Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980617

Dossier: 96-3385-IT-G

ENTRE :

MOHAMMED MIRZA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Christie, C.C.I.

[1] Les années 1987 et 1988 sont en cause. Trois questions sont en litige. Il s'agit d'abord de déterminer si le profit de 45 095 $ réalisé en 1987 par suite de la vente de la propriété située au 59, croissant Brooklyn, Markham (Ontario) (“ la propriété de Brooklyn ”) était un revenu ou un gain en capital. Il s'agit ensuite de répondre à la même question quant au profit de 26 998 $ réalisé en 1988 lors de la vente de la propriété située au 63, avenue Atlantic, Markham (“ la propriété d'Atlantic ”) et au profit de 1 842 $ réalisé la même année lors de la vente de la propriété située au 52, croissant Cooperage, Richmond Hill (Ontario) (“ la propriété du 52, Cooperage ”). L'appelant n'a jamais résidé dans l'une ou l'autre de ces trois propriétés. Il a touché la moitié des profits, soit 22 547 $, 13 499 $ et 921 $, et son épouse Najma l'autre moitié.

[2] Au procès, la question du lien entre l'appelant et d'autres propriétés a été abordée. Il suffit, aux fins des présents motifs, de préciser trois de ces propriétés. Il s'agit des propriétés situées au 63, promenade Avening, Rexdale (Ontario) (“ la propriété d'Avening ”), au 132, croissant Cooperage, Richmond Hill (Ontario) (“ la propriété du 132, Cooperage ”) et au 590, promenade Velmar, Woodbridge (Ontario) (“ la propriété de Velmar ”).

[3] Seul l'appelant a témoigné au procès. Originaire du Pakistan, il a immigré au Canada en 1972. Il est technicien spécialisé en chaudières. C'est à ce titre qu'il a travaillé au ministère de la Défense nationale à la Base de l'Armée de l'air de Downsview de 1979 à 1991. Il n'a jamais suivi de cours sur les placements ou l'immobilier.

[4] Après avoir loué un condominium puis en avoir été propriétaires, l'appelant et son épouse (“ les Mirza ”) ont acheté 64 000 $ en décembre 1980 la propriété d'Avening. Ils y ont vécu jusqu'à ce qu'ils achètent la propriété du 132, Cooperage. À un moment non précisé au cours de l'année 1987 — peut-être au printemps — ils ont tenté de vendre la propriété d'Avening à une femme au Pakistan. Cette dernière a versé 5 000 $ en dépôt. Le contrat devait être signé en octobre 1987, mais l'acheteuse a changé d'idée et elle a perdu ses 5 000 $.

[5] Le 26 juillet 1986, l'appelant a offert à Clearland Properties Limited (“ Clearland ”) d'acheter 208 900 $ la propriété de Brooklyn. L'achat devait être conclu au plus tard le 15 mai 1987. Clearland a accepté l'offre le 31 juillet 1986. L'appelant a déclaré avoir acheté la propriété dans l'intention d'y vivre. L'achat a été conclu le 15 mai 1987. Une hypothèque d'un an grevant la propriété de Brooklyn a été accordée à la Banque Royale pour garantir le remboursement d'un emprunt de 50 000 $, au taux d'intérêt annuel de 10 p. 100. Trois jours après la passation du contrat, c'est-à-dire le 18 mai 1987, les Mirza ont signé une convention de vente aux termes de laquelle la propriété de Brooklyn était vendue 271 500 $ à Eva Masciangelo. Cette vente a été conclue le 21 septembre 1987. L'appelant a déclaré qu'il avait été propriétaire des propriétés d'Avening et de Brooklyn au même moment et qu'il avait tenté de louer l'une ou l'autre. Il faisait visiter la propriété de Brooklyn à un locataire éventuel lorsqu'un membre de sa famille a offert de l'acheter. L'offre a été acceptée.

[6] Le 29 septembre 1986, l'appelant a offert d'acheter 215 900 $ la propriété d'Atlantic. L'achat devait être conclu au plus tard le 2 octobre 1987. L'alinéa g) de cette convention a été radié par les parties. Il se lisait comme suit :

[TRADUCTION]

g) L'acheteur ne pourra vendre, transférer ou céder l'unité susmentionnée que lorsque toutes les autres unités de l'ensemble résidentiel auront été vendues par le vendeur. Une disposition de cette nature peut, au choix du vendeur, être incluse dans l'acte de vente.

On a insisté, pour le compte de l'intimée, sur le fait qu'une disposition semblable de la convention de vente de la propriété de Brooklyn n'avait pas été radiée. Cette offre a été acceptée par Deyncourt Investors Inc. le 4 octobre 1986. La propriété a été transférée aux Mirza le 5 octobre 1987. Une hypothèque grevant la propriété en question garantissait le remboursement d'un emprunt de 161 900 $, au taux d'intérêt de 11 p. 100. Le solde devait être payé le 1er novembre 1988. L'appelant a déclaré que la propriété d'Atlantic avait été achetée “ [...] pour constituer un portefeuille d'immeubles locatifs que nous pourrions conserver longtemps, pour les vendre un jour ”. L'appelant s'est exprimé dans les termes suivants au sujet de la propriété d'Atlantic :

[TRADUCTION]

Me Wolfman : Lorsque vous êtes devenu propriétaire, qu'avez-vous fait de la propriété?

R. Cette propriété, Monsieur le juge, lorsque nous avons signé le contrat le 5 octobre 1987, la veille nous avons effectué une inspection. Il y avait beaucoup de travaux à faire. Il était impossible de vivre dans cette maison; entre autres choses, presque aucune pièce n'avait de lumière, aucune lumière. Un électricien était encore à l'oeuvre. Les salles de bain n'avaient pas de porte. Le toit à l'arrière de la cuisine était affaissé, ils devaient donc le réparer. Il y avait bien d'autres problèmes. De l'eau s'était infiltrée au sous-sol. L'un des murs à paroi double oscillait vers l'extérieur. Ils devaient le réparer, mais ils ont inscrit dans leur rapport tout ce qui devait être réparé. J'ai refusé de signer le contrat mais, à ce moment-là, ils m'ont dit : “ Écoutez, l'acte a été rédigé, les avocats ont terminé la paperasserie, ces travaux seront terminés dans les 15 jours, mais vous devez signer le contrat ” et j'ai été contraint de signer le contrat alors même que la peinture était encore fraîche.

On n'a pu trouver aucun locataire en raison de l'état de la propriété d'Atlantic. Un litige s'en est suivi, qui a été réglé par la suite.

[7] Le 3 octobre 1986, l'appelant a offert à Yonge North Homes d'acheter 204 900 $ la propriété du 132, Cooperage. L'achat devait être conclu au plus tard le 31 juillet 1987. Le 6 octobre 1986, Yonge North Homes a accepté l'offre par l'intermédiaire de son procureur. Le contrat a été passé le 31 juillet 1987. Une hypothèque de trois ans, au taux d'intérêt annuel de 11 p. 100, garantissait le remboursement d'un emprunt de 153 000 $. Les paiements mensuels étaient de 1 472 $ et devaient être effectués à compter du 31 août 1987. Le créancier hypothécaire était Yonge North Homes. Les Mirza ont emménagé dans la propriété du 132, Cooperage lorsqu'ils en sont devenus propriétaires et ils ont loué la propriété d'Avening. Cette propriété a été vendue 240 000 $ aux termes d'une convention de vente datée du 2 octobre 1989. Le contrat a été signé le 29 décembre 1989.

[8] Le 26 janvier 1987, l'appelant a offert à Yonge North Homes d'acheter 225 900 $ la propriété du 52, Cooperage. L'achat devait être conclu au plus tard le 30 septembre 1987. Le 26 janvier 1987, Yonge North Homes a accepté l'offre par l'intermédiaire de son procureur. Le contrat a été signé le 15 octobre 1987. Une hypothèque de trois ans, au taux d'intérêt annuel de 11 p. 100, garantissait le remboursement d'un emprunt de 169 000 $. Les paiements mensuels étaient de 1 627 $. L'appelant a déclaré qu'il avait l'intention de conserver la propriété dans le but de la louer. Le loyer devait se situer entre 1 700 $ et 1 800 $. Les taxes s'élevaient à 3 100 $ environ par année. Les Mirza combleraient la différence entre le revenu locatif et les dépenses avec leurs propres ressources.

[9] Avant que la propriété du 52, Cooperage puisse être louée, il y a eu entrée par effraction et la propriété a été complètement vandalisée. Il a fallu environ trois mois pour réparer les dommages. Après ce délai, on a tenté à nouveau de louer la propriété. Et, comme cela s'était produit avec la propriété de Brooklyn, la personne à qui l'appelant faisait visiter la propriété dans le but de la lui louer a offert de l'acheter. L'appelant s'est exprimé dans les termes suivants à l'égard de cette propriété : “ Et, après trois mois, nous louions de nouveau. La même chose s'est produite, quelqu'un est venu frapper à la porte. Ils voulaient acheter la propriété plutôt que la louer et je n'ai pas eu le choix ”.

[10] En février 1988, Omesh et Usha Annand ont offert d'acheter 249 000 $ la propriété du 52, Cooperage. L'achat devait être conclu le 31 mars 1988. L'offre a été acceptée par les Mirza. Le contrat a été signé le 31 mars 1988.

[11] Le 18 février 1988, une convention de vente aux termes de laquelle Jatinder S. Suri a offert d'acheter 283 000 $ la propriété d'Atlantic a été conclue. Les Mirza ont accepté l'offre le même jour. Le contrat a été signé le 27 mai 1988. L'appelant et son avocat ont tenu les propos suivants au sujet de cette transaction :

[TRADUCTION]

Q. À l'onglet 28, il y a un acte de vente relatif à la propriété située au 63, avenue Atlantic et, sur la deuxième page, il y a une signature. On indique “ 18 février 1988 ”. De quelle signature s'agit-il?

R. C'est celle de ma femme et la mienne.

Q. De quelle façon cette convention de vente s'est-elle faite?

R. La propriété a été vendue par l'intermédiaire d'un autre agent immobilier; ils étaient disposés à acheter la maison telle qu'elle était. Parce que, lorsque nous ne pouvions pas la louer, lorsque nous ne pouvions pas louer la maison, un autre agent m'a contacté, en qualité d'agent exclusif, et il a dit : “ Je connais quelqu'un; il achètera la maison telle qu'elle est, et nous essaierons de traiter nous-mêmes avec le constructeur pour qu'il remédie aux défauts. ” Et j'ai accepté de vendre la maison alors que le litige était en cours.

M. le juge : Un instant. Le litige n'a pris naissance que le 2 mars?

Le témoin : Oui, le 2 mars, parce que j'avais déjà dit à mon avocat que nous devions les poursuivre.

M. le juge : Oui. Mais vous avez signé l'entente ici le -- juste un instant -- le 18 février?

Le témoin : Oui, Monsieur le juge, c'est exact. Parce que la maison était en ruines et il était impossible d'y vivre de toute façon. Personne ne voulait la louer. Il était impossible d'y emménager. Cela me coûtait de l'argent tous les mois.

Me Wolfman : Pendant que vous étiez propriétaire de la maison, le constructeur a-t-il remédié aux problèmes?

R. Ils n'ont réparé que des choses sans importance, comme par exemple, ils ont essayé de réparer l'électricité, mais une seule pièce a été réparée, l'autre ne l'a pas été. Ils étaient si occupés dans leurs maisons qu'il fallait une journée pour trouver le contremaître, et ils promettaient de venir, mais ils ne venaient jamais.

Alors c'était -- il leur a fallu tellement de mois simplement pour réparer quelques lumières et pour colmater quelques fissures. L'une des fenêtres était brisée. Il leur a fallu deux mois et demi pour poser la vitre. Mais les problèmes importants n'étaient pas réglés au moment de la vente.

[12] En 1989, les Mirza ont acheté la propriété de Velmar et ils l'ont occupée en septembre de la même année à titre de résidence principale. Ils ont par la suite loué la propriété du 132, Cooperage, jusqu'à ce qu'elle soit vendue au mois de décembre 1996.

[13] Pour résumer, voici ce qui s'est produit relativement aux trois propriétés en litige dans les appels en l'instance, à savoir la propriété de Brooklyn, celle d'Atlantic et celle du 52, Cooperage. Les Mirza ont convenu d'acheter ces propriétés et les ont revendues entre le 31 juillet 1986 et le 27 mai 1988, ce qui représente une période de 22 mois moins 4 jours. Ils ont acquis les propriétés et les ont revendues toutes les trois entre le 15 mai 1987 et le 27 mai 1988, c'est-à-dire dans un intervalle de 12 mois et six jours. Entre le moment où les Mirza sont devenus propriétaires de chaque propriété et le moment où ils l'ont revendue, il s'est écoulé quatre mois et six jours pour ce qui est de la propriété de Brooklyn, sept mois et 22 jours pour la propriété du 63, Atlantic, et cinq mois et 16 jours en ce qui concerne la propriété du 52, Cooperage. Lorsque les Mirza se sont engagés à acheter la propriété d'Atlantic et celle du 52, Cooperage, le vendeur leur vendait des lots vacants sur lesquels des maisons devaient être construites. Le coût des maisons était inclus dans le prix d'achat.

[14] À mon avis, la doctrine de l'intention secondaire s'applique aux transactions en cause ici. La question de cette intention se pose et son existence est pertinente dans les affaires de négoce ou de commerce lorsqu'il s'agit de déterminer si le profit réalisé lors de l'acquisition et de la revente d'un bien est un gain en capital ou un revenu.

[15] Si, au moment de l'acquisition, le contribuable avait comme motif déterminant l'intention de revendre le bien à profit et qu'une occasion acceptable se présente, le profit est un revenu, même si l'intention primaire a pu être de conserver le bien en tant que placement. Dans l'arrêt Crystal Glass Canada Ltd. v. The Queen, 89 DTC 5143 (C.A.F.), le juge Mahoney, au nom de la Cour, a déclaré ceci :

L'intention secondaire exige non seulement l'idée de vendre avec profit mais aussi la perspective qu'une telle vente constitue un motif déterminant de l'acquisition du bien en immobilisation.

[16] Ainsi qu'il est indiqué dans l'affaire Jordan v. M.N.R., 85 DTC 482 (C.C.I.), la notion d'intention secondaire tire son origine de l'affaire Bayridge Estates Ltd. v. M.N.R., 59 DTC 1098 (C. de l'É.). Dans l'arrêt de principe Racine et al. v. M.N.R., 65 DTC 5106 (C. de l'É.), le juge Noël a dit à la page 5111 :

En examinant cette question de savoir si les appelants avaient, au moment de l'acquisition, ce que l'on a parfois appelé une “intention secondaire” de revendre cette entreprise commerciale si les circonstances s'y prêtaient, il est important de considérer ce que cette notion doit comporter. Il n'est pas, en effet, suffisant de trouver seulement que si un acquéreur s'était au moment de l'acquisition arrêté pour y penser, il serait obligé d'admettre que si à la suite de son acquisition une offre attrayante lui était faite il revendrait car toute personne achetant une maison pour sa famille, une peinture pour sa maison, de la machinerie pour son commerce ou un bâtiment pour sa manufacture serait obligée d'admettre, si cette personne était honnête et que la transaction n'était pas exclusivement basée sur une question de sentiment, que si on lui offrait un prix suffisamment élevé à un moment quelconque après l'acquisition, elle revendrait. Il appert donc que le seul fait qu'une personne achetant une propriété dans le but de l'utiliser à titre de capital pourrait être induite à la revendre si un prix suffisamment élevé lui était offert n'est pas suffisant pour changer une acquisition de capital en une initiative d'une nature ou caractère commercial. Ce n'est pas en effet ce que l'on doit entendre par une “intention secondaire” si l'on veut utiliser cette phraséologie.

Pour donner à une transaction qui comporte l'acquisition d'un capital le double caractère d'être aussi en même temps une initiative d'une nature commerciale, l'acquéreur doit avoir, au moment de l'acquisition, dans son esprit, la possibilité de revendre comme motif qui le pousse à faire cette acquisition: c'est-à-dire qu'il doit avoir dans son esprit l'idée que si certaines circonstances surviennent il a des espoirs de pouvoir la revendre à profit au lieu d'utiliser la chose acquise pour des fins de capital. D'une façon générale, une décision qu'une telle motivation existe devrait être basée sur des inférences découlant des circonstances qui entourent la transaction plutôt que d'une preuve directe de ce que l'acquéreur avait en tête.

[17] Pour déterminer sur le fondement de l'ensemble de la preuve que l'appelant avait une intention secondaire au moment de l'acquisition des propriétés de Brooklyn, d'Atlantic et du 52, Cooperage, le nombre d'acquisitions et de ventes de biens immobiliers résidentiels par l'appelant et la période pendant laquelle ces propriétés ont été détenues ont notamment été pris en considération. À cet égard, je renvoie aux affaires Diamond Developments Ltd. v. M.N.R., 84 DTC 1811 (C.C.I.), à la page 1813, et Happy Valley Farms Ltd. v. The Queen, 86 DTC 6421 (C.F. 1re inst.), à la page 6424.

[18] Les appels sont rejetés. L'intimée a droit aux frais entre parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de juin 1998.

“ D. H. Christie ”

J.C.A.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de février 1999.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.