Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990803

Dossier: 1999-38-CPP

ENTRE :

OIL & RUBBER SPECIALTIES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

PAUL E. RICHARD,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge suppléant MacLatchy, C.C.I.

[1] L'appel a été entendu à Kitchener (Ontario) le 24 juin 1999.

[2] L'appelante a porté en appel devant l'intimé la décision à l'effet que Paul E. Richard, le travailleur, exerçait un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada (le “ Régime ”) alors qu'il était au service de l'appelante, durant la période du 1er janvier 1991 au 28 août 1997, au motif qu'il était employé aux termes d'un contrat de louage de services.

[3] L'intimé a confirmé que le travailleur était un employé aux termes d'un contrat de louage de services et a informé l'appelante qu'il avait été décidé que l'emploi exercé par le travailleur chez l'appelante durant la période en question était un emploi ouvrant droit à pension au sens de l'alinéa 6(1)a) du Régime.

[4] L'appelante et l'intimé ont convenu que l'appelante était une compagnie constituée en société sous le régime fédéral et enregistrée le 10 avril 1989, et que son siège social était situé au Nouveau-Brunswick. Cette compagnie était née de l'union de l'entreprise du travailleur, connue sous le nom de “ Custom Rubber Products ”, et d'une entreprise connue sous le nom de “ Quantex Chemical ” qui appartenait à Talis Forstmanis. Custom Rubber Products fournissait des produits en caoutchouc et des services liés à ces derniers, y compris des transporteurs à courroies et du raccordage de courroie, alors que Quantex Chemical fabriquait un lubrifiant pour guide de scie à chaîne et pour chaîne vendu sous l'appellation commerciale “ Lumberol ”. Après la création de la société appelante, l'entreprise du travailleur a cessé d'être une entité distincte et le travailleur est devenu chef du bureau responsable des opérations de la nouvelle entreprise commerciale au Nouveau-Brunswick. Les actions en circulation de la société appelante étaient à l'origine détenues à parts égales par le travailleur et Talfox Holding Inc. qui, elle, appartenait à Talis Forstmanis. En 1990, le travailleur a transféré ses parts à cette dernière société de portefeuille et a donné sa démission comme directeur et membre de la direction de la société appelante, laissant totalement à Talis Forstmanis la propriété et le contrôle de la société appelante. Le travailleur est demeuré chef du bureau responsable des opérations de l'appelante au Nouveau-Brunswick. À ce titre, il recevait à l'origine un salaire de base de 1 750 $ par mois en chèques d'entreprise à l'ordre de Paul Richard, s/n Custom Rubber Products, qu'il signait lui-même. À partir du 15 décembre 1992, le travailleur s'est entendu avec l'appelante pour que la totalité de son salaire de base mensuel soit versée à sa femme, Louise Richard, afin d'éviter la saisie-arrêt pour impôt non payé. À compter d'avril 1996, le travailleur s'est entendu avec l'appelante pour que sa femme reçoive un salaire de base mensuel de 1 000 $ et que lui-même reçoive un salaire de base mensuel de 825 $. En plus de son salaire de base mensuel, le travailleur recevait une commission de cinq pour cent sur la marge brute des opérations de l'appelante au Nouveau-Brunswick. Le travailleur avait d'abord été formé par l'appelante sur divers aspects de la fabrication et de la vente de lubrifiants. L'appelante ne fabriquait pas tous les lubrifiants qu'elle vendait dont un grand nombre était acheté d'une autre société appartenant à Talis Forstmanis. Le travailleur se rapportait régulièrement à Talis Forstmanis dont il recevait les directives. En août 1997, l'appelante a informé le travailleur qu'elle n'avait plus besoin de ses services.

[5] L'appelante a affirmé que le travailleur était un entrepreneur indépendant qu'elle avait embauché pour diriger ses opérations au Nouveau-Brunswick, et qu'il n'était pas un employé.

[6] L'intimé a précisé que, selon les hypothèses émises, le travailleur était embauché par l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services et que, par conséquent, il était un employé de l'appelante.

[7] La question en litige devant cette Cour consiste à déterminer si le travailleur exerçait son emploi aux termes d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise (c'est-à-dire, s'il était un employé de l'appelante ou un entrepreneur indépendant). Le droit a évolué lentement au cours des années jusqu'au jugement définitif de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553. Ce dernier jugement a déterminé la meilleure méthode à suivre pour évaluer toute la relation entre les parties en tenant compte de tous les faits pertinents. Quatre critères devaient servir à l'analyse des faits : i) le contrôle et la supervision – le travailleur était-il sous le contrôle du propriétaire de l'entreprise dont il recevait les ordres et pouvait-il être suspendu ou renvoyé?; ii) les chances de bénéfice et les risques de perte – le travailleur pouvait-il participer aux bénéfices de l'entreprise ou subir une perte en cas d'échec de cette dernière?; le travailleur assumait-il ses propres dépenses, payait-il son propre équipement, etc.?; iii) la propriété des instruments de travail – quels outils fournissait-on au travailleur pour effectuer son travail, s'il en est?; iv) le critère d'organisation ou d'intégration – à qui appartenait l'entreprise, de quelle façon les parties voyaient-elles leur relation et quel était le véritable caractère de cette relation selon les faits présentés? Le critère global est concluant – toutes les preuves doivent être examinées et les critères appliqués afin de déterminer la totalité de la relation en question.

Le contrôle et la supervision

[8] Il est devenu évident pour la Cour, au fur et à mesure que la preuve était présentée, que le contrôle et la direction étaient du ressort de l'appelante. L'appelante établissait les prix des produits à vendre. Talis Forstmanis a déclaré que le travailleur pouvait établir les prix de ces produits, mais le travailleur a déclaré qu'il lui paraissait hors de doute qu'il fallait ajouter 50 pour cent à titre de marge sur le coût d'acquisition acquitté par l'appelante. La Cour accepte la preuve du travailleur selon laquelle l'appelante contrôlait les prix de ses produits. L'appelante a déclaré que les conditions originales de l'entente entre elle-même et le travailleur concernaient un contrat d'entreprise et que le travailleur devait diriger le bureau du Nouveau-Brunswick indépendamment de toute autre partie de l'entreprise dont Talis Forstmanis était le propriétaire. Au départ, cette assertion semblait véridique, mais, par la suite, la Cour voyait de plus en plus clairement que le travailleur s'était intégré à l'entreprise de l'appelante à titre d'employé. On exigeait de lui qu'il effectue personnellement ses tâches et il ne pouvait embaucher personne d'autre pour le faire. L'appelante représentait le travailleur comme faisant partie intégrante de Oil & Rubber Specialties Inc., tant sur les cartes d'affaires du travailleur que sur les organigrammes de l'appelante - tous ces documents ayant été produits en preuve durant le procès. L'appelante a renvoyé le travailleur de façon arbitraire.

Les bénéfices et les pertes

[9] Le travailleur ne pouvait participer aux bénéfices de l'appelante puisqu'il n'était pas actionnaire de cette dernière et qu'il n'avait conclu aucune entente de partage des profits avec elle. De la même manière, le travailleur n'assumait aucune perte causée par l'appelante. Cette dernière établissait le salaire de base du travailleur et le travailleur ne pouvait augmenter ses revenus qu'en accroissant le volume de ses ventes, sur lesquelles il recevrait une commission plus importante.

La propriété des instruments de travail

[10] La preuve présentée au procès a établi le fait que tous les instruments de travail utilisés dans l'entreprise appartenaient à l'appelante. Ces outils comprenaient une fourgonnette utilisée par l'entreprise, dont le travailleur se servait également à des fins personnelles. À son renvoi, le travailleur n'a reçu aucune compensation pour toute valeur qu'il avait pu ajouter au coût d'acquisition du véhicule au moyen de déductions sur son salaire. On n'a permis au travailleur d'enlever que les articles dont il était propriétaire avant de se joindre à l'appelante.

Le critère d'organisation ou d'intégration

[11] L'entreprise appartenait à l'appelante et personne d'autre ne pouvait l'exploiter. Le travailleur faisait partie intégrante de l'entreprise et y remplissait une fonction nécessaire. À un certain moment, le travailleur a facturé l'appelante pour ses services, mais pas du tout régulièrement. Cette facturation était sans rapport avec les services qu'il avait effectués ou les heures qu'il avait consacrées à l'entreprise de l'appelante, et n'avait rien à voir avec la véritable relation entre les parties.

[12] La preuve de Paul E. Richard, l'intervenant, appuyait sa conviction selon laquelle il était un employé de l'appelante. L'appelante croyait que le travailleur était un entrepreneur indépendant. Or, même si les deux parties croyaient que leur relation était celle d'un propriétaire et d'un entrepreneur indépendant, cette croyance ne serait pas nécessairement déterminante quant à leur relation. La Cour doit examiner la véritable relation en suivant les indications générales mentionnées ci-dessus. En l'espèce, en tenant compte de tous les facteurs pertinents de la relation, cette Cour conclut qu'un “ contrat de louage de services ” existait entre les parties. La preuve appuie la décision selon laquelle la relation en était une d'employeur-employé et le travailleur exerçait un emploi ouvrant droit à pension.

[13] L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Toronto (Ontario) ce 3e jour d'août 1999.

“ W.E. MacLatchy ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de septembre 2000.

Stephen Balogh, réviseur

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