Date: 19990920
Dossier: 98-1155-GST-I
ENTRE :
WARDEN JEFFREY,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
Le juge Beaubier, C.C.I.
[1] Le présent appel qui est régi par la procédure informelle a été entendu à Toronto (Ontario), le 9 septembre 1999, sur preuve commune avec l’appel du père de l’appelant, Ron. Tous deux ont témoigné. L’intimée a assigné comme témoin Frank Ruggles. Une cotisation a été établie à l'égard de l'appelant en sa qualité d'administrateur de Franklyn Sprinkler & Fire Service Ltd. (“ Franklyn ”)
parce qu'il avait omis de verser de la TPS pour la période allant du 15 mai 1989 au 15 février 1995.
[2] Ron a rencontré Frank Ruggles (“ Frank ”) en mai 1989. Par suite d’une entente entre eux, Ron a constitué la 838836 Ontario Inc. (“ 838836 ”) en mai 1989 et, comme Frank ne pouvait être présent, il a demandé à son fils adulte, Warden (“ Ward ”), de signer comme coadministrateur. Ron a signé et a déposé un Avis de changement des administrateurs (pièce R-2) qui désignait Frank comme troisième administrateur. Ils ont tous les deux signé un document daté du 17 mai 1989 aux termes duquel ils consentaient à agir en qualité d’administrateurs (pièce R-1). Le nom de la société 838836 a été remplacé par celui de Franklyn.
[3] Le 28 juin 1989, Ron et Frank ont signé une entente (pièce A-1) aux termes de laquelle Frank était nommé au poste de directeur général; en échange, il touchait un traitement, participait aux profits et recevait cinq actions de Franklyn. Ron a obtenu 75 actions et s’est engagé à prêter environ 50 000 $ à Franklyn, ce qu’il a fait. Ron était secrétaire et Ward, président. Après ses premières signatures, Ward n’a plus jamais joué de rôle dans les affaires de Franklyn et n’a plus rien eu à voir avec cette société. Frank et Ron sont devenus signataires de Franklyn, l’un ou l’autre signant les documents à la Banque Royale du Canada. L’avoir en actions de Frank devait augmenter de cinq actions par année jusqu’à concurrence de 25 actions. Ron et Frank s’attendaient tous les deux à ce que Frank devienne avec le temps l’actionnaire majoritaire de Franklyn.
[4] Ron a enregistré Franklyn aux fins de l’indemnisation des accidentés du travail et a signé les formulaires bancaires requis pour Franklyn à la Banque Royale du Canada à Grimsby, où Frank vivait. Ron a transféré le prêt qu’il avait consenti à Franklyn au compte bancaire à Grimsby. Il a également fait affaires avec l’avocat de Franklyn à Toronto jusqu’à ce que Franklyn retienne les services d’un nouveau cabinet d’avocats situé à l’extérieur de Toronto.
[5] Il n’y a aucune preuve que d’autres registres sociaux aient été signés à un moment ou à un autre.
[6] Frank dirigeait les activités quotidiennes de Franklyn. Sa femme Pat était la comptable non rémunérée. Les bureaux de Franklyn étaient situés à leur résidence. Ils s’occupaient des écritures de Franklyn. Lorsque des montants ont été reçus au titre de la TPS, ils ont rempli les formulaires de déclaration de TPS, mais ils ne l’ont pas payée.
[7] Lorsque la société a été établie, Ron travaillait à Toronto. Il ne participait pas à la gestion de Franklyn. Il lui arrivait de voir les états financiers annuels de Franklyn et de rencontrer Frank, tant à des fins commerciales que sociales. Ron et Frank avaient aussi une rencontre sommaire avec la banque une fois par an, mais, avant 1995, il n’y a pas eu de discussion sur la TPS avec la banque. Ron n’a toutefois jamais su que la TPS n’était pas payée. Il savait qu’il fallait la payer, mais les états financiers étaient assez ordinaires et ne montraient que les créditeurs. La TPS n’y figurait pas et Ron ne posait pas de question à Frank à ce sujet.
[8] Frank Ruggles a été assigné comme témoin par l’intimée. Il a témoigné que, à son avis, Ward n’avait aucun droit de vote. Il était simplement inscrit comme président de Franklyn.
[9] Tous les témoins ont affirmé que Warden avait seulement signé les documents de constitution en personne morale, à la demande de son père, et que par la suite il n’avait pris aucune part aux affaires de Franklyn. Ron et Warden ont tous deux témoigné qu'ils croyaient comprendre que deux signatures étaient nécessaires pour créer une société. Frank Ruggles n’était pas en mesure de signer, et Warden a donc signé “ pour rendre service ”. Warden a témoigné que, d’après ce qu’il croyait, il serait remplacé par Frank Ruggles et qu’il ne s’attendait nullement à exercer un rôle dans Franklyn.
[10] Warden a une scolarité du niveau de la 10e année et a passé sa vie à travailler comme ouvrier d’usine. Il n’a jamais entendu parler de la Ontario Corporations Act de l'Ontario, ne connaissait pas les devoirs d’un administrateur de société, n’a jamais appris ce en quoi consistait la fonction d’administrateur, a simplement signé les documents chez l’avocat et n’a rien fait d’autre en ce qui concerne Franklyn. Il n’a jamais été un employé ou un actionnaire, et il n’a pris part à aucune décision concernant la société. Il n’a jamais été dans les bureaux de la société et il ne savait pas où ils se trouvaient.
[11] Son père, Ronald Jeffrey, a signé un formulaire relatif à la société dans lequel Warden était désigné comme administrateur et président de Franklyn. Ronald espérait personnellement qu’un jour Warden le remplacerait au sein de Franklyn. Cependant, il n’en a fait part à Warden que quelques jours seulement avant le procès dans cette affaire.
[12] Warden a bien demandé à son père, à l’occasion, de lui donner un travail, et il croit qu’il a pu demander à son père un travail dans la société Franklyn, mais il n’est en pas certain. Il n’a tout simplement jamais pensé qu’il avait quelque chose à voir avec Franklyn et il n’avait aucune idée de la situation de Franklyn avant que Revenu Canada ne communique avec lui. Il convient de noter que Ronald vivait à Georgetown (Ontario) et qu’il travaillait en général à Toronto aux moments pertinents; Warden vivait à Acton (Ontario) et, au moment du procès, il vivait à Cambridge (Ontario); Frank Ruggles vivait à Grimsby (Ontario), et la société Franklyn avait son siège dans la même ville. On n’a aucune preuve d’une rencontre, fût-elle fortuite, entre Warden et Frank Ruggles, ni d’ailleurs entre Warden et Ronald.
[13] Warden doit convaincre la Cour que, en ce qui concerne Franklyn, il a, pour prévenir le défaut de la société de verser le montant en litige, exercé le niveau de soin, de diligence et de compétence qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances semblables. Il ressort clairement de la preuve que Frank Ruggles et Ron Jeffrey ont agi comme s’ils étaient les seuls administrateurs de Franklyn. Chacun des accords produits comme preuve et concernant Franklyn n’était signé que par eux et son signataire était l’un ou l’autre des deux.
[14] D’après la preuve, la situation de Warden est semblable à celle de John Schultheiss père, dans l’affaire John Schultheiss, Sr. et al. v. The Queen, 97 DTC 863. Warden n’était un administrateur et un dirigeant que de nom. C’est un ouvrier d’usine dont la scolarité est du niveau de la 10e année et qui n’avait aucune idée de ce qui se passait dans la société Franklyn. Il ne savait rien des affaires de Franklyn, ne s’en est jamais informé et n’a jamais été instruit par Ronald ou par Frank de ce qui s’y passait. Et ni lui-même, ni Ron, ni Frank ne pensaient que c’était de quelque façon son affaire. Il ne signait jamais rien et ne prenait jamais la moindre part dans les affaires de Franklyn. Il n’aurait pas pu non plus influencer le cours des événements. Il ne recevait pas les états financiers de Franklyn et il n’existe aucune preuve attestant qu’il recevait d’autres pièces ou documents de Franklyn.
[15] Warden n'était un administrateur que de nom, et, au mieux, un administrateur “ externe ” de Franklyn. Il a fallu une lettre de Revenu Canada en 1995 pour qu’il soit mis en possession de renseignements ou qu’il soit informé de faits permettant de conclure que les versements de Franklyn posaient ou pouvaient poser un problème. Ron, le père de Warden, a reçu une lettre semblable et il est intervenu dans les affaires de Franklyn.
[16] Pour ces motifs, l’appel de Warden est admis. Celui-ci a droit aux dépens entre parties dans le présent appel.
Signé à Toronto, Canada, ce 20e jour de septembre 1999.
“ D. W. Beaubier ”
J.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juin 2000.
Benoît Charron, réviseur