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Date: 20000822

Dossier: 2000-604-GST-I

ENTRE :

BRAXTON M. ALFRED et DIANE L. ALFRED,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Braxton et Diane Alfred interjettent appel contre une cotisation en date du 30 avril 1999 en vertu de laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a rejeté leur demande de remboursement de taxe sur les produits et services (“ TPS ”).

[2] Les parties s'entendent sur les faits suivants. Un promoteur louait d'une université (University of British Columbia) une grande propriété non bâtie et y construisait des immeubles d'habitation. En août 1992, les appelants avaient acheté une résidence personnelle en acquérant un intérêt dans un condominium à bail, soit l'unité 304 du 5880, Hampton Place. Cet intérêt avait été acquis par voie de cession d'un des lots condominiaux à bail issus de la conversion de la propriété que le promoteur louait de l'université, lorsque les appelants avaient acheté l'habitation condominiale au promoteur. Le prix d'achat était de 287 000 $. En outre, à la date de clôture de l'opération, soit le 24 août 1992, les appelants devaient payer et avaient effectivement payé au vendeur 20 090 $ de TPS. Une demande générale de remboursement du montant intégral de la TPS payée avait été faite par les appelants et reçue par le ministre le 12 février 1999[1]. Le 30 avril 1999, le ministre a, par voie de cotisation, refusé d'accorder le remboursement pour le motif que “ la demande de remboursement est frappée de prescription en raison du délai imposé par le paragraphe 261(3) de la Loi sur la taxe d'accise [2].

Preuve présentée par la partie appelante

[3] Diane Alfred a témoigné que, dans les années suivant leur acquisition de l'habitation, il y avait énormément de confusion au sujet du paiement de la TPS par les acheteurs des logements condominiaux. Personnellement, elle était devenue pour la première fois au courant du problème en question en lisant un article paru en juillet 1995 dans la chronique du Sun de Vancouver intitulée Your Taxes. Cet article mentionnait expressément le fait que plusieurs résidents du même immeuble avaient contacté Revenu Canada et reçu des avis contradictoires à propos de leurs droits respectifs à un remboursement. Le chroniqueur s'était renseigné et rapportait que, “ d'après le bureau de Revenu Canada à Ottawa, cette question est actuellement à l'étude. Revenu Canada prévoit de faire connaître sa position d'ici deux ou trois semaines ”. Environ six mois plus tard, aucune décision n'avait été rendue, et Diane Alfred avait écrit au ministre, David Anderson[3], une lettre comportant en annexe une copie de l'article et demandant de l'information quant à savoir quand la décision serait rendue. Le 18 mars 1996, Pierre Gravelle, c.r., sous-ministre de Revenu Canada, avait répondu entre autres ceci : “ Après avoir examiné à fond la loi intitulée Condominium Act ainsi que la loi relative à la TPS, Revenu Canada a conclu que l'opération représente en fait une vente et est donc à juste titre assujettie aux 7 p. 100 de TPS. ”[4] Diane Alfred a dit que les appelants n'avaient rien sur quoi se baser pour évaluer le raisonnement juridique exposé dans la lettre du sous-ministre. Elle a en outre fait remarquer que M. Gravelle était c.r., qu'elle avait compris qu'il était avocat et que, se fondant là-dessus, elle s'était simplement fiée à l'avis donné; elle a déclaré : “ D'après cet avis, il fallait payer de la TPS, et je n'avais donc pas poussé l'affaire davantage. ”[5]

[4] Les appelants n'ont réentendu parler de la question du remboursement que lorsque Judy et Jim Taylor ont envoyé une lettre aux présidents des divers conseils de condominium pour dire qu'ils avaient eu gain de cause dans leur appel contre une cotisation rejetant leur demande de remboursement[6]. Un membre du conseil de condominium des appelants avait obtenu des renseignements supplémentaires sur cette décision, par suite de quoi les appelants ont fait leur demande générale de remboursement, qui, comme je l'ai mentionné précédemment, a été rejetée par le ministre.

[5] Raymond Takyan Ng (“ M. Ng ”) avait acheté deux unités de Hampton Place en 1993, l'une comme résidence principale, l'autre comme bien de location. Suivant l'avis de son avocat, il avait contacté Revenu Canada pour déterminer s'il fallait payer de la TPS, et on l'avait informé que 7 p. 100 de TPS devaient être payés sur le bien de location et qu'il ne serait admissible qu'à un remboursement de 2,5 p. 100 à l'égard de la résidence[7]. En 1995, il avait assisté à une réunion au cours de laquelle un comptable, s'adressant à un certain nombre des résidents de logements condominiaux concernant la question de TPS, offrait son aide pour la présentation de demandes de remboursement. Incertain quant à savoir s'il devait retenir les services du comptable, M. Ng avait de nouveau contacté Revenu Canada pour avoir de l'information, demandant expressément s'il serait “ utile ” pour lui “ de faire cette demande ”. Il a dit que le fonctionnaire avait produit “ de la documentation selon laquelle tout le monde a en fait besoin de payer la TPS ” et il se rappelait que “ le fonctionnaire était sûr que je gaspillerais simplement mon argent ” en retenant les services de quelqu'un pour la production de la demande. Se fondant sur ces déclarations, il avait décidé de ne pas présenter sa demande. M. Ng a fait remarquer que la question du remboursement revenait sans cesse dans les conversations entre les résidents, mais il a concédé qu'il ne se souvenait pas précisément d'avoir informé les appelants sur les contacts qu'il avait eus avec Revenu Canada ou sur l'avis qu'il avait reçu d'employés de Revenu Canada.

[6] Mme Alfred et M. Ng ont tous deux témoigné que, dans leurs contacts respectifs avec des représentants de Revenu Canada, il n'y avait jamais eu d'explication ou de commentaire sur leurs droits par rapport au délai pour la présentation de la demande et qu'aucun délai n'avait jamais été mentionné.

Le régime législatif

[7] Les dispositions pertinentes de la Loi qui étaient en vigueur le 29 janvier 1999, date à laquelle les appelants ont fait leur demande générale de remboursement, se lisent comme suit :

261(1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d'une autre obligation selon la présente partie alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu'il ait été payé par erreur ou autrement.

[...]

261(3) Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.

Le paragraphe 261(3) tel qu'il se lisait à cette époque reflétait une modification qui a été apportée en 1997 et par laquelle le délai précédent, qui était de quatre ans, a été ramené à deux ans. La modification disposait en outre ceci :

71(2) Le paragraphe (1) s'applique aux montants suivants :

a) ceux qui, après juin 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de la partie IX de la même loi;

b) ceux qui, avant juillet 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de cette partie, à l'exception des montants dont le remboursement est demandé aux termes de l'article 261 de la même loi avant juillet 1998.[8] [9]

Thèse des appelants

[8] Les appelants soutiennent qu'à cause de la préclusion le ministre ne peut rejeter leur demande de remboursement en affirmant qu'elle est frappée de prescription étant donné qu'elle a été faite en retard. Ils disent que, si leur demande est frappée de prescription, leur omission de présenter la demande dans le délai requis est attribuable à des déclarations faites par les employés et représentants du ministre. Ils renvoient notamment à ce qu'ils disent être un avis négligent que le sous-ministre Gravelle leur avait donné avant l'expiration du délai et sur lequel ils s'étaient fondés, à savoir que l'achat des unités condominiales en question était assujetti à la TPS. Ils disent que cette déclaration indiquait implicitement qu'ils ne devraient pas faire une demande de remboursement parce que celle-ci ne serait pas acceptée. Comme ils ont suivi cet avis à leur détriment, ils font valoir qu'en raison de la préclusion le ministre ne peut se fonder sur le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi pour rejeter leur demande.

[9] Subsidiairement, les appelants invoquent l'affaire Taylor et Redmond c. La Reine[10], dans laquelle le juge en chef Garon, de la C.C.I., a dans des circonstances identiques statué que l'acquisition, par les parties appelantes, de leurs habitations respectives était exonérée de taxe en vertu de la partie IX de la Loi, et la cotisation du ministre leur refusant le remboursement de la taxe payée par erreur a donc été annulée. Comme cette décision a été rendue le 27 juillet 1998, les appelants soutiennent que leur droit de faire une demande générale de remboursement s'applique à partir de cette date. À l'appui de cette position, l'avocat des appelants fait valoir que l'interprétation appropriée du paragraphe 261(1) peut être établie en lisant les paragraphes (1) et (3) ensemble et en utilisant le paragraphe (1) pour déterminer ce que signifient les termes “ dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant ”. Il fait également valoir qu'il est nécessaire de prendre en compte dans la signification du paragraphe (3) le passage du paragraphe (1) qui dit “ elle n'avait pas à [...] payer ou à [...] verser ”. En lisant ces dispositions de cette manière et en admettant le fait que les appelants n'ont appris qu'ils “ n'avai[en]t pas à [...] payer ” le montant en litige que lorsqu'a été rendue la décision Taylor et Redmond, soit le 27 juillet 1998, les appelants avaient, si le délai légal s'appliquait effectivement, deux ans suivant cette date pour faire leur demande. L'avocat soutient qu'interpréter ainsi les termes mentionnés n'est pas contraire au sens ordinaire et à l'objet de la loi et représente plutôt une interprétation créative de la loi permettant à la Cour d'interpréter les dispositions législatives pertinentes de manière à accorder un redressement aux appelants[11].

[10] À l'appui de cette façon qu'il propose d'aborder l'interprétation d'une loi fiscale, l'avocat a fait référence à l'affaire Smith Drugs Ltd. c. M.R.N.[12], dans laquelle Mme le juge Reed a dit :

À mon avis, les commentaires émis dans les arrêts Wally Fires v. Her Majesty the Queen, 90 DTC 6662 (C.S.C.) et Johns-Manville Canada Inc. v. Her Majesty the Queen, 85 DTC 5373 (C.S.C.) selon lesquels, en cas d'incertitude, il faut donner le bénéfice du doute au contribuable, ne rejettent pas le principe énoncé dans l'arrêt Stubart. Ces affaires indiquent seulement que, si après avoir lu les dispositions législatives pertinentes en fonction de l'objet et de l'esprit de la Loi, on éprouve des doutes quant à l'interprétation visée, il faut pencher en faveur du contribuable, que la disposition en question prévoit une imposition, une exemption ou une déduction.

[11] Après l'audition de l'appel, Me Harkness a produit des arguments supplémentaires dans lesquels il soutient qu'une interprétation raisonnable du paragraphe 261(3) de la Loi indique qu'une personne assujettie aux dispositions de la Loi saurait, dans la plupart des cas, si la vente d'une fourniture taxable a avorté, si la fourniture taxable est restée impayée ou si elle a été consommée hors du Canada. Dans de telles circonstances, il n'y aurait pas de TPS à payer, et la personne demanderait dans le délai imparti un remboursement à l'égard de la TPS versée sur la vente. D'autre part, jusqu'à ce qu'un tribunal détermine qu'une fourniture est exonérée, une personne ne saurait normalement pas qu'il est possible d'avoir un remboursement à l'égard d'une telle fourniture sur laquelle Revenu Canada a perçu de la taxe par erreur. Dans le cas des appelants en l'espèce, il n'a été déterminé que la fourniture de leur intérêt à bail était une fourniture exonérée que lorsque la décision Taylor et Redmond a été rendue, soit après l'expiration du délai imparti. Sur la foi d'une décision récente de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (“ C.A.C.-B. ”), soit l'arrêt Hansen v. The Queen[13], l'avocat a argué que le paragraphe 261(3) peut être interprété comme fixant un délai de nature procédurale, car il indique qu'une personne demande un remboursement lorsqu'elle devient au courant de circonstances dans lesquelles la TPS n'était pas payable. Dans l'arrêt Hansen, la C.A.C.-B. a statué qu'un délai de nature procédurale peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion. Ainsi, dit l'avocat, Revenu Canada a, en acceptant le fait que des acheteurs avaient droit à des remboursements après que la décision Taylor a été rendue, consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision, soit au 27 juillet 1998.

Conclusion

L'argument relatif à la préclusion

[12] La preuve établit que les appelants sont devenus au courant de leur droit possible à un remboursement au plus tard en juillet 1995. De plus, à la même époque, on savait en général que Revenu Canada avait rendu en 1994 une décision anticipée permettant de croire que des acheteurs comme les appelants auraient droit à un remboursement et qu'il avait par ailleurs fourni des renseignements contradictoires à un certain nombre d'acheteurs, à savoir qu'ils n'auraient pas droit à des remboursements. Revenu Canada avait également dit qu'il examinait la question de savoir si l'acquisition de ces unités était exonérée de taxe. En janvier 1996, Diane Alfred avait, comme suite à sa lettre précédente, pressé le ministre de rendre une décision et, en mars 1996, elle avait reçu une réponse du sous-ministre. L'opinion réfléchie donnée dans cette réponse était que, sur la foi des dispositions de la loi pertinente, l'opération était assujettie à la TPS. Je suis convaincu que le fait que les appelants ont accepté cette déclaration comme exacte les a directement conduits à abandonner leurs efforts pour demander un remboursement à une époque où le délai légal n'était pas encore expiré.

[13] Bien qu'il soit clair que les appelants ont agi à leur détriment par suite de l'avis reçu, ils ne peuvent avoir gain de cause en se fondant sur ce motif. L'issue estoppel (préclusion fondée sur la chose jugée) a été examinée dans un certain nombre de causes, et le principe qui peut s'en dégager est que la Couronne ne peut être liée par une déclaration en matière d'interprétation du droit faite par l'un de ses employés ou représentants. Dans l'arrêt M.R.N. c. Inland Industries Limited[14], la Cour suprême du Canada a examiné certains articles de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant la déductibilité de cotisations au titre de services passés à un régime de pension initialement accepté par le ministère du Revenu national pour fins d'enregistrement, mais à l'égard duquel des déductions ont ultérieurement été refusées. Parlant pour la Cour, le juge Pigeon a en fait disposé de toute question de préclusion en disant :

[...] Toutefois, il me paraît clair qu'une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre.

Ce principe a été appliqué dans l'affaire Stickel c. M.R.N.[15],par le juge Cattanach, qui a dit :

En bref, les fins de non-recevoir [la préclusion] sont soumises à une règle générale: elles ne peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale.

[14] Le raisonnement à la base du principe exprimé dans ces causes a été succinctement résumé par le juge Bowman dans l'affaire Goldstein c. La Reine[16] :

On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

[15] La question dont je suis saisi est de savoir si les déclarations faites aux appelants par un représentant de Revenu Canada étaient des déclarations de fait ou de droit. Dans sa lettre du 18 mars 1996[17], M. Gravelle disait :

[TRADUCTION]

Normalement, en vertu de la loi relative à la TPS, la vente de logements condominiaux est considérée comme assujettie aux 7 p. 100 de TPS lorsqu'un tel logement est une habitation nouvellement construite qui n'a pas été occupée précédemment. La location d'un logement condominial est toutefois généralement exonérée de la TPS. Le point litigieux dans ce cas particulier est de savoir si l'opération représente une vente ou une location. Après avoir examiné à fond la loi intitulée Condominium Act ainsi que la loi relative à la TPS, Revenu Canada a conclu que l'opération représente en fait une vente et est donc à juste titre assujettie aux 7 p. 100 de TPS. [...]

Il s'agissait non pas de déclarations de fait, mais plutôt d'une opinion quant à l'interprétation appropriée des dispositions pertinentes de la Loi. Dans de telles circonstances, les appelants ne peuvent faire valoir la préclusion afin d'empêcher le ministre de se fonder sur les dispositions du paragraphe 261(3) de la Loi pour rejeter leur demande de remboursement.

L'argument relatif au délai

[16] J'ai conclu que l'“ approche créative ” des appelants quant à l'interprétation des paragraphes 261(1) et (3) de la Loi doit être rejetée. L'intention du législateur de fixer un délai pour la présentation d'une demande de remboursement est énoncée en termes non équivoques. L'avocat des appelants voudrait que la Cour interprète cette disposition particulière comme correspondant à ce que les appelants croyaient que le législateur aurait dit si ce dernier avait été saisi de cette situation particulière. Lorsque la signification d'un texte est claire, notre cour n'a pas compétence pour en atténuer les conséquences. Bien que notre cour puisse être en droit d'interpréter le libellé d'une loi adoptée par le législateur, elle ne peut le déformer pour le rendre conforme à ce qu'elle peut considérer comme raisonnable[18].

[17] Je suis également d'avis que l'affaire Hansen se distingue de la présente espèce aussi bien en fait qu'en droit. Dans cette cause-là, il s'agissait de savoir si le droit de Mme Hansen de former une demande d'indemnisation à l'égard d'un terrain qui avait été exproprié aux fins d'une route était prescrit parce que le délai d'un an prévu à l'article 25 de la loi intitulée Expropriation Act[19] était écoulé. La commission appelée Expropriation Compensation Board (la “ commission ”) avait décidé que le ministère, étant lié par la préclusion, ne pouvait se fonder sur le délai. L'appel était interjeté contre cette décision. Pour ce qui est des faits relatifs à l'affaire Hansen, au cours d'une réunion entre les avocats tenue en juin 1995, le négociateur du ministère avait déclaré à l'avocat de Mme Hansen que le délai d'un an commencerait à courir à compter de la date de possession, soit le 8 août, plutôt qu'à compter de la date du paiement comme le spécifiait la disposition pertinente, soit le 21 juillet. Le juge MacKenzie, de la Cour d'appel, a conclu que cette déclaration n'était pas ambiguë et que c'était une déclaration de fait destinée à être suivie et ayant été suivie et il a statué que la commission avait eu raison de conclure que les éléments de la préclusion promissoire avaient été établis. Cet arrêt n'aide guère les appelants, car la préclusion à laquelle il a été conclu concernait une déclaration de fait, qui avait été suivie par Mme Hansen à son détriment. Tel n'est pas le cas dans la présente espèce, dans laquelle les déclarations de M. Gravelle (et d'autres représentants de Revenu Canada) reflétaient l'interprétation du ministère quant aux dispositions pertinentes de la Loi.

[18] L'avocat des appelants a également argué que le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature procédurale pouvant être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion, et ce, sur la foi des propos suivants tenus par le juge MacKenzie dans l'arrêt Hansen :

[TRADUCTION]

En vertu de l'article 25, aux termes duquel une instance ne peut être introduite après l'expiration du délai d'un an, le propriétaire est réputé avoir accepté un paiement anticipé comme règlement intégral en l'absence de toute autre demande présentée dans le délai imparti. À mon avis, cela n'équivaut pas à l'extinction de la demande, qui est simplement réputée avoir été réglée. Cette distinction peut être subtile, mais je pense que le libellé de l'article 25 fixe un délai de nature procédurale qui peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion.

Je ne saurais convenir de l'argument présenté sur la foi de ces propos. Premièrement, les appelants n'ont pas établi la preuve d'une préclusion. Deuxièmement, le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature fondamentale et non pas simplement de nature procédurale et il ne peut être prorogé. Ce paragraphe dispose : “ Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans [...] ”. Comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimée, cette disposition prévoit clairement l'extinction de tous les droits au remboursement. De plus, rien n'indique que les appelants ont été mal informés par un fonctionnaire de Revenu Canada sur le délai fixé pour la présentation d'une demande de remboursement. Ainsi, il est difficile de trouver un fondement à l'argument de Me Harkness selon lequel Revenu Canada a consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision Taylor et Redmond. En outre, même si les appelants avaient pu établir que Revenu Canada avait conclu une forme d'accord avec eux, un tel accord viserait en fait à déterminer la taxe autrement qu'en conformité avec la loi et serait illégal[20].

[19] Je dois ajouter à ce qui précède qu'aucune disposition de la Loi ne permet au ministre ou encore à la Cour fédérale ou à notre cour de proroger ou de modifier les délais spécifiés dans une disposition législative comme le paragraphe 261(3) ou d'y déroger[21].

[20] Plusieurs autres motifs avaient été invoqués par les appelants dans les actes de procédure, y compris un enrichissement injustifié du ministre et une négligence de sa part, ainsi qu'un motif, fondé sur les dispositions de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Limitation Act, selon lequel la demande des appelants n'était pas frappée de prescription. L'avocat des appelants a fait savoir que ces motifs n'étaient plus invoqués.

[21] Par conséquent, pour les motifs mentionnés ci-dessus, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'août 2000.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de février 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Pièce A-5. On ne conteste pas le fait que les appelants ont en fait reçu un remboursement pour habitations neuves de 6 922 $ et que seul le solde d'environ 13 169 $ demeure en litige.

[2]               Pièce A-6 – pages 2 et 3.

[3]               Pièce A-3 – lettre en date du 22 janvier 1996.

[4]               Pièce A-4.

[5]               La réponse du sous-ministre a été envoyée à l'auteur de la chronique Your Taxes du Sun de Vancouver et un résumé en a été publié dans l'édition du 1er avril 1996.

[6]               Il s'agit de l'affaire Taylor et Redmond c. La Reine, C.C.I., no 96-705, 27 juillet 1998 ([1998] G.S.T.C. 80).

[7]               Quoique M. Ng ne l'ait pas dit, il est admis qu'il s'agissait du remboursement pour habitations neuves auquel il avait droit.

[8]               Voir L.C. 1997, ch. 10, paragraphes 71(1) et (2).

[9]               On ne conteste pas le fait que, comme les appelants avaient acheté leur habitation le 24 août 1992, les paragraphes 261(1) et 261(3) tels qu'ils se lisaient à cette époque auraient exigé qu'ils fassent leur demande générale de remboursement au plus tard le 24 août 1996. Toutefois, ils n'ont fait leur demande de remboursement que le 29 janvier 1999, et le délai dans leur cas est de deux ans.

[10]             Affaire précitée.

[11]             L'argumentation subsidiaire énoncée dans ce paragraphe ainsi qu'aux paragraphes 10 et 11 a été présentée par Me D. G. Harkness, l'avocat de Vivian M. May, dont l'appel (2000-645(GST)I) a été entendu immédiatement après l'appel Alfred. Les questions étaient considérées par toutes les parties comme pratiquement identiques, et l'avocat de M. et Mme Alfred les a adoptées aux fins du présent appel.

[12]             C.F., 1re inst., no T-1761-86, 27 avril 1992, à la page 12 ([1992] 54 F.T.R. 32, aux pages 38-39).

[13]             Diane Hansen et al v. The Queen in right of the Province of British Columbia, as represented by the Minister of Transportation and Highways, 2000 BCCA 338.

[14]             [1974] R.C.S. 514, à la page 523 (72 DTC 6013, à la page 6017).

[15]             [1972] C.F. 672, à la page 685 (72 DTC 6178, à la page 6185).

[16]             C.C.I., no 94-840(IT)I, 1er mars 1995, à la page 11 (96 DTC 1029, à la page 1034).

[17]             Pièce A-4.

[18]             Affaire Altrincham Electric Supply Limited. v. Sale Urban District Council, [1936] 154 L.T. 379, à la page 388, citée par le juge Estey qui l'approuvait dans l'arrêt Wanklyn et al v. M.N.R., [1953] 2 R.C.S. 58.

[19]       R.S.B.C. 1996, ch. 125. L'article 25 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Si une demande visant la détermination d'une indemnisation n'est pas faite à la commission dans l'année suivant un paiement fait en vertu de l'article 20, le propriétaire dont le terrain a été exproprié est réputé avoir accepté ce paiement en règlement intégral de sa demande d'indemnisation et il ne peut introduire une instance pour que soit déterminée une indemnisation.

[20]             Voir par exemple l'arrêt Cohen c. La Reine, C.A.F., 3 juin 1980 (80 DTC 6250).

[21]             Au sujet du délai spécifié au paragraphe 256(3) de la Loi, voir les observations formulées dans l'affaire Domjancic c. La Reine, C.A.F., no A-385-96, 14 avril 1997 ([1997] G.S.T.C. 30), juges Stone et Robertson et juge suppléant Gray, et C.C.I., no 95-2808(GST)I, 1er avril 1996 ([1996] G.S.T.C. 52), juge Hamlyn.

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