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Date : 19980710

Dossier : 95-3798-IT-G

ENTRE :

BRIAN MacDOUGALL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Cet appel porte sur une cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par cette cotisation, le ministre du Revenu national a assujetti l’appelant à un impôt de 72 923,61 $ en se fondant sur le fait que, le 9 juillet 1990, l’épouse de l’appelant, Paula Wainberg, a transféré à l'appelant en contrepartie de la somme d'un dollars, 50% du foyer conjugal à une époque où elle devait en impôt, pour 1986 et 1988, la somme de 73 187,77 $. Le montant de l’impôt à payer par Paula Wainberg n’est pas contesté.

[2] En juin 1983, l’appelant et son épouse ont acheté pour la somme de 160 000 $ le 486, avenue Argyle, à Westmount, au Québec. Un paiement de 40 000 $ a été effectué au moment de la conclusion de la vente, un prêt hypothécaire de 100 000 $ a été accordé par la Compagnie Trust Royal et un prêt hypothécaire de deuxième rang de 20 000 $ a été accordé par le vendeur. Le prêt hypothécaire de deuxième rang devait être remboursé dans une année.

[3] À cette époque, l’appelant gagnait 80 000 $ par an comme courtier en valeurs mobilières auprès de Merrill Lynch. Sa femme gagnait 18 000 $ par an à l’Hôpital général de Montréal.

[4] L’appelant a déclaré dans son témoignage que 40 000 $ provenaient de ses économies et que la Compagnie Trust Royal a demandé que son épouse apparaisse sur l’acte de transfert comme bénéficiaire du transfert et également sur le contrat hypothécaire comme débitrice hypothécaire. Elle a signé aussi comme emprunteur du prêt hypothécaire de deuxième rang accordé par les vendeurs.

[5] En 1984, l’appelant a changé d’emploi en quittant Merrill Lynch pour Bache Securities Inc. Parmi les avantages accordés par l'employeur, Bache a prêté à l’appelant 75 000 $ payable en 60 mois. Dans le contrat de prêt, l’appelant était désigné comme “ premier garant ” ou “ débiteur ” et sa femme était désignée comme “ débitrice conjointe ”. La maison de l’avenue Argyle a été hypothéquée pour garantir le prêt. Bien que l’hypothèque stipule un intérêt de 25% par an, l’appelant a déclaré qu’elle était sans intérêt et qu’il a été imposé en 1985, 1986, 1987, 1988 et 1989 sur l’intérêt réputé comme un avantage que lui procurait son emploi. Les paiements mensuels ont été déduits de son salaire par Bache.

[6] Une autre disposition du contrat de prêt de Bache prévoyait que l’appelant réduirait de 60 000 $ le prêt hypothécaire de la Banque Royale et se libérerait de l'hypothèque de deuxième rang de 20 000 $ accordée par les vendeurs.

[7] En octobre 1985, l’appelant et sa femme ont emprunté 50 000 $ de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (“ CIBC ”) en hypothéquant le bien situé sur l'avenue Argyle. La preuve n’est pas entièrement claire sur ce point, mais l’appelant a déclaré que le prêt de la CIBC a été utilisé pour rembourser le solde restant à verser à la Compagnie Trust Royal. L’hypothèque de la CIBC semble reconnaître l’existence des prêts accordés par Bache et par la Compagnie Trust Royal.

[8] Le 16 mai 1990, l’appelant et sa femme ont emprunté un autre 90 000 $ à la CIBC. Cette hypothèque fait mention d’une hypothèque constituée en faveur de Bache, de la CIBC et de la Société d'hypothèques CIBC.

[9] Le 9 juillet 1990, Paula Wainberg a transféré à l’appelant pour “ UN DOLLAR (1 $) et autres contreparties de valeur ” tous ses droits, titres et intérêts sur le bien situé avenue Argyle et “ l’acheteur prenant à sa charge, jusqu'à l'exonération totale du vendeur, les hypothèques existantes en faveur de la SOCIÉTÉ D'HYPOTHÈQUES CIBC enregistrée à Montréal sous le no 3368820 et de la BANQUE DE COMMERCE CANADIENNE IMPÉRIALE enregistrée à Montréal sous le no 4279689 ”. L’hypothèque no 3368820 était celle de la COMPAGNIE TRUST ROYAL, et je suppose donc qu’elle a été cédée à la Société d'hypothèques CIBC et n’a pas été éteinte. L’hypothèque no 4279689 était celle de 90 000 $ de la CIBC. Il paraît donc que le produit du prêt hypothécaire de la CIBC du 16 mai 1990 n’a pas été utilisé pour rembourser le prêt hypothécaire antérieur accordé par la Compagnie Trust Royal, que détenait alors la Société d'hypothèques CIBC.

[10] L'acte translatif de propriété de Paula Wainberg stipule également que “ la contrepartie réelle est de 150 000 $ ”.

[11] Cette somme n’a pas été payée par l’appelant et je constate que, dans les faits, il a payé seulement 1 $.

[12] Le 1er avril 1991, l’appelant a emprunté 110 000 $ de la Société d'hypothèques CIBC et a donné comme sûreté une hypothèque grevant le bien situé avenue Argyle. L’hypothèque stipulait qu'une hypothèque de premier rang en faveur de la Société d'hypothèques CIBC serait acquittée.

[13] En novembre 1991, l’épouse de l’appelant, Paula Wainberg, se déclarait en faillite. On ne connaît pas tous les créanciers, mais l’un d’eux était certainement le ministre du Revenu national pour environ 73 000 $.

[14] Le 1er juin 1992, l’appelant a vendu le bien de l'avenue Argyle pour 295 000 $.

[15] Il n’est pas contesté que la juste valeur marchande du bien à la date du transfert par Paula Wainberg était de 300 000 $.

[16] La position de l’intimée est simplement que l’épouse de l’appelant a transféré à celui-ci sa quote-part du bien pour 1 $, que sa part avait une juste valeur marchande de 150 000 $, que cette somme dépassait son obligation fiscale et que toutes les conditions nécessaires existaient donc pour l’application de l’article 160.

[17] L’avocat de l’appelant avance essentiellement trois arguments.

[18] Premièrement, l’appelant a fait tous les paiements pour la maison, y compris tous les paiements hypothécaires. Des éléments de preuve viennent appuyer cette conclusion, bien qu’ils ne soient pas aussi clairs qu'ils pourraient l’être. L’appelant a déclaré que sa femme n’avait aucun revenu durant les années où les paiements étaient versés et, qu’en conséquence, il était logique de conclure que c’était lui qui faisait les paiements. L’affirmation qu’elle n’a pas eu de revenu semble en contradiction avec le fait qu’elle a fait l’objet de cotisations fiscales pour 1986 et 1988 d’un montant de plus de 70 000 $, ce qui laisse supposer qu'elle a touché pour ces deux années un revenu dépassant de beaucoup la somme de 100 000 $.

[19] Je n’ai pas besoin de conclure définitivement sur ce point parce qu’en dernière analyse, cela ne change rien. Aux fins de cette partie de l’argument, je suis prêt à examiner l'affaire en me fondant sur l’hypothèse selon laquelle l’appelant a fait tous les paiements. Selon cette hypothèse, l’appelant prétend qu’il avait la propriété effective de 100% du bien, en s’appuyant sur les décisions de cette cour dans E. Linke v. Canada, [1994] 2 C.T.C. 2117 et Gardner v. M N.R., 88 DTC 1649.

[20] En premier lieu, on doit reconnaître que la distinction entre la propriété légale et la propriété effective est une notion importante du droit de l’Angleterre, des provinces de common law et des autres juridictions à travers le monde qui ont hérité du droit de l’Angleterre, de la common law et de l’equity. Toutefois, cette notion ne fait pas partie du droit du Québec, qui est régi par le Code civil. Cette distinction est clairement affirmée par le juge Garon dans D’Aoust v. M.N.R., 90 DTC 1257 où il a dit à la page 1261 :

Le procureur de l’appelante a invoqué à l’appui de ses prétentions l’arrêt de mon collègue, le juge Brulé, dans l’affaire de Jane Gardner et le ministre du Revenu national, 88 DTC 1649. La partie suivante du sommaire de ce jugement expose bien l’essentiel des faits pertinents :

“ The taxpayer was joint tenant with her spouse of a house forming the subject of this appeal. The joint tenancy existed only because the taxpayer lacked any source of income and had therefore been unable to obtain financing independent of her husband when the house was purchased in 1968. In 1980, the taxpayer sold the house and, as no further financing was necessary, her spouse removed himself from title by way of a quit claim deed. It was this act which the Minister submitted was a transfer of property. The taxpayer was assessed tax on the transaction under s. 160 of the Act because her spouse was alleged to be the transferor under the meaning of this section. The taxpayer appealed to the Tax Court of Canada. ”

.

[Conclusion]

Ce qui distingue l’appel qui nous concerne de l’affaire Gardner, c’est que Pierre D’Aoust avait au moment de la vente de sa part dans l’immeuble à l’appelante en janvier 1983 les mêmes droits de co-propriétaire à l’égard de l’immeuble que ceux de l’appelante, alors que dans la cause Gardner, l’auteur du transfert détenait le titre en common law (legal title) à cette propriété en sa qualité de fiduciaire mais ne possédait pas un intérêt bénéficiaire (beneficial interest) dans cet immeuble. Le droit civil ne connaît pas cette division du droit de propriété, qui est un aspect fondamental du droit des biens en common law. Le juge Brulé a décidé en somme que l’article 160 ne s’appliquait pas lorsqu’il s’agissait seulement du transfert du titre en common law d’un bien qui n’est pas accompagné du transfert de l’intérêt bénéficiaire concernant ce même bien. L’extrait suivant du jugement du juge Brulé me paraît bien clair sur ce point :

“ Ultimately, however, on the facts of this case, I cannot conclude that this prerequisite is met. While the Taxpayer held legal title to the residence; he did so solely as trustee for the Appellant. At no time did he have a beneficial interest in the property. ”

[21] L’avocat de l’appelant a soutenu que la loi devrait s’appliquer de la même façon partout au Canada et je suis d’accord qu’une application la plus large possible de la loi est un objectif désirable. Cependant, il convient de prendre en considération la loi de la province où la transaction a lieu et est imposée et on ne peut pas importer dans une province un système de droit applicable dans une autre province.

[22] Bien que cela n’est pas relié à la présente question, il est bon de rappeler que le Parlement a tenté avec le paragraphe 248(3) d’introduire dans la province de Québec les notions de “ trust (fiducie) ” ou de “ beneficial ownership (propriété effective) ” pour l’application de la Loi. Il est aussi intéressant de noter que la définition de “ disposition de biens ” de l’article 54 (qui n’est pas applicable dans la présente affaire) figurait dans la version française de la loi jusqu’en 1993 :

(v) tout transfert de biens, à la suite duquel il y a un changement dans le legal ownership du bien sans changement dans le beneficial ownership de ce bien, autre qu’un transfert par une fiducie résidant au Canada à une fiducie ne résidant pas au Canada et un transfert à une fiducie régie par ....

[23] En 1994, ce sous-alinéa était devenu :

(e) un transfert de biens à la suite duquel il y a un changement dans la propriété légale du bien sans changement dans la propriété effective de ce bien, autre qu’un transfert par une fiducie résidant au Canada à une fiducie ne résidant pas au Canada et un transfert à une fiducie régie par :

[24] Ce changement peut satisfaire les puristes de la langue, mais cela n'aide pas à clarifier le problème conceptuel car la distinction entre la propriété “ effective ” et “ légale ” est un problème qui n'existe pas sous le régime du Code civil.

[25] Même si cette cause avait eu lieu dans une province de common law, je serais arrivé à la même conclusion. Le simple fait qu’un mari effectue tous les paiements hypothécaires d’une maison que lui et sa femme possèdent conjointement ne signifie pas qu’elle n’est pas un propriétaire effectif de la moitié du bien. Il faut une preuve forte pour démontrer qu’un conjoint qui est le propriétaire légal d’un bien n’est pas aussi le propriétaire effectif. La Cour a affirmé dans Collins v. the Queen, 96 DTC 1034 à 1039 (confirmé par la C.A.F. 98 DTC 6281) :

Toutefois, il n’est pas ici question d’une ferme familiale. Il s’agit d’actifs commerciaux dont la propriété en common law a été minutieusement partagée entre les conjoints de façon à obtenir le résultat optimum sur le plan fiscal et commercial, compte tenu des conseils donnés par des avocats et des comptables compétents. Sans doute, il existe en l’espèce certains des éléments qui m’ont poussé à me prononcer comme je l'ai fait dans l’affaire Savoie, mais il y a un monde entre le cas de M. et Mme Savoie et celui de M. et Mme Collins. Les deux paragraphes suivants de la décision Savoie, à la page 553 [93 DTC 552] illustrent cette différence:

M. et Mme Savoie sont peu instruits. Ils n’ont qu’une neuvième année de scolarité. Les notions de copropriété, de propriété en common law par opposition à la propriété bénéficiaire et de fiducie leur sont étrangères. Mais, de toute évidence, ils formaient une équipe et ce qu’ils ont acquis, ils l’ont acquis ensemble, en unissant leurs efforts. Au cours de sa vie difficile, Mme Savoie a consacré le meilleur d’elle-même au bien commun de la famille, et il serait inadmissible de faire reposer son droit à une juste part à cet égard sur une forme de cession dont elle ne pouvait saisir les conséquences juridiques.

En l’espèce, la situation diffère de celle des époux qui, en toute connaissance des effets juridiques de leurs gestes, choisissent de détenir un bien conjointement, ou individuellement, ou selon tout autre mode de propriété. Des choix aussi réfléchis doivent être respectés puisque la forme juridique correspond alors à la réalité économique et aux intentions averties des parties.

(Les soulignés sont de moi.)

[26] Les actes notariés attestent que Paula Wainberg était propriétaire de la moitié du bien et ils établissent une présomption en ce qui concerne la véracité de leur contenu. Il n'existe aucune preuve d'une intention d'utiliser Mme Wainberg comme prête-nom.

[27] Le deuxième argument de l’appelant est que la cession par la femme de l’appelant de son droit de propriété était simplement l'exécution d'une obligation de Paula Wainberg à l'égard de l'appelant pour la contribution de ce dernier au prix de la maison. Il est difficile d’accepter cet argument quand il n’y a pas de preuve, documentaire ou autre, qui soutiendrait que Paula Wainberg était redevable à l’égard de l’appelant, ou qu’elle se considérait comme redevable. Elle n’a pas témoigné, bien qu’elle aurait pu.

[28] En tout cas, mathématiquement, l’argument ne tient pas debout. Même si nous supposons qu’elle était redevable à son égard pour la moitié du prix de 160 000 $, la valeur de son intérêt était de 150 000 $ à la date du transfert. Cela laisse toujours 70 000 $.

[29] Le troisième argument est que Paula Wainberg, quand elle a fait le transfert, faisait un paiement partiel de la prestation compensatoire prévue par les articles 427 à 430 du Code civil. Une prestation compensatoire peut être ordonnée par un tribunal suite à une déclaration de séparation de corps, à un divorce ou à une annulation du mariage. M. et Mme MacDougall sont toujours mariés.

[30] L’article 430 du Code civil se lit:

430. L’un des époux peut, pendant le mariage, convenir avec son conjoint d’acquitter en partie la prestation compensatoire. Le paiement reçu doit être déduit lorsqu’il y a lieu de fixer la valeur de la prestation compensatoire.

[31] Aucun élément de preuve ne laisse croire que l’un des époux ait pensé que le transfert de l’intérêt de Mme MacDougall sur la maison était un tel paiement. L’article prévoit un accord entre les époux, et on ne trouve ici aucune preuve à cet effet.

[32] Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour du mois de juillet 1998.

“ D.G.H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de décembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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