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Date: 20000203

Dossier: 98-2428-IT-G

ENTRE :

MIAN T. AZIZ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les présents appels sont interjetés contre des cotisations établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 de l'appelant. La question porte sur la déductibilité de pertes déclarées par l'appelant pour la location d'une maison lui appartenant située au 36, promenade Crocus, à Scarborough.

[2] L'appelant est né au Pakistan en 1952. Il a obtenu un baccalauréat ès sciences en mathématiques et en physique de la Punjab University. Après avoir déménagé au Canada, il a suivi un cours en gestion des entreprises à la George Brown University. Il a également suivi un cours sur les biens immobiliers.

[3] En 1976, il a acheté un condominium à Port Credit où il a vécu jusqu'en 1981, quand il l'a vendu en réalisant un mince profit.

[4] En 1989, il a acheté le bien en litige pour un montant de 251 000 $. L'achat a été financé jusqu'à concurrence de 200 000 $ par une hypothèque consentie à la Société Canada Trust. Le reste a été payé grâce aux économies de l'appelant. Son frère et sa belle-soeur ont reçu une part de 1 p. 100 à titre de locataires conjoints, même s'ils n'avaient rien payé. La raison pour laquelle cela a été fait n'est pas très claire. Il semble que l'avocat de l'appelant l'ait suggéré.

[5] Dans un questionnaire de location envoyé à l'appelant par Revenu Canada, à la question [TRADUCTION] “ Quel était le but initial de l'acquisition du bien? ”, l'appelant a répondu : [TRADUCTION] “ fins résidentielles ”. Cette déclaration est quelque peu ambiguë et peut être attribuable à un problème linguistique. Je ne crois pas que l'issue de l'affaire tienne à l'utilisation par l'appelant d'une seule expression malheureuse. Je crois, tout compte fait, qu'il avait probablement en tête la location du bien à des locataires. Il possède deux autres biens locatifs au Pakistan.

[6] Le bien était un bungalow. Il comprenait trois chambres à coucher au rez-de-chaussée et une au sous-sol.

[7] Après avoir d'abord décoré la maison en 1989, il a loué le sous-sol à une personne prénommée Kevin et le rez-de-chaussée à son frère, à sa belle-soeur et à sa mère. Il se souvient vaguement du loyer qu'il demandait à son frère: c'était entre 700 $ et 800 $ par mois. Il demandait 769 $ par mois à Kevin.

[8] Kevin est resté environ une année puis il a été remplacé par Michael Natale, qui payait 550 $ par mois, selon le questionnaire.

[9] En 1992, le frère de l'appelant et sa conjointe et leurs enfants ont déménagé, laissant la mère de l'appelant, Adiba. Elle n'avait pas les moyens de payer autant que le frère de l'appelant, alors elle a payé 400 $ par mois, selon le questionnaire.

[10] Les dépenses déduites excédaient de beaucoup les revenus. Je suppose que l'appelant a déduit des pertes en 1989, en 1990 et en 1991, mais aucune preuve n'a été présentée à cet égard.

[11] Il semble y avoir eu confusion au sujet des chiffres, non seulement en ce qui a trait aux loyers reçus, mais également quant aux dépenses.

[12] En 1992, l'appelant a déduit 30 229,27 $ en dépenses et déclaré 11 000 $ en loyers. Les dépenses déduites étaient les suivantes: 2 264 $ pour les impôts fonciers (montant corrigé au procès et ramené à 2 165 $), 2 400 $ pour l'entretien et les réparations, 22 415,27 $ pour les intérêts (montant corrigé au procès et ramené à 21 410 $), 2 800 $ pour l'électricité, le chauffage et l'eau, et 350 $ pour l'assurance. Cela se traduisait par une perte de 19 229,27 $.

[13] En 1993, il a déduit une perte de 21 684 $ et a déclaré un revenu de 12 000 $. En ce qui concerne les dépenses, il a déduit un montant de 4 900 $ pour l'entretien et les réparations. En réalité, la seule justification de ce chiffre est un reçu de 1994 d'un montant de 4 900 $ pour des réparations faites au toit et la reconstruction d'une salle de bain. Il a déduit des frais d'intérêt de 22 400 $. En fait, l'état du compte de prêt hypothécaire pour 1993 indique des frais d'intérêt de 13 090,67 $. Je n'ai pu déterminer d'où vient le montant de 22 400 $. L'appelant a déduit un montant de 400 $ pour l'assurance et de 3 500 $ pour l'électricité, le chauffage et l'eau. L'appelant reconnaît que ces deux chiffres étaient des estimations même s'il semble avoir eu des reçus à partir desquels les chiffres exacts auraient pu être déterminés. Il y avait un reçu de 1 068 $ pour un nouvel appareil de chauffage.

[14] En 1994, il a déduit une perte de 22 794 $. Il a déduit 450 $ pour l'assurance et 3 300 $ pour les services publics (il s'agit dans chaque cas d'une estimation qui a pu être exacte à l'intérieur d'une gamme d'une ampleur indéterminée), et 5 600 $ pour de la peinture et la réparation du toit. J'ai fait mention, en traitant de l'année 1993, d'un reçu de 1994 de 4 900 $. Il est concevable que ce reçu appuie également la déduction de 5 600 $. Toutefois, le total des reçus produits pour 1994 est de 6 400 $.

[15] L'appelant a également déduit un montant de 20 774 $ à titre d'intérêts. En réalité, les intérêts payés en 1994 s'élevaient à 13 243 $. Le montant de 20 774 $ représente le principal et les intérêts.

[16] En 1995, l'appelant a emménagé dans la partie supérieure de la maison, mais a continué de louer le sous-sol à Michael Natale. Puisqu'une partie des dépenses étaient considérées comme personnelles après 1995, le montant des pertes déduites a diminué.

[17] Même après la rectification d'un certain nombre de chiffres, les pertes s'élèvent à 18 123 $, à 7 474,67 $ et à 15 604 $. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction des pertes pour diverses raisons :

a) Il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit;

b) Les dépenses n'ont pas été faites en vue de produire un revenu (alinéa 18(1)a));

c) Les dépenses constituaient des frais personnels ou de subsistance (alinéa 18(1)h));

d) Les dépenses, ou certaines d'entre elles, étaient des dépenses en capital (alinéa 18(1)b));

e) L'argent emprunté n'a pas été utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (alinéa 20(1)c)).

[18] J'ai, dans d'autres affaires, critiqué l'utilisation à tort et à travers du concept de l'absence d'espoir raisonnable de profit. En l'espèce, je crois qu'elle trouve application. Il faut se rappeler que l'expression fait partie de la définition de frais personnels ou de subsistance figurant à l'article 248. L'alinéa a) de cette définition est ainsi rédigé :

a) les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l'usage ou l'avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption, et non entretenus dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise.

[19] En l'espèce, je crois que les dépenses, du moins celles relatives à la moitié supérieure de la maison où la mère de l'appelant vivait à un loyer réduit, relèvent justement de cette définition. Il ne pourrait y avoir d'espoir raisonnable de tirer un profit de la location d'une partie de la maison à la mère de l'appelant. Le fait de remplir ses obligations filiales en prenant soin de ses parents est très louable, mais cela ne donne pas lieu en règle générale à une perte d'entreprise déductible.

[20] Même en acceptant que le principe de l'absence d'espoir raisonnable de profit s'applique indépendamment de la définition de frais personnels ou de subsistance, je ne crois pas que l'entreprise en cause peut raisonnablement être considérée comme pouvant devenir rentable.

[21] Dans l'affaire Kaye c. La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998 (98 DTC 1659), le principe de l'absence d'espoir raisonnable de profit a été traité de la manière suivante, à la page 2 (DTC: à la page 1660) :

[4] Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l'utilisation de l'expression rituelle, et je préfère formuler ainsi la question : “ Y a-t-il une entreprise véritable? ” C'est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu'elle englobe la question du caractère raisonnable de l'attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu'un entrepreneur faisant le forage de puits d'exploration a une attente raisonnable de profit et qu'il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d'entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C'est le caractère commercial de l'entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L'intention subjective de faire de l'argent entre certes en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur déterminant, bien que l'absence d'une telle intention puisse nuire à l'assertion qu'une activité est une entreprise.

[5] On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : “ Est-ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise? ” Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

[22] Dans l'affaire Kaye, la méthode de calcul du revenu peu cohérente employée par l'appelant, qui avait recours à des approximations, a été considérée comme étant en contradiction avec l'affirmation selon laquelle une véritable entreprise était exploitée.

[23] Beaucoup des remarques formulées dans l'affaire Kaye sont applicables en l'espèce.

[24] Il n'est pas nécessaire que je passe en revue les arrêts de principe Moldowan, Tonn, Mastri et Mohammed. Chaque cas est un cas d'espèce. En règle générale, aucun facteur unique n'est déterminant. Tous les facteurs doivent être pris en considération et se voir attribuer l'importance qui leur revient dans le contexte de l'affaire dans son ensemble. Dans certains cas, un facteur peut l'emporter sur tous les autres, et dans d'autres cas, ce facteur peut être d'une importance relativement faible. En l'espèce, nous avons au moins trois facteurs qui contredisent l'affirmation de l'appelant selon laquelle il exerçait une véritable activité commerciale. Il s'agit des facteurs suivants: le fait que sa mère vivait dans une partie de la maison à un loyer réduit, le fait que les intérêts hypothécaires excédaient les loyers bruts et la façon peu méthodique de tenir les registres et de calculer le revenu. L'un ou l'autre de ces facteurs en lui-même n'aurait peut-être pas justifié le refus de la déduction des pertes. Pris ensemble, toutefois, ils présentent un obstacle insurmontable empêchant l'appelant de démontrer que les cotisations sont erronées.

[25] Dans les circonstances, je n'ai pas à examiner l'autre argument de l'intimée selon lequel certaines des dépenses étaient des dépenses en capital.

[26] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2000.

“ D.G.H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de décembre 2000.

Erich Klein, réviseur

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