Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981014

Dossier: 97-532-UI

ENTRE :

KATHERINE RUDZIK,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Dans cet appel, il s'agit uniquement de savoir si, en 1995, l'appelante était engagée en vertu d'un contrat de louage de services conclu avec Robert McLaughlin Gallery (la “ galerie ”) ou si un contrat d'entreprise avait plutôt été conclu.

[2] Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. Minister of National Revenue, (1988), 88 N.R. 78, la Cour d'appel fédérale a fait les remarques suivantes :

[7] La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [(1986), 70 N.R. 214] 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères [le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte] établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] "examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties". Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

[8] À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] "l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations" et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

(C'est moi qui souligne.)

[9] À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

[3] En plus des quatre critères susmentionnés, il y a également le critère d'organisation ou d'intégration que la Cour d'appel fédérale a analysé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553. À la page 561, voici ce que la Cour a dit :

Le critère d'organisation a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Co-Operators Insurance Association v. Kearney, [1965] R.C.S. 106. En l'espèce, le juge Spence, qui s'exprimait au nom de la Cour, a cité, à la page 112, avec approbation le passage suivant tiré de Fleming, The Law of Torts (2e éd., 1961), aux pages 328 et 329:

[TRADUCTION] Sous la contrainte de situations nouvelles, les tribunaux se sont rendus de plus en plus compte qu'on étirait la règle traditionnelle [du critère du contrôle] et, dans les décisions les plus récentes, ils ont eu manifestement tendance à la remplacer par une règle qui ressemble à un critère d'“organisation”. Le soi-disant préposé faisait-il partie de l'organisation de son employeur? Est-ce que le lieu et le temps d'exécution du travail faisaient l'objet d'un contrôle de type organisationnel, ou était-ce plutôt la façon de l'exécuter?

Comme M. Bendel l'a souligné (précité, à la page 381), le critère d'organisation est maintenant [TRADUCTION] “bien accepté au Canada”. Dans l'extrait suivant, il en explique l'intérêt (précité, à la page 382):

[TRADUCTION] Le grand intérêt qui est porté au critère d'organisation en matière de relations de travail tient au fait que l'intégration du travail dans l'entreprise d'un tiers, point essentiel du critère, est un indicateur de dépendance économique très utile. Voici comment (dans une affaire entendue avant l'adoption des modifications législatives concernant les entrepreneurs dépendants en Ontario) la Commission des relations de travail de l'Ontario a expliqué le lien entre intégration et dépendance économique.

Au fond, exploiter une entreprise, c'est offrir à une clientèle divers biens et services au meilleur prix possible, compte tenu des contraintes que la concurrence fait subir à un marché donné. D'après la Commission, il est bien évident qu'une entreprise ne peut prospérer si sa croissance est totalement liée aux opérations d'un certain client. L'indépendance de l'entrepreneur est le facteur principal qui permet de le distinguer de l'employé... Dans les cas où le soutien financier du chauffeur est inextricablement lié aux activités de l'intimé, nous croyons qu'il ne peut être considéré comme un entrepreneur indépendant.

[4] La galerie a retenu les services de l'appelante en vertu de deux ententes essentiellement identiques, la première étant datée du 9 janvier 1995 et la seconde du 18 avril 1995. Ensemble, ces deux ententes s'appliquaient à la période allant du début du mois de janvier 1995 au 23 décembre 1995. Les ententes renferment des dispositions qui, d'une part, indiquent l'existence d'un contrat de louage de services et, d'autre part, l'existence d'un contrat d'entreprise. L'appelante y est désignée comme étant l'“ entrepreneur ”; elle touchait une rémunération fixe bimensuelle compte tenu de factures qu'elle devait soumettre à la galerie. L'existence d'un contrat de louage de services pourrait être inférée compte tenu de certaines dispositions désignant l'appelante à titre de coordinatrice de l'éducation, énonçant les conditions de travail et précisant le taux de rémunération, qui était fondé sur une semaine de 35 heures. Selon les ententes, les services devaient être fournis dans les locaux de la galerie “ ou aux autres endroits désignés par l'administrateur principal ”; de plus, l'appelante devait normalement travailler sept heures par jour, cinq jours par semaine, pendant les heures d'ouverture de la galerie.

[5] Toutefois, il ressort du témoignage de l'appelante que le contrôle et les heures étaient beaucoup plus souples que ce que les ententes semblent montrer. L'appelante travaillait parfois chez elle en utilisant son ordinateur, son imprimante, sa photocopieuse, ses fournitures artistiques, ses vêtements — ainsi que les documents dont elle disposait chez elle. Elle embauchait des tiers pour effectuer des tâches spéciales et prenait des dispositions pour que ceux-ci soient rémunérés par la galerie.

[6] La demande et les réponses au questionnaire que l'appelante a déposées au bureau de l'assurance-chômage, dans lesquelles il était question de l'“ emploi ” qu'elle exerçait auprès de la galerie allaient quelque peu à l'encontre du témoignage qu'elle a présenté. L'appelante a déclaré dans son témoignage qu'elle s'était rendu compte qu'elle n'avait pas droit à des prestations d'assurance-chômage à l'égard du travail effectué pour la galerie parce qu'aucune cotisation n'avait été versée. Elle a expliqué qu'elle avait fait mention de la galerie dans la demande et dans les réponses au questionnaire parce qu'elle avait mal interprété les renseignements qu'elle avait obtenus du bureau de l'assurance-chômage. En d'autres termes, elle croyait qu'elle devait uniquement mentionner l'emploi le plus récent même si elle demandait des prestations à l'égard d'emplois antérieurs pour lesquels des cotisations d'assurance-chômage avaient été versées.

[7] Dans l'ensemble, j'estime que l'appelante et les explications qu'elle a données sont crédibles en ce qui concerne les conséquences défavorables découlant de ce qui est énoncé dans la demande et dans les réponses au questionnaire.

[8] Un contrôle restreint était exercé. L'appelante fixait ses propres heures et, en général, elle agissait d'une façon indépendante. Quant à la propriété des instruments de travail, certains articles, comme l'ordinateur, l'imprimante, la photocopieuse et un bureau, étaient mis à sa disposition à la galerie. Toutefois, l'appelante possédait également ses propres instruments de travail chez elle comme il en a ci-dessus été fait mention.

[9] Le taux de rémunération de l'appelante était fixe, mais contrairement à ce qui se produit lorsqu'il existe une relation employeur-employé, l'appelante soumettait des factures.

[10] Le critère d'organisation ou d'intégration n'est pas concluant. Certaines tâches de l'appelante se rapportaient au travail général de la galerie, mais l'appelante était principalement chargée de mettre en oeuvre des programmes spéciaux qui, jusque là, ne faisaient pas partie des expositions régulières.

[11] Quant aux risques de perte et aux chances de bénéfice, il n'y en avait pas, en ce qui concerne le travail que l'appelante effectuait pour la galerie, mais on ne saurait omettre de tenir compte de la possibilité de gains futurs, si le travail que l'appelante effectuait pour la galerie lui permettait de se tailler une réputation et d'acquérir de l'expérience dans le milieu des musées.

[12] L'appelante était une personne fort instruite, qui avait en outre une vaste expérience professionnelle, non seulement auprès de la galerie, mais aussi auprès de certaines autres institutions comme le Musée des beaux-arts de l'Ontario, comme le montre d'une façon plus détaillée la pièce A-1.

[13] J'ai examiné les témoignages et les pièces et j'estime que l'appelante a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle était engagée en vertu d'un contrat d'entreprise plutôt qu'en vertu d'un contrat de louage de services. Par conséquent, l'appel est accueilli et le règlement du ministre est infirmé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'octobre 1998.

“ T. P. O'Connor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de mai 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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