Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980309

Dossiers: 95-2841-IT-G; 95-2842-IT-G; 95-2846-IT-G; 95-2843-IT-G; 95-2844-IT-G; 95-2845-IT-G; 95-2847-IT-G

ENTRE :

MARY MUSCILLO, ANGELO MUSCILLO, GINA MUSCILLO, LISA MUSCILLO, PATRIZIA MUSCILLO, DAVID MUSCILLO,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance ont été entendus sur preuve commune et portent sur les années d'imposition 1988 et 1989.

[2] Les appelants sont tous des bénéficiaires de l'une ou l'autre de deux fiducies familiales. Les fiducies ont traité le gain réalisé par suite de la vente d'un bien en 1987 comme un gain en capital. Les choix faits par des bénéficiaires privilégiés qui ont été produits répartissaient le gain en capital entre les bénéficiaires. Ayant conclu que l’opération n'avait pas donné lieu à un gain en capital, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l'égard des fiducies et des bénéficiaires en tenant pour acquis que le gain constituait un revenu. En conséquence, des provisions ont été déduites en vertu de l'alinéa 20(1)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Des déclarations modifiées et des choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés ont été produits pour les années 1988 et 1989 en vertu du paragraphe 104(14) pour tenir compte de la nouvelle qualification du gain. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard des fiducies et des bénéficiaires pour tenir compte des déclarations modifiées et des choix modifiés.

[3] Le profit réalisé sur la vente s'est révélé illusoire. En 1991, l'acheteur a manqué à son obligation de rembourser le prêt hypothécaire accordé, un montant à titre de provision pour créances douteuses a été déduit par les fiducies et la perte qui en est résultée a été reportée sur les années 1988 et 1989. Les appelants ont produit des choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés et des déclarations modifiées pour tenir compte du revenu réduit des fiducies qui devait leur être attribué. Le ministre n'a pas donné suite aux déclarations modifiées ni aux choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés. Il a cependant établi une nouvelle cotisation dans laquelle il a effectué quelques rajustements techniques négligeables, ce qui a donné aux appelants l'occasion de déposer des avis d'opposition et, par la suite, d'interjeter appel à la Cour.

[4] Bien que les appels soient le résultat de l'inaction du ministre relativement à la deuxième série de choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés, les appelants font valoir, à l'appui de leur opposition aux cotisations, que les premiers choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés étaient invalides.

[5] Le mini-exposé qui précède simplifie à l'excès les faits et les questions en litige. Les faits sont considérablement plus complexes et ils sont énoncés dans un exposé conjoint des faits, dont voici le texte :

[TRADUCTION]

1. Certains des appelants, à savoir Angelo Muscillo, Lisa Muscillo, Mary Muscillo et David Muscillo, étaient, au cours de toutes les périodes concernées, les seuls bénéficiaires du revenu et du capital d'une fiducie entre vifs appelée la fiducie familiale de Dario Muscillo. Les autres appelants, à savoir Angelo Muscillo, Gina Muscillo et Patrizia Muscillo, étaient, au cours de toutes les périodes concernées, les seuls bénéficiaires du revenu et du capital d'une fiducie entre vifs appelée la fiducie familiale de Pasquale Muscillo.

2. La fiducie familiale de Pasquale Muscillo et la fiducie familiale de Dario Muscillo (ci-après appelées collectivement les “ fiducies ”) étaient chacune propriétaires de la moitié d'une parcelle d'un bien-fonds connu sous le nom de partie du lot 6, concession 9, dans la ville de Vaughan, municipalité régionale de York (le “ bien ”).

3. Le 27 mai 1987, les fiducies ont vendu le bien à Giovanni Guizzetti Investments Inc. (l'“ acheteur ”).

4. Les fiducies ont vendu le bien à l'acheteur (la “ vente ”) 1 800 000 $ (le “ prix d'achat ”) et elles ont accordé un prêt hypothécaire dont le principal était de 1 400 000 $ (le “ prêt hypothécaire ”).

5. Le prêt hypothécaire prévoyait le paiement d'un intérêt mensuel et le remboursement complet du principal à la date d'échéance, à savoir le 27 avril 1991.

6. Les fiducies ont initialement déclaré, dans l'année d'imposition 1987, les gains réalisés par suite de la vente à l'acheteur à titre de gains en capital, et chacun des bénéficiaires des fiducies (collectivement appelés les “ bénéficiaires ”) ont produit un choix fait par un bénéficiaire privilégié de façon à répartir entre eux le gain en capital total réalisé par suite de la vente par les fiducies.

7. Pour l'année d'imposition 1988, les fiducies ont tiré un revenu d'intérêt sur le prêt hypothécaire et chacun des bénéficiaires a produit un choix fait par un bénéficiaire privilégié de façon à répartir entre eux tout le revenu d'intérêt. Les avis de cotisation se rapportant à l'année d'imposition 1988 des bénéficiaires de la fiducie familiale de Dario Muscillo, à savoir Angelo, Lisa, Mary et David Muscillo, sont datés du 20 juillet 1989, du 16 octobre 1989, du 3 juillet 1989 et du 11 octobre 1989 respectivement. Les avis de cotisation se rapportant à l'année d'imposition 1988 des bénéficiaires de la fiducie familiale de Pasquale Muscillo, à savoir Angelo, Gina et Patrizia Muscillo, sont datés du 11 octobre 1989, du 6 juillet 1989 et du 29 septembre 1989 respectivement.

8. Par suite d'une vérification de l'année d'imposition 1987 des fiducies, le ministre du Revenu national a déterminé que le gain réalisé par suite de la vente était un revenu et non un gain en capital (la “ nouvelle qualification ”). Le ministre a ensuite établi, pour l'année d'imposition 1987 des fiducies, un avis de nouvelle cotisation daté du 30 mai 1990, pour l'année d'imposition 1987 des bénéficiaires, un avis de nouvelle cotisation daté du 3 ou du 4 juillet 1990 et, pour l'année d'imposition 1988 de certains des bénéficiaires, un avis de nouvelle cotisation daté du 3 ou du 4 juillet 1990.

9. Pour tenir compte de la nouvelle qualification relativement à l'année d'imposition 1987, le ministre du Revenu national a traité la partie non répartie du gain comme un revenu des fiducies, il a refusé les gains en capital dont la déduction avait été demandée par chacun des bénéficiaires et, relativement à l'année d'imposition 1988, il a refusé un report d'impôt minimum aux bénéficiaires à l'égard desquels il avait établi une nouvelle cotisation pour l'année en question.

10. Des avis de cotisation ont été établis relativement à l'année d'imposition 1989 des bénéficiaires de la fiducie familiale de Dario Muscillo, à savoir Angelo, Lisa, Mary et David Muscillo et sont datés du 12 juillet 1990, du 8 août 1990, du 12 juillet 1990 et du 8 août 1990 respectivement. Les avis de cotisation se rapportant à l'année d'imposition 1989 des bénéficiaires de la fiducie familiale de Pasquale Muscillo, à savoir Angelo, Gina et Patrizia Muscillo sont datés du 12 juillet 1990, du 12 juillet 1990 et du 4 janvier 1991 respectivement.

11. Des avis d'opposition datés du 31 août 1990 ont été déposés pour les années d'imposition 1987 et 1988 des bénéficiaires. Ces derniers se sont opposés à la nouvelle qualification, par suite de laquelle des rajustements ont été apportés à leur revenu du fait que le ministre a refusé de traiter le gain réalisé lors de la vente comme un gain en capital.

12. Du fait de la nouvelle qualification, les fiducies ont produit des déclarations de revenus des fiducies T3 modifiées pour les années d'imposition 1987 à 1990 (les “ premières déclarations modifiées ”), dans lesquelles elles ont tenu compte de la nouvelle qualification et traité le gain réalisé par suite de la vente comme un revenu, et déduit un montant au titre du profit découlant de la vente pour répartir le revenu tiré de la vente sur la période maximale de trois ans permise au paragraphe 20(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada).

13. En outre, du fait de la nouvelle qualification, les bénéficiaires ont déposé auprès d'un employé de la Division des appels, bureau de district de Mississauga, Revenu Canada (l'“ agent des appels ”) des choix modifiés faits par des bénéficiaires privilégiés (les “ premiers choix modifiés ”) pour que soit imposée entre leurs mains leur part du revenu tiré de la vente relativement aux années d'imposition 1987 à 1990, laquelle période incluait les années d'imposition 1988 et 1989, qui sont l'objet de l'appel en l'instance (ci-après appelés individuellement le “ revenu de 1988 ” et le “ revenu de 1989 ”).

14. Les premières déclarations modifiées et les premiers choix modifiés sont datés du 27 février 1992 et ont été transmis avec une lettre d'accompagnement à l'agent des appels par Ronald J. Farano, procureur des fiducies et des bénéficiaires.

15. Aucun accusé de réception de l'envoi des premières déclarations modifiées et des premiers choix modifiés n'a été reçu de Revenu Canada par les fiducies, par l'un ou l'autre des bénéficiaires ou par Ronald J. Farano, et ni les bénéficiaires, ni les fiducies, ni Ronald J. Farano n'ont eu d'indication que les premières déclarations modifiées et les premiers choix modifiés seraient acceptés ou rejetés.

16. Le ministre a établi des avis de nouvelle cotisation à l'égard des bénéficiaires de la fiducie familiale de Dario Muscillo, à savoir Angelo, Lisa, Mary et David Muscillo, datés du 26 mai 1992, du 22 octobre 1992, du 14 mai 1992 et du 21 octobre 1992 respectivement, et à l'égard des bénéficiaires de la fiducie familiale de Pasquale Muscillo, à savoir Angelo, Gina et Patrizia Muscillo, des avis de nouvelle cotisation datés du 31 juillet 1992, du 25 mai 1992 et du 25 mai 1992 respectivement. Ces avis de nouvelle cotisation (les “ nouvelles cotisations de 1992 ”) ont été établis pour les années d'imposition 1987 à 1990 des fiducies et des bénéficiaires visés par la nouvelle qualification. Les fiducies ont été traitées comme ayant un “ revenu imposable nul ” dans les années en question.

17. Le prêt hypothécaire consenti à l'acheteur lors de la vente est arrivé à échéance le 27 avril 1991, date à laquelle le principal impayé de 1 400 000 $ est devenu payable (la “ date d'échéance ”).

18. En 1991, l'acheteur a manqué à son obligation de payer de nombreux montants d'intérêt et il a manqué à son obligation de payer le principal de l'hypothèque à la date d'échéance (le “ manquement ”).

19. À la suite du manquement, les fiduciaires des fiducies ont obtenu une évaluation écrite du bien, selon laquelle celui-ci avait, en 1991, une juste valeur marchande de 812 000 $ environ.

20. Chacune des fiducies a déduit, dans son année d'imposition 1991, un montant à titre de provision pour créances douteuses de 277 500 $, qui représente le principal dû à chaque fiducie aux termes du prêt hypothécaire, moins la juste valeur marchande de la garantie hypothécaire détenue par les fiducies.

21. Le montant à titre de provision pour créances douteuses déduit par les fiducies dans leurs déclarations de revenus de 1991 a donné lieu à une perte pour les fiducies (la “ perte ”).

22. Le 2 août 1992, les fiducies ont entrepris des procédures de forclusion par voie de déclaration à l'encontre de l'acheteur et elles ont obtenu une ordonnance finale de forclusion le 23 novembre 1992 (la “ forclusion ”).

23. Les fiducies ont inclus dans leur revenu imposable de 1992 le montant à titre de provision pour créances douteuses déduit dans l'année d'imposition 1991.

24. Le 10 mars 1993, les fiduciaires et les bénéficiaires ont produit des déclarations de revenus des fiducies T3 modifiées (les “ deuxièmes déclarations modifiées ”) et des choix modifiés faits par des bénéficiaires privilégiés (les “ deuxièmes choix modifiés ”) relativement aux années d'imposition 1988 et 1989, afin que la perte s'applique au revenu imposable de 1988 et de 1989 des fiducies et qu'un revenu net réduit soit réparti entre les bénéficiaires.

25. Le ministre a refusé de tenir compte des deuxièmes déclarations modifiées et des deuxièmes choix modifiés dans une lettre adressée aux contribuables en date du 17 septembre 1993, dans laquelle il a indiqué qu'il fondait son rejet sur le Guide T3, plus précisément sur le document intitulé “ Demande de reports de pertes ”, puis il a conclu qu'“ aucune déduction des montants auparavant désignés ne peut être faite si un choix fait par un bénéficiaire privilégié a été fait au titre des gains en capital imposables nets ”.

26. Le 3 novembre 1993, le 16 novembre 1993, le 22 novembre 1993 et le 25 novembre 1993 (les “ nouvelles cotisations de novembre 1993 ”), le ministre a établi des avis de nouvelle cotisation relativement aux années d'imposition 1988 et 1989 des bénéficiaires, dans lesquels il a corrigé une erreur de calcul sans conséquence commise dans les nouvelles cotisations de 1992.

27. Le 3 février 1994, les bénéficiaires ont déposé des avis d'opposition pour chacune des années d'imposition 1988 et 1989.

28. Le ministre a confirmé les nouvelles cotisations de novembre 1993 dans des avis de confirmation datés du 26 mai 1995.

[6] Voici ce qui ressort des faits exposés précédemment :

a) Les choix faits par les bénéficiaires privilégiés et les déclarations qui ont été produits initialement étaient fondés sur l'hypothèse des contribuables selon laquelle le gain était un gain en capital et que la totalité de ce gain en capital pouvait être répartie entre les bénéficiaires en 1987.

b) En 1988, le revenu d'intérêt tiré du prêt hypothécaire par les fiducies a été réparti entre les bénéficiaires par des choix faits par les bénéficiaires privilégiés relativement à l'année en question.

c) Étant donné qu'il a décidé que le profit réalisé lors de la vente du bien était un revenu et non un gain en capital, le ministre a dû établir de nouvelles cotisations à l'égard des fiducies et des bénéficiaires. Le ministre a traité la partie non répartie du gain en capital comme un revenu des fiducies, il a refusé la déduction pour gains en capital demandée par les bénéficiaires et il a refusé un report d'impôt minimum aux bénéficiaires.

d) Des avis d'opposition à ces nouvelles cotisations ont été déposés.

e) Du fait de la cotisation établie par le ministre dans laquelle ce dernier a traité le profit comme un revenu et non comme un gain en capital, les fiducies ont produit de nouvelles déclarations pour les années 1987, 1988, 1989 et 1990, en vue de déduire un montant à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)n) et afin de répartir le profit sur les trois années, ainsi que le permet de paragraphe 20(8).

Il s'agit d'un point crucial. Lorsque les fiducies ont produit leurs premières déclarations en tenant pour acquis que le gain était un gain en capital, elles n'ont déduit aucun montant à titre de provision en vertu du paragraphe 40(1), probablement parce que, si le gain en capital imposable était imposé entièrement en 1987, le taux d'inclusion serait de 50 p. 100, alors que, si une provision était prise et incluse dans les années suivantes, le taux serait de 75 p. 100. Par conséquent, le seul revenu gagné par les fiducies en 1988 était l'intérêt hypothécaire, et celui-ci a été réparti entre les bénéficiaires.

De plus, le revenu accru des fiducies en 1988 et en 1989 découlant du montant déduit à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)n) a été réparti entre les bénéficiaires au moyen de choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés, de sorte que les fiducies n'ont eu aucun revenu pour les années en question. Il est relativement important de noter que ces premières déclarations modifiées et ces premiers choix modifiés ont été produits à la demande de l'employé du ministère du Revenu national.

Par conséquent, en 1992, le ministre a établi à l'égard des fiducies et des bénéficiaires, pour les années d'imposition 1987 à 1990, une cotisation dans laquelle il a tenu compte des premières déclarations modifiées et des premiers choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés.

f) En 1991, cependant, l'acheteur du bien a manqué à son obligation d'effectuer les paiements d'intérêt aux termes du prêt hypothécaire ou de rembourser le principal de 1 400 000 $, qui était dû le 27 avril 1991. La seule preuve qui m'a été présentée sur la valeur du bien en 1991 est l'admission que les fiduciaires ont obtenu une évaluation écrite indiquant que la juste valeur marchande était d'environ 812 000 $.

g) En vertu de l'alinéa 20(1)l), les fiducies ont déduit, relativement à leur année d'imposition 1991, un montant à titre de provision pour créances douteuses de 277 500 $, qui représente le principal dû à chaque fiducie aux termes du prêt hypothécaire, moins la juste valeur marchande de la garantie hypothécaire. Les fiducies avaient donc en 1991 une perte qui aurait pu être reportée sur les années 1988 et 1989 en vertu de l'article 111, et déduite de leurs revenus imposables pour les mêmes années, le cas échéant. Ils ne l'ont pas fait, cependant, car ils avaient réparti entre les bénéficiaires, aux termes des choix faits par les bénéficiaires privilégiés, tout le revenu découlant des nouvelles cotisations et de la déduction de montants à titre de provisions dans les déclarations modifiées.

[7] Il est admis, dans l'exposé conjoint des faits, qu'en déduisant un montant à titre de provision pour créances douteuses en 1991, les fiducies ont subi une perte. Je n'ai donc pas déterminé si cette déduction était appropriée. Je remarque en passant, cependant, qu'en 1992, les fiducies ont saisi en forclusion le bien hypothéqué et ont obtenu une ordonnance finale de forclusion le 23 novembre 1992. Dans le calcul de leur revenu pour 1992, les fiducies ont inclus le montant déduit à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)l). Du fait de la forclusion, l'article 79 est devenu applicable. Je n'examinerai pas en détail la façon dont cette disposition s'applique ici, si ce n'est pour signaler que l'effet général d'une forclusion est que la perte, le cas échéant, qui découle du prêt hypothécaire, n'est reconnue que lorsque le bien repris lors de la forclusion est aliéné. Dans l'affaire Déom v. R., [1996] 3 C.T.C. 2190, confirmée par 97 DTC 5037 (C.A.F.), j'ai statué qu'on ne peut demander une déduction pour créances irrécouvrables en vertu de l'alinéa 20(1)p) lorsque la créance continue d'être garantie par une hypothèque. Dans la présente affaire, cependant, la déduction faite en 1991 en vertu de l'alinéa 20(1)l) était au titre d'une provision pour créances douteuses, et je ne vois aucune raison particulière en principe d'interdire une telle déduction s'il est établi que la créance est effectivement douteuse et que la valeur de la garantie a diminué et qu'elle est maintenant inférieure au principal garanti. La provision doit être incluse dans le revenu de l'année suivante, comme ce fut fait.

[8] À supposer, donc, que les fiducies ont subi, en 1991, une perte qui pouvait être reportée sur les années 1988 et 1989 en vertu de l'article 111, les fiducies et les bénéficiaires ont produit de nouvelles déclarations modifiées et de nouveaux choix modifiés faits par les bénéficiaires privilégiés pour tenter de répartir entre les bénéficiaires un revenu net réduit découlant du revenu imposable réduit des fiducies du fait du report de la perte sur les années 1988 et 1989. Ces nouveaux choix modifiés sont les “ deuxièmes choix modifiés ”.

[9] Il y a lieu de noter qu'une perte reportée sur un exercice antérieur en vertu de l'alinéa 111(1)a) réduit le revenu imposable, et non pas le revenu.

[10] Néanmoins, s'il était possible d'annuler l'effet des premiers choix modifiés, les fiducies auraient alors un revenu (et un revenu imposable) auquel la perte pourrait être imputée.

[11] Le ministre n'a pas donné suite aux deuxièmes choix modifiés. Il aurait peut-être rejeté la demande, mais il n'en a pas eu l'occasion car celle-ci a été retirée (voir le passage tiré de la note de M. Dixon du 25 novembre 1995, cité plus loin). Subséquemment, une nouvelle cotisation a été établie à l'égard des bénéficiaires pour les années 1988 et 1989 afin de corriger une petite erreur de calcul, sans changer quoi que ce soit aux cotisations. Cela a cependant permis aux bénéficiaires de déposer des avis d'opposition et, par la suite, d'interjeter appel à la Cour.

[12] Le pouvoir du ministre de permettre qu'un choix soit modifié est prévu au paragraphe 220(3.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ainsi libellé :

Sur demande d'un contribuable ou d'une société de personnes, le ministre peut :

a) lorsque le contribuable ou la société de personnes n'a pas fait, dans le délai imparti, un choix prévu par une disposition de la présente loi ou une disposition réglementaire, visée par règlement, proroger le délai pour faire le choix;

b) lorsque le contribuable ou la société de personnes a fait un choix valide en vertu d'une disposition de la présente loi ou d'une disposition réglementaire, visée par règlement, permettre que le choix soit modifié ou annulé.

[13] Le pouvoir de permettre à un contribuable de modifier ou d'annuler un choix est clairement un pouvoir discrétionnaire du ministre. La Cour n'a pas compétence pour contrôler l'exercice par le ministre de ce pouvoir discrétionnaire ou son refus de l'exercer. Si ce pouvoir de contrôle existe, il appartient à la Cour fédérale du Canada[1].

[14] Les appelants reconnaissent ceci : ils ne me demandent pas de contrôler l'omission du ministre d'agir par suite des deuxièmes choix modifiés; ils me demandent plutôt de conclure que les premiers choix modifiés étaient invalides et que, par conséquent, les cotisations qui étaient fondées sur les choix modifiés doivent être annulées. Pour ce qui est de savoir si la Cour est compétente à cet égard, j'estime qu'elle l'est effectivement. Quant à savoir si je suis disposé à accorder aux appelants le redressement qu'ils demandent, c'est là une autre question.

[15] À mon sens, il ne m'appartient pas, en droit, de conclure que les premiers choix modifiés étaient invalides et, par le fait même, de remettre les choses dans l'état où elles étaient avant que les choix en question soient faits. Les choix ont été faits dans la forme prescrite et il y a été donné suite. Dans une argumentation fort approfondie et habile, l'avocat soutient qu'il n'y a pas eu de “ demande ” au sens du paragraphe 220(3.2) et que, quoi qu'il en soit, l'agent des appels n'avait pas le pouvoir, aux termes de l'article 900 du Règlement, d'accepter les premiers choix modifiés ou d'y donner suite. Il fait valoir également que, le 27 février 1992, le ministre n'avait pas le pouvoir d'accepter les premiers choix modifiés puisque la disposition l'habilitant à accepter un choix modifié pour l’application du paragraphe 104(14) de la Loi n'avait pas encore été prise. Il soutient que l'article 600 du Règlement, qui énonce les dispositions de la Loi en vertu desquelles le pouvoir du ministre prévu au paragraphe 220(3.2) s'applique, a été ajouté au Règlement par le C.P. 1992-914, le 7 mai 1992. L'alinéa b) de cette disposition du Règlement renvoie au paragraphe 104(14) en tant que disposition prescrite pour l’application des alinéas 220(3.2)a) et b). L'entrée en vigueur de l'article 600 du Règlement était prévue pour le 17 décembre 1991.

[16] J'aimerais pouvoir accepter ces arguments quelque peu techniques, mais je ne peux le faire. Le dépôt du choix modifié constitue en soi une demande. Le fait que les procédures énoncées dans la circulaire d'information IC 92-1 aient pu ne pas avoir été suivies ne me paraît pas invalider les choix. Les pouvoirs du ministre aux termes du paragraphe 220(3.2) sont, certes, délégués explicitement à certains fonctionnaires du ministère du Revenu national en vertu des paragraphes (2), (6), (7), (10), (12), (16), (17) et (18) de l'article 900 du Règlement. Cependant, l'agent des appels est habilité, dans le cours normal, à donner suite à des choix modifiés. Voir l'alinéa 24(2)d) de la Loi d'interprétation, qui paraît codifier l'affaire Carltona, Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2 All ER 560. Le paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation est ainsi libellé :

(2) La mention d'un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions, que celles-ci soient d'ordre administratif, législatif ou judiciaire, vaut mention :

a) de tout ministre agissant en son nom ou, en cas de vacance de la charge, du ministre investi de sa charge en application d'un décret;

b) de ses successeurs à la charge;

c) de son délégué ou de celui des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) indépendamment de l'alinéa c), de toute personne ayant, dans le ministère ou département d'État en cause, la compétence voulue.

[17] L'alinéa d) porte que :

d) indépendamment de l'alinéa c), de toute personne ayant, dans le ministère ou département d'État en cause, la compétence voulue.

[18] La question de savoir si cette disposition l’emporte sur la délégation très explicite de pouvoir prévue à l'article 900 du Règlement pris en vertu de l'alinéa 221(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu est défendable. Je n'entends pas me pencher sur cette question en l'absence d'argumentation, si ce n'est pour signaler que la Loi d'interprétation prévoit à l'article 3 que, sauf indication contraire, elle s'applique à tous les textes. Le pouvoir de prendre, en vertu de l'alinéa 221(1)f), un règlement autorisant des fonctionnaires désignés du ministère, peut bien être cette indication contraire. Ce n'est évidemment pas le Règlement lui-même qui donne une indication contraire dans l'interprétation d'une loi. Il ne fait aucun doute qu'un règlement ne peut être utilisé pour interpréter une loi[2]. Cependant, le pouvoir de prendre un règlement prévu dans une loi peut fournir cette indication contraire. Je préfère considérer que, lorsqu'un contribuable soumet un choix modifié en vertu du paragraphe 220(3.2) et qu'il est donné suite à ce choix, le contribuable peut s'attendre à ce que son choix soit traité convenablement : on présume que les formalités exigées par la loi ont été observées. Il ne peut être attaqué indirectement par la suite. Quoi qu'il en soit, il n'y a aucune preuve que l'affaire n'a pas été approuvée par un fonctionnaire désigné de façon appropriée.

[19] En ce qui concerne la date d'adoption de la disposition du Règlement, je remarque que les cotisations ont été établies après la date en question. Les dates des cotisations qui ont tenu compte des premiers choix modifiés peuvent être considérées comme étant les dates pertinentes sur le fondement desquelles les choix en question ont été acceptés. Quoi qu'il en soit, il était expressément prévu que la disposition du Règlement entrait en vigueur le 17 décembre 1991. Voir Agnew Estate v. The Queen, 78 DTC 6237 (C.A.F.).

[20] J'ai par conséquent conclu que les premiers choix modifiés avaient été validement faits et que, lors de l'établissement des cotisations, les représentants du ministère avaient le pouvoir d'y donner suite.

[21] Cela étant dit, il y a en l'espèce une injustice flagrante. Les bénéficiaires sont imposés relativement à un revenu qu'ils n'ont pas touché et qu'ils ne toucheront peut-être jamais. C'est précisément dans des circonstances comme celles de la présente affaire que le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 220(3.2) lorsqu'un événement subséquent qui est indépendant de la volonté des contribuables, soit une perte, rend les premiers choix déposés erronés. Le seul motif soumis à l'appui de la recommandation de refuser les deuxièmes choix modifiés est que ceux-ci constituaient une “ planification fiscale rétroactive ”. Il n'est absolument pas question en l'espèce de “ planification fiscale rétroactive ” et, si le refus avait été fondé sur la répétition d'une formulation trouvée dans une circulaire d'information, il aurait été arbitraire. L'iniquité de la position est d'autant plus frappante lorsqu'on considère que le comptable des fiducies et des particuliers, M. Pillo, a témoigné — et j'accepte son témoignage — que c'est à la demande du vérificateur, M. Moos, que les premières déclarations modifiées et les premiers choix modifiés ont été déposés.

[22] En revanche, je ne crois pas que la demande faite en vertu du paragraphe 220(3.2) aux fins de l'acceptation des deuxièmes choix modifiés ait été définitivement rejetée. Dans le rapport sur la demande fondée sur les “ Lignes directrices en matière d'équité ” (onglet 20), signé par D. A. Dixon, on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le revenu en question a été tiré de la vente du bien-fonds par les fiducies susmentionnées. Chaque fiducie détenait la moitié du bien-fonds. La fiducie avait initialement produit ses déclarations pour tenir compte du fait que la vente du bien-fonds avait entraîné un gain en capital. Les choix faits par des bénéficiaires privilégiés en vertu du paragraphe 104(14) ont été déposés afin que les gains en capital soient imposés dans les mains des bénéficiaires.

La Section de la vérification a établi, à l'égard des déclarations d’impôt des fiducies, une nouvelle cotisation selon laquelle la disposition du bien-fonds a donné lieu à un revenu. Les déclarations supplémentaires T3 ont été modifiées en conséquence pour tenir compte des montants choisis révisés.

À la suite des modifications apportées par la Section de la vérification, la fiducie a réalisé que le débiteur hypothécaire avait manqué à ses obligations aux termes de l'hypothèque détenue sur le bien en question. Par conséquent, le représentant des contribuables a soumis que les fiducies avaient une créance irrécouvrable relativement au manquement. Des avis d'opposition ont été déposés pour les bénéficiaires, dans lesquels on contestait les montants modifiés des bénéficiaires privilégiés. À la suite des oppositions, les représentants ont présenté des demandes aux termes du Dossier Équité pour le compte des fiducies et de leurs bénéficiaires en vue de modifier les choix conjoints faits par les bénéficiaires privilégiés. Ils ont fait cette demande pour remettre le revenu dans les mains des fiducies de façon que la créance irrécouvrable puisse être épongée. Aucune disposition de la Loi ne permet aux bénéficiaires de déduire cette perte du revenu visé par un choix.

Le choix prévu au paragraphe 104(14) relève des alinéas 220(3.2)a) et b) et de l'article 660b) du Règlement en ce qui concerne les choix modifiés, révoqués ou tardifs; il y a donc des dispositions qui permettent ces modifications, en autant que la demande respecte la politique et les lignes directrices de Revenu Canada énoncées dans IC 92-1. Notre examen a indiqué que la demande faite aux termes des lignes directrices en matière d'équité serait refusée puisqu'elle est visée à l'alinéa 11 a) de IC 92-1, qui mentionne la planification fiscale rétroactive. Les contribuables ne paraissent pas répondre aux situations prévues au paragraphe 10 de IC 92-1.

Conclusion

Le 16 mai 1995, le représentant des contribuables, Ron Farano, a retiré les demandes fondées sur les Lignes directrices en matière d'équitédu 8 mars 1995 pour tous les contribuables susmentionnés. Ces derniers ont accepté notre position selon laquelle il n'y a pas de créance irrécouvrable à ce moment-ci puisque la perte découlant de l'hypothèque relève des dispositions relatives à la forclusion prévues à l'article 79. Par conséquent, la perte n'est reconnue que lorsque le bien est aliéné. Du fait que les contribuables ont accepté cette position, il n'est pas nécessaire de donner suite aux choix faits par les bénéficiaires privilégiés puisque la fiducie sera maintenant autorisée à déduire leur manque à gagner des gains réalisés par suite de la disposition subséquente et, par conséquent, à reconnaître leurs pertes (voir IT 505 pour les calculs sur le gain subséquent).

[23] L'affirmation suivant laquelle les dispositions relatives aux créances irrécouvrables ne s'appliquent pas dans le cas d'une forclusion (voir Déom, précité) et suivant laquelle la perte est reconnue lorsque le bien repris lors de la saisie est vendu est sans doute juste dans cette mesure. Par conséquent, il peut y avoir une perte dans une année postérieure à l'année 1991. Cela ne tient pas compte cependant du fait qu'il est admis qu'il y a eu une perte en 1991 découlant de la déduction d'une créance douteuse (et non d'une créance irrécouvrable). La perte, le cas échéant, qui découlerait de la vente du bien en 1992 ou par la suite ne pourrait être reportée rétrospectivement que sur trois années en vertu de l'article 111 et, par conséquent, ne pourrait être déduite du revenu découlant, au moins en 1988 et peut-être en 1989, de la nouvelle qualification du gain.

[24] Je le répète, je ne suis pas habilité à contraindre le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire d'accepter les deuxièmes choix modifiés et les deuxièmes déclarations modifiées. Ce pouvoir, s'il existe, relève de la compétence de la Cour fédérale.

[25] Je me propose par conséquent de ne pas signer mon jugement pendant six mois (ou tout autre délai supplémentaire que les appelants peuvent raisonnablement demander) pour permettre aux appelants de demander au ministre d'accepter les deuxièmes choix modifiés. Il paraît n'exister aucun délai dans lequel une telle demande peut être faite. Si le ministre décide d'accepter les deuxièmes choix modifiés, mon dispositif des appels en sera changé. Si les appelants choisissent de ne pas présenter de demande, ou si le ministre refuse d'accepter les choix modifiés (sous réserve des redressements que les appelants peuvent choisir de demander à la Cour fédérale du Canada), je serai contraint de rejeter les appels. J'adopte cette mesure quelque peu inhabituelle parce que je suis d'avis que l'injustice flagrante, qui n'est pas le fruit des actes des appelants et qui résulte de l'acquiescement qu'ils ont donné de bonne foi à une demande faite par le représentant du ministère du Revenu national de déposer les premiers choix modifiés, une mesure qu'ils n'auraient autrement pas prise, est susceptible d'être corrigée et devrait être corrigée. Ce n'est cependant pas un redressement que la Cour est habilitée à accorder.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars 1988.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour d’avril 1998.

Benoît Charron, réviseur



[1]               Voir McNabb Family Trust v. The Queen, 98 DTC 6001 (C.A.F.), infirmant 96 DTC 6425 (C.F. 1re inst.)

[2]               Voir toutefois Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition, page 246.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.