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Date: 19981030

Dossier: 96-2818-IT-G

ENTRE :

FREDERIC W. R. LEIGH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Cet appel est interjeté à l'encontre d'une cotisation du ministre dont l'avis est daté du 2 juin 1995 et qui porte le numéro 13502. En vertu de la cotisation, l'appelant s'est vu imposer une obligation fiscale en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), soit un montant de 52 662,30 $, concernant le transfert de fonds, sans contrepartie, fait par la F.W.R. Leigh Management Corporation à l'appelant le 7 mai 1988 ou vers cette date. Ce montant incluait des pénalités et des intérêts.

Faits

[2] M. Frederic W. R. Leigh était un financier. Il a confirmé la cotisation susmentionnée. Durant toute la période pertinente, il détenait 80 p. 100 des actions de la F.W.R. Leigh Management Corporation (la « compagnie » ). L'entreprise de la compagnie consistait à assister des sociétés cotées. L'appelant était en outre le directeur général et le responsable de la gestion. À un moment donné après le 2 septembre 1987, des problèmes conjugaux entre lui et son épouse ont conduit à diverses poursuites judiciaires qui ont donné lieu au blocage des actifs de la compagnie. Il y avait eu en outre un fléchissement important du marché, qui a fini par s'effondrer, et l'entreprise de l'appelant en a souffert considérablement.

[3] La conjointe de l'appelant a intenté une poursuite contre l'appelant devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique et, dans la demande introductive d'instance, elle alléguait que certains biens appartenant à la compagnie étaient des avoirs familiaux au sens de l'article 45 de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, ch. 121 (la « Family Relations Act » ), dans sa forme modifiée. La conjointe de l'appelant alléguait aussi que tous les actifs enregistrés au nom de la compagnie étaient des avoirs familiaux.

[4] Dans la Défense et la demande reconventionnelle déposées par l'appelant, ce dernier niait les allégations pertinentes susmentionnées. La conjointe avait en outre déposé une déclaration de propriété réclamant la moitié des intérêts commerciaux de l'appelant, y compris ceux de la compagnie. L'appelant avait pour sa part déposé une déclaration de propriété réclamant l'ensemble de la participation de 80 p. 100 qu'il détenait dans la compagnie.

[5] La pièce A-8 contenait l'évaluation des actifs de la compagnie établie au bureau de l'appelant, suivant les instructions de ce dernier.

[6] La pièce A-9 était une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en date du 9 octobre 1997 rendue en vertu de l'article 44 de la Family Relations Act. Il s'agissait d'une ordonnance sur consentement.

[7] Les pièces A-10 et A-11 étaient des ordonnances de la Cour suprême de la Colombie-Britannique ayant pour effet de restreindre le droit de l'appelant de disposer des actifs de la compagnie. Les pièces contenaient en outre le procès-verbal de transaction signé par l'appelant et sa conjointe. Ledit procès-verbal de transaction était daté du 11 mars 1988, et le paragraphe 8 prévoyait que l'appelant paierait à sa conjointe 63 000 $ en guise de règlement intégral définitif des réclamations de la plaignante en vertu de la partie III de la Family Relations Act, soit la partie relative aux actifs commerciaux devant être considérés comme des avoirs familiaux en vertu de la Family Relations Act. De plus, le procès-verbal de transaction prévoyait que la compagnie signerait toutes résolutions et/ou autorisations nécessaires relativement à la vente des biens en cause dans cette affaire de manière à permettre que la somme de 63 000 $ soit versée aux avocats de la conjointe.

[8] L'appelant a dit que la compagnie avait duré environ deux ans après le 2 septembre 1987, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'actifs dans la compagnie. Celle-ci a alors été discontinuée, et l'appelant a commencé à travailler pour la compagnie d'assurance Allwest. Il essayait d'exploiter l'entreprise, mais il ne lui était pas possible de payer la pension alimentaire et de maintenir l'exploitation de la compagnie. Il a confirmé que les ordonnances figurant dans la pièce A-10 avaient entravé l'exploitation de la compagnie, car les ordonnances avaient effectivement donné lieu au blocage des actifs de la compagnie et l'empêchaient de faire quoi que ce soit de ces actifs. Il avait dit précédemment que l'effondrement du marché boursier avait ravagé la compagnie et que, au 31 janvier 1988, il estimait que la valeur de liquidation des actions qu'il détenait dans la compagnie se situait entre 58 000 $ et 69 000 $, soit environ 10 p. 100 de l'estimation initiale figurant dans la pièce A-7.

[9] Interrogé quant à savoir pourquoi son épouse devait recevoir 63 000 $ en vertu de la transaction décrite dans la pièce A-11, alors que la valeur de la corporation qui avait été indiquée se situait entre 58 000 $ et 69 000 $, l'appelant a été incapable de répondre à cette question.

[10] L'appelant a dit qu'il avait dû faire des paiements au nom de la compagnie après mars 1998, soit des paiements aux banques et aux comptables de la compagnie de l'ordre de 20 000 $.

[11] En contre-interrogatoire, il ne reconnaissait pas que sa conjointe ne poursuivait pas la compagnie, alors que la pièce A-10 indiquait que les seules parties à la poursuite étaient lui-même et sa conjointe. Il a dit que la compagnie avait été radiée du registre des sociétés en 1991. Jusqu'au 1er avril 1987, il détenait trois actions dans la compagnie. Après 1987, une personne du nom de Kathryn Marino a reçu trois actions sans contrepartie, et l'appelant a reçu le reste des actions. La seule contrepartie que Kathryn Marino ait donné pour les actions, c'était du temps passé auprès de la compagnie. Aucune action n'a été mise au nom de l'épouse de l'appelant et, au moment de la séparation, en 1987, il n'y avait aucun accord entre l'appelant et sa conjointe concernant les actions.

[12] L'appelant reconnaissait qu'il n'y avait eu aucune ordonnance judiciaire confirmant le procès-verbal de transaction daté du 11 mars 1998. Il n'a pu dire si la Cour avait formulé quelque déclaration quant à savoir ce qui constituait un avoir familial en vertu de la loi pertinente. Quoi qu'il en soit, la question s'était réglée entre les parties.

[13] L'appelant a confirmé qu'il avait allégué dans la pièce A-5 que les actifs en question étaient des actifs commerciaux et non des avoirs familiaux. Cependant, la question s'était réglée lorsque les fonds étaient venus à manquer.

[14] L'appelant a confirmé que les biens en cause avaient été vendus pour obtenir de l'argent comptant et il a dit que, à l'époque de la transaction conclue avec sa conjointe, il ne pensait pas avoir assez d'argent pour payer le montant de la transaction sans utiliser les actifs de la compagnie.

[15] L'appelant a confirmé que les paragraphes du procès-verbal de transaction prévoyant la vente des biens de la compagnie et la distribution des actifs à sa conjointe étaient inclus dans le contrat, de sorte qu'il puisse obtenir les fonds pour exécuter la transaction.

[16] On lui a demandé pourquoi il n'avait pas donné à sa conjointe 40 p. 100 des actions au lieu de vendre les biens de la compagnie et d'en remettre la valeur aux avocats de son épouse. Il a répondu que tout l'argent devait aller à l'avocat de sa conjointe parce que, si l'argent comptant n'était pas disponible, la créance grevant la maison de son épouse ne serait pas levée. La seule source de fonds qu'il avait, c'était les actifs de la compagnie.

[17] Il a reconnu que l'épouse n'avait versé aucune contrepartie à la compagnie pour le produit de la vente des biens de la compagnie. En outre, la compagnie n'avait reçu aucun conseil pour transférer la valeur des actifs à l'épouse de l'appelant. Les frais payés pour son épouse aux avocats de cette dernière résultaient de l'action en divorce. Après que les deux biens furent vendus, la compagnie n'avait plus d'actifs. Si les actifs n'avaient pas été vendus et que les fonds n'avaient pas été transférés à sa conjointe, la compagnie aurait eu de l'argent à sa disposition pour payer l'impôt fixé à la compagnie pour des années antérieures.

[18] Au cours du réinterrogatoire principal, l'appelant a dit qu'il avait eu des avis selon lesquels sa conjointe aurait droit à une partie de la compagnie comme avoir familial. Il a confirmé que l'évaluation indiquée dans la pièce A-7 ne reflétait pas fidèlement les valeurs réelles à cette époque vu la restriction imposée relativement à sa capacité de disposer des actions. Il ne pouvait recevoir quoi que ce soit de semblable à l'évaluation figurant dans la pièce A-8 au titre des actions. Il avait des titres qu'il ne pouvait échanger, et le marché était en baisse. Il avait des titres entiercés, mais cela ne valait rien. Les actifs indiqués au paragraphe 8 de la pièce A-11 étaient restés dans la corporation à cette époque. C'est ce qu'il entendait par les termes « cette clause avait été ajoutée à l'accord de manière que des fonds puissent être obtenus pour payer la dette mentionnée dans l'accord de transaction » .

Arguments présentés au nom de l'appelant

[19] Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant soutenait qu'il y avait quatre aspects différents à la présente espèce, soit :

1. la question de la propriété de la compagnie et l'effet de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique sur la propriété de la compagnie;

2. la prise en considération du paragraphe 160(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

3. le calcul approprié du montant de l'intérêt;

4. le montant de la contrepartie.

[20] L'avocat de l'appelant faisait valoir que l'appelant détenait initialement 79 p. 100 des actions de la compagnie. Dans la partie III de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique, précitée, qui se rapporte aux biens matrimoniaux, l'article 43 dispose ceci :

[TRADUCTION]

[...] chaque conjoint a droit à un intérêt dans chaque avoir familial [...] lorsqu'il y a :

a) soit un accord de séparation;

b) soit un jugement déclaratoire en vertu de l'article 44;

c) soit une ordonnance de dissolution du mariage ou une séparation judiciaire;

d) soit une ordonnance déclarant le mariage nul [...]

Cet article prévoit que chaque conjoint a, comme tenant commun, un intérêt indivis de 50 p. 100 dans les avoirs familiaux. Ainsi se trouve conféré un intérêt dans l'avoir avant qu'une ordonnance ne soit rendue. Dans la présente espèce, un jugement déclaratoire avait été rendu le 9 octobre 1987. L'effet de cette ordonnance était que, à partir de cette date-là, chaque conjoint avait un intérêt indivis de 50 p. 100 dans l’avoir familial non enregistré à leur nom. Conformément au jugement Blackett v. Blackett, 40 B.C.L.R. (2d) 99, à la page 103, l'épouse reçoit un intérêt de 50 p. 100 dans les actions et non dans la valeur de l'avoir. C'est ce qui arrivait à la date de l'événement déclencheur, soit, dans la présente espèce, l'ordonnance rendue le 9 octobre 1987 (pièce A-9). À partir de cette date, la conjointe détenait la moitié des actions. C'était un intérêt acquis.

[21] À l'appui de sa thèse selon laquelle chaque conjoint a droit comme tenant commun à un intérêt indivis de 50 p. 100 dans chaque avoir familial lorsque survient l'événement déclencheur, l'avocat a renvoyé à un recueil de droit de la famille pour la Colombie-Britannique, soit un projet de la section de droit familial de Vancouver de la direction de la Colombie-Britannique de l'Association du Barreau canadien, lequel recueil fait état de la jurisprudence au 1er novembre 1997 et de la législation au 1er décembre 1997.

[22] L'avocat a cité l'affaire Biedler v. Biedler and Henfrey and Company Limited, 33 R.F.L. (2d) (366), à la page 374, pour étayer cette thèse et pour faire valoir que cet intérêt est un intérêt dans un bien et qu'il est valide à l'encontre d'un syndic de faillite. En outre, l'affaire Derrickson v. Derrickson et al.,1 B.C.L.R. (2d) 273, à la page 281, appuie sa thèse selon laquelle, après l'événement déclencheur, non seulement la Cour peut ordonner une distribution des avoirs, mais la conjointe a un intérêt acquis de 50 p. 100 dans les avoirs familiaux qui n'étaient pas enregistrés à son nom.

[23] L'avocat faisait remarquer que l'article 43 de la Family Relations Act, précité, traite seulement de l'égalité du droit aux avoirs familiaux. Cependant, des actifs commerciaux peuvent être des avoirs familiaux en vertu de l'alinéa 45(3)e) de la Family Relations Act. Les seuls actifs commerciaux qui soient exclus des avoirs familiaux sont décrits à l'article 46 de la Family Relations Act, qui dit : « lorsqu'un bien appartient à un conjoint à l'exclusion de l'autre, qu'il est utilisé principalement aux fins d'une entreprise et que le conjoint qui n'en est pas propriétaire n'a pas directement ou indirectement contribué à l'acquisition du bien, par l'autre conjoint, ou à l'exploitation de l'entreprise, ce bien n'est pas un avoir familial » . L'alinéa 45(3)e) de la Family Relations Act inclut une contribution indirecte à des économies réalisées du fait, par exemple, de la gestion efficace du foyer ou de l'éducation des enfants assurées par le conjoint ne détenant aucun intérêt dans le bien.

[24] L'avocat faisait valoir que l'alinéa 20d) de la pièce A-4 était une preuve suffisante qu'il avait été satisfait à l'article 45 de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique et que les actions étaient un avoir familial et non un actif commercial exclu.

[25] Les allégations relatives au travail que la conjointe accomplissait durant le mariage et qui consistait à s'occuper de la maison et à élever les enfants n'ont pas été niées dans la défense.

[26] Tout comme dans l'affaire Fischer and Fischer, [1984] B.C.D. Civ. 1680-04, les parties avaient droit à une répartition égale des actifs existants à la date de la signature de l'accord. L'épouse avait droit à la moitié des actifs commerciaux de l'époux à la date de la séparation, compte tenu de l'accord conclu et compte tenu de la contribution indirecte qu'elle avait apportée à l'acquisition de ces actifs en gérant efficacement le foyer et en assurant l'éducation des enfants. Voir aussi l'affaire Wagner v. Wagner, 36 B.C.L.R., à la page 68. À la date de l'accord de séparation, les parties étaient les actionnaires dominants de la compagnie (dans une proportion de 80 p. 100). Ils avaient convenu que le montant de 63 000 $ devait aller à l'épouse et que la compagnie vendrait les biens pour obtenir ces fonds. L'accord prévoyait en outre que l'épouse renoncerait au droit, au titre et à l'intérêt qu'elle détenait à l'égard de la compagnie et mettrait un terme aux restrictions touchant l'exploitation de la compagnie, de sorte que les biens puissent être vendus. Il n'y avait aucun autre actif de disponible à cette époque.

[27] Par suite de la signature de l'accord de séparation, la compagnie a acquis les actifs de la compagnie détenus par Mme Leigh. Ce qui s'est passé dans la présente espèce est le contraire de ce qui s'était passé dans l'affaire The Queen v. Kieboom, 92 DTC 6382. Dans la présente espèce, Mme Leigh a disposé de son intérêt dans la compagnie, et la compagnie l'a payée à cet égard.

[28] Dans la présente espèce, tout comme dans l'affaire Ormiston v. The Queen, 97 DTC 1396, il y a eu une disposition, car l'épouse dans la présente espèce, tout comme le contribuable dans l'affaire Ormiston, précitée, avait un intérêt dans les actions, bien qu'elle n'ait pas été un actionnaire inscrit. Il est donc possible de disposer d'un intérêt dans une corporation sans disposer d'actions effectives.

[29] L'accord était un accord entre les deux actionnaires de la compagnie. La compagnie a transféré le bien à un actionnaire. Dans la présente espèce, le transfert du bien était imposable pour tous les actionnaires, car ces derniers avaient déterminé quoi faire du bien. Voir l'affaire M.N.R. v. Bronfman, 65 DTC 5235, à la page 5239.

[30] Donc, dans la présente espèce, une proportion de 40 p. 100 était imposable entre les mains de l'épouse et une proportion de 40 p. 100 était imposable entre les mains de l'époux.

[31] En ce qui a trait à la question de l'évaluation, l'appelant a déposé en preuve la pièce A-11, selon laquelle la valeur des actions se situait entre 58 000 $ et 69 000 $. Donc, le montant maximal pouvant être fixé à l'appelant dans la cotisation était de 20 912 $, soit :

Montant fixé en vertu de l'article 160 52 662,30 $

Valeur estimative des actions de l'appelant

(entre 58 000 $ et 69 000 $ selon la preuve),

disons 63 500,00 $

50 p. 100 de cette somme pour Mme Leigh 31 750,00 $

Montant payé par la compagnie en sus de

l'intérêt de 50 p. 100 de Mme Leigh 20 912,00 $

Argument technique

[32] La thèse de l'avocat de l'appelant était qu'un argument technique pouvait être invoqué en vertu du sous-alinéa 160(4)a)(ii) de la Loi, à savoir que, au moment du transfert entre les conjoints, la valeur de ce transfert était nulle, de sorte que l'obligation fiscale serait nulle.

[33] Dans la présente espèce, la corporation était l'auteur du transfert, tandis que l'épouse était la bénéficiaire du transfert, mais le transfert n'a pas été fait à l'épouse. Il y a eu un transfert contemporain d'un autre, par la compagnie à l'épouse, et ce transfert représentait donc une valeur nulle. Ce n'est pas une interprétation irréaliste, vu le fait que l'article 160 vise à imposer quelqu'un qui n'est pas par ailleurs imposable.

[34] L'avocat a renvoyé à l'affaire Corporation Notre-Dame de Bon-Secours v. Communauté Urbaine de Québec et al., 95 DTC 5017, à la page 5023, à l'appui de son argument selon lequel le paragraphe 160(4) est ambigu dans le contexte de la présente espèce et que, puisqu'il y a un doute raisonnable quant au résultat selon les règles ordinaires d'interprétation, il faut recourir à la présomption résiduelle en faveur du contribuable. C'est ce qui devrait s'appliquer dans la présente espèce.

Étendue de l'obligation fiscale de l'appelant

[35] L'avocat soutenait que, dans la cotisation établie à l'égard de l'appelant relativement à l'obligation fiscale de ce dernier, le ministre peut avoir débordé le cadre des pouvoirs que lui confère l'article 160 de la Loi. L'avocat se fondait à cet égard sur le raisonnement tenu par le juge Dussault, de la C.C.I., dans l'affaire Algoa Trust v. The Queen, 98 DTC 1614. Dans cette affaire-là, le juge Dussault a décidé que la règle énoncée à l'article 160 de la Loi n'a pas pour effet de créer une dette fiscale. Ce n'est qu'une façon de recouvrer une dette. Donc, le contribuable dans la présente espèce ne pouvait se voir imposer des intérêts après la date du transfert. Ainsi, il ne pouvait y avoir d'obligation fiscale sous forme d'intérêts pour l'année 1989 mais seulement pour les années d'imposition 1987 et 1988, le transfert ayant eu lieu le 17 mai 1988.

[36] Comme le disait le juge Dussault, il n'y a pas de nouvelle dette fiscale, et une cotisation en vertu de l'article 160 incorpore déjà les intérêts que l'auteur du transfert devait en plus de l'impôt. La cotisation peut aussi incorporer des pénalités et des intérêts y afférents.

Juste valeur marchande

[37] Sur ce point, l'avocat a renvoyé à l'affaire Cantrav West Services Ltd. v. Edwards et al., 32 C.P.R. (3d) 454, aux pages 460-462, arguant que, s'il y a eu une affectation, par l'appelant, de fonds de la compagnie, l'appelant avait une obligation envers la compagnie, de sorte que le transfert qui a été effectué ne l'a pas été sans contrepartie.

[38] L'avocat concédait que cet argument n'avait pas été accepté dans l'affaire Curlett v. M.N.R., 61 DTC 1210, mais sa thèse était que cette affaire-là concernait une affectation de fonds de la compagnie faite par un actionnaire et se rapportait à une question de revenu, alors que, dans la présente espèce, il s'agit d'une affaire de recouvrement.

[39] Il pourrait être mentionné que cet argument n'a pas été invoqué avec force.

Arguments de l'intimée

[40] L'avocate de l'intimée concédait que les arguments de l'avocat de l'appelant pouvaient être ingénieux, mais elle faisait valoir que la cotisation en cause avait été établie à l'égard du particulier et non de la compagnie. La compagnie n'était pas partie à la poursuite judiciaire. L'avocate de l'intimée a renvoyé à l'affaire Kondrat v. The Queen, 96 DTC 1566, à l'appui de sa thèse selon laquelle l'appelant dans la présente espèce est tenu de payer l'impôt qui lui a été fixé dans la cotisation. L'affaire Kondrat était également une affaire dans laquelle le contribuable, soit le seul actionnaire de la corporation, avait versé une somme à sa conjointe pour régler une poursuite que sa conjointe avait intentée contre lui, en vertu de la loi de l'Alberta concernant les biens matrimoniaux. Il avait été argué dans cette affaire-là qu'il ne s'agissait pas d'un avantage conféré à l'appelant et devant être inclus dans le revenu de ce dernier en vertu de l'alinéa 15(1)c) de la Loi. Dans cette affaire-là, la cour avait statué que les droits réclamés par la conjointe dans sa poursuite étaient des droits qu’elle revendiquait à l’égard d’un contribuable et qui étaient issus du mariage. La corporation n'était pas partie à la poursuite et n'avait aucune obligation envers la plaignante, et tout paiement fait à la plaignante par la corporation était un paiement effectué au profit du conjoint qui était un actionnaire (l'époux). Le paiement a été considéré comme un avantage pour le contribuable, soit l'époux.

[41] Dans la présente espèce, il n'y avait aucun élément de preuve indiquant que l'opération avait donné lieu à un avantage pour la compagnie. En fait, la poursuite judiciaire a été fatale à la compagnie. L'avantage a été conféré à l'époux et a empêché la compagnie de payer la cotisation établie à son égard.

[42] Dans la défense de l'appelant dans la poursuite intentée par sa conjointe, l'appelant alléguait que l'actif en cause n'était pas un avoir familial. Ce n'est pas parce qu'il a fait une transaction sur ce point que cela fait de cet actif un avoir familial.

[43] En outre, au paragraphe 5 de la pièce A-5, l'appelant niait les allégations de sa conjointe voulant qu'il s'agisse d'un avoir familial, et sa thèse était qu'il s'agissait d'un actif commercial dans lequel sa conjointe n'avait aucun intérêt. C'est simplement resté un différend jusqu'à ce que des pressions financières obligent l'appelant à faire une transaction. Aucune preuve suffisante n'indique qu'il s'agissait d'un avoir à l'usage de la famille.

[44] L'avocate a renvoyé à l'affaire Nevidon v. R., [1996] 2 C.T.C. 2509, à la page 2512, dans laquelle le juge Bowman, de notre cour, a examiné les dispositions de la Loi portant réforme du droit de la famille de l'Ontario concernant l'échec du mariage et quant à savoir si l'épouse était devenue propriétaire bénéficiaire à 50 p. 100 d'un certain bien, de sorte qu'une proportion de 50 p. 100 du gain en capital appartenait à l'épouse aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le juge Bowman n'était pas convaincu que le bien de Cambridge était un avoir familial, mais, même si tel était le cas, il n'estimait pas que l'article pertinent influait sur la propriété bénéficiaire de l'actif entre les conjoints de manière à modifier les effets de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le juge Bowman était convaincu qu'aucun élément de l'article pertinent ne faisait du conjoint le propriétaire bénéficiaire de la moitié du bien appartenant à l'autre conjoint.

[45] L'avocate faisait en outre remarquer que la compagnie n'était pas partie à l'accord de séparation conclu entre les conjoints. Rien n'indiquait que l'appelant avait le droit de faire ce qu'il a fait, rien n'obligeait la compagnie à ratifier l'accord et n'autorisait de quelque manière l'époux à agir comme il l'a fait. L'époux aurait pu transférer 40 p. 100 de ses actions à sa conjointe, mais il ne l'a pas fait, parce que l'avocat de sa conjointe exigeait de l'argent comptant avant de lever le privilège grevant la propriété de sa conjointe. L'appelant n'a pas agi dans le plus grand intérêt de la compagnie.

[46] En l'espèce, on n'avait pas définitivement déterminé qu'il s'agissait d'un avoir familial. Il n'y a eu aucune déclaration à cet effet. Même si c'était un avoir familial, la Loi de l'impôt sur le revenu prime.

[47] L'avocate a en outre renvoyé à l'affaire Barroso v. The Queen, 97 DTC 338, à la page 342, à l'appui de son argument selon lequel l'appelant était tenu d'établir par une preuve acceptable qu'il y avait eu une contrepartie au transfert. Dans la présente espèce, l'appelant ne l'a pas fait.

[48] L'avocate invoquait l'affaire Osadchuk v. The Queen, 95 DTC 98, au soutien de son argument selon lequel les avantages qui ont été conférés l'ont été par l'appelant et non par la compagnie, et il n'y a aucun fondement à l'argument voulant que la conjointe de l'appelant ait détenu 40 p. 100 des actions de la compagnie.

[49] L'avocate a renvoyé à l'affaire Kondrat v. The Queen, 96 DTC 1566, à l'appui de son argument selon lequel la corporation dans la présente espèce n'était pas un conjoint, les droits que la conjointe de l'appelant réclamait étaient issus du mariage, la poursuite n'avait pas été intentée contre la corporation, bien que, en droit, une poursuite contre l'actionnaire majoritaire puisse indirectement influer sur la corporation. Dans cette affaire-là, tout comme dans la présente espèce, la corporation n'avait aucune obligation envers la conjointe de l'appelant en matière de paiement, et tout paiement fait par la corporation à la conjointe était un paiement effectué au profit de l'appelant qui était un actionnaire.

[50] La thèse de l'avocate était que le paragraphe 160(4) de la Loi ne s'applique pas à la présente espèce. Le législateur voulait par ce paragraphe que, lorsqu'il s'agit d'une opération entre les conjoints, l'opération ne soit pas imposable. Toutefois, dans la présente espèce, la corporation n'était pas un conjoint et il n'y a pas eu de transfert entre conjoints. Il n'y a aucune ambiguïté quant à l'objet de cet article. Le législateur ne peut avoir voulu permettre que quelqu'un dépouille une compagnie de ses actifs pour payer une dette matrimoniale de manière à échapper à l'impôt. Il n'y a pas eu de contrepartie au transfert.

[51] En ce qui a trait à l'évaluation, l'avocate arguait que l'évaluation appropriée était le montant indiqué dans la pièce A-1, soit l'avis de cotisation. Tel est le montant qui a été transféré aux avocats de la conjointe de l'appelant, telle était la valeur de l'avantage, et cela était conforme à la décision rendue dans l'affaire Algoa Trust, précitée.

Contre-preuve

[52] En contre-preuve, l'avocat de l'appelant a répété que, en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, des intérêts ne peuvent être demandés que pour la période allant jusqu'à la date du transfert et, si la Cour devait conclure que des intérêts ont été demandés pour une période postérieure à cette date, ces intérêts devraient être annulés. L'article 160 est une disposition de recouvrement et non une disposition d'assujettissement.

[53] Pour ce qui est de toute opposition entre la loi fédérale et la loi provinciale, l'avocat arguait que les provinces sont habilitées à légiférer en matière de droits de propriété et de droits civils. La Loi de l'impôt sur le revenu s'applique à cette législation provinciale. La loi de la Colombie-Britannique est bien différente de la loi albertaine et de la loi ontarienne qui ont été examinées dans les affaires précitées. Aucun élément de ces lois-là ne dit que le conjoint réclamant est considéré comme ayant un intérêt de 50 p. 100 dans le bien.

[54] Dans la présente espèce, il y a eu un événement déclencheur avant le transfert du bien. À cette époque, la conjointe de l'appelant était un actionnaire ayant droit à la moitié de cet actif. Cette situation ne pouvait être invalidée que par la présentation d'une demande en vertu de l'article 51 de la Family Relations Act, et la preuve indique clairement que cela n'a pas été fait.

[55] Ce qui a été créé par la loi en faveur de l'épouse n'était pas une créance; il s'agissait de propriété effective. Suffisamment d'éléments de preuve ont été présentés à la Cour pour permettre à celle-ci de conclure que, en droit, il s'agissait d'un avoir familial.

[56] En ce qui concerne le paragraphe 160(4) de la Loi, cet article a été clairement conçu pour s'appliquer à une situation matrimoniale, bien qu'une corporation ne puisse être un conjoint. Au moment de l'opération, l'épouse détenait 40 p. 100 des actions de la corporation, et la corporation agissait par l'intermédiaire de ses actionnaires. Si le bien n'appartenait pas à l'épouse seulement, il était détenu à parts égales par elle et l'appelant, et ce dernier ne devrait être imposé que sur le montant de son intérêt dans le bien.

[57] Une fois terminées les plaidoiries dans la présente espèce, la Cour a ordonné aux deux avocats de comparaître de nouveau devant elle en audience publique pour traiter, s'ils le voulaient, de deux questions que la Cour estimait ne pas avoir été expressément abordées dans les plaidoiries initiales. Les deux avocats ont décidé de faire valoir leurs points de vue sur ces questions.

[58] L'avocat de l'appelant a renvoyé à l'affaire Fluxgold v. The Queen, 90 DTC 6187, au sujet de la question de la responsabilité solidaire et il y trouvait une consolation en concluant qu'aucun élément de l'article 160 de la Loi ne s'appliquait de manière à rendre l'épouse du contribuable solidairement responsable d'arriérés d'impôt dont la F. Limited était redevable au moment du transfert, soit un transfert effectué par l'époux (et non par la F. Limited). L'avocat a répété ce qu'il avait dit en renvoyant à l'affaire Blackett v. Blackett, précitée, à la page 103, à savoir que l'article 43 de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique donnait à l'épouse un intérêt indivis de 50 p. 100 dans les actions et non un intérêt indivis de 50 p. 100 dans la valeur des actions. Donc, l'avantage du transfert pour le contribuable ne pouvait représenter plus de 50 p. 100 de la valeur.

[59] L'avocate de l'intimée disait pour sa part que, même si la conjointe de l'appelant avait un intérêt de 40 p. 100 dans les actions, l'époux a reçu tout l'avantage du transfert et devrait être imposé là-dessus. En outre, l'époux et l'épouse étaient conjointement responsables à l'égard de la valeur transférée. De plus, pour ce qui est de la question de la contrepartie, même s'il n'y avait aucun actif dans la compagnie, le contribuable, soit l'époux, a reçu la valeur totale de l'intérêt de la compagnie, ce qui était donc sa contrepartie.

Analyse et décision

[60] La Cour traitera des deuxième, troisième et quatrième arguments de l'avocat de l'appelant, soit des arguments qu'elle considère comme périphériques par rapport à l'argument principal relatif aux dispositions de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique.

Paragraphe 160(4) de la Loi

[61] La Cour rejette carrément cet argument et conclut qu'il n'est pas applicable aux faits révélés en preuve. Que le transfert fait par la compagnie à l'acheteur soit contemporain ou non du transfert fait par la compagnie à l'épouse, ce paragraphe de la Loi ne s'applique pas de manière à rendre nulle la valeur du transfert. La Cour est convaincue qu'il n'y a aucune ambiguïté quant à l'interprétation de cet article et qu'il ne peut donc y avoir aucune présomption en faveur du contribuable. Cette interprétation est raisonnable de l'avis de la Cour, malgré le fait que l'article 160 vise à imposer quelqu'un qui n'est pas par ailleurs imposable.

[62] L'argument de l'avocate de l'intimée sur ce point est accepté, et la Cour est convaincue qu'une interprétation raisonnable de cet article indique que le législateur ne peut avoir voulu permettre qu'il soit disposé de l'actif de la corporation pour satisfaire à l'obligation matrimoniale d'un des conjoints sans que cela ait de conséquences fiscales.

Calcul de l'intérêt

[63] La Cour est convaincue que le montant approprié que le ministre devait prendre en compte dans l'application de l'impôt en vertu de l'article 160 de la Loi était la somme totale applicable à l'appelant sur le montant de 52 662,30 $ indiqué dans la cotisation établie à l'égard de l'appelant par l'avis d'imposition en date du 2 juin 1995. Le même montant est indiqué dans les propres documents de l'appelant, dans la pièce A-13, comme montant transféré aux avocats de la conjointe de l'appelant le 17 mai 1988.

[64] La Cour est convaincue que la cotisation n'était pas contraire au principe décrit par le juge Dussault, de la C.C.I., dans l'affaire Algoa Trust, précitée. On n'a présenté aucun élément de preuve à la Cour qui permettrait à cette dernière de conclure que tel n'était pas le chiffre approprié, la seule question étant de savoir si la somme totale devrait être attribuée à l'appelant.

Contrepartie

[65] La Cour est convaincue qu'elle doit rejeter l'argument de l'avocat de l'appelant voulant qu'il y ait eu une contrepartie de l'appelant parce que ce dernier avait une obligation envers la compagnie, même si une affectation de l'actif de la compagnie a été faite par M. Leigh.

[66] La Cour est convaincue qu'il n'y a eu aucune contrepartie de valeur — certainement pas de valeur égale — pour le bien transféré en raison des services fournis par l'appelant pour la compagnie, qu'un droit de recouvrement ait existé ou non.

[67] Il reste à examiner l'argument suivant de l'appelant : si un bien a été transféré à l'ex-épouse de l'appelant, il a été transféré par la corporation à l'ex-épouse en paiement de l'intérêt de cette dernière dans la corporation et non en acquittement d'une obligation de l'appelant envers son ex-épouse, de sorte qu'il n'y avait aucune obligation fiscale pour l'appelant par suite du transfert. Subsidiairement, s'il y avait une obligation, elle représentait seulement 20 912 $, soit le montant payé par la compagnie en sus de l'intérêt de 50 p. 100 de Mme Leigh dans les actifs de la compagnie.

[68] La Cour rejette la première partie de l'argument de l'avocat de l'appelant selon lequel tout bien transféré à l'ex-épouse de l'appelant a été transféré par la corporation à l'ex-épouse en paiement de l'intérêt de cette dernière dans la corporation et non en acquittement d'une obligation de l'appelant envers son ex-épouse. Cela est contraire à la preuve, et la Cour est convaincue que le transfert a été effectué en contrepartie de l'obligation de l'appelant envers son ex-épouse, en acquittement partiel de cette obligation.

[69] La seule question restante tient au montant de l'intérêt de l'appelant dans l'actif transféré sur lequel l'appelant devrait être imposé conformément à l'article 160 de la Loi.

[70] La Cour est convaincue que les dispositions de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique en vigueur à la date pertinente différaient sensiblement des articles en matière de biens matrimoniaux examinés par le juge Bowman, de la C.C.I., relativement à la Loi portant réforme du droit de la famille de l'Ontario dans l'affaire Nevidon v. R., précitée. Dans cette affaire-là, le juge Bowman n'était pas persuadé que le bien en cause était un avoir familial au sens de la loi pertinente. Par ailleurs, il était convaincu que, s'il s'agissait d'un avoir familial, cette loi n'influait pas sur la propriété bénéficiaire des avoirs familiaux entre les conjoints de manière à modifier les effets de la Loi de l'impôt sur le revenu. Notre cour est convaincue qu’une distinction peut être établie entre cette affaire-là et les faits de la présente espèce.

[71] De plus, notre cour est convaincue que les dispositions de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique différaient sensiblement des dispositions de la Matrimonial Property Act de l'Alberta examinées par le juge Rip, de la C.C.I., dans l'affaire Kondrat v. The Queen, précitée, et que l’on peut aussi faire une distinction entre les faits de cette affaire-là et ceux de la présente espèce.

[72] La Cour est convaincue que, à la date du transfert du bien en question ou avant, en raison de l'effet combiné des articles 43, 44, 45, 46, 48 et 50 de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique, la conjointe de l'appelant avait un intérêt égal à celui de l'appelant dans l'actif transféré et que cet intérêt était opposable à l'appelant. La Cour est convaincue qu'il y avait eu l' « événement déclencheur » en raison duquel l'épouse se voyait céder un droit à la moitié de cet actif, qui, à cette époque, était un avoir familial.

[73] Suffisamment d'éléments de preuve ont été présentés à notre cour pour que cette dernière soit convaincue que la situation factuelle existant à l'époque du transfert était suffisante pour qu'entrent en jeu les articles appropriés de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique, de sorte que, en fait et en droit, à la date du transfert, l'appelant et sa conjointe, en tant que tenants communs, avaient chacun un intérêt indivis de 50 p. 100 dans l'avoir familial, et l'avoir familial incluait le bien en cause dans la présente espèce.

[74] Ce résultat subsistait et devait subsister jusqu'à ce que l'appelant ait obtenu une redistribution judiciaire en vertu de l'article 51. L'appelant n'a pas obtenu de redistribution judiciaire (en fait, l'accord de séparation consécutif, signé par les deux parties, et le transfert effectué ensuite au nom de la corporation confirment que l'appelant n'avait aucunement l'intention d'en obtenir une).

[75] Donc, malgré le fait que l'appelant avait précédemment allégué que l'actif en cause n'était pas un avoir familial et qu'il se fondait là-dessus dans sa défense dans la poursuite intentée au niveau provincial, cela ne modifiait pas l'effet de la loi à la date du transfert.

[76] Par conséquent, au moment du transfert, la mesure qui a été prise pour la compagnie l'a été au nom de la partie appelante et de la partie intimée agissant comme actionnaires de la corporation à parts égales, chacune des parties convenant de la vente du bien et du transfert du produit de la vente à l'avocat de la conjointe de l'appelant. Il faudrait conclure que le transfert qui a eu lieu était un transfert, par des actionnaires à parts égales ou en leur nom, d'un actif de la corporation, au profit à la fois de l'appelant et de sa conjointe. Tel devait être l'effet des mesures prises par les actionnaires, malgré le fait que la compagnie n'était pas partie à la poursuite judiciaire intentée contre l'appelant par sa conjointe. Les mesures qui ont été prises l'ont été par les actionnaires majoritaires de la corporation et non par l'appelant seulement.

[77] À l'époque du transfert, il était assurément loisible à la conjointe de l'appelant, comme actionnaire à parts égales, de prendre des mesures pour que le bien de la compagnie soit vendu et que le produit de la vente soit divisé conformément aux règles de droit. La conjointe de l'appelant aurait alors eu droit à un intérêt de 50 p. 100 dans le produit de la vente de l'actif. Les deux actionnaires principaux, en signant l'accord, ont convenu que ces mesures n'étaient pas nécessaires, mais l'effet était le même.

[78] L'avocate de l'intimée avait certaines préoccupations quant à la priorité de la Loi de l'impôt sur le revenu sur la loi provinciale. Toutefois, la Cour est convaincue que les deux lois ne s'opposent pas. La Cour n'a pas à déterminer si les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu priment les dispositions de la Family Relations Act. L'assemblée législative de la Colombie-Britannique avait assurément le pouvoir d'adopter des lois en matière de droits de propriété et de droits civils. La Loi de l'impôt sur le revenu ne vise pas à retirer ce pouvoir. Elle n'entre en jeu qu'après que la loi provinciale a permis de déterminer la propriété de l'actif en cause.

[79] La Cour est convaincue que cela ne met pas un terme à la question, car il est nécessaire de prendre en compte les effets de l'article 160 de la Loi sur l'obligation fiscale de l'appelant, car cet article fait clairement état de la responsabilité solidaire de l'auteur du transfert et du bénéficiaire du transfert, et notre cour est convaincue que l'appelant et sa conjointe étaient tous les deux les bénéficiaires du transfert (en ce sens qu'il s'agissait d'un transfert effectué en leur nom à tous les deux en tant qu'actionnaires à parts égales et à leur profit à tous les deux, à parts égales).

[80] La question soumise à notre cour concerne l'obligation fiscale de l'appelant seulement et non celle de sa conjointe, quelle qu'ait été l'obligation fiscale de sa conjointe si cette dernière avait été l'objet d'une cotisation. Il pourrait en être de la sorte même si le droit d'établir une cotisation à l'égard de la conjointe était frappé de prescription.

[81] L'avocate de l'intimée exhortait la Cour à conclure que l'article 160 de la Loi rend l'appelant et sa conjointe également responsables de la dette, car l'article traite de la responsabilité solidaire du bénéficiaire du transfert et de l'auteur de celui-ci. L'avocate de l'intimée soutenait que l'époux et l'épouse étaient également responsables à l'égard de la valeur du transfert avec la compagnie, soit l'auteur du transfert, tandis que l'avocat de l'appelant soutenait que l'article 160 n'impose pas une responsabilité solidaire au conjoint à l'égard de la dette de l'un et de l'autre mais plutôt une responsabilité solidaire à chaque conjoint avec l'auteur du transfert, soit la compagnie, dans la mesure de l'intérêt de chaque conjoint dans l'actif transféré.

[82] La Cour est convaincue qu'une interprétation raisonnable de l'article est que chaque conjoint a une responsabilité solidaire avec l'auteur du transfert, soit la compagnie dans la présente espèce, quel que soit l'intérêt détenu par chaque partie dans l'actif transféré. Il ne serait pas raisonnable de conclure que l'article impose une responsabilité à l'un ou à l'autre des conjoints à l'égard de la valeur totale du bien transféré, même si chaque partie détenait seulement 50 p. 100 de la valeur de l'actif transféré.

[83] Dans la présente espèce, la Cour conclut que, au moment du transfert, l'appelant et sa conjointe avaient un intérêt indivis de 50 p. 100 dans la valeur de l'actif transféré et que chacun d'eux était alors solidairement responsable, avec l'auteur du transfert, soit la compagnie, dans la mesure de la valeur de leur intérêt dans l'actif transféré. Avec sa conjointe, l'appelant était responsable de la moitié de la valeur de l'actif transféré, soit une valeur de 52 662,30 $.

[84] En conséquence, l'appel est admis, et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu de la conclusion de notre cour selon laquelle l'appelant est responsable de la moitié du montant de 52 662,30 $, soit la valeur de son intérêt dans l'actif transféré sans contrepartie.

[85] L'appelant a droit à ses frais dans cette affaire, soit des frais qui seront taxés ou dont il sera convenu.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'octobre 1998.

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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