepartie en échange de la renonciation à toute opposition à la dation en paiement.

[69] Le dernier argument soulevé par l'avocat de l'intimée sur la question de savoir si une dation en paiement par la voie d'un acte signé volontairement est une saisie ou reprise de possession aux fins du paragraphe 183(7) de la Loi, est que la Loi sur la taxe d'accise a depuis été modifiée de manière à inclure le paragraphe 183(9) (ajouté par L.C. 1993, ch. 27, par. 47(5), applicable aux transferts volontaires de biens effectués après le 4 novembre 1991), qui traite expressément de la question des transferts volontaires.

[70] Le paragraphe 45(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, dit :

45. (2) La modification d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l'a édicté, les considérait comme telles.

[71]Le fait que la Loi ait subséquemment été modifiée ne devrait jouer aucun rôle dans l'interprétation de l'article applicable tel qu'il existait à l'époque pertinente aux fins de la présente espèce (voir Assoc. des emp. de radio et T.V. c. Radio-Canada, [1975] 1 R.C.S. 118, à la p. 135; Canadien Pacifique Limitée c. La Reine, [1976] 2 C.F. 563, aux pp. 590-591; French Shoes Ltd. v. The Queen, 86 DTC 6359, à la p. 6364 (C.F., 1re inst.)).

Arguments non soulevés à l'étape de la cotisation

[72]Deux arguments soulevés par l'intimée dans la réponse à l'avis d'appel n'avaient pas été soulevés par le répartiteur dans l'établissement de la cotisation : ces deux nouveaux arguments concernent le montant du CTI et le droit de la débitrice à un CTI. La décision rendue à l'égard de l'opposition le 17 avril 1996 (pièce A-16) dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

En conformité avec :

[...]

[La] Loi sur la taxe d'accise (L.R.C. 1985, ch. E-15, paragraphe 301(5))

la ou les cotisations en cause ont été examinées de nouveau et sont par les présentes confirmées, pour la ou les raisons suivantes :

la cotisation a été établie conformément aux dispositions de la loi, et notamment, mais sans restreindre la portée générale de ce qui précède, compte tenu du fait que le montant de 980 833,10 $ ne peut être réclamé comme crédit de taxe sur les intrants puisque le transfert de biens prévu dans l'acte de dation en paiement du 1er février 1991 ne représente pas une saisie ou reprise de possession selon les dispositions de l'article 183 de la Loi sur la taxe d'accise.

[73]Les documents déposés sous les cotes A-11 à A-16 confirment que l'appelante avait seulement été avisée de l'argument quant à la question de savoir si une saisie ou reprise de possession avait eu lieu. Mme Hélène Couture n'a pu contredire ce fait. C'est donc au ministre qu'incombe la charge de prouver les faits non allégués dans la première cotisation ou dans la décision rendue à l'égard de l'opposition (voir l'affaire Wise et al. v. The Queen, 86 DTC 6023 (C.A.F.), et l'affaire Craddock and Atkinson v. M.N.R., 68 DTC 5254 (C. de l'É.)).

[74]Cela dit, j'examinerai premièrement la question de savoir si la débitrice était en droit de recevoir un CTI, au détriment de l'appelante, et deuxièmement la question de la contrepartie.

La débitrice était-elle en droit de recevoir un CTI?

[75]Le paragraphe 183(7) spécifie que le CTI fictif n'est offert au créancier (l'appelante) que si la personne faisant l'objet de la saisie ou reprise de possession (la débitrice) “ n'a pas reçu, ni n'a le droit de recevoir, un crédit de taxe sur les intrants ou un montant remboursable relativement au bien ”. Dans la présente espèce, la débitrice n'a pas reçu un CTI ou un montant remboursable. L'intimée prétend toutefois que la débitrice avait le “ droit ” de recevoir un CTI.

[76]Selon l'article 169 de la Loi, si de la taxe est payable ou payée par un inscrit sur des produits ou services utilisés dans le cadre d'activités commerciales, l'inscrit a droit à un CTI. Donc, la TPS, s'il en est, payée ou payable par la débitrice dans la construction de l'immeuble constitue de la taxe à l'égard de laquelle un CTI pourrait être disponible.

[77]Dans la présente espèce, la débitrice n'était pas un inscrit. De ce fait, elle n'avait pas droit au CTI prévu à l'article 169. L'intimée est toutefois d'avis que la débitrice était tenue d'être un inscrit en vertu de la Loi et qu'elle avait donc droit à un CTI. C'est un argument un peu forcé selon moi, car je ne suis pas convaincue que la débitrice, comme non-inscrit, aurait eu gain de cause auprès du ministre si elle avait demandé un CTI à l'égard du bien. Cela dit, je ne conclus pas sur la foi de la preuve dont j'ai été saisie que la débitrice était tenue d'être un inscrit.

[78]Le paragraphe 240(1) établit quand l'inscription est requise :

240. (1) Inscription obligatoire — Toute personne, sauf les personnes suivantes, qui effectue une fourniture taxable au Canada dans le cadre d'une activité commerciale qu'elle y exerce est tenue d'être inscrite pour l'application de la présente partie :

a) les petits fournisseurs;

b) les personnes dont la seule activité commerciale consiste à effectuer, par vente, des fournitures d'immeubles en dehors du cadre d'une entreprise;

c) les personnes non-résidentes qui n'exploitent pas d'entreprise au Canada.

[79] L'intimée soutient que la débitrice n'était pas un “ petit fournisseur ” au sens de l'article 148, qui dit que, pour être un petit fournisseur, il faut avoir des fournitures taxables ne dépassant pas 30 000 $, y compris toutes les fournitures de sociétés associées.

[80] Fait étonnant, les états financiers concernant la débitrice au 31 décembre 1990 qui ont été fournis par l'intimée (pièce R-4) n'indiquent aucune fourniture taxable. Ce qu'ils présentent bel et bien, c'est un état de prêts consentis à des sociétés affiliées, dont l'une (Hampton Court Hotel) avait, selon Mme Hélène Couture, des fournitures taxables annuelles de 963 713 $. L'intimée conclut de cette information que la débitrice était associée à des sociétés qui étaient des inscrits et qu'elle était donc tenue d'être un inscrit.

[81] La preuve présentée par l'intimée est à mon avis trop limitée pour permettre de conclure que la débitrice était associée à des sociétés qui étaient des inscrits. Cependant, je ne juge pas nécessaire de discuter de ce point davantage, car je ne crois pas que la débitrice réponde à la deuxième condition rendant l'inscription obligatoire.

[82] En fait, seule une personne qui effectue une fourniture taxable dans le cadre d'une activité commerciale qu'elle exerce au Canada est tenue d'être un inscrit en vertu du paragraphe 240(1). Le paragraphe 123(1) de la Loi, tel qu'il se lisait durant l'année en cause, définit une fourniture taxable comme étant une fourniture “ effectuée dans le cadre d'une activité commerciale ”, soit une expression qui est elle-même définie comme suit :

“ activité commerciale ” Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l'exploitation d'une entreprise;

b) les projets à risques et les affaires de caractère commercial;

c) les activités comportant la fourniture d'immeubles ou de droits sur des immeubles.

La présente définition exclut :

d) les activités exercées par une personne, dans la mesure où elles comportent la réalisation par celle-ci d'une fourniture exonérée;

e) les activités exercées par un particulier sans attente raisonnable de profit;

f) les fonctions ou activités accomplies dans le cadre d'une charge ou d'un emploi.

[83] À mon avis, quand le bien d'une personne est saisi ou qu'il en est repris possession, il ne s'agit pas d'une fourniture effectuée “ dans le cadre d'une activité commerciale ”. Je ne vois pas comment la débitrice pourrait avoir eu une “ attente raisonnable de profit ” lorsqu'on a “ saisi ” son bien ou lorsqu'on en a “ repris possession ” sans qu'aucune contrepartie ne soit réputée avoir été donnée. Cette opinion est également étayée par le Guide pratique sur la T.P.S. et l'immeuble (mars 1991), “ section XII — Financement — saisie – Dation en paiement ”, publié par la Chambre des Notaires du Québec.

[84] En outre, même si l'on acceptait le fait que la débitrice était un “ inscrit ” parce qu'elle était tenue d'être un inscrit, il devrait être établi que la débitrice avait le droit de “ recevoir [...] un crédit de taxe sur les intrants [...] relativement au bien ” conformément au paragraphe 183(7). Un tel crédit est offert à l'égard de la TPS payée dans le cadre d'activités commerciales. Comme la TPS n'est entrée en vigueur que le 1er janvier 1991, il s'agit de savoir si une valeur (à l'égard de laquelle de la TPS aurait été payée ou payable) a été ajoutée au bien entre la mise en oeuvre de la TPS (le 1er janvier 1991) et la dation en paiement (le 4 février 1991).

[85] À mon avis, la preuve est insuffisante pour permettre de conclure que la débitrice a effectué une fourniture dans le cadre d'une activité commerciale en 1991. En fait, la preuve indique davantage que toutes les activités relatives au bien ont été abandonnées par la débitrice en septembre 1990.

[86] La seule preuve présentée par l'intimée quant à une telle valeur ajoutée est le témoignage de l'architecte Antoine Chalhoub. L'avocat de l'appelante contestait cette preuve, soutenant que M. Chalhoub n'avait pas à l'esprit le bon immeuble, puisqu'il parlait d'un immeuble anciennement utilisé comme garage de la CTCUM. Il est ici à noter que Mme Hélène Couture avait des renseignements selon lesquels l'immeuble situé à l'adresse correspondant au bien en question était anciennement une “ crèche ” appartenant à des religieuses et non un garage appartenant à la CTCUM. Par ailleurs, dans le sommaire de privilèges enregistrés à l'égard du bien qui a été déposé par l'appelante sous la cote A-18, M. Chalhoub est mentionné comme une personne ayant enregistré un privilège représentant un montant total approuvé de 22 000 $. Ce document énumère les privilèges qui étaient enregistrés à l'égard du bien au 2 mai 1991. La preuve n'indique toutefois pas clairement quand M. Chalhoub a enregistré son privilège ou quand les travaux relatifs au bien ont été accomplis.

[87] De plus, M. David Schouela a dit dans son témoignage qu'aucun travail n'avait été exécuté relativement au bien en 1991. Cela a été confirmé par Mme Couture elle-même, qui avait aussi été informée durant sa vérification que les travaux de construction avaient cessé en septembre 1990. Je conclus donc que le ministre n'a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que des améliorations avaient été apportées au bien par la débitrice en 1991. Cela signifie que la débitrice n'a effectué aucune fourniture dans le cadre d'une activité commerciale après 1990 et qu'elle n'avait donc pas droit à un CTI à l'égard du bien. L'appelante a donc droit à un CTI fictif conformément au paragraphe 183(7) de la Loi.

Contrepartie

[88] Enfin, l'avocat de l'intimée n'est pas d'accord avec l'appelante quant à la contrepartie sur laquelle l'appelante est réputée avoir payé de la taxe à l'égard du bien aux fins du calcul du CTI en vertu du paragraphe 183(7). L'intimée soutient qu'il y a eu une contrepartie de seulement 5 915 922,58 $ et elle renvoie à l'acte de vente (pièce R-1) entre Shoubel, Belcourt et l'appelante. Dans cet acte de vente, le vendeur et l'acheteur déclaraient que la contrepartie était de 5 915 922,58 $ aux fins de la loi de l'assemblée législative du Québec autorisant les municipalités à lever et à percevoir une taxe sur le transfert de biens immeubles (Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, L.R.Q., ch. D-15.1). Il est à noter ici que la contrepartie indiquée dans l'offre d'achat (pièce A-17) aux fins de cette même loi était de 11 545 148,55 $. En outre, dans l'acte de vente (pièce R-1), l'acheteur prend en charge toutes les charges enregistrées à l'égard du bien et toutes les obligations du vendeur énoncées dans l'offre d'achat (pièce A-17).

[89] Selon la thèse de l'appelante, compte tenu de ces clauses supplémentaires, la véritable contrepartie donnée à l'égard du bien était de 14 011 901,42 $. Ce montant inclut 5 915 922,58 $ comptant, ainsi que la prise en charge de 1 100 000 $ de privilèges (concernant des privilèges qui étaient enregistrés à l'égard du bien et qui sont résumés dans la pièce A-18), une somme de 945 000 $ payable à la société Les Entreprises Federet Ltée relativement à l'hypothèque de cette dernière et le solde de Yarkon, soit un montant de 5 500 000 $. Le reste des 14 011 901,42 $ représente apparemment des intérêts dus au groupe Yarkon.

[90] Aux fins de l'article 183, la valeur de la contrepartie est définie par le paragraphe 153(1), qui dit :

153. (1) Valeur de la contrepartie — Pour l'application de la présente partie et sous réserve de la présente section, la valeur de tout ou partie de la contrepartie d'une fourniture est réputée correspondre, si la contrepartie est sous forme d'un montant d'argent, à ce montant; sinon, à sa juste valeur marchande au moment de la fourniture.

[91] Une définition du mot anglais “ consideration ” (contrepartie) fréquemment utilisée est celle qu'a donnée le juge Lush dans l'affaire Currie v. Misa, (1875) L.R. 10 Exch. 153, à la p. 162 (conf. par 1 App. Cas. 554, H.L.) :

[TRADUCTION]

Une contrepartie de valeur, au sens de la loi, peut être soit un droit, un intérêt, un profit ou un avantage pour une partie, soit une renonciation, un désavantage, une perte ou une responsabilité pour l'autre partie.

Cette définition a pour l'essentiel été adoptée par le Black’s Law Dictionary, sixième édition :

[TRADUCTION]

Contrepartie. L'incitation à un contrat. La cause, le motif, le prix ou une influence stimulante qui incite une partie à passer un contrat. [...] Un droit, un intérêt, un profit ou un avantage pour une partie ou une renonciation, un désavantage, une perte ou une responsabilité pour l'autre partie.

[92] Le terme “ contrepartie ” est également défini au paragraphe 123(1) comme incluant tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture. Dans TPS/TVH — Série des mémorandums, dont une compilation est publiée par Ernst & Young, soit le GST Handbook, volume 4, 90,019.1, il est dit à la section 19.1 concernant les immeubles et la TPS/TVH, aux paragraphes 51 et suivants :

“ Valeur de la contrepartie ” et immeubles

51. Une “ contrepartie ” comprend tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture. Il peut s'agir d'argent, d'une chose, d'un service, du non exercice d'un droit ou toute autre chose de valeur qui incite le fournisseur à effectuer la fourniture.

52. La “ valeur de la contrepartie ” pour la fourniture d'un immeuble est un montant qui diffère souvent du prix d'achat du bien. Aux fins de la TPS/TVH, la valeur de la contrepartie exclut la TPS/TVH et les autres taxes provinciales prescrites payables relativement à cette fourniture, mais elle peut inclure des rajustements pour d'autres articles calculés séparément du prix d'achat. [L'italique est de moi.]

53. La valeur de la contrepartie d'un immeuble est le montant que l'acheteur devra payer pour le bien avant tout calcul de taxes et de remboursements.

54. Lorsque la valeur de tout ou partie de la contrepartie d'une fourniture est exprimée sous forme d'un montant d'argent (cela comprend l'argent comptant, les chèques, les billets provisoires et autres effets), la valeur de cette contrepartie correspond à ce montant. Lorsque la valeur de tout ou partie de la contrepartie d'une fourniture n'est pas exprimée en argent, la valeur de cette contrepartie correspond à la juste valeur marchande de la contrepartie au moment où la fourniture a été effectuée. Par conséquent, un bien ou un service donné en échange pour un autre bien ou service peut constituer à la fois une fourniture et la contrepartie d'une fourniture.

[93] Le mot “ contrepartie ” est donc un terme bien vaste. Comme il inclut une responsabilité quelconque, il inclut assurément des dettes et des charges prises en charge par l'acheteur, comme celles qui sont alléguées par l'appelante.

[94] L'intimée soutient également que, l'acte de vente disant que la contrepartie est de 5 915 922,58 $, l'appelante est précluse de réclamer une contrepartie autre que celle qui est stipulée dans l'acte de vente. Une telle question avait été tranchée par la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Salter v. M.N.R., (1946) 2 DTC 918, dans laquelle le juge Cameron considérait le cas d'un appelant qui cherchait à démontrer que la contrepartie en cause dans une opération était différente de celle qui était indiquée dans le contrat. À la page 920, le juge Cameron disait :

[TRADUCTION]

Dans la présente espèce, il faut, pour parvenir à une conclusion appropriée quant à l'assujettissement de l'appelant à l'impôt, connaître la nature de l'opération ainsi que la véritable contrepartie [...]

Me fondant sur ce qui précède, j'ai conclu que la preuve présentée par l'appelant pour indiquer la véritable nature de l'opération ainsi que la véritable contrepartie était recevable. Je conclus également que l'appelant n'est pas préclus par les modalités de la convention écrite de prouver la véritable contrepartie, car la convention était une convention entre d'autres personnes (res inter alios), et il n'y a donc ici aucune mutualité.

Dans l'affaire Bell v. M.N.R., 62 DTC 1155 (C. de l'É.), le président Thorson concluait que le jugement Salter ne s'appliquait pas lorsque les modalités d'un contrat étaient claires et nettes.

[95] Dans la présente espèce, l'acte de vente indique un prix précis, mais il dit également que l'acheteur accepte de prendre en charge certaines charges qui, comme je l'ai mentionné précédemment, représentent une part de la contrepartie. La contrepartie attribuée aux fins de la loi de l'assemblée législative du Québec autorisant les municipalités à lever et à percevoir une taxe sur le transfert de biens immeubles est déterminée en vertu de cette loi et non selon la définition de “ contrepartie ” figurant aux paragraphes 123(1) et 153(1) de la Loi.

[96] Je conclus donc que l'appelante n'est pas précluse par les modalités de la convention écrite de prouver la véritable contrepartie aux fins de la Loi.

[97] Quant au montant exact de la contrepartie, la somme déboursée par l'appelante n'est pas pertinente, car, en vertu du paragraphe 183(1), la dation en paiement est réputée avoir eu lieu sans contrepartie, et le paragraphe 183(7) ne concerne que la contrepartie reçue à l'égard de la vente subséquente du bien.

[98] En fait, tout l'objet du paragraphe 183(1) dans sa forme actuelle est de faire en sorte qu'une personne dont on saisit ou reprend possession d'un immeuble après le 27 mars 1991 ait droit à un CTI ou à un remboursement égal au moindre des montants suivants : 7 p. 100 de la juste valeur marchande du bien au moment de la saisie ou reprise de possession et le total de la taxe payable à l'égard de l'acquisition de l'immeuble et des améliorations connexes, en sus des CTI et des remboursements auxquels la personne avait précédemment droit. Ce CTI est accordé de manière à supprimer la taxe comprise dans la valeur du bien, de sorte que le bien ne soit pas taxé deux fois, c'est-à-dire aussi bien lorsque le débiteur a initialement acheté le bien que lorsque le créancier en réeffectue la fourniture sur une base taxable après la saisie ou reprise de possession. Cependant, cette modification ne s'applique que dans les cas où la saisie ou reprise de possession de l'immeuble a lieu après le 27 mars 1991.

[99] Pour les immeubles que l'on a saisi ou dont on a repris possession avant le 28 mars 1991 (comme c'est le cas dans la présente espèce), toute taxe sur le bien non précédemment recouvrée par la débitrice est supprimée par l'octroi d'un crédit à la partie qui a saisi le bien ou en a repris possession. Dans un tel cas, le créancier est réputé avoir, immédiatement avant d'avoir effectué par vente ou autrement une fourniture taxable du bien qu'il a saisi ou dont il a repris possession, acquis le bien et payé la taxe calculée sur la contrepartie de la fourniture, pourvu que la personne dont on a saisi le bien ou repris possession du bien n'ait pas reçu et ne soit pas en droit de recevoir un CTI ou un montant remboursable relativement au bien. (Voir Consolidated Explanatory Notes on Legislation Amending the Excise Tax Act, Ernst & Young, GST Handbook, volume 3, 60,000, art. 183.) Donc, du fait de l'application des dispositions déterminatives qui étaient en vigueur avant le 28 mars 1991, l'appelante a droit à un CTI intégral sur le montant de cette contrepartie. En d'autres termes, l'appelante (le créancier) est considérée comme ayant acquis le bien pour une contrepartie égale au montant pour lequel le bien a été vendu et comme ayant payé à l'égard de cette acquisition une taxe calculée sur cette contrepartie. Le CTI fictif est égal au montant de la taxe percevable sur la revente du bien. On s'assure ainsi à ce que le bien ne soit pas effectivement soumis deux fois à la TPS. (Voir les notes techniques sur le paragraphe 183(5), mai 1990.)

[100] L'appelante allègue que la contrepartie est indiquée dans l'offre d'achat (pièce A-17). L'avocat de l'intimée avait bel et bien formulé une objection au dépôt de ce document à l'audience. J'ai pris l'objection en délibéré, mais j'accepte maintenant le dépôt de ce document, car il est dit explicitement dans l'acte de vente (pièce R-1) que l'offre d'achat est réputée faire partie de l'acte de vente comme si elle y était énoncée intégralement.

[101] À mon avis, la contrepartie inclut le montant de 5 915 922,58 $ indiqué comme prix d'achat dans l'acte de vente, ainsi que l'hypothèque de Federet, d'un montant de 945 000 $, qui a en fait été payé le 17 mars 1992 (pièce A-10), et le solde de Yarkon, d'un montant de 5 500 000 $ (dont le but était de faire en sorte que le groupe Yarkon renonce à sa sûreté réelle sur le bien en échange de l'engagement de l'appelante de payer 5 500 000 $ avec intérêts au moment de la vente, du refinancement ou de l'exploitation du bien). Au moment de la vente, l'acheteur s'était engagé à s'acquitter de toutes ces obligations. Je répète que c'est le montant représentant la responsabilité prise en charge par l'acheteur en échange du bien qui importe en vertu de la Loi pour déterminer la contrepartie, et non le montant qui avait effectivement été avancé à la débitrice par le groupe Yarkon ou l'appelante.

[102] Je n'inclurais toutefois pas dans la contrepartie la valeur des privilèges qui est fixée à 1 111 321,76 $ par l'appelante dans la pièce A-18. L'intimée a pu démontrer par les documents déposés sous la cote R-3 qu'au moins trois privilèges avaient été l'objet d'une libération. M. Chalhoub a déclaré au cours de son témoignage que son privilège avait également été annulé. C'est une preuve suffisante pour conclure que les privilèges indiqués dans la pièce A-18, qui ont été enregistrés après l'acte de prêt entre l'appelante et le groupe Yarkon et qui étaient garantis par la clause de dation en paiement, ont fort probablement tous été l'objet d'une libération sans paiement. En fait, avec la dation en paiement, l'appelante a exercé le droit qu'elle avait de devenir propriétaire du bien quitte de toutes charges pouvant avoir été enregistrées à l'égard du bien après l'enregistrement de l'acte de prêt.

[103] Je conclus donc que l'intimée a établi selon la prépondérance des probabilités que les privilèges ne faisaient pas partie de la contrepartie. On ne m'a présenté aucune preuve montrant que les sommes auxquelles se rapportent ces privilèges avaient en fait été payées.

[104] Le reste de la contrepartie de 14 011 901,42 $ alléguée par l'appelante représente des intérêts sur le solde de Yarkon. Le montant de ces intérêts (539 657,08 $) n'a jamais été précisé par l'avocat de l'appelante ou encore dans l'un quelconque des documents présentés. La convention passée le 31 janvier 1991 entre l'appelante, le groupe Yarkon et la Belcourt (pièce A-6) dit que le taux d'intérêt à payer sur le solde de Yarkon est “ le taux préférentiel annoncé de temps à autre par [l'appelante], plus trois quarts pour cent (3/4 %) ”. Les intérêts devaient être payés sur le solde de Yarkon à partir du 31 janvier 1991. La vente du bien, par l'appelante à Shoubel et Belcourt, a été effectuée le 28 juin 1991. Ainsi, cinq mois d'intérêts s'étaient accumulés à l'égard du solde de Yarkon au moment de la vente. Bien que l'appelante ait omis de fournir un compte rendu détaillé de ces intérêts, l'intimée n'a pas expressément contesté les réclamations de l'appelante à l'égard de ces montants et n'a présenté aucune preuve les contredisant.

[105] Je répète que la charge de la preuve incombe à l'intimée sur ce point. Comme le disait le juge McLachlin dans l'affaire Hickman Motors Limited v. The Queen, 97 DTC 5363 (C.S.C.), à la page 5377 :

Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause: voir par exemple MacIsaac, précité, où la Cour d'appel fédérale a infirmé le jugement de la Division de première instance (à la p. 6381) pour le motif que le “témoignage n'a été ni contesté ni contredit, et aucune objection ne lui a été opposée”. Voir aussi Waxstein c. M.R.N., 80 D.T.C. 1348 (C.R.I.); Roselawn Investments Ltd. c. M.R.N., 80 D.T.C. 1271 (C.R.I.). Se reporter également à Zink, précité, à la p. 653, où, même si la preuve “échappait à la logique et présentait de graves lacunes de fond et de chronologie”, l'appel du contribuable a été accueilli parce que le ministre n'a présenté aucune preuve quant à la source de revenu. Dans la présente affaire, je remarque que la preuve ne contient aucune “lacune” de ce genre. Par conséquent, puisque le ministre n'a produit absolument aucune preuve et que personne n'a soulevé le moindre doute quant à la crédibilité, l'appelante est fondée à obtenir gain de cause.

[...]

Elle [l'intimée] a choisi de ne réfuter aucun des éléments de preuve de l'appelante. Par conséquent, elle ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve.

[106] L'intimée n'a présenté aucune preuve sur la question du montant des intérêts. L'intimée arguait simplement que de tels montants ne constituaient pas une contrepartie. L'avocat de l'appelante a présenté des éléments de preuve sous la forme de divers contrats indiquant que de tels intérêts existaient bel et bien et avaient été pris en charge par l'acheteur. La preuve — si mince soit-elle — quant au montant des intérêts n'est donc pas contredite. Ainsi, l'intimée ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve à cet égard.

[107] J'accepterais donc les montants avancés par l'avocat de l'appelante, mais je déduirais le montant total des privilèges. Le montant de la contrepartie sur lequel le CTI peut être calculé est de 12 900 579,66 $ (soit 14 011 901,42 $ moins 1 111 321,76 $).

Décision

[108] L'appel est accueilli, avec dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l'appelante a droit à un CTI basé sur la taxe réputée avoir été payée sur le bien que l'appelante est réputée avoir reçu pour une contrepartie de 12 900 579,66 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de mars 1999.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de janvier 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Le paragraphe a été modifié par 1993, ch. 27, par. 47(3), applicable aux biens “ saisis ” ou ayant fait l'objet d'une “ reprise de possession ” après le 27 mars 1991. Comme l'appelante a eu le titre relatif au bien le 4 février 1991, l'ancienne version du paragraphe s'applique.

[2]               Société canadienne d’hypothèques et de logement c. La Caisse populaire Saint-Denis et autres, [1981] R.L. 3 (C.S.). Le juge Lesyk disait à la page 10 : “ La dation en paiement purement volontaire, qui équivaut à vente (art. 1592 C.C.) n'a pas d'effet rétroactif. ”

[3]               Pannam, Clifford L., “ The Recovery of Unconstitutional Taxes in Australia and in the United States ”, (1964) 42 Texas Law Rev. 763.

[4]               Le paragraphe 183(5) a été renuméroté 183(7) en février 1993 par L.C. 1993, ch. 27, par. 47(1).

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