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Date: 19990507

Dossier: 98-1132-GST-I

ENTRE :

ENTREPRENEUR PEINTRE J.L. INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une cotisation en date du 9 mai 1997 relativement à la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) pour la période du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1995.

[2] Monsieur Jean Labranche, âme dirigeante de la compagnie appelante a d'abord fait l'historique de sa vie professionnelle. Lors des années en litige, l'entreprise de monsieur Labranche avait pour vocation l'exécution de travaux de peinture. Au fil des ans, il y a eu certains changements du côté des actionnaires.

[3] Au début, madame Johanne Picard, conjointe de Jean Labranche, était actionnaire et participait à la gestion de l'entreprise. Lorsqu'elle s'est retirée, un ou deux autres actionnaires, selon les époques, ont pris la relève, madame Picard demeurant toujours préoccupée par la bonne marche de l'entreprise.

[4] Monsieur Labranche, affecté par la diabète, a expliqué comment il en était venu à oeuvrer dans le domaine de la peinture. Il a insisté sur le fait que l'entreprise avait toujours exécuté des contrats commerciaux et industriels, le résidentiel n'étant pas recherché comme étant un volet profitable. Il a d'ailleurs insisté sur cet aspect en donnant des exemples concrets pour démontrer l'absence totale d'intérêt pour les contrats résidentiels.

[5] L'exécution des travaux de peinture, exclusivement commerciaux, a été très bien démontrée jusqu'à ce que madame Picard indique d'une façon tout aussi claire que l'entreprise effectuait des travaux de peinture plutôt dans les résidences privées jusqu'à ce qu'elle obtienne une licence d'entrepreneur délivrée par la Régie du bâtiment du Québec, après quoi le résidentiel avait diminué au profit du commercial. Elle n'a jamais affirmé que la clientèle de l'entreprise était exclusivement commerciale.

[6] L'intérêt vis-à-vis des contrats commerciaux, par opposition aux contrats résidentiels, a une importance en ce que monsieur Labranche a soutenu que les contrats commerciaux étaient réalisés à la suite d'appels d'offre et qu'il était rémunéré par chèque laissant ainsi, selon lui, pas de place pour le travail au noir.

[7] La question du travail au noir constitue le fondement des cotisations en ce que cette source de revenus occultes serait, selon l'intimée, la seule explication raisonnable des écarts constatés au cours des années en litige.

[8] À plusieurs reprises, monsieur Labranche a insisté pour affirmer sans équivoque qu'il n'avait jamais effectué de travail au noir.

[9] L'intimée a soutenu le bien-fondé des cotisations pour les années en litige au moyen des faits allégués à la Réponse à l'avis d'appel et ce, plus spécialement, par le biais des paragraphes suivants :

4- Durant cette période, monsieur Jean Labranche était l'âme dirigeante et est devenu seul et unique actionnaire de l'appelante en 1995;

5- Suite à l'analyse des dépôts bancaires et des paiements de carte de crédit Master Card, le vérificateur a établi des écarts non expliqués justifiant des revenus d'entreprise non déclarés de l'ordre de 8 622,00 $, 17 184,00 $ et 22 106,00 $ pour les années 1993, 1994 et 1995 respectivement;

6- Par ailleurs, l'appelante ne peut prétendre qu'il s'agit d'échange de chèques d'employés, sa dépense totale de salaires moins le salaire versé à monsieur Jean Labranche indiquée à ses états financiers étant, pour chacune de ces années, les montants suivants :

1993

1994

1995

Salaire total versé

17 936 $

15 554 $

18 368 $

Moins salaire de Jean Labranche

9 800 $

12 376 $

13 104 $

Écart

8 136 $

3 178 $

5 264 $

7- Le vérificateur a donc procédé au calcul de la taxe (TPS) au taux de 7% sur lesdits revenus additionnels non déclarés provenant de l'entreprise de peinture de l'appelante, soit pour un montant total de 3 353,84 $ plus les intérêts et les pénalités applicables;

[10] L'intimée conclut que des revenus de 47 912 $ émanant de l'exploitation de l'entreprise n'avaient pas été déclarés; conséquemment, elle a cotisé l'appelante sur l'écart en question pour les années 1993, 1994 et 1995.

[11] Le fardeau de la preuve incombait à monsieur Labranche. Il devait, par une prépondérance de la preuve, établir le bien-fondé de ses prétentions à savoir qu'il n'avait jamais exécuté de travaux assujettis à la taxe sur les produits et services; il devait également démontrer que le montant des taxes applicables avait été perçu et remis. De ces deux réalités, il devait justifier les écarts constatés par l'intimée au moyen d'explications plausibles, vraisemblables et raisonnables.

[12] Comment faire cette preuve. La meilleure façon aurait été par le biais d'une preuve documentaire étoffée démontrant la cohérence et l'exactitude des données financières. La qualité exceptionnelle d'un témoignage ou des témoignages aurait peut-être pu minimiser certains oublis et compenser pour certaines failles ou faiblesses dues au temps écoulé ou à l'inexpérience des personnes assujetties aux obligations décrites par la Loi.

[13] À cet égard, il m'apparaît important de rappeler et d'insister sur l'obligation qu'avait monsieur Labranche d'avoir en sa possession une telle documentation pour rendre compte de sa gestion des fonds de l'État. À titre de mandataire, monsieur Labranche devait percevoir la taxe et la verser à l'intimée selon des modalités expressément édictées par la Loi. En d'autres termes, il devait rendre compte de sa gestion en démontrant que toutes les taxes avaient été perçues et remises selon les dispositions de la Loi.

[14] Ne pouvant produire une telle preuve pour des raisons qui feront l'objet d'une analyse ultérieure, monsieur Labranche a choisi de s'en remettre à une preuve indirecte et circonstancielle en soutenant que la totalité de son emploi du temps était consacré à l'exécution de travaux commerciaux non propices au paiement en argent noir. Il s'agissait là d'une preuve indirecte dont la qualité devait être très persuasive; d'autre part, une telle preuve devait s'appuyer sur des fondements objectifs.

[15] Conséquemment, il devenait absolument essentiel que cette preuve soit inattaquable pour avoir un minimum d'intérêt et de crédibilité. Or, madame Johanne Picard, parfaitement au fait des activités de la compagnie, a témoigné que l'entreprise dirigée par monsieur Labranche n'avait fait un virage significatif vers le commercial qu'après l'obtention de la licence d'entrepreneur.

[16] Il n'est aucunement ressorti de son témoignage que l'entreprise exécutait des travaux exclusivement commerciaux, contrairement à ce que monsieur Labranche avait indiqué lors de son témoignage livré en l'absence de sa conjointe. Cette dernière a ainsi désavoué le témoignage de son conjoint sur cet aspect du dossier qu'il a lui-même présenté comme stratégique; en effet, il a voulu et choisi de faire reposer ses prétentions sur le fait qu'il n'était pas intéressé à exécuter des travaux générant des possibilités d'être payé au noir. Selon l'appelant, seul le travail pour le résidentiel permettait d'être payé au noir.

[17] QU'EN EST-IL DES AUTRES COMPOSANTES DE LA PREUVE DE L'APPELANTE?

[18] Monsieur Labranche a soutenu que la compagnie avait fait l'objet d'une vérification en 1995. Selon ses dires, le vérificateur dont il ne se souvenait pas du nom lui aurait dit qu'il avait été négligent et brouillon dans ses papiers, il dit avoir compris des commentaires de ce vérificateur qu'il n'y avait plus rien d'utile dans sa comptabilité. Il a donc décidé de changer de comptable et remiser tous ses papiers mêlés au sous-sol de sa maison. Par la suite, un jeune chien aurait tout bouffé les papiers; il a ensuite décidé de se défaire de ce qui restait.

[19] Sa conjointe a décrit les mêmes événements différemment. Selon elle, le jeune chien avait endommagé une partie des papiers mais elle n'a jamais indiqué qu'il avait rendu lesdits papiers inutilisables. Elle a plutôt justifié la disposition des documents par les états d'âme de son conjoint. Selon elle, il était devenu inquiet, traumatisé et amer des suites de la vérification; dans sa phase la plus sombre, il avait décidé de tout jeter.

[20] Le Tribunal ne retient pas l'explication du petit chien; bien plus, je crois qu'il s'agit là d'une pure invention résultant d'une imagination fertile découlant probablement d'un banal incident où leur jeune chien a sans doute fait ses dents sur l'attaché de monsieur Labranche et quelques autres objets.

[21] De toute façon, cela n'excuse en rien l'obligation qu'avait l'appelante d'avoir en sa possession une comptabilité et les pièces justificatives permettant d'en faire en tout temps la vérification. Il peut arriver qu'un contribuable, pour des raisons multiples, ne soit pas en mesure de fournir une telle preuve documentaire. Il peut également arriver que la méthode de faire, le système comptable ou la documentation soit déficiente, inadéquate ou incomplète. Dans tous ces cas, le contribuable, en sa qualité de mandataire, doit seul assumer les conséquences de sa négligence et incurie bien qu'il puisse y avoir des circonstances atténuantes dans certaines situations indépendantes de la volonté de celui qui assume la responsabilité.

[22] Chaque dossier constitue un cas d'espèce qui doit s'apprécier en fonction des événements permettant généralement d'identifier l'intention du contribuable et surtout sa bonne foi.

[23] En l'espèce, monsieur Labranche a été, selon son propre aveu, négligent et ce qui est encore plus grave, totalement irresponsable en détruisant toute la documentation relative aux affaires dont il était imputable. De ce fait, il doit supporter seul les conséquences. Les explications fournies ne réduisent en rien la gravité du manquement. Bien plus, les explications loufoques sur les circonstances entourant la destruction de la documentation démontrent essentiellement sa mauvaise foi. Il aurait pu et dû conserver tout au moins certains objets, pièces ou papiers, pour soutenir ses dires et donner un peu de vraisemblance à ses prétentions. Il a choisi de faire la preuve qui lui incombait au moyen de son seul témoignage et de celui de sa conjointe.

[24] Les autres explications visant à démontrer les écarts constatés ne sont guère plus vraisemblables; en effet, la mise à contribution financière de sa conjointe dont la participation a été tue jusqu'au jour de l'audience, n'est pas très convaincante. Ce ne sont certainement pas les intuitions énoncées quant à d'éventuelles avances qu'elle aurait faites qui sont de nature à bonifier la piètre qualité de cette partie de la preuve.

[25] Pour ce qui est de la qualité des cadeaux offerts par son père dont le montant coïncidait avec le coût annuel des médicaments qu'il devait prendre pour contrer les effets de sa maladie, soit plus ou moins 3 000 $ par année, je comprends que la preuve directe était impossible dû au décès du père de monsieur Labranche. Par contre, connaissant les intentions de l'intimée, il eût été sans doute possible, voire facile, d'obtenir tout au moins une déclaration assermentée de la part du donateur.

[26] Finalement, les revenus émanant de la vente des deux mobiliers sont peut-être la source de revenus la plus crédible ou vraisemblable; encore là, cependant, la preuve n'a pas été très convaincante. Monsieur Labranche et sa conjointe ne se rappelaient pas de ce qu'il était advenu de l'annexe au contrat notarié et les montants indiqués étaient, de leurs propres aveux, tout à fait approximatifs.

[27] À tous ces éléments de preuve qui commandent pour le rejet pur et simple des explications fournies par monsieur Labranche s'ajoute la réalité des chiffres relatifs à la masse salariale pour les années en litige. En vertu de ces chiffres, monsieur Labranche aurait travaillé seul à l'exception d'environ 150 heures durant toute l'année 1994; ainsi pour cette année, monsieur Labranche a touché des revenus d'emploi de 12 376 $ par rapport à la masse salariale totale de 15 554 $ laissant un écart de 3 178 $ pour l'embauche d'employés, dont le nombre a varié de un à trois. Cette réalité essentiellement mathématique a pour effet de démontrer d'une manière inattaquable que la compagnie a fait travailler des tiers que pour environ 150 heures.

[28] En soi, ce constat n'a rien de déterminant. Par contre, il s'agit certainement d'un indice bonifiant la preuve de l'intimée et discréditant totalement la déjà très très piètre qualité de la preuve circonstancielle et très indirecte de l'appelante.

[29] La preuve de l'intimée n'a rien de scientifique. Il fut procédé d'une manière raisonnable eu égard aux faits et circonstances disponibles. Il ne suffisait pas de s'inscrire en faux sur le bien-fondé de la cotisation en ajoutant que les écarts pouvaient sans doute s'expliquer par toutes sortes d'explications. Monsieur Labranche a choisi de tout faire reposer sur sa seule crédibilité. À cet égard, il a magistralement échoué.

[30] Le Tribunal n'a aucune raison de disqualifier ou de conclure que le travail de vérification a été empreint d'erreurs ou de fautes susceptibles d'en vicier le résultat. En agissant comme il l'a fait, monsieur Labranche ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

[31] Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté et la cotisation confirmée.

Signé à Ottawa, Canada ce 7e jour de mai 1999.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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