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Date: 19981216

Dossier: 97-561-UI

ENTRE :

YAFFA ABIHSIRA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant MacLatchy, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Toronto (Ontario) le 7 décembre 1998.

[2] L’appelante a été employée par la A.M. Wholesale & Retail Inc. (le “ payeur ”) et elle est la femme du directeur et seul actionnaire du payeur. Celui-ci avait demandé à l’intimé de régler la question de savoir si l’appelante exerçait un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-chômage (la “ Loi ”) au moment où elle travaillait pour lui, c'est-à-dire durant la période allant du 21 août 1995 au 11 juillet 1996.

[3] L’intimé a informé tant l’appelante que le payeur qu’il avait été décidé que l’engagement de l’appelante auprès du payeur durant la période en question ne constituait pas un emploi assurable au motif que l’appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance au sens de l’alinéa 3(2)c) de la Loi. L’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) et a décidé que les personnes ayant conclu le contrat de travail n'étaient pas réputées ne pas avoir de lien de dépendance.

[4] L’intimé s’est fondé sur les faits énoncés au paragraphe 9 de la réponse à l’avis d’appel.

[5] Avant le début de l’instruction, l’intimé a demandé que l’alinéa p) soit supprimé, étant donné que l’information qui y figurait était inexacte. L’intimé a ensuite invoqué l’alinéa 3(2)c) de la Loi de même que les articles 251 et 252 de la Loi de l’impôt sur le revenu et leurs modifications.

[6] La définition de ce qui est et de ce qui n’est pas un emploi assurable est énoncée de la façon suivante au paragraphe 3(1) de la Loi :

3.(1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[7] Le paragraphe 3(2) de la Loi est libellé de la façon suivante :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[. . .]

c) sous réserve de l’alinéa d), tout emploi lorsque l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l’application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu,

(ii) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance; [. . .]

[8] La Loi de l’impôt sur le revenu et ses modifications énoncent le critère permettant d’établir l’existence ou non d’un lien de dépendance, lequel critère doit être appliqué aux fins de l’alinéa 3(2)c) de la Loi. L’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu se lit en partie de la façon suivante :

Article 251. Lien de dépendance

(1) Pour l’application de la présente loi :

a)                   des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

(2) Définition de “ personnes liées ” Pour l’application de la présente loi, sont des “ personnes liées ” ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption;

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d’un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii); [. . .]

[9] Cette disposition législative a été adoptée pour empêcher que le système ne verse de prestations aux personnes qui y sont admissibles sur la base de relations de travail fictives; cependant, la Loi prévoit en outre que même si des personnes liées ont entre elles un lien de dépendance, le ministre, s’il est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances (notamment la rétribution versée, etc. comme il est prévu dans l’article), qu’elles auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n’avaient pas eu un lien de dépendance, pourrait décider que les parties n’avaient aucun lien de dépendance.

[10] Dans la présente affaire, il est clair que les parties sont liées et qu’elles sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Le ministre a par conséquent décidé qu’il n'était pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances (lesquelles sont énumérées dans l’article), que l’appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

[11] La Cour n'a pas le mandat de remettre en question la décision du ministre et de tout simplement substituer son opinion à la sienne en se fondant sur la preuve. Le ministre prend sa décision en exerçant un pouvoir discrétionnaire et non un pouvoir quasi judiciaire; par conséquent, la présente cour doit respecter le règlement de la question par le ministre (le juge Isaac de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Attorney General of Canada and Jencan Ltd. (1997) 215 N.R. 352). Toutefois, la Cour canadienne de l’impôt est justifiée d’intervenir dans le règlement de la question par le ministre, s’il est établi que celui-ci : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou pour un motif irréguliers; (ii) a omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, comme le requiert expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); ou (iii) a tenu compte d’un facteur non pertinent.

[12] L’appelante, Michel Abihsira (seul actionnaire du payeur), Victor Amar (un ancien gérant du payeur) et Toby Mamann, ont tous témoigné devant la Cour et tous étaient crédibles et dignes de foi; leur crédibilité n’a pas été contestée ni affaiblie lors du contre-interrogatoire. L’appelante et le payeur ont exprimé leur désaccord à l’égard des allégations suivantes de la réponse de l’intimé :

- l’alinéa e) : ils ont tous les deux reconnu que l’appelante prenait un grand nombre des décisions importantes de l'entreprise et qu’elle accomplissait une grande partie des tâches quotidiennes relatives à son exploitation. Le payeur avait donc plus de temps pour conclure les marchés nécessaires avec les fournisseurs, laissant l’appelante prendre en charge ses anciennes responsabilités et s’occuper de l’exploitation quotidienne de l’entreprise;

- l’alinéa f) : la preuve produite a révélé que, contrairement à l’allégation de l’intimé, c’est l’appelante et non le payeur qui était personnellement responsable de l’exploitation du magasin Lawrence Plaza;

- les alinéas g) et h) : la preuve a également permis de rejeter les allégations selon lesquelles un travailleur non lié gérait le magasin Lawrence Plaza, qu’il s’occupait de la plupart des tâches liées au marchandisage, aux commandes et aux ventes du magasin, qu’il supervisait le personnel et qu’il ouvrait et fermait le magasin. Aucun travailleur non lié n’a été embauché et, en réalité, c’est l’appelante qui accomplissait toutes ces tâches;

- l’alinéa i) : le témoignage du payeur a été particulièrement solide en ce qui a trait à cette question. Il a déclaré qu’il avait tenté d’embaucher une personne pour agir à titre de gérant du magasin Lawrence Plaza; cette personne devait aussi être compétente pour faire fonctionner le logiciel qui avait été installé, elle devait être bilingue pour traiter avec les gérants des trois magasins situés au Québec et elle devait être en mesure de discuter des inventaires de ces magasins et de les déplacer au besoin. Non seulement il n’a pas pu trouver un tel employé, mais toutes les personnes qui ont postulé cet emploi demandaient un salaire plus élevé que celui qu’il avait accepté de verser à l’appelante. Le salaire de l’appelante était plutôt raisonnable dans les circonstances, compte tenu des heures qu’elle consacrait effectivement au travail.

- l’alinéa j) : le payeur a fermement contesté l’allégation de l’intimé concernant les heures de travail de l’appelante. Les heures de travail étaient beaucoup plus nombreuses que celles qui ont été indiquées dans la réponse. L’appelante travaillait de 9 h à 19 h environ, presque tous les jours de la semaine et jamais elle n’a travaillé aussi peu que 12 heures dans une semaine; en fait, elle travaillait près de 12 heures par jour. Pendant la durée de son emploi, elle a travaillé 12 heures par jour du lundi au vendredi et, un dimanche sur deux, de 11 h à 17 h.

- l’alinéa l) : selon l’expérience des témoins qui ont été entendus, un gérant de magasin exploitant le même type d’entreprise dans la région de Toronto touchait un salaire se situant entre 30 000 $ et 32 000 $ au cours de la période en question. Le payeur a déclaré que l’appelante était beaucoup plus qu’une gérante de magasin et, après avoir entendu l’énumération des tâches qu’elle accomplissait, la Cour est d’avis que la déclaration du payeur a été étayée par la preuve. La Cour conclut que cette déclaration est exacte. L’appelante accomplissait les tâches d’un directeur général à l’égard de tous les aspects de l’exploitation de l’entreprise. Ses tâches comprenaient la vérification de tous les chargements de marchandises reçues, la comparaison de celles-ci avec le récépissé et la commande originale, l’étiquetage des articles et la fixation de leur prix, l’expédition de la totalité ou d’une partie des marchandises aux différents magasins de la compagnie, le maintien de la communication avec tous les magasins pour déterminer les ventes et inventaires de chacun et ordonner le transfert de certains articles entre ces magasins afin d’améliorer leur écoulement et de contrôler les inventaires, la prise de décisions concernant les articles devant être offerts en solde, l’exécution de toutes les fonctions nécessaires à l’utilisation de l’ordinateur nouvellement acquis par la compagnie, la préparation des chèques de paye pour les autres employés (lesquels portaient la signature du payeur), les dépôts bancaires du produit des ventes réalisées au magasin Lawrence Plaza, l’examen des relevés bancaires afin de vérifier les dépôts effectués par les autres magasins, la prise de toutes les décisions de gestion relatives au magasin Lawrence Plaza, notamment les décisions sur la présentation et le marchandisage des inventaires, l’achat des marchandises et la fixation de leur prix, et la supervision des employés.

[13] L’appelante a déclaré que la charge de travail est devenue si lourde qu’elle a finalement dû engager une personne pour l’aider dans ses tâches liées à l'informatique.

[14] La seule intervention que peut faire la Cour canadienne de l’impôt à l'égard du pouvoir discrétionnaire que le ministre a exercé consiste à s’assurer que ce pouvoir a été exercé légalement. Si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon contraire à la loi, la Cour canadienne de l’impôt peut alors analyser le bien-fondé du règlement de la question. Il s’agit de la première étape.

[15] La Cour est convaincue que le ministre a omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, comme le requiert le sous-alinéa 3(2)c)(ii), et qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon contraire à la loi. Par conséquent, la Cour est justifiée d’évaluer la prépondérance des probabilités pour déterminer si l’appelante et le payeur auraient conclu un contrat de louage de services à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

[16] Le ministre a omis de prendre en considération les tâches “ réelles ” de l’appelante, ses heures de travail et les responsabilités qu’elle a assumées dans le cadre de l’exploitation quotidienne du magasin du payeur. Le règlement de la question a été fondé sur des faits inexacts et incomplets. Ayant examiné la preuve produite devant elle, la Cour accueille l’appel. Dans les circonstances, l’appelante et le payeur n’avaient pas de lien de dépendance et l’appelante exerçait un emploi assurable au sens de la Loi au moment où elle travaillait pour le payeur, soit durant la période allant du 21 août 1995 au 11 juillet 1996.

[17] L’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Toronto (Ontario), ce 16e jour de décembre 1998.

“ W. E. MacLatchy ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour d'août 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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