Date: 19990901
Dossier: 96-4026-GST-G
ENTRE :
TRANSPORT TOUCHETTE INC.,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
Le juge en chef adjoint Garon, C.C.I.
[1] Il s'agit d'un appel d'une cotisation de taxe sur les produits et services (“ TPS ”) dont l'avis en date du 29 janvier 1996 couvre la période du 1er octobre 1991 au 30 septembre 1995.
[2] L'appelante et une société, Compagnie Syldave Inc. (“ Syldave ”) étaient engagées dans le transport général de marchandises. Les activités de l'appelante étaient concentrées plutôt au Québec, tandis que Syldave faisait plutôt affaires en Ontario.
[3] Toutes les actions de l'appelante étaient détenues par les Entreprises Playkid (“ Playkid ”). Monsieur Dave Cahill possédait 75 pour cent des actions de Playkid et madame Sylvie Robidoux, la conjointe de monsieur Cahill, détenait 25 pour cent de ces actions. Madame Robidoux était la seule actionnaire de Syldave.
[4] À l'audience, le débat n'a porté que sur une seule question, à savoir si l'appelante était tenue de percevoir la taxe sur les produits et services à l'égard de l'utilisation par Syldave, durant la période à l'étude, de remorques appartenant à l'appelante. Les autres questions mentionnées dans l'Avis d'appel n'étaient plus contestées par l'appelante. La cotisation doit donc être maintenue à leur égard. Le montant de taxe sur les produits et services en jeu dans le présent appel a été ainsi réduit à 36 050,00 $.
[5] Le tribunal fut informé que l'appelante et le sous-ministre du Revenu du Québec ont été parties à un litige relatif à une cotisation de taxe de vente du Québec (TVQ) qui soulevait essentiellement la même question. Cette contestation fut décidée en faveur de Revenu Québec par un jugement en date du 13 octobre 1998 du juge Michel H. Duchesne de la Cour du Québec. L'appel de cette décision est actuellement pendant devant la Cour d'appel du Québec.
[6] L'avocat de l'intimée a indiqué que les opérations relatives à la location de remorques par l'appelante à Syldave en ce qui concerne la taxe sur les produits et services sont sans effet fiscal en ce sens que même si l'appelante était tenue de percevoir cette taxe de Syldave, cette dernière aurait droit à un crédit sur les intrants portant sur le même montant. Cependant, en ce qui concerne la TVQ, l'avocat de l'intimée a fait valoir qu'il y a incidence fiscale puisqu'il n'y avait pas à l'époque pertinente de remboursement de taxe sur les intrants. L'avocat de l'appelante m'a paru tout à fait d'accord avec l'avocat de l'intimée quant à l'impact fiscal des opérations sus-mentionnées, impact qui est décrit dans le présent paragraphe.
[7] Ont déposé pour le compte de l'appelante, le comptable, monsieur François Blondin, et monsieur Dave Cahill, l'actionnaire majoritaire de la société qui contrôle l'appelante. Madame Nicole Gendron, une vérificatrice de Revenu Québec a été appelée à témoigner pour le compte de l'intimée.
[8] Monsieur François Blondin, un comptable agréé de Granby, a mentionné qu'il était le comptable de l'appelante depuis plusieurs années.
[9] Monsieur Blondin a affirmé qu'en sa qualité de comptable de l'appelante, il procédait à des écritures de régularisation des livres de l'appelante sur une base mensuelle. Il était aussi le vérificateur de l'appelante. Pour cette dernière, il préparait aussi les rapports de TPS et TVQ.
[10] Dans les états financiers, certains montants sont indiqués en rapport avec la rubrique “ location de remorques ”. C'est sur ces montants que porte la cotisation du ministre du Revenu national à l'égard de l'appelante. Monsieur Blondin a affirmé qu'il a utilisé le terme “ location de remorques ” pour mieux représenter “ ... la réalité qui était que les remorques étaient souvent utilisées indifféremment par une et l'autre compagnie Transport Syldave, Transport Touchette, et moi, (M. Blondin), je trouvais, en fait, qu'en utilisant le terme location de remorques ça représentait une partie de la réalité qui était certaines remorques de Touchette qui avaient été, entre autres, utilisées par Transport Syldave ”. (Les mots entre parenthèses sont de moi.) Selon monsieur Blondin, “ ... le terme location de remorques était une représentation ... en fait une façon simple, si on veut, de représenter un ensemble de dépenses qui était couvert, si on veut, par Transport Touchette qui servait à plus d'une entreprise. Et on parle ici, en fait, de Transport Syldave ”.
[11] Monsieur Blondin a aussi affirmé qu'aucune facture n'a été établie au sujet des opérations appelées “ location de remorques ”. Interrogé sur la question de savoir s'il y avait “ location de remorques ”, monsieur Blondin a répondu qu' “ Il y avait une utilisation des remorques ”. Monsieur Blondin décrit le cadre juridique relatif à l'utilisation des remorques “ ... comme un échange de services ”.
[12] Monsieur Blondin a aussi expliqué que les montants relatifs à la “ location de remorques ” dans les états financiers de l'appelante diminuaient d'année en année parce que “ Syldave développait son infrastructure ” et avait donc moins besoin des remorques de l'appelante. Il a affirmé que lorsqu'il a décidé d'utiliser l'expression “ location de remorques ”, il n'a pas pensé qu'une location de remorques pouvait donner lieu à une fourniture taxable. En réponse à une question de l'avocat de l'appelante sur ce sujet, monsieur Blondin a formulé le commentaire qui est reproduit ci-après :
R. Lorsqu'on a fait ça, à travers les années j'avoue que ça ne m'a pas effleuré l'idée. Parce que c'était toujours dans l'optique, en fait, d'une compagnie de transport et TPS, TVQ, à l'époque, lorsqu'on parlait des sous-contrats de transport, il n'y avait pas, en fait, là, de taxes qui s'appliquaient.
[Notes sténographiques page 61, lignes 6 à 11.]
[13] D'après monsieur Blondin, ces termes “ location de remorques ” incluaient d'autres sortes de dépenses. Monsieur Blondin a précisé dans sa déposition que “ Syldave, au départ, avait pas de services, si on veut, que ce soit d'ordinateurs ou de lieux physiques. Ils utilisaient, en fait, les locaux de Transport Touchette ”; l'appelante et Syldave utilisaient “ les mêmes téléphones ” et “ les mêmes docks ”.
[14] Monsieur Blondin a reconnu que plusieurs catégories de frais étaient déjà l'objet d'une répartition entre l'appelante et Syldave sous d'autres postes comme il appert des états financiers. Ainsi, en est-il des frais relatifs au carburant, à l'assurance, à l'entretien, aux réparations concernant les remorques en plus des frais d'administration et salaires des employés de bureau. À l'égard de cette question, de la répartition des frais communs entre l'appelante et Syldave, il me paraît intéressant de reproduire une partie du témoignage de monsieur Blondin :
Q. Vous aviez expliqué la certaine réalité en disant que location de remorques incluait d'autres dépenses. C'est un partage que vous faisiez entre les compagnies. Et on a fait l'exercice ensemble à savoir quelles dépenses n'auraient pas été partagées entre les compagnies.
Alors, entre autres, l'assurance vous marquez que c'est déjà partagé. Vous avez parlé de carburant ...
R. Assurance cargo.
Q. ... vous aviez parlé à l'époque de carburant.
R. Oui.
Q. Si on se réfère toujours à l'onglet 6 dans Transport Touchette, Monsieur le Juge, à la page 12, carburant il y a cent soixante-sept mille sept cent quarante-huit dollars (167 748 $).
R. Transport Touchette.
Q. Et vous avez dans Syldave, l'onglet 7, Monsieur le Juge, toujours à la page 11, vous avez également carburant – cent quatre-vingt-dix mille cinq cent sept dollars (190 507 $).
R. Hum-hum.
Q. Il y a déjà un partage qui est fait entre les deux, là.
R. ...
Q. Si je m'en vais à entretien et réparations ...
MONSIEUR LE JUGE :
Q. Vous avez répondu ... pour les fins des notes vous devez ... c'est enregistré, vous avez répondu oui.
R. Oui. Oui.
[Notes sténographiques page 76, ligne 16, jusqu'à la page 77, ligne 23.]
[...]
Q. Entretien et réparations – pneus, c'est la même chose? Si on fait le même exercice, cent soixante-dix-neuf mille huit cent six (179 806) pour Touchette.
R. Pour Touchette.
Q. Et vous avez entretien et réparations – quatre-vingt mille cinq cent vingt (80 520) pour Transport Syldave. Donc, il y a déjà une répartition qui se fait.
R. Ce qui peut être identifié de façon précise.
Q. De façon précise.
R. Oui.
Q. Vous avez parlé des téléphones...
R. Oui.
Q. ... et du bureau qui pouvait être, que Touchette pouvait payer la plus grosse partie.
R. C'est exact.
Q. Bon. Si on réfère à Transport Touchette, Monsieur le Juge, à la page 13 et à la page suivante sous l'onglet 6.
R. Oui.
Q. Sous l'item frais d'administration vous avez les téléphones.
R. Pour quarante et un mille (41 000).
Q. Quarante et un mille (41 000). Vous avez dans Syldave une répartition des coûts de téléphone également.
R. Mais la répartition est beaucoup moins importante.
Q. O.K.
R. Parce qu'on parle ici de trois mille six cents (3 600).
Q. Trois mille ...
R. Trois mille ...
Q. Trois mille sept cent soixante-dix-neuf dollars (3 779 $).
R. Trois mille sept cent soixante-dix-neuf (3 779). C'est sûr que, si on veut, de façon simpliste, là, tous les longues distances sont dans Transport Touchette.
Q. Hum-hum.
[Notes sténographiques page 78, ligne 10 jusqu'à page 79, ligne 23.]
[...]
Q. Si je me réfère à salaires ... le dernier item qu'on avait discuté c'était salaires de bureau et vous en faites référence aussi ce matin en disant que Transport Touchette pouvait payer une bonne partie de l'administration, hein? C'est bien ce que vous dites?
R. Oui.
Q. Si je me réfère à salaires bureau, qui est toujours à la page 13 de l'onglet 6, Monsieur le Juge, Transport Touchette.
MONSIEUR LE JUGE: Oui.
Me ANDRÉ LARIVIÈRE :
Q. Salaires bureau, vous avez vingt-sept mille cinq cent quatre-vingt-quinze (27 595).
R. C'est exact, oui.
Q. Si je vais dans Syldave, salaires bureau vous avez soixante-cinq mille quatre cent quatre-vingt-dix (65 490); il y en a plus dans Syldave que dans Touchette.
R. Oui, c'est exact.
Q. La répartition est faite, là.
R. Une partie parce que ... en fait, c'est que ... oui.
Q. Alors, vous vous souvenez quand je vous ai interrogé, après avoir tout fait cet exercice-là je vous ai posé la question et je vous la repose : qu'est-ce qu'il peut y avoir autre que dans location de remorques, que dans l'item ...
MONSIEUR LE JUGE : Au sujet du partage des dépenses.
Me ANDRÉ LARIVIÈRE :
Q. Voilà. Qu'est-ce qu'il peut y avoir d'autre? On fait l'exercice puis vous avez déjà tout partagé les autres dépenses. Qu'est-ce qu'il reste à part que la location de remorques?
R. C'est sûr que si on regarde là il y a sûrement une partie de ... il pourrait y avoir une partie de l'entretien, en fait, que la partie un peu plus lourde dans Transport Touchette versus Transport Syldave.
Q. Hum-hum.
R. Probablement qu'il y a une partie, en fait, de l'essence, de la même façon si tout ce qui a été identifié déjà réparti, il y a sûrement une partie un peu plus importante qui est attribuée à Transport Touchette parce qu'elle n'a pas pu être identifiée et qui a été utilisée, en fait, par Transport Syldave. Une partie.
[Notes sténographiques page 80, ligne 12 jusqu'à la page 82, ligne 6.]
[...]
Q. Vous, qu'est-ce que vous savez de l'utilisation des remorques? Est-ce qu'il y a eu une utilisation réelle? Moi, c'est la question que je veux savoir : est-ce qu'il y a eu utilisation réelle des remorques ou si c'est une erreur qui est dans les états financiers? Est-ce que Syldave a utilisé les remorques de Touchette? Pour simplifier la question, là.
R. Oui.
Q. Oui, c'est oui ou c'est oui parce que vous comprenez la question?
R. Oui.
Q. O.K.
R. Oui, pour dire premièrement que je comprends votre question. Dans ma tête à moi, je suis porté à dire que, oui, il y a eu une partie d'utilisation des remorques.
Q. Oui.
R. C'est pour ça que je le représentais comme location de remorques.
[Notes sténographiques page 82, ligne 9 jusqu'à la page 83, ligne 2.]
[15] Monsieur Blondin a aussi réitéré au sujet du poste dans les états financiers “ location de remorques ” que c'était lui “ qui l'a présenté sous cette forme-là ”. Selon lui, c'était une façon “ d'équilibrer les revenus et les dépenses entre les deux compagnies ”. D'après monsieur Blondin, monsieur Cahill et madame Robidoux avaient chaque année pris connaissance des états financiers, avaient discuté avec lui de ce poste et ne s'étaient pas opposés à l'utilisation de l'expression “ location de remorques ”.
[16] Monsieur Blondin indique que “ les états financiers étaient rédigés à partir d'information fournie par l'appelante ”. Cette information fournie par l'appelante était sous forme de “ journaux de ventes, les journaux d'achats, le GL (Grand livre) qui est produit avec l'information de base ”. (Les mots entre parenthèses sont de moi.) Madame Isabelle Borduas s'est déjà occupée de la comptabilité interne de l'appelante, mais monsieur Blondin ne se souvenait pas si c'était en fait elle qui accomplissait cette tâche pour chacun des exercices financiers en question. Les états financiers étaient approuvés par le conseil d'administration de l'appelante. Monsieur Blondin a confirmé qu'il n'avait pas d'erreurs manifestes ou importantes dans les états financiers et qu'ils représentaient la réalité. Quant à Syldave, ses états financiers étaient non vérifiés; monsieur Blondin ne préparait que des rapports de mission d'examen.
[17] Monsieur Blondin a aussi affirmé que les comptes des deux sociétés étaient tenus séparément et que chaque société avait ses propres dépenses, ses clients et sa facturation. Du montant de 178 192,00 $ attribué aux états financiers à la “ location de remorques ” une somme d' “ à peu près 3 192,00 $ ” représentait des locations de remorques à une autre entité, Location Brassard. Le nombre représentant la différence entre les deux montants dont il vient d'être question fait l'objet du présent litige.
[18] À la question de savoir s'il avait des locations de remorques, monsieur Blondin a fourni la réponse suivante :
R. Je serais porté à vous dire oui, mais c'était un poste pour moi qui englobait plus que juste des locations de remorques. C'était une façon de répartir un ensemble de dépenses, comme on a déjà mentionné plus tôt, là, sous une rubrique.
[Notes sténographiques page 114, lignes 20 à 24.]
[19] J'aborde maintenant le témoignage de monsieur Dave Cahill.
[20] Selon monsieur Cahill, en 1992 l'appelante possédait dix tracteurs et 17 remorques,[1] alors que Syldave possédait au cours de la même année cinq tracteurs et sept remorques. En 1993, l'appelante avait encore 17 remorques et Syldave en avait neuf. En 1994, les données relatives au nombre de remorques des deux sociétés en question étaient demeurées les mêmes. Pour le compte de l'appelante, une liste des remorques et des camions que Syldave possédait en 1992 a été déposée en preuve. Pour l'année 1994, une liste de camions, automobiles et remorques dont Syldave avait la propriété fut également produite. Ces listes n'indiquent toutefois pas la date d'acquisition des remorques.
[21] Selon monsieur Cahill, la comptabilité de l'appelante et de Syldave “ est supposée d'être tenue séparée, mais elle est ensemble ”. Monsieur Cahill confirme que monsieur Blondin s'occupait de la remise des taxes. Monsieur Cahill a déclaré ne pas avoir assez de connaissances pour pouvoir “ discuter vraiment ” des états financiers. Il dit avoir noté le poste “ location de remorques ” pour la première fois quand la vérificatrice de Revenu Québec s'est rendue chez l'appelante.
[22] Monsieur Cahill a affirmé qu' “ il y a jamais eu de location de remorques ”. Les deux sociétés “ travaillaient ensemble ” et “ se donnaient des sous-contrats ”[2]. Il décrit ainsi les opérations entre l'appelante et Syldave :
[...] Touchette ramassait de la marchandise ou bien donc ... pour Syldave puis on la ramenait pour Touchette ou Syldave au dock; on a un dock à Granby puis on en a un ici à Montréal. Puis à ce moment-là, mettons, le truck de Syldave revenait puis là, on y mettait un voyage dans sa van puis il repartait pour l'Ontario.
[Notes sténographiques page 137, lignes 18 à 23.]
Selon monsieur Cahill, le crédit de taxe sur les intrants n'a pas été demandé par Syldave parce qu'il n'y avait pas eu de “ location de remorques ” mais “ des sous-contrats de transport ”.
[23] Au cours du contre-interrogatoire, monsieur Cahill a insisté à plusieurs reprises que malgré ce qui était énoncé aux états financiers, l'appelante ne louait pas de remorques, elle “ faisait des sous-contrats de transport ”. Selon lui, un contrat donné en sous-traitance peut inclure “ le tracteur de van, la remorque, le chauffeur et ainsi de suite ”. Les services des chauffeurs et des autres employés utilisés par l'appelante et par Syldave sont fournis et payés par Playkid comme cela appert des états financiers, et Playkid percevait la taxe sur ces locations. Même si lors de la vérification monsieur Cahill a été informé que Syldave pouvait réclamer le crédit de taxe sur les intrants, il a décidé que l'appelante ne facturerait pas Syldave.
[24] Madame Nicole Gendron était vérificatrice à Revenu Québec. En examinant le dossier de l'appelante, elle a noté le poste “ location de remorques ” aux états financiers et elle a confirmé la justesse de cette information en se référant aux livres comptables de l'appelante. Elle a aussi procédé à des vérifications auprès de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) qui l'a informé que Syldave possédait deux remorques au début de 1992 et neuf en décembre 1994. Les données compilées par la SAAQ sur cette question du nombre de remorques ont été mises en preuve. Ces données de la SAAQ montrent que l'appelante avait “ beaucoup plus de remorques ” que Syldave durant les années en cause.
[25] Madame Gendron a aussi fourni des explications sur la cotisation à monsieur Blondin, madame Robidoux et à Me Robert Jodoin, l'ancien avocat de l'appelante. Elle a aussi fait état du fait que la pénalité à l'égard de l'appelante avait été réduite et que Syldave pouvait réclamer le crédit d'impôt sur les intrants.
[26] Lors du contre-interrogatoire, madame Gendron a admis qu'au cours de sa vérification elle n'a pas trouvé de factures établissant qu'il y avait eu la location de remorques. Elle a aussi reconnu que la seule preuve de location de remorques se trouvait aux états financiers et aux écritures de régularisation qui étaient passées une fois par année. Toutefois, elle a déduit qu'il pouvait avoir eu location de remorques étant donné que l'appelante avait un revenu de cette nature indiqué à ses états financiers et qu'elle possédait beaucoup plus de remorques que Syldave.
Analyse
[27] La question en jeu dans ce litige consiste à déterminer si l'utilisation par Syldave des remorques de l'appelante a été faite sous le régime d'un contrat de location conclu entre l'appelante et Syldave, comme le prétend l'intimée ou plutôt dans le cadre d'une sous-traitance entre l'appelante et Syldave.
[28] Tout d'abord, il n'est pas contesté que Syldave a utilisé des remorques qui étaient la propriété de l'appelante durant la période à l'étude.
[29] Au paragraphe 8 de la Réponse à l'avis d'appel, il est indiqué que le ministre du Revenu national “ s'est fondé sur les conclusions et les hypothèses de faits ” énumérées aux alinéas a) à h) de ce paragraphe. À part l'alinéa a) du paragraphe 8 de la Réponse à l'avis d'appel où il est énoncé que “ l'appelante est une inscrite aux fins de l'application de la Loi sur la taxe d'accise ”, les alinéas h) et i) du paragraphe 8 sont les seuls pertinents pour les fins du présent litige. Ces alinéas se lisent ainsi :
[...]
h) Pour la période en litige, l'appelante a touché des revenus de location de remorques, sur lesquels aucune taxe n'a été perçue, lesquels revenus s'établissent comme suit :
JUIN 1994 |
JUIN 1993 |
JUIN 1992 |
|
80 000.00 |
175 000.00 |
260 000.00 |
|
TPS DÉTERMINÉE (7%) |
5 600.00 |
12 250.00 |
18 200.00 |
i) Les dites locations de remorques s'effectuaient entre l'appelante et la Compagnie Syldave inc., lesquelles ne sont pas étroitement liées.
[30] Il y a lieu de noter au départ que les états financiers de l'appelante et de Syldave pour certains exercices se situant à l'intérieur de la période en litige indiquent expressément que l'appelante a touché des revenus de location pour les montants indiqués et que Syldave a engagé des dépenses de location pour les mêmes montants au cours des mêmes exercices financiers. En effet, l'examen des états des résultats de l'appelante pour les exercices financiers terminés le 30 juin des années 1992, 1993 et 1994 montre que le second poste de chacun des états des résultats est ainsi formulé “ Location de remorques ”. Quant aux états financiers non vérifiés de Syldave, je constate qu'aux états des résultats pour les exercices terminés le 30 juin 1992 et le 30 juin 1993, il y a un poste libellé dans chacun des états de résultats ainsi qu'il suit : “ Coût des contrats (annexe A) ” et à l'Annexe A on lit sous la rubrique “ Coût des contrats ” comme première inscription “ Location de remorques ”. Dans le cas de l'exercice financier de Syldave terminé le 30 juin 1994, on note la même mention “ Coût des contrats (annexe A) ”. Toutefois, la terminologie employée au troisième poste figurant à cette annexe est différente, étant formulée comme suit : “ Location de remorques et sous-contrats ”. Les états financiers ci-dessus mentionnés ont été approuvés par le conseil d'administration de l'appelante et de Syldave.
[31] Au sujet des états financiers de l'appelante dont il vient d'être question et des mentions “ location de remorques ” qui y figurent, le tribunal fut informé au début de l'audition que l'intimée s'opposait à ce qu'une preuve testimoniale soit faite par l'appelante tendant à contredire les mentions précitées. L'intimée à l'appui de cette proposition se réfère à l'article 2863 du Code civil du Québec[3] (C.c.Q.) qui dispose :
Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve.
[32] Au sujet de sa prétention, l'intimée fait valoir notamment que ces mentions ne sont pas le fruit d'une erreur d'écriture et qu'elles émanent d'états financiers vérifiés par un comptable agréé et approuvés par le conseil d'administration de l'appelante.
[33] Cette objection à la preuve me paraît nettement mal fondée.
[34] Me Léo Ducharme, dans son ouvrage bien connu, Précis de la preuve, 4e édition, Wilson & Lafleur Ltée, aux pages 340 et suivantes, décrit correctement l'état du droit sur la portée de l'article 2863 C.c.Q. dans les passages suivants :
1044. L'article 2863 C.c.Q. se trouve à expliciter une condition sous-jacente à la règle contenue à l'article 1234 C.c.B.C., à savoir que ce sont exclusivement les écrits constatant un acte juridique dont les termes ne peuvent être contredits ou changés par une preuve testimoniale. Cette condition s'explique par la raison d'être de la prohibition comme telle. La loi présume, en effet, que si les parties à un acte juridique, de leur plein gré pour satisfaire une obligation qu'elle leur impose, ont exprimé leur volonté dans un écrit, il y a lieu de présumer que cet écrit est le reflet fidèle de cette volonté, d'où la prohibition qui leur est faite de contredire cet écrit par témoins.
1045. C'est pourquoi, même en droit actuel, seuls les écrits instrumentaires privés sont régis par l'article 1234 C.c.B.C. Cet article ne s'applique pas notamment aux registres et papiers domestiques, à des actes de procédure, à de simples feuillets publicitaires et à des déclarations de revenus faites en vertu de lois fiscales. C'est ainsi qu'on a jugé que l'article 1234 C.c.B.C. n'empêche pas un contribuable de prouver par témoins des revenus supérieurs à ceux mentionnés dans sa déclaration d'impôts. De même on a jugé que l'article 1234 C.c.B.C. ne s'applique pas à un procès-verbal d'une réunion d'un conseil d'administration ou d'une assemblée d'actionnaires et ce, même à l'égard de ceux qui l'avaient signé en qualité de président et de secrétaire-trésorier. Dans une autre affaire, on a permis à une entreprise de recourir à la preuve testimoniale pour démontrer que contrairement aux mentions apparaissant dans ses registres, ses employés avaient reçu pour leurs services, le salaire minimum.
[Notes infrapaginales omises.]
[35] Cette question de la portée de l'article 1234 C.c.B.C., le pendant de l'article 2863 du nouveau Code, avait été tranchée par le juge Dumoulin de la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire M.N.R. v. Thibault, 62 DTC 1114 qui s'exprime en partie comme suit à la page 1123 :
[...] L'appelant invoque, à l'encontre de toute preuve testimoniale, l'article 1234, qui interdit de recourir à la preuve verbale pour contredire ou changer les termes d'un écrit valablement fait. Il paraît élémentaire de rappeler que ce texte restrictif ne vaut qu'entre les parties à l'acte et ne s'applique nullement aux tiers pour qui tel écrit tombe dans la catégorie de la "res inter alios acta".
[...]
Conséquemment, s'il est exact de tenir que l'appelant soit un tiers, à l'égard de cet acte authentique, il ne saurait s'insinuer au lieu et place des signataires pour se réclamer des fins de non-recevoir dont ceux-ci pouvaient faire état. Je ne vois donc pas que la recevabilité de la preuve orale soit en rien restreinte ici.
[36] Le juge Walsh dans l'espèce M.N.R. v. Ouellette and Brett, 71 DTC 5094, s'appuie notamment dans son jugement sur la décision dans l'affaire Thibault, supra, et formule à la page 5103 la proposition générale suivante qu'il déduit de la jurisprudence :
The jurisprudence is very clear that it is not what parties call a payment in a contract which determines the nature of it but the real character of the transaction.
[37] Plus récemment, mon collègue le juge Dussault dans l'affaire Tanguay v. The Queen, 97 DTC 947, à la page 950, a exprimé succinctement la règle de droit relative à l'application de l'article 1234 C.c.B.C. dans les termes que voici :
[...] Je me permettrai simplement d'ajouter que la prohibition de la preuve testimoniale pour contredire les termes d'un écrit valablement fait édictée par l'article 1234 du Code civil du Bas-Canada n'a pas d'application en matière fiscale.
[Note infrapaginale omise.]
[38] Sur cette question de la portée de l'article 1234 C.c.B.C., j'aimerais aussi me référer aux commentaires fort intéressants de Mes Maurice Régnier et Gérard Coulombe dans un article publié dans la Revue du Barreau / Tome 31, Numéro 4 / Septembre 1971, à la page 474, où les auteurs s'expriment en partie comme suit :
Signalons avant de terminer que ce rétablissement de l'équilibre entre le contribuable et le ministre du revenu national arrive à point. En effet, des décisions récentes en matière fiscale sont empreintes d'un certain refus de s'en tenir aux termes mêmes des contrats et recherchent plutôt le caractère réel et véritable des opérations intervenues entre les parties. Devant cette tendance, il va de soi qu'une interprétation formaliste et étroite de l'article 1234 n'est guère satisfaisante et tend même à accorder au fisc un avantage indéniable. En effet, elle permet au fisc de jouer gagnant sur tous les tableaux : soit qu'il se fonde sur les termes de l'écrit lorsqu'il y va de son intérêt, ou, dans le cas contraire, soit qu'il prouve par témoins que l'écrit ne reflète pas la véritable situation juridique.
Il est peut-être bon qu'il en soit ainsi, car, lier le fisc aux strictes dispositions de l'article 1234, comme le fait remarquer le tribunal dans Ouellette, équivaut à octroyer une prime aux efforts sans fin des contribuables pour éviter le paiement de leurs impôts. Ceux-ci auraient beau jeu d'escamoter la réalité, d'une façon bien légale d'ailleurs, par une série d'opérations dont toute la portée exacte ne saurait être saisie qu'en ignorant les écrits pour s'en tenir aux véritables conséquences financières.
Toutefois, l'équilibre ne peut être maintenu que si les contribuables jouissent des mêmes droits. Combien de fois, pour des raisons personnelles et sans égard aux conséquences fiscales, ou même, par suite d'erreurs ou d'inexactitudes qui se sont glissées dans la réaction (sic) de l'écrit, celui-ci n'est-il aucunement le miroir fidèle de ce que les parties ont réellement voulu convenir? Aussi, était-il fondamental que la nouvelle tendance jurisprudentielle confère en matière de preuve, les mêmes avantages au contribuable qu'au ministre du revenu, chose qui demandait nécessairement un assouplissement de l'interprétation de l'article 1234 du Code civil.
Ces observations s'appliquent avec autant de force à l'article 2863 du nouveau Code civil.
[39] À la lumière de la jurisprudence ci-dessus mentionnée et des observations des auteurs précités, il me paraît incontestable que l'article 2863 C.c.Q. n'empêche pas un contribuable d'avoir recours à l'égard des autorités fiscales à la preuve testimoniale pour contredire les termes d'un acte juridique constaté par écrit même s'il n'y a pas de commencement de preuve.
[40] Il s'ensuit donc qu'une preuve testimoniale peut être admise dans le cas actuel à l'encontre des états financiers (et des écritures de régularisation) appelés ci-après états financiers si ces derniers constituent un acte juridique.
[41] Au surplus, je suis d'avis que les états financiers d'une personne morale ou physique ne constituent pas des actes juridiques au motif qu'ils n'ont pas pour effet de produire des conséquences juridiques. Ces états financiers ne sont ni créateurs de droits ni générateurs d'obligations. Le paragraphe 1045 précité de l'ouvrage Précis de la preuve de Me Ducharme semble confirmer cette approche.
[42] Des observations qui précèdent, l'objection à la preuve basée sur l'article 2863 du C.c.Q. mise de l'avant par l'intimée doit être rejetée.
[43] Il s'ensuit que les mentions dans les états financiers de l'appelante relative à la location de remorques doivent être évaluées quant à leur poids avec l'ensemble de la preuve testimoniale sur cette question.
[44] Dans le présent cas, il a été établi que ces inscriptions aux états financiers ont été faites par le comptable agréé de l'appelante qui faisait les écritures de régularisation une fois par mois et était chargé de la préparation des états financiers de l'appelante et de Syldave. Ce comptable était ainsi passablement familier avec les opérations de l'appelante étant donné qu'il consacrait l'équivalent de deux jours de travail chaque mois depuis plusieurs années à l'examen des opérations de l'appelante et de Syldave.
[45] Le comptable Blondin n'a pas affirmé que ces mentions “ location de remorques ” dans les états financiers de l'appelante, en particulier, sont le résultat d'une erreur. On ne peut non plus ignorer que ces mentions figurent à trois reprises dans les états financiers de l'appelante pour trois différents exercices financiers. Cette même mention se trouve également dans certains états financiers de Syldave. Il faut aussi noter que ces états financiers vérifiés de l'appelante sont des documents destinés à l'usage du public, notamment des établissements financiers.
[46] D'autre part, monsieur Cahill a affirmé qu'il n'avait jamais eu de location de remorques. Selon lui, l'appelante et Syldave “ se donnaient des sous-contrats ”. Toutefois, aucune pièce n'a été produite par monsieur Cahill établissant qu'il y avait eu sous-traitance de travaux incluant l'utilisation de remorques. Son témoignage m'a paru peu convaincant. J'ai, en particulier, de la difficulté à croire, malgré les explications qu'il a données, que monsieur Cahill n'avait pas constaté l'existence du poste “ location de remorques ” dans les états financiers de l'appelante et de Syldave avant que cette existence lui soit signalée par la vérificatrice de Revenu Québec.
[47] Tous les éléments possibles d'un contrat donné en sous-traitance, soit le carburant, l'assurance, l'entretien et la réparation, les frais d'administration et les salaires des chauffeurs étaient déjà inclus sous différents postes dans les états financiers ou, en d'autres mots, étaient l'objet d'un partage entre l'appelante et Syldave. Il s'ensuit donc que les montants payés par Syldave à l'appelante se référaient du moins principalement sinon exclusivement à l'utilisation des remorques. Aucun autre service n'avait été fourni dans le cadre de ces soi-disant “ sous-contrats ”. À ce sujet, je note vers la fin de l'extrait du témoignage de monsieur Blondin reproduit au paragraphe 14 des présents motifs, que ce dernier semble admettre que les montants dans les états financiers relatifs à la location de remorques visaient à peu près uniquement que l'utilisation des remorques. Il ne peut donc être question de sous-traitance entre l'appelante et Syldave concernant l'utilisation des remorques en question.
[48] La preuve n'établit même pas qui de l'appelante ou de Syldave exécutait les “ sous-contrats ” qui sont visés par les différents postes de “ location de remorques ” figurant aux états financiers de l'appelante et de Syldave.
[49] Le poids de la preuve m'amène à conclure que, dans le cas actuel, les paiements effectués par Syldave à l'appelante représentent la contrepartie versée pour l'utilisation d'un bien. Cet état de choses correspond précisément à la définition du contrat de louage figurant à l'article 1851 du C.c.Q. qui se lit ainsi :
Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s'engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d'un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps.
Le bail est à durée fixe ou indéterminée.
[50] La disposition correspondante dans l'ancien Code (article 1600) est au même effet.
[51] À tout événement, on n'a pas soutenu pour le compte de l'appelante que si j'en venais à la conclusion que l'utilisation des remorques de l'appelante par Syldave n'était pas régie par des contrats donnés en sous-traitance qu'un autre type de contrat à part le louage pouvait s'appliquer ici.
[52] D'après moi, l'appelante n'a pas démontré selon la prépondérance de probabilités que les revenus en question n'étaient pas des revenus de location de remorques. Ce fardeau de la preuve incombait à l'appelante.
[53] Pour ces motifs, l'appel est rejeté, avec dépens, et la cotisation du ministre du Revenu national est confirmée.
Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 1999.
“ Alban Garon ”
J.C.A.C.C.I.
[1] Dix-sept remorques plus trois “châssis de containers ” et deux plates-formes. Elle possédait encore ces trois “ châssis de containers ” et deux plates-formes en 1993 et 1994.
[2] Les avocats des parties et les témoins ont utilisé à maintes reprises le terme “ sous-contrat ”. Ce terme ne figure pas dans les dictionnaires de la langue française. Il s'agit d'un anglicisme pour “ sous-traitance ”. C'est pourquoi je n'ai pas utilisé le mot “ sous-contrat ” dans ces motifs sans l'accompagner de guillemets.
[3] Les avocats des deux parties se sont dits d'accord que ce sont les dispositions du nouveau Code civil en matière de preuve qui s'appliquent ici. Le nouveau Code est entré en vigueur le 1er janvier 1994 mais certaines dispositions sont rétroactives.