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Date: 19980218

Dossier: 97-710-GST-I

ENTRE :

AUBRETT HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] La compagnie appelante, Aubrett Holdings Ltd., interjette appel contre une décision rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ), par laquelle la demande qu'elle avait faite en vue d'obtenir un remboursement de la TPS conformément à l'article 261, d'un montant de 14 000 $, était rejetée.

[2] Les parties ont convenu des faits ci-après énoncés; aucun autre élément de preuve n'a été présenté.

[3] L'appelante est une compagnie constituée en vertu de la Business Corporation Act de l'Alberta; elle agit comme agent d'assurance à Calgary. En 1991, l'appelante a acheté les actifs de deux sociétés d'assurance, Amcan Insurance Services Inc. ( « Amcan » ) et Davidson-Elves Agencies (1982) Ltd. ( « Davidson » ) (collectivement appelées les « vendeurs » ). Les deux institutions financières étaient sous séquestre et elles ont été achetées à Dunwoody Limited (le « séquestre » ), qui agissait comme séquestre-gérant intérimaire.

[4] Avant d'effectuer les fournitures en question, les vendeurs agissaient comme courtiers ou comme vendeurs de polices d'assurance. Le prix d'achat, de 200 000 $, a été réparti comme suit : a) 185 000 $, pour les livres d'assurance1 et b) 15 000 $ pour le mobilier, le matériel et divers articles. De plus, l'appelante a versé une somme de 14 000 $ à l'égard de la TPS. J'ai en général retenu la position de l'appelante et j'ai donc énoncé les arguments de son avocat d'une façon fort détaillée.

Les arguments de l'appelante

[5] Tout acquéreur d'une fourniture taxable effectuée au Canada doit payer une TPS égale à 7 p. 100 de la valeur de la contrepartie de la fourniture2. Une fourniture taxable est une fourniture, sauf une fourniture exonérée, effectuée dans le cadre d'une activité commerciale3. Une activité commerciale était définie d'une façon générale, au moment pertinent, comme étant une entreprise ou un projet à risques de caractère commercial, sauf dans la mesure ou cela comportait la réalisation d'une fourniture exonérée.

[6] D'une façon générale, une institution financière comprend une personne dont l'entreprise principale est celle d'un vendeur d'effets financiers4. Un effet financier comprend une police d'assurance5. Par conséquent, un courtier ou un agent d'assurance est par définition une institution financière pour l'application de la Loi.

Les rouages de la TPS

[7] La TPS est une taxe sur la valeur ajoutée. Elle est finalement destinée à être supportée uniquement par le consommateur ultime des produits ou services fournis. Cela se fait au moyen du mécanisme des crédits de taxe sur les intrants.

[8] Dans le cadre d'une activité commerciale, les entités faisant partie de la chaîne de fournisseurs demandent la taxe à l'égard des produits et services qu'elles fournissent (les extrants), mais elles peuvent recouvrer cette TPS au moyen du mécanisme des crédits de taxe sur les intrants.

[9] Cependant, aucune TPS n'est demandée à l'égard de fournitures exonérées. Pour assurer l'intégrité du système, le fournisseur de fournitures exonérées n'a généralement pas le droit de recouvrer, au moyen du mécanisme des crédits de taxe sur les intrants, une TPS qu'il a payée sur ses achats (les intrants) dans la mesure où ces intrants se rapportent à des activités exonérées. Les institutions financières constituent des exemples par excellence de fournisseurs de fournitures exonérées.

[10] En général, la fourniture d'un service financier (y compris la souscription d'une police d'assurance, ou les dispositions qui sont prises en vue de la souscription d'une police d'assurance) est une fourniture exonérée conformément à la partie VII de l'annexe V de la Loi. Les compagnies d'assurance et les courtiers d'assurance ne sont généralement pas tenus de percevoir la TPS. Ils n'ont généralement pas le droit de percevoir la TPS sur les achats (les intrants) au moyen du mécanisme des crédits de taxe sur les intrants. Telle est la situation de l'appelante et des vendeurs.

Les séquestres

[11] Conformément à l'article 266, ce sont les fournisseurs de la vente des actifs en question, pour l'application de la Loi, qui sont les vendeurs et non le séquestre-gérant ( « Dunwoody » ).

L'application en cascade

[12] L'un des avantages de la TPS est qu'elle est en général destinée à éviter l'application en cascade de la taxe, qui se produit parfois dans le contexte des taxes de vente provinciales et des taxes de vente fédérales que la TPS a remplacées6. L'application en cascade de la taxe peut être décrite comme étant l'imposition de la taxe à différentes étapes de la production, taxe qui ne peut pas être recouvrée par le fournisseur ou par l'acquéreur des produits ou services fournis.

[13] L'interprétation de l'intimée entraîne une application en cascade de la taxe. Étant donné que l'appelante est une institution financière, la TPS de 14 000 $ sur l'achat ne pouvait pas être recouvrée au moyen du mécanisme des crédits de taxe sur les intrants. Si l'entreprise de l'appelante avait été vendue à un autre courtier d'assurance, ces mêmes actifs auraient de nouveau été assujettis à la TPS (conformément à la loi qui était en vigueur au moment où l'opération initiale a été conclue) et aucune TPS n'aurait pu être recouvrée au moyen du mécanisme des crédits de taxe sur les intrants. L'appelante déclare que son interprétation n'entraîne pas l'application en cascade de la taxe. L'intimée soutient qu'il y a des exemples d'application en cascade de la taxe dans la Loi et accorde peu d'importance à l’élimination de cet effet.

Condition préalable relative à la TPS — La fourniture doit être effectuée « dans le cadre d' » une activité commerciale

[14] Le principal argument de l'appelante est que la vente par les vendeurs des entreprises des sociétés d'assurance à l'appelante n'est pas assujettie à la TPS parce que la fourniture n'est pas taxable. Il ne s'agit pas d'une fourniture taxable parce qu'elle n'a pas été effectuée dans le cadre d'une activité commerciale.

[15] Dans l'arrêt Frankel Corporation [1959] CTC 244, la Cour suprême du Canada a statué qu'une fourniture n'avait pas été effectuée dans le cadre de l'entreprise, mais qu'il s'agissait d'une fourniture de l'entreprise. Voici ce que le juge Martland a dit, au nom de la Cour, à la page 258 :

[TRADUCTION]

À mon avis, la preuve établit [...] que la vente des stocks de métaux non ferreux en tant que partie intégrante des actifs que l’appelante avait vendus à Federated au moyen de la convention du 19 décembre 1951 n'était pas une vente conclue dans le cadre de l'entreprise de l'appelante, mais qu'elle avait été conclue dans le cadre de la vente d'une entreprise de l'appelante, de sorte que le produit de cette vente n'était pas un revenu tiré d'une entreprise au sens de l'article 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[16] L'appelante soutient donc que la vente conclue par les vendeurs ne se rapportait pas à une fourniture effectuée dans le cadre de leur entreprise, mais qu'il s'agissait d'une fourniture de l'entreprise elle-même. Cette fourniture en soi ne peut pas être une fourniture effectuée dans le cadre d'une entreprise ou d'un projet à risques de caractère commercial. C'est ce qui découle directement de la décision que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Frankel Corporation.

[17] Cette conclusion est également compatible avec la décision que le juge Bell, de cette cour, a rendue dans l'affaire Hleck, Kanaka, Thuringer v. The Queen [1994] GSTC 46, en vertu des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle). Le juge Bell a dit que l'expression « dans le cadre de ses activités commerciales » n'est pas définie et qu'elle n'a pas été examinée par les tribunaux, mais qu' « elle ne diffère pas grandement de l'expression "dans le cours normal des affaires" » (à la page 46-6). À la page 46-6, il interprète ensuite l'expression en citant les observations que le juge Rich, de la Haute Cour d'Australie, avait formulées dans l'affaire Downs Distributing Co. Pty. Ltd. v. Associated Blue Star Stores Pty. Ltd. (1948), 76 CLR 463, à savoir que pour être considérée comme s'inscrivant dans le cours normal des affaires, une opération suppose :

[TRADUCTION]

[...] que d'après le flux général habituel des opérations commerciales, il y a un cours, un cours normal. Il faut donc que l'opération s'intègre au flux général habituel des affaires, qu'elle fasse partie de l'entreprise telle qu'elle est habituellement exploitée, qu'elle n'appelle aucune remarque et qu'elle ne découle d'aucune situation spéciale.

[18] L'appelante soutient que, compte tenu de l'interprétation de l'expression « dans le cadre de ses activités commerciales » donnée par le juge Bell, la vente des actifs par les vendeurs ne peut pas être considérée comme ayant été conclue dans le cadre d'une entreprise ou d'un projet à risques de caractère commercial des vendeurs. Ces ventes ne faisaient pas partie de l'entreprise habituelle exploitée par les vendeurs. Partant, les fournitures ne peuvent pas être des fournitures taxables qui sont assujetties à la TPS.

[19] La thèse selon laquelle la vente des éléments d'actif de l'entreprise est en soi une entreprise veut dire que les vendeurs doivent avoir exploité deux entreprises, la première consistant à effectuer des fournitures exonérées d'effets financiers et la seconde, une entreprise, ou encore un projet à risques ou une affaire de caractère commercial comportant la fourniture des éléments d'actif de cette entreprise.

[20] L'intimée soutient qu'aucune disposition expresse n'exonère la vente de ces éléments d'actif, de sorte que ces derniers doivent être assujettis à la taxe. L'appelante maintient qu'en fait aucune disposition de la Loi n'entraîne directement l'application de la TPS à la vente d'éléments d'actif. Il n'existe aucune disposition de taxation applicable en pareil cas.

[21] L'intimée soutient que l'article 167 serait inutile si la position de l'appelante était exacte, mais elle omet ainsi de tenir compte du paragraphe 141(5), qui prévoit que les actes accomplis relativement à l'aliénation ou à la cessation d’une activité commerciale sont réputés faire partie de l’activité commerciale. C'est à cause de l'existence du paragraphe 141(5) que le paragraphe 167(1) est nécessaire. Si ce n'était du paragraphe 141(5) la vente d'une entreprise ne serait pas assujettie à la taxe et l'article 167 serait inutile.

[22] Cela mène à la position de l'intimée selon laquelle le paragraphe 141(5) s'applique uniquement à l'égard de l'imputation des crédits de taxe sur les intrants. Cette position ne peut pas être exacte parce que le paragraphe 141(5) commence ainsi : « Pour l'application de la présente partie [...] » , c'est-à-dire de la partie IX de la Loi, qui comprend l'ensemble des dispositions applicables à la taxe sur les produits et services. En outre, le paragraphe 141(5) a été remplacé par l'article 141.1, qui ne s'applique clairement pas aux crédits de taxe sur les intrants.

Analyse de la finalité

[23] Selon le second volet de l'argument de l'appelante, l'objet et l'esprit de la Loi veulent que la fourniture par une institution financière de l'achalandage, ou d'une entreprise comprenant un élément d'achalandage, ne soit pas assujettie à la TPS.

[24] Cette thèse est étayée par l'alinéa 141.1(1)b) et par l'article 167.1 de la Loi, qui ont tous les deux été incorporés dans la Loi après la réalisation des fournitures en question. Toutefois, l'appelante soutient que ces modifications n'ont pas eu pour effet de modifier les règles de droit applicables, mais qu'elles les ont simplement clarifiées.

[25] Dans le communiqué 92-064 du ministère des Finances du 14 septembre 1992, la remarque suivante est faite à l'égard de l'article 141.1, à la page 9 :

Des modifications seront proposées afin de clarifier le traitement aux fins de la TPS de certaines aliénations de biens meubles -- typiquement celles qui comprennent des transactions extraordinaires qui ne surviennent pas nécessairement dans le cours normal d'une entreprise ou d'un projet à risques ou d'une affaire de caractère commercial.

[26] L'intimée s'est fondée sur l'expression « élargit la portée » qui figure dans la partie ci-après énoncée des notes techniques :

Le nouveau paragraphe 141.1(1) fournit des précisions à ce sujet et élargit la portée de la règle qui s'applique à l'heure actuelle.

[27] L'appelante soutient que le passage se rapportant à l'opération en question ne visait qu'à donner des précisions et que l'élargissement mentionné se rapportait à l'application de la règle au bien qu'une personne fabriquait ou produisait. Le passage pertinent en l'espèce est l'alinéa 141.1(1)b), qui apporte simplement des précisions. L'appelante soutient que les mots « garantit effectivement » tels qu'ils sont employés en ce qui concerne la modification pertinente ne veulent pas dire que les règles de droit ont été modifiées.

[28] Les observations qui précèdent sont également compatibles avec le paragraphe 45(2) de la Loi d'interprétation, qui prévoit de façon générale que la modification d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l'a édicté, les considérait comme telles.

[29] Dans l'affaire French Shoes Ltd. v. The Queen [1986] 2 CTC 132, le contribuable a soutenu que la modification apportée à la Loi de l'impôt sur le revenu de façon à inclure l'alinéa 12(1)x), qui inclut expressément dans le revenu tout paiement incitatif en faveur d'un contribuable, signifiait que pareil montant n'était pas assujetti au revenu avant la date d'entrée en vigueur de la modification. Le juge Teitelbaum, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a statué que la modification ne voulait pas dire que les règles de droit avaient été modifiées, et qu'elle donnait simplement des précisions. Cela est essentiellement la thèse de l'appelante à l'égard des modifications qui ont été apportées à la Loi de façon à inclure les articles 141.1 et 167.1.

[30] L'intimée a également cité la décision HSC Research7 à l'appui de la thèse selon laquelle on ne devrait pas se fonder sur des modifications en vue d'inférer que les règles de droit n'ont pas été modifiées. Dans cette décision, il est dit qu'il faut tenir compte des éléments de preuve externes afin d'inférer qu'une modification a pour effet de modifier les règles de droit plutôt que de simplement les préciser. L'appelante a fourni des éléments de preuve externes montrant que les modifications en question ne faisaient que préciser la loi. L'appelante soutient que cette cour devrait tenir compte de l'objet et de l'esprit de la Loi à l'égard de la vente d'une entreprise par une institution financière (Cour suprême du Canada, voir : Corporation Notre-Dame de Bon-Secours v.Communauté urbaine de Québec [1995] 1 CTC 241).

[31] En ce qui concerne la fourniture de l'achalandage, la loi était au départ fort confuse et l'appelante soutient qu'il convient d'adopter l'approche fondée sur l'objet visé afin de régler l'incertitude. Une présomption résiduelle s'applique encore en faveur du contribuable et, lorsqu'il existe encore une certaine incertitude, comme en l'espèce, l'appelant devrait bénéficier de cette incertitude.

Arguments de l'intimée

L'activité de l'appelante est une entreprise, ou encore un projet à risques ou une affaire de caractère commercial

[32] La TPS est une taxe fondée sur une opération; il est soutenu qu'il n'est pas exact de qualifier l'opération en fonction de la question de savoir qui est le fournisseur ou ce qu'il fait généralement. La question de savoir si une opération entraîne l'application de la taxe dépend de l'opération elle-même.

[33] Les dispositions pertinentes de la Loi définissent en premier lieu l'activité commerciale comme étant « l'exploitation d'une entreprise » ou « les projets à risque et les affaires de caractère commercial » . Les fournitures exonérées sont expressément exclues de la définition et une fourniture exonérée comprend les effets financiers. Or, les polices d'assurance sont des effets financiers. Les fournitures exonérées sont des fournitures précises figurant à l'annexe V.

[34] Le mot « entreprise » tel qu'il est défini dans la Loi et employé dans la définition d’ « activité commerciale » est particulièrement important. Le mot « entreprise » a une portée fort générale et les activités qui ont été exercées par le vendeur en l’espèce, soit la vente d'éléments d'actif, sont visées par les mots « toutes affaires quelconques » figurant dans la définition d’ « entreprise » .

[35] L'activité commerciale comprend également un projet à risques ou une affaire de caractère commercial et, si l'activité de l'appelant n'est pas une entreprise, il s'agit d'un projet à risques ou d'une affaire de caractère commercial. L'arrêt Frankel n'est pas pertinent parce qu'il y était question de revenu et que le mot « revenu » a un sens plus restreint que le mot « fourniture » .

[36] L'appelante s'est également fondée sur la décision Hleck, dans laquelle il s'agissait de savoir si la femme d'un associé, dans un cabinet d'avocats, pouvait demander des crédits de taxe sur les intrants. Les circonstances de cette affaire sont différentes et l'affaire portait sur le sens de l'expression « activité commerciale » relativement à l'admissibilité aux crédits de taxe sur les intrants. Cette décision avait pour effet d'élargir la portée de ce qui serait inclus dans l'activité commerciale plutôt que de la restreindre.

[37] Le ministre soutient qu'aucune disposition précise n'exempte l'appelante de la taxe pendant la période visée par cette opération particulière. Une fourniture effectuée par une entreprise ou par une personne dans le cadre d'un projet à risques ou d'une affaire de caractère commercial est nécessairement taxable à moins que la Loi ne renferme une disposition d'allégement.

L'esprit et le but de la Loi étaient d'inclure les activités telles que celle qui est ici en cause (position de l'intimée)

[38] En vertu de l'alinéa 1671(1)a) de la Loi, lorsqu'une personne fournit tout ou partie d'une entreprise, le fournisseur est réputé avoir fourni séparément chacun des biens fournis aux termes de la convention. En vertu de la Loi, la fourniture d'une entreprise est réputée taxable et il ne serait pas nécessaire d'inclure une disposition précise portant sur la fourniture d'une entreprise si l'intention était de ne pas la taxer. L'alinéa b) porte sur le choix que le fournisseur et l'acquéreur peuvent faire à l'égard de pareille opération pour que celle-ci soit réputée avoir été conclue sans contrepartie; or, une disposition de ce genre est uniquement nécessaire si le législateur veut normalement taxer ces fournitures.

[39] Le paragraphe 200(3) est une autre disposition qui permet de réfuter l'argument de l'appelante selon lequel la fourniture en question n'était pas destinée à entraîner l'application de la taxe. Cette disposition prévoit que les biens meubles qui sont des immobilisations utilisées autrement que dans le cadre d'activités commerciales ne donnent pas lieu à la taxe. Cette disposition ne s'applique pas aux institutions financières selon l'alinéa 200(1)a), mais cela montre qu’on envisageait l’assujettissement des fournitures d'immobilisations à la taxe.

[40] En l'espèce, l'appelante est une institution financière s'occupant normalement d'effectuer des fournitures exonérées, mais les actifs de l'entreprise ont été vendus et cela n'est pas une fourniture exonérée parce que pareille fourniture n'est pas incluse dans l'annexe V. L'intimée soutient que la Loi dans son ensemble montre que le législateur voulait taxer pareilles fournitures.

[41] Le paragraphe 141(3) ne s'applique pas dans ce cas-ci. De plus, le paragraphe 141(5) prévoit la façon d'imputer le crédit de taxe sur les intrants et, partant, il ne s'applique pas à cette disposition particulière. Cette interprétation est étayée par les « notes techniques » du mois de mai 1990 qui portent sur l'article 141. L'intimée soutient que le paragraphe 141(5) traite de l'admissibilité aux crédits de taxe sur les intrants lorsqu'il n'est pas clair qu'une activité commerciale est en cause parce qu'il n'y a peut-être pas de fournitures.

[42] L'intimée soutient en outre que même si le paragraphe 141(5) s'applique, il étaye sa position parce qu'en vertu de cette disposition, les actes accomplis dans le cadre d'une activité commerciale, comme le démarrage et la liquidation, sont réputés faire partie de l'activité commerciale, mais qu'il ne parle pas des fournitures exonérées qui sont exclues de la définition de l' « activité commerciale » . Les mots qui ont été choisis sont précis et ne sont aucunement ambigus; il est soutenu que le sens clair de la Loi doit l'emporter. « L'objet et le but » peuvent uniquement avoir un rôle restreint dans l'interprétation d'une loi précise telle que la Loi sur la taxe d'accise. Les dispositions précises qui exemptent l'appelante de la taxe ont un sens clair et, cela étant, il n'est pas nécessaire de faire une autre inférence. Cette approche est étayée par l'arrêt The Queen v. Province of Alberta Treasury Branches, 133 DLR (4th) 609 (C.S.C.).

[43] L'effet juridique de l'opération n'est peut-être pas clair, mais le libellé du paragraphe 141(5) l'est et la Cour n'a pas à s’éloigner du sens clair de celui-ci.

[44] L'application en cascade de la taxe est loin d'être souhaitable; on tente de minimiser cet effet dans la Loi, mais il existe tout de même. Dans ce cas-ci, rien ne montre qu'il y ait application en cascade de la taxe, parce qu'il est peu probable que la TPS ait été incluse dans le prix de vente des listes de clients et du mobilier et que l'article 141.1 a été ajouté à la Loi, de sorte qu’il est improbable que la nouvelle fourniture de marchandises, dans ce cas-ci, entraîne l'application de la taxe dans la mesure où elle a été effectuée après le mois de septembre 1992.

[45] L'appelante a soutenu que l'article 141.1, qui s'applique aux fournitures effectuées après le 30 septembre 1992, devrait servir d'outil d'interprétation de la loi telle qu'elle s'appliquait au moment où l'opération a été conclue et, en particulier, comme outil d'interprétation du paragraphe 141(5). Les paragraphes 45(2) et 45(3) de la Loi d'interprétation sont pertinents. Ces dispositions énoncent qu'une modification n’implique pas une déclaration portant que les règles de droit ont été modifiées et n'implique pas une déclaration sur l'état antérieur du droit.

[46] En l'absence de preuve au sujet du contexte dans lequel la modification législative a été adoptée et en l'absence d'indice d’une intention du législateur d’en faire une disposition déclaratoire, on ne saurait se fonder sur une modification législative pour conclure que le législateur voulait préciser une disposition actuelle plutôt que de modifier le droit8. Lorsqu'il existe une preuve externe en ce sens, une modification peut être considérée comme indiquant que les règles de droit ont été modifiées dans la loi : HSC Research (précité). La preuve interne montrant que la modification visait à modifier les règles de droit est la date d'entrée en vigueur de la modification. Le législateur aurait pu la rendre rétroactive comme il l'a fait dans le cas de nombreuses autres modifications.

[47] La preuve externe se trouve dans les Notes techniques du ministère des Finances, qui disent que le paragraphe 141.1(1) fournit des précisions et élargit la portée de l'alinéa 141(5)b). De plus, cette note dit ceci :

Le nouvel alinéa 141.1(1)b) est le corollaire du nouvel alinéa 141.1(1)a). Il prévoit que la fourniture d'un bien meuble ne sera pas considérée comme ayant été effectuée dans le cadre d'une activité commerciale si le bien a été consommé, utilisé, fabriqué ou produit exclusivement dans le cadre d'activités non commerciales et s'il a été acquis, importé, fabriqué ou produit pour consommation ou utilisation exclusive dans le cadre de ces activités.

De toute évidence, l'ajout de cette règle corollaire ne touchera que les personnes qui se livrent, en partie du moins, à des activités non commerciales. [c'est l'intimée qui a souligné.]

[48] Les éléments de preuve internes et externes concernant l'intention du législateur indiquent que les règles de droit ont été modifiées et qu'il ne s'agit pas simplement d'une précision.

[49] À l'appui de sa position, l'appelante a mentionné l'article 167.1 de la Loi, qui s'applique expressément à l'achalandage. Il est quelque peu difficile d'essayer de déterminer la façon dont l' « achalandage » était traité au cours des trois premières années d'existence de la TPS. Initialement (et au moment qui nous intéresse), il n'était aucunement fait mention de l'achalandage, puis une modification a été adoptée afin d'exclure la taxe dans le cas de l'achalandage, mais les institutions financières étaient expressément exclues de l'application de l’article en question. Une modification subséquente incluait les institutions financières, mais il n'est pas exact d'inférer qu'au moment pertinent, l'achalandage fourni par une institution financière était destiné à être exclu de l'application de la taxe lorsque cette modification excluait expressément les institutions financières.

[50] Je tenterai maintenant d'analyser les arguments qui ont été soumis. Il n'est pas contesté que le séquestre est le mandataire des vendeurs et l'analyse de l'opération est par conséquent fondée sur ce que les vendeurs ont effectué une fourniture en faveur de l'appelante9. Cette interprétation est étayée par l'énoncé de politique de Revenu Canada10.

L'expression « dans le cadre d'une activité commerciale »

[51] Comme l'a mentionné l'appelante, pour que cette opération donne lieu à la TPS, l'appelante doit être l'acquéreur d'une fourniture taxable. Pour que cette fourniture soit une fourniture taxable, elle doit être effectuée « dans le cadre d'une activité commerciale » . Une activité commerciale s'entend (entre autres choses) d'une entreprise, d'un projet à risques ou d'une affaire de caractère commercial. Dans la décision Hleck, le juge Bell a interprété l'expression « dans le cadre de ses activités commerciales » tel qu'elle est définie au paragraphe 123(1) de la Loi et il l'a comparée à l'expression similaire « dans le cours normal des affaires » . L'affaire Hleck portait sur la disponibilité des crédits de taxe sur les intrants se rapportant aux frais qu'un cabinet d'avocats avait engagés en vue de permettre à la femme d'un associé d'assister à un colloque avec son mari. Voici ce que le juge Bell, de cette cour, a dit, à la page 46-6 :

Il s'agit maintenant de savoir si la participation de la conjointe d'un particulier à un colloque s'intègre au flux général habituel des affaires.

[52] Cette décision ne nous lie pas, mais elle est convaincante et elle est conforme à la distinction que le juge Martland, de la Cour suprême du Canada, a faite dans l'arrêt Frankel entre les expressions « dans le cadre de l'entreprise » et « dans le cadre de la vente d’une entreprise » .

[53] L'affaire Hleck portait sur les définitions législatives qui sont ici en cause. De toute évidence, la fourniture en question en l'espèce ne s'intégrait pas « au flux général habituel des affaires » et elle était une fourniture « de l'entreprise » plutôt qu'une fourniture effectuée « dans le cadre de l'entreprise » . L'appel devrait donc être accueilli parce que la fourniture de l'entreprise en l'espèce n'est pas une fourniture taxable, de sorte que contrairement à ce que l'intimée a soutenu, aucune disposition d'allégement n'est nécessaire.

[54] Je ne retiens pas l'argument de l'intimée selon lequel les vendeurs exploitaient une seule entreprise dans le cadre de laquelle ils exerçaient une activité qui était une fourniture exonérée et une autre, dans le cadre de laquelle ils exerçaient une activité commerciale distincte qui comportait la vente des actifs utilisés dans l'exercice de la première activité, mais qui n'était pas exonérée. L'argument de l'intimée aurait un résultat surprenant : lorsqu'une personne a vendu un actif qu'elle détient à titre d’investissement pour tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, la vente de cet actif serait en soi une entreprise ou un projet à risques de caractère commercial. De fait, dans ses arguments, l'avocate de l'intimée a tenté de faire une analogie avec les biens meubles qui sont des immobilisations, ce qui entraîne peut-être exactement ce résultat. Si une entreprise ou un projet à risques ou une affaire de caractère commercial pouvaient être considérés de cette façon, il n'y aurait pas lieu d'imposer les gains en capital parce que pareils gains seraient imposables au titre du revenu.

[55] Le paragraphe 141(5) permet d'obtenir un résultat semblable à celui que l'intimée a invoqué, parce que les mesures prises au moment du démarrage et de la liquidation d'une activité commerciale sont réputées faire partie de l'activité commerciale et sont donc assujetties à la TPS, mais ce paragraphe ne dit pas que ces mesures sont réputées être soit des entreprises, soit des projets à risques ou des affaires de caractère commercial, distincts de l'activité commerciale sous-jacente.

[56] Le ministère des Finances a dit que l'élimination de l'application en cascade de la taxe est l'un de deux avantages économiques importants de la taxe sur la valeur ajoutée. Même s'il existe certains exemples d'application en cascade de la taxe, cela ne veut pas pour autant dire qu'il n'est pas important de chercher à éliminer pareils effets. L'interprétation de la Loi donnée par l'intimée pourrait donner lieu à l'application en cascade de la taxe; or, une interprétation qui évite ce résultat est préférable. Le fait qu'aucune application en cascade de la taxe ne s'est réellement produite en l'espèce n'aide pas à interpréter la loi.

[57] La Loi sur la taxe d'accise a été modifiée de façon que l'opération ici en cause ne serait certainement pas taxable si elle était conclue maintenant. En vertu de l'alinéa 141.1(1)b), la fourniture d'un bien meuble est réputée effectuée en dehors du cadre des activités commerciales du fournisseur si le bien a été acquis ou produit en dehors du cadre de ses activités commerciales. De plus, l'article 167.1 énonce que l'achalandage n'est pas inclus dans le calcul de la taxe payable lorsqu'une entreprise est vendue. L'ensemble de la valeur de la fourniture en cause, les listes de clients, est considéré comme un achalandage.

[58] Comme l'intimée l'a dit, la Loi était confuse au cours des trois premières années, en ce qui concerne le traitement de l'achalandage; au cours d'une seule période de douze mois, il y a eu trois versions différentes de l'article 167.1. S'il est possible de tirer une conclusion de cette situation, il semble raisonnable de conclure que le législateur « tentait d'obtenir le résultat voulu » ; cela étayerait l'argument de l'appelante selon lequel le législateur tentait de préciser la loi existante11.

[59] Le but recherché, soit éviter l'application en cascade de la taxe, ainsi que les modifications qui ont subséquemment été apportées à la Loi étayent cette conclusion.

[60] L'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de février 1998.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 22e jour d’avril 1998.

Benoît Charron, réviseur



1 Principalement composés de listes de clients.

2 Paragraphe 165(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

3 Paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

4 Sous-alinéa 149(1)a)(iii) de la Loi sur la taxe d'accise.

5 Paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

6 Document du ministère des Finances intitulé : Vers le remplacement de la taxe sur les biens et services, publié le 23 avril 1996.

7 HSC Research Development Corporation v. The Queen, 95 DTC 225 (C.C.I.).

8 DRG Inc. v. Datafile Ltd. et. al. 117 N.R. 308 (C.A.F.).

9 Paragraphe 266(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

10 IT p. 145, 16 mai 1994.

11 Communiqué 92-020, 20 mars 1992, page 4.

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