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Date: 19990325

Dossier: 97-1370-IT-G

ENTRE :

MONQUART HARDWOODS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance, interjeté sous le régime de la procédure générale, a été entendu à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 19 mars 1999. Seul Gregor Hargrove, qui était l'unique dirigeant et administrateur de l'appelante ( « MHL » ) pendant toutes les périodes pertinentes, a témoigné.

[2] Pour 1994, l'appelante a demandé le remboursement des coûts rattachés à la masse salariale conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux activités de recherche scientifique et de développement expérimental. L'intimée admet que les coûts en question se rapportaient à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental, mais elle a rejeté la demande de l'appelante pour les raisons suivantes :

Les coûts n'ont pas été engagés par l'appelante en son nom, mais à titre de mandataire de Riverbrand Hardwoods (1993) Ltd. ( « Riverbrand » ).

L'appelante et Riverbrand ne sont pas des sociétés liées contrairement à ce que requiert le paragraphe 37(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

L'appel en l'instance a alors été interjeté.

[3] MHL a été constituée en société au Nouveau-Brunswick en juin 1991. Elle fabrique et vend des planchers de bois d'érable utilisés pour la pratique de certains sports, comme le basket-ball, et d'autres activités récréatives semblables. Les planchers ont été utilisés lors des Jeux olympiques de Barcelone, au centre sportif des Bulls de Chicago et dans de nombreux autres établissements. La société obtenait son bois d'érable auprès de petites cours à bois du Nouveau-Brunswick, mais l'approvisionnement était interrompu l'hiver parce que le bois gelé ne pouvait être coupé adéquatement à ce moment-là. En conséquence, MHL a entrepris des travaux de recherches en vue de concevoir un moyen de scier l'érable à longueur d'année. Le moyen conçu est aujourd'hui utilisé par deux scieries du Nouveau-Brunswick.

[4] Pour résoudre le problème de l'approvisionnement en hiver, MHL a discuté avec l'association forestière locale, la Carlton-Victoria Wood Producers, par l'intermédiaire de laquelle elle a rencontré des représentants d'autres associations de producteurs forestiers du Nouveau-Brunswick. Riverbrand Hardwoods (1993) Ltd. a été constituée en société au Nouveau-Brunswick en août 1993 (pièce AR-17).

[5] Le 1er octobre 1993, un contrat de vente (pièce AR-24) a été signé à Fredericton, la transaction devant être complétée le 12 octobre. Les signataires étaient MHL, Riverbrand, Gregor Hargrove et Woodlot Owner Holdings Ltd. ( « WOHL » ). Dans ce contrat :

MHL (le vendeur) a convenu de transférer à Riverbrand l'entreprise qu'elle exploitait à Woodstock, y compris son encaisse, ses biens-fonds, ses locaux, sa machinerie, son stock, ses comptes débiteurs, ses commandes non remplies, etc., les frais payés d'avance et son fonds commercial (voir les paragraphes 1.05, 1.06, 2.01, 3.01 et 3.02), en contrepartie de 102 actions de Riverbrand, en plus du paiement immédiat de 300 000 $ à porter en diminution des dettes de MHL (paragraphes 6.01, 7.02 et le témoignage de M. Hargrove).

WHOL a convenu :

de payer 300 000 $ immédiatement pour acquérir 69 actions.

de payer 130 000 $ quarante-cinq jours plus tard pour acquérir 29 actions supplémentaires (ce qui donnerait à WOHL 98 actions ou 49 p. 100 de Riverbrand).

de prêter en outre un montant de 231 000 $ à Riverbrand (paragraphes 7.01, 7.02 et 7.03 et le témoignage de M. Hargrove).

Dans les faits, seulement 270 000 $ de la première tranche de 300 000 $ ont été payés par WOHL à Riverbrand, et WOHL n'a prêté aucun montant à Riverbrand.

[6] MHL a reçu le montant de 270 000 $ et l'a porté en diminution de ses dettes. Elle avait également obtenu un prêt à remboursement conditionnel de 200 000 $ de la province du Nouveau-Brunswick, qu'elle a tenté de transférer à Riverbrand. Le caractère conditionnel du remboursement de ce prêt était fondé sur le nombre de personnes-semaines travaillées, et il fallait encore environ 17 semaines de travail. Le Nouveau-Brunswick n'ayant pas autorisé le transfert, il n'a pas eu lieu. WOHL n'avait pas les moyens de prêter 231 000 $ à MHL, mais elle a pris des dispositions pour que sa banque, la Banque de Montréal, consente un prêt à Riverbrand. L'argent ainsi prêté a servi à construire une scierie. La Banque de Montréal a fait certaines avances sur ce prêt mais, avant que la construction de la scierie soit achevée, elle a cessé de faire des avances, elle a saisi sa garantie et acculé Riverbrand à la faillite en provoquant une cession de biens en vertu de la loi sur la faillite datée du 14 novembre 1995 (pièce AR-33).

[7] M. Hargrove a témoigné, et la Cour accepte son témoignage à cet égard, que Riverbrand n'avait émis aucune action à WOHL. MHL a bel et bien reçu 102 actions ordinaires émises par Riverbrand conformément à l'alinéa 6.01(ii). Il existe quatre raisons pour lesquelles le témoignage de M. Hargrove à cet égard est accepté :

M. Hargrove est crédible.

Soixante-neuf actions devaient être émises à WOHL moyennant un paiement global de 300 000 $ (voir l'alinéa 7.02(i)). La société n'a versé que 270 000 $.

Aux termes de la loi du Nouveau-Brunswick, une société ne peut émettre que des actions qui sont complètement payées (Loi sur les corporations commerciales du Nouveau-Brunswick, ch. B-9.1, par. 23(5) et (6)).

Le témoignage de M. Hargrove aurait pu être réfuté au moyen d'un témoignage ou de documents d'enregistrement de la société certifiés par la Direction des corporations du Nouveau-Brunswick. Il n'a pas été réfuté.

[8] Enfin, bien que MHL et WOHL aient été autorisées à désigner des administrateurs dans la convention des actionnaires non signée (dans laquelle figure le nom d'autres actionnaires proposés en plus de celui des parties au contrat de vente), il n'y a aucune preuve que des administrateurs autres que les personnes désignées par MHL ont été élus à titre d'administrateurs de Riverbrand. M. Hargrove a admis que MHL avait élu trois administrateurs et il a nié que d'autres administrateurs avaient été élus. Aucun document de la société n'a été produit en preuve pour établir que d'autres administrateurs ont été élus. Aux termes du projet de convention des actionnaires, WOHL ne devait avoir le droit d'élire des administrateurs que lorsqu'elle détiendrait des actions de Riverbrand. Selon la preuve, MHL était l'unique actionnaire de Riverbrand.

[9] La pièce AR-32, datée du 29 novembre 1993, est un projet de procès-verbal non signé d'une prétendue réunion des administrateurs de Riverbrand, que M. Hargrove a vu pour la première fois le 18 mars 1999. Au mieux, son témoignage a établi qu'une réunion avait été tenue, mais pas que les représentants de WOHL étaient des administrateurs de Riverbrand.

[10] Selon la preuve, Riverbrand n'a jamais payé les employés en question dans l'appel en l'instance. Les salaires en question ont été versés par MHL, qui a délivré les feuillets T4, les T4 Sommaires et les relevés d'emploi, en plus de payer les cotisations d'assurance-emploi pour les travailleurs en question. En 1994, Riverbrand a déclaré à Revenu Canada qu'elle n'avait aucun employé (pièce AR-10).

[11] En conséquence, compte tenu de la preuve produite en l'espèce, MHL était l'employeur des employés relativement auxquels elle a demandé un remboursement, et ces employés ont exercé les activités de recherche scientifique et de développement expérimental en question. MHL n'a pas agi à titre de mandataire de Riverbrand. La preuve a permis d'établir qu'aucun salaire versé par MHL ne lui a été remboursé par Riverbrand et que MHL n'a fait aucune demande de remboursement dans le cadre de la faillite de Riverbrand.

[12] Quoi qu'il en soit, compte tenu de la preuve, MHL et Riverbrand étaient des sociétés liées aux termes de la Loi, de sorte que MHL a le droit de demander le remboursement des coûts rattachés à la masse salariale se rapportant aux dépenses faites par Riverbrand dans le cadre de ses activités de recherche scientifique et de développement expérimental. Pour déterminer si les deux sociétés sont liées pour l'application de la Loi, il faut établir si MHL contrôlait Riverbrand. Il a été établi, dans Duha Printers (Western) Limited v. The Queen, 98 DTC 6334 (C.S.C.), que le contrôle d'une société s'entend du contrôle de jure et non pas du contrôle de facto. MHL était l'unique actionnaire de Riverbrand. Étant donné qu'il n'a pas été satisfait à la condition essentielle de la souscription pour l'émission du premier groupe d'actions à WOHL, soit le paiement d'un montant global de 300 000 $, ces actions n'ont jamais été émises, et le deuxième groupe d'actions n'a jamais été payé ni émis. La convention unanime des actionnaires n'a jamais été signée et, selon la preuve, elle n'a jamais été acceptée, de sorte que les conditions qui y étaient énoncées ne liaient personne aux fins de déterminer le contrôle de jure. À titre d'unique actionnaire de Riverbrand, MHL a élu les trois seuls administrateurs; elle avait donc le contrôle de jure de Riverbrand et, par conséquent, elle était aussi liée à Riverbrand. Il s'ensuit que, conformément au paragraphe 37(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'appelante a droit au remboursement demandé.

[13] L'appel est admis. Les frais entre parties sont accordés à l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mars 1999.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de janvier 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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