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Date: 19991115

Dossier: 96-1341-IT-I

ENTRE :

ROSE ADAMS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Mme Rose Adams, qui est membre de la Première Nation des Chipewyans d'Athabasca (les « Chipewyans » ou la « bande des Chipewyans » ) et qui est une Indienne au sens de la Loi sur les Indiens (la « Loi » ), porte en appel une cotisation du ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour l'année d'imposition 1993. Le ministre a inclus dans le revenu de Mme Adams un montant de 18 541,26 $ comme revenu d'emploi pour l'année d'imposition 1993. Mme Adams soutient que son revenu d'emploi est exempté de taxation conformément à l'article 87 de la Loi, qui se lit comme suit :

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

[2] La principale question que soulève le présent appel est de savoir si le revenu d'emploi de Mme Adams était situé sur une réserve au sens de la Loi. Mme Adams invoque essentiellement deux motifs à l'appui de son appel. Premièrement, elle soutient que son revenu d'emploi est un bien meuble qui lui a été donné en vertu d'un traité ou accord entre sa bande et Sa Majesté et qui est réputé situé sur une réserve conformément à l'alinéa 90(1)b) de la Loi. L'article 90 se lit comme suit :

90. (1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été :

a) soit achetés par Sa Majesté avec l'argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l'usage et au profit d'Indiens ou de bandes;

b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

(2) Toute opération visant à transférer la propriété d'un bien réputé, en vertu du présent article, situé sur une réserve, ou un droit sur un tel bien, est nulle à moins qu'elle n'ait lieu avec le consentement du ministre ou ne soit conclue entre des membres d'une bande ou entre une bande et l'un de ses membres.

(3) Quiconque conclut une opération déclarée nulle par le paragraphe (2) commet une infraction; commet aussi une infraction quiconque détruit, sans le consentement écrit du ministre, un bien meuble réputé, en vertu du présent article, situé sur une réserve.

[3] Deuxièmement, appliquant les facteurs de rattachement élaborés par la jurisprudence, notamment dans l'affaire Williams v. Canada, (1992) 90 D.L.R. (4th) 129, 92 DTC 6320, Mme Adams soutient que son emploi est situé sur une « réserve » au sens de l'article 2 de la Loi, soit une « Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu'elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande » .

[4] Une des principales difficultés que pose ce second motif tient à la question de savoir si l'endroit où les services de Mme Adams étaient fournis et où elle vivait est une réserve au sens de la Loi. Bien que la parcelle de terrain sur laquelle se trouvent les locaux de son employeur et sa propre résidence ne fasse pas partie des parcelles mises de côté comme réserves par le gouverneur général en conseil le 3 juin 1954, Mme Adams soutient que les locaux de son employeur et sa propre résidence sont situés sur une réserve de fait.

[5] L'intimée prétend pour sa part que l'alinéa 90(1)b) de la Loi ne s'applique pas parce que le revenu d'emploi de Mme Adams ne lui a pas été donné conformément à un traité ou à un accord accessoire à un traité. Subsidiairement, l'intimée soutient que, même si l'accord entre la bande de Mme Adams et Sa Majesté est un accord visé à l'alinéa 90(1)b) de la Loi, l'argent reçu par Mme Adams a été versé en vertu d'un contrat de travail et non d'un accord entre la bande de Mme Adams et Sa Majesté. L'intimée fait également valoir que le concept de réserve de fait doit être rejeté en l'espèce. Enfin, le revenu de Mme Adams n'a pas de lien suffisant avec une réserve pour que Mme Adams puisse invoquer l'alinéa 87(1)b) de la Loi.

Faits

[6] Il n'y a pas de contestation quant à la plupart des faits pertinents en l'espèce. Les parties ont d'ailleurs déposé un exposé conjoint des faits, que je reproduis ici :

[TRADUCTION]

1. L'appelante est une Indienne au sens de la Loi sur les Indiens.

2. L'appelante est membre de ce qui s'appelle maintenant la Première Nation des Chipewyans d'Athabasca ( « PNCA » ), soit une « bande » au sens de l'article 2 de la Loi sur les Indiens ayant traité avec le Canada en 1899 à Fort Chipewyan, qui est situé sur le territoire délimité par le traité no 8.

3. En 1993, l'appelante exerçait un emploi pour la PNCA comme secrétaire de la bande, greffière du conseil de bande et administratrice du registre des Indiens. Dans le cadre de ses fonctions, elle devait tenir les procès-verbaux des réunions du conseil de bande, en assurer la distribution, établir l'ordre du jour des réunions du conseil et rédiger la correspondance du conseil. Comme administratrice du registre des Indiens, elle délivrait des certificats de statut d'Indien à des membres de la PNCA, tenait le registre de la bande faisant état des membres de cette dernière et communiquait au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) les événements touchant les membres de la PNCA, par exemple les naissances, les décès et les mariages. De plus, elle remplissait des fonctions administratives générales comme recevoir et distribuer le courrier, s'occuper des appels téléphoniques, rédiger et envoyer de la correspondance, faire fonction de réceptionniste, acheter des fournitures de bureau et tenir le matériel de bureau.

4. La PNCA a versé un salaire de 18 541,26 $ à l'appelante en 1993.

5. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation d'impôt à l'égard de ce salaire.

6. Pour la période allant du 1er avril 1992 au 31 mars 1993, le MAINC et la PNCA ont signé une entente de financement global, soit l'entente no 92-93-00463-01. Cette entente a été modifiée le 30 juin 1992 afin d'ajouter des fonds pour le logement de la bande.

7. Pour la période allant du 1er avril 1993 au 31 mars 1994, le MAINC et la PNCA ont signé une entente de financement global, soit l'entente no 93-94-00463-01, laquelle a été modifiée le 20 avril 1994 afin d'ajouter des fonds pour le logement de la bande.

8. Ces ententes de financement global prévoyaient l'attribution de fonds à la PNCA pour des activités décrites aux annexes C et D des ententes.

9. Il y a des modalités générales qui sont prévues dans ces ententes, ainsi que des modalités particulières, lesquelles varient selon le type de financement, c'est-à-dire selon qu'il s'agit de contributions, de paiements de transfert souples ou de subventions.

10. Habituellement, les bandes de l'Alberta qui reçoivent des fonds pour les activités décrites aux annexes C et D des ententes de financement global sont des bandes qui se trouvent sur des réserves mises de côté par décret en conseil. La PNCA est un cas exceptionnel.

11. Le MAINC a une entente avec la Northlands School Division et fournit des fonds à l'égard de frais de scolarité pour l'éducation des enfants de membres de la PNCA, et ce, dans un cadre distinct de celui des ententes de financement global.

12. La politique relative au financement du soutien des bandes (MAINC, Procédures du Programme, 20-2, vol. 1, partie 7.1) énonce, entre autres choses, que :

6.1 Le Programme de financement du soutien des bandes verse aux bandes une subvention qui servira de base financière et qui leur permettra de gérer leurs affaires. Les conseils peuvent utiliser les fonds pour couvrir les dépenses suivantes :

(a) allocations pour le chef et les membres élus du conseil;

(b) frais de déplacement pour le chef et les membres élus;

(c) salaires et frais de déplacement du personnel administratif;

(d) fournitures de bureau, équipements, services publics et loyer;

(e) frais d'utilisation d'installations téléphoniques de base;

(f) coûts des appels interurbains effectués aux fins du conseil ou de l'administration;

(g) frais postaux et bancaires;

(h) coûts des services de conciergerie et d'entretien du bureau de la bande;

(i) coûts de la vérification annuelle et autres honoraires professionnels; ou

(j) quote-part des dépenses d'un conseil tribal.

13. Sauf dispositions contraires prises par des membres de la PNCA, le MAINC administre le patrimoine de membres de la PNCA qui habitaient à Fort Chipewyan au moment de leur décès, ainsi que le patrimoine d'enfants mineurs devenus orphelins ou d'adultes handicapés qui habitent à Fort Chipewyan.

14. Pour l'exercice 1992-1993, la PNCA a reçu 143 703 $ du MAINC aux fins du financement du soutien des bandes. Sur le montant du financement du soutien des bandes pour l'exercice précédent, 6 489 $ ont été reportés prospectivement. Aux fins de l'administration de la bande, la PNCA a également reçu 6 412 $ du MAINC, soit une somme visant les frais administratifs d'autres programmes (terres, revenus, fiducies, etc.); la PNCA a en outre reçu 8 014 $ de subventions d'amorçage du gouvernement fédéral pour embaucher un étudiant pour l'été et elle a tiré 15 330 $ de sources diverses, y compris des intérêts.

15. La PNCA tient plusieurs comptes bancaires, dont un compte d'administration de bande. Dans ce compte, on dépose l'argent du financement du soutien des bandes du MAINC, l'allocation du MAINC pour l'éducation et les services du greffier chargé des questions relatives aux membres, les subventions pour l'embauchage d'étudiants pour l'été (comme les subventions d'amorçage) et des revenus divers.

16. Les sommes déposées dans le compte d'administration de bande sont utilisées pour verser des salaires, pour payer des dépenses du chef ainsi que du conseil et pour payer des frais de bureau et divers frais administratifs. En 1993, le salaire de l'appelante a été payé sur le compte d'administration de bande.

S'il n'y a pas assez de fonds dans le compte d'administration de bande pour payer des salaires, des dépenses du chef ainsi que du conseil ou des frais de bureau nécessaires, de l'argent est viré d'autres comptes bancaires de programme afin de renflouer le compte d'administration de bande.

18. En 1954, les terres suivantes[1] ont été mises de côté par décret en conseil à l'usage et au profit de la PNCA et sont des réserves au sens de la Loi sur les Indiens :

a) la réserve des Chipewyans no 201, soit environ 49 600 acres (certificat de titre daté du 23 décembre 1937);

b) la réserve des Chipewyans no 201A, soit environ 54 acres (certificat de titre daté du 23 décembre 1937);

c) la réserve des Chipewyans no 201B, soit environ 48 acres (certificat de titre daté du 23 décembre 1937);

d) la réserve des Chipewyans no 201C, soit environ 45 acres (certificat de titre daté du 23 décembre 1937);

e) la réserve des Chipewyans no 201D, soit environ 10 acres et 7/10 (certificat de titre daté du 23 décembre 1937);

f) la réserve des Chipewyans no 201E, soit environ 240 acres (certificat de titre daté du 23 décembre 1937);

g) la réserve des Chipewyans no 201F, soit environ 163 acres et 5/10 (certificat de titre daté du 23 décembre 1937);

h) la réserve des Chipewyans no 201G, soit environ 2 237 acres (certificat de titre daté du 23 décembre 1937).

19. La réserve no 201 a été mise de côté pour la PNCA afin d'assurer à cette dernière l'usage exclusif d'une région du delta d'Athabasca à des fins de piégeage. Les terres de la réserve no 201, soit principalement des terres marécageuses, ne sont accessibles que par bateau. Elles sont impropres à la construction domiciliaire.

20. Il n'y a pas d'accès routier à l'une quelconque des réserves mentionnées au paragraphe 18 du présent document. Dans ces réserves, il n'y a ni écoles, ni routes, ni services publics comme des services d'adduction d'eau, d'égout, de gaz naturel, d'électricité ou de téléphone. On y trouve des cabanes pour le piégeage, lesquelles peuvent être occupées sur une base saisonnière.

21. Le hameau de Fort Chipewyan (Alberta) compte environ 2 500 habitants, dont la plupart sont des Indiens inscrits ou des Indiens non inscrits.

22. De nombreux membres de la PNCA habitent au hameau de Fort Chipewyan ou à proximité, sur une terre de la Couronne fédérale ou sur des lots acquis par le Canada pour assurer un logement aux membres. L'acquisition de lots municipaux pour le logement d'Indiens n'est pas fréquente et a été nécessaire dans ce cas-ci parce que les réserves mises de côté par décret en conseil ne sont pas aménagées et sont difficiles d'accès.

23. En 1993, l'appelante habitait au hameau de Fort Chipewyan — lot 16, pâté de maisons 8, plan 912291 —, dans un secteur communément appelé le « lotissement des Affaires indiennes » .

24. La maison dans laquelle vivait l'appelante en 1993 était une roulotte appartenant à la PNCA, soit une roulotte achetée par la bande avec de l'argent fourni par le MAINC dans le cadre du programme du logement des Indiens dans les réserves.

25. Le « lotissement des Affaires indiennes » s'étend sur 106,17 acres; son administration et son contrôle ont été transférés par la province d'Alberta au MAINC le 9 décembre 1975, par le décret en conseil de l'Alberta no 1551/75, qui énonce, entre autres, que le terrain doit « être retransféré à la province d'Alberta lorsqu'il ne sera plus requis par le Canada pour le logement d'autochtones à Fort Chipewyan » .

26. Le transfert a été accepté par le gouvernement fédéral[2] (C.P. 1976-1293, 1er juin 1976).

27. Une fois la parcelle de 106,17 acres transférée au MAINC, elle a été lotie aux fins du logement d'Indiens de la bande, et le plan de lotissement a été approuvé à la fois par la PNCA et par la Première Nation des Cris de Mikisew, par voie de résolution de conseil de bande en date du 21 avril 1978.

28. L'acquisition du « lotissement des Affaires indiennes » a recueilli la faveur tant du MAINC que de la PNCA et de la bande des Cris de Mikisew, car elle assurait aux membres une enclave au sein de l'agglomération.

29. La PNCA et la bande des Cris de Mikisew se sont toutes les deux vu attribuer des lots dans le « lotissement des Affaires indiennes » pour le logement de membres des bandes, et chaque bande a construit des habitations sur ces terres pour certains de ses membres, à l'aide de fonds provenant du programme de logement du MAINC.

30. Le MAINC a payé les frais concernant les routes et les services d'adduction d'eau et d'égout dans le lotissement. Ces routes ont été aménagées par les deux bandes, et les bandes ainsi que le MAINC ont procédé à un nouvel arpentage du lotissement en 1991.

31. La description officielle du lotissement était la suivante jusqu'en 1991 : lot 1, pâté de maisons 4, plan 7520446. Par suite du nouvel arpentage effectué en 1991, le numéro du plan a été changé pour 912291.

32. Depuis au moins le début des années 1960, le MAINC a utilisé des terres de la Couronne fédérale afin de fournir, tant à la PNCA qu'à la bande des Cris de Mikisew, des logements et des bureaux ainsi qu'un dispensaire à Fort Chipewyan; de plus, il a acheté des terres à la province d'Alberta ou à des particuliers lorsque cela était nécessaire pour loger des membres de bande. Le « lotissement des Affaires indiennes » a été acquis pour cette raison.

33. Le traitement de terres détenues par le Canada pour le logement des membres de la PNCA et le traitement de réserves créées par décret en conseil sont identiques en ce qui a trait à l'octroi, par le Canada, de fonds pour des programmes de logement et d'autres programmes communautaires.

34. En 1985, la PNCA et la bande des Cris de Mikisew ont conjointement acheté, par l'entremise de la Cree-Chip Development Corporation, une terre fédérale à Fort Chipewyan aux fins de la construction d'un immeuble devant abriter des bureaux de bande plus grands ainsi que d'autres services communautaires. Cet immeuble est communément appelé le « multiplex » .

35. La Cree-Chip Development Corporation a été constituée en 1985 par les deux bandes pour la construction du multiplex. Chaque bande détient 50 p. 100 des actions en fiducie pour ses membres respectifs.

36. Le MAINC a fourni à chaque bande 150 000 $, dans le cadre du programme de logements et d'immobilisations, à l'égard du coût d'acquisition du terrain et du coût de construction du multiplex.

37. En 1986, les deux bandes ont transféré leurs bureaux au multiplex. L'espace à bureaux restant a été loué à la province et a été utilisé comme palais de justice et comme salles de classe du collège Keyano.

38. En 1988, deux réserves ont été mises de côté par décret en conseil pour la Première Nation des Cris de Mikisew, et le bureau de la bande a été transféré à un endroit sur la réserve. Les locaux que cette bande avait occupés au multiplex ont par la suite été utilisés comme centre de formation pour adultes.

[7] Outre l'exposé conjoint des faits, les parties ont déposé un recueil de pièces (pièce A-1) qui contient un certain nombre de documents pertinents. Parmi ces documents, il y a une copie du traité no 8 et du rapport des commissaires sur le traité no 8 en date du 22 septembre 1899. La bande des Chipewyans était une des parties à ce traité.

[8] Le traité no 8 est un document assez court — 21 paragraphes seulement —, dont les passages les plus pertinents sont les suivants :

Et considérant que les dits Commissaires ont procédé à négocier un traité avec les Cris, les Castors, les Chipewyans et les autres sauvages habitant le district ci-après défini et décrit, et que ce traité a été finalement accepté et conclu par les bandes respectives aux dates ci-dessous mentionnées, les dits sauvages par le présent CÈDENT, ABANDONNENT, REMETTENT ET RENDENT au gouvernement de la Puissance du Canada pour Sa Majesté la Reine et ses successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques qu'ils peuvent avoir aux terres comprises dans les limites suivantes, savoir:

[...]

Et Sa Majesté la Reine convient par les présentes avec les dits sauvages qu'ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l'étendue de pays cédée telle que ci-dessus décrite, subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays agissant au nom de Sa Majesté et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d'établissements, de mine, de commerce de bois, ou autres objets.

Et Sa Majesté la Reine par les présentes convient et s'oblige de mettre à part des réserves pour les bandes qui en désireront, pourvu que ces réserves n'excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes pour tel nombre de familles qui désireront habiter sur des réserves, ou dans la même proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites; et pour les familles ou les sauvages particuliers qui préféreront vivre séparément des réserves des bandes, Sa Majesté s'engage de fournir une terre en particulier de 160 acres à chaque sauvage, la terre devant être cédée avec une restriction quant à l'inaliénation sans le consentement du Gouverneur général du Canada en conseil, le choix de ces réserves et terres en particulier devant se faire de la manière suivante, savoir: le Surintendant général des Affaires des Sauvages devra députer et envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner ces réserves et terres après s'être consulté avec les sauvages intéressés quant à la localité que l'on pourra trouver convenable et disponible pour le choix.

[...]

Sa Majesté convient aussi que l'an prochain et toutes les années subséquentes pour toujours, elle fera payer aux dits sauvages, en argent, à des endroits et des dates convenables, dont avis leur sera donné, vingt-cinq dollars à chaque chef, à chaque conseiller, ne devant pas dépasser quatre pour chaque grande bande et deux pour une petite bande, quinze dollars, et à chaque autre sauvage de tout âge, cinq dollars, ces montants, à moins de raisons particulières, devront être payés au chef de famille pour tous ceux qui en font partie.

[...]

EN OUTRE Sa Majesté s'engage à payer le salaire des maîtres d'écoles que son gouvernement du Canada jugera nécessaires pour instruire les enfants des sauvages.

EN OUTRE, Sa Majesté s'engage à fournir à chaque chef qui choisira une réserve pour l'usage de cette bande, dix haches, cinq scies, cinq tarières, une meule, les limes nécessaires et des pierres à aiguiser.

EN OUTRE, Sa Majesté convient que chaque bande qui choisira une réserve et cultivera le sol recevra, aussitôt que convenable après que telle réserve aura été mise à part, et sera habitée, et que la bande aura fait connaître son choix et qu'elle est prête à retourner le sol, deux houes, une bêche, une faulx (sic) et deux fourches à foin pour chaque famille ainsi établie, et pour chaque trois familles une charrue et une herse, et au chef pour l'usage de sa bande, deux chevaux ou une paire de boeufs, et pour chaque bande des pommes de terre, de l'orge, de l'avoine et du blé (si de telles semences conviennent au sol de telles réserves) pour ensemencer la terre labourée, et des provisions pour un mois au printemps pendant plusieurs années pendant qu'ils font ces semences; et à chaque famille une vache, et chaque chef un taureau et une faucheuse et une moissonneuse pour l'usage de sa bande lorsqu'elle sera prête à s'en servir; et pour les familles qui préféreront se livrer à l'élevage plutôt qu'à la culture du sol, chaque famille de cinq personnes, deux vaches, et à chaque chef deux taureaux et deux faucheuses lorsqu'elles seront prêtes à s'en servir, et une proportion semblable pour les familles plus nombreuses ou plus petites. Les articles ci-dessus, machines et bestiaux seront donnés une fois pour toutes afin d'encourager la pratique de l'agriculture et de l'élevage; et pour les bandes qui préféreront continuer de chasser et de pêcher, des munitions et de la ficelle pour faire des filets annuellement équivalant en valeur à un dollar par chef de familles ainsi engagées à la chasse et à la pêche.

[L'italique est de moi.]

[9] Le traité doit être lu conjointement avec le rapport des commissaires sur le traité no 8 en date du 22 septembre 1899, qui révèle l'information suivante :

[...] Les Chipewyans se confinent à poser des questions et à les discuter brièvement. Ils paraissent plus portés à contre-interroger qu'à faire des discours, et le chef au Fort Chipewyan a fait preuve d'une vive intelligence et de beaucoup de sens pratique en présentant les prétentions de sa bande. Ils voulaient tous des conditions aussi libérales, sinon plus libérales, que celles accordées aux sauvages des plaines. Quelques-uns espéraient que le gouvernement les nourriraient (sic) après la signature du traité, et tous ont demandé de l'aide dans les temps de détresse, et que le gouvernement se chargeât du soin des vieillards, des indigents qui ne peuvent plus faire la chasse au fusil et au piège, et se trouvent en conséquence souvent dans la détresse. Ils demandèrent qu'on leur fournît des médicaments. A Vermillon, Chipewyan et au Débarcadère de Smith, ils demandèrent avec instances les services d'un médecin. Ils exprimèrent partout la crainte que la signature du traité ne fut (sic) suivie d'une restriction des privilèges de chasse et de pêche, et plusieurs étaient convaincus que le traité conduisait à la taxation et au service militaire obligatoire. Ils paraissaient désirer obtenir les avantages de l'éducation pour leurs enfants, mais ils stipulèrent que dans les écoles on n'interviendrait pas dans leurs croyances religieuses.

Nous leur fîmes comprendre que le gouvernement ne pouvait entreprendre de faire vivre les sauvages dans l'oisiveté, qu'ils auraient après le traité les mêmes moyens qu'auparavant de gagner leur vie, et qu'on espérait que les sauvages s'en serviraient. Nous leur dîmes que le gouvernement était toujours prêt à accorder des secours dans les cas d'indigence réelle, et que dans les saisons de détresse ils recevraient, même sans aucune stipulation spéciale dans le traité, l'aide qu'on donne ordinairement pour empêcher la famine parmi les sauvages dans n'importe quelle partie du Canada; et nous déclarâmes que l'attention du gouvernement serait attirée sur le besoin de prendre quelque disposition spéciale pour aider les vieillards et les indigents qui sont incapables de travailler et qui comptent sur la charité pour vivre. Nous fîmes la promesse que des médicaments seraient déposés chez des personnes choisis (sic) par le gouvernement à différents endroits, et qu'ils seraient distribués gratuitement aux sauvages qui pourraient en avoir besoin. Nous expliquâmes qu'il serait pratiquement impossible pour le gouvernement de fournir des soins de médecins réguliers aux sauvages si dispersés sur une si vaste étendue de territoire. Nous leur assurâmes, cependant, que le gouvernement serait toujours prêt à saisir toute occasion de fournir des soins de médecins, juste comme il stipulait que le médecin attaché à la Commission soignerait gratuitement tous les sauvages qui auraient besoin de ses services, lorsqu'il passerait à travers le pays.

Notre principale difficulté à surmonter était la crainte qu'on restreindrait leurs privilèges de chasse et de pêche. La disposition du traité en vertu de laquelle des munitions et de la ficelle devaient être fournies contribua beaucoup à appaiser (sic) les craintes des sauvages, car ils admirent qu'il ne serait pas raisonnable de leur fournir des moyens de chasser et de pêcher si l'on devrait (sic) faire une loi qui restreindrait tellement la chasse et la pêche qu'il serait presque impossible de gagner sa vie en s'y livrant. Mais en sus de cette disposition nous avons dû leur affirmer solennellement qu'on ne ferait sur la chasse et la pêche que des lois qui seraient dans l'intérêt des sauvages et qu'on trouverait nécessaire[s] pour protéger le poisson et les animaux à fourrure, et qu'ils seraient aussi libres de chasser et de pêcher après le traité qu'ils le seraient s'ils n'avaient jamais fait de traité.

Nous les (sic) assurâmes que le traité ne mènerait à aucune intervention forcée dans leur manière de vivre, qu'il n'ouvrait aucune voie pour l'imposition de taxes, et qu'ils n'avaient pas à craindre le service militaire obligatoire. Nous leur montrâmes que, soit que le traité fut (sic) fait ou non, ils étaient soumis à la loi, obligés de lui obéir, et passibles de châtiments pour toute infraction de la loi. Nous leur fîmes remarquer que la loi était faite pour la protection de tout le monde, et que tous les habitants du pays doivent la respecter, sans distinction de couleur ou d'origine; et que, exigeant d'eux de vivre en paix avec les blancs qui venaient dans le pays, et de ne les molester ni dans leur personne, ni dans leurs biens, elle exigeait de leur part d'agir à l'égard des blancs, comme ces derniers sont obligés de le faire à l'égard des sauvages.

Quant à l'éducation, on assura aux sauvages qu'il n'y avait aucune nécessité de faire aucune stipulation spéciale, parce qu'il était de la politique du gouvernement de pourvoir dans toutes les parties du pays, autant que les circonstances le permettent, à l'éducation des enfants sauvages, et que la loi, qui est aussi forte qu'un traité, pourvoyait à la non-intervention dans la religion des sauvages, dans les écoles maintenues ou aidées par le gouvernement.

[...]

On donna aux sauvages le choix de prendre des réserves ou des terres en particulier. Comme l'étendue du pays couverte par le traité rendait impossible de définir des réserves ou des propriétés, et comme les sauvages n'étaient pas prêts à faire un choix, nous nous contentâmes d'entreprendre de mettre à part à l'avenir les réserves et les propriétés, et les sauvages furent satisfaits de la promesse que cela se ferait lorsqu'ils le demanderaient. Il n'y a aucune nécessité immédiate de faire un tracé général des réserves ou de faire une répartition des terres. Il sera bien assez tôt de le faire lorsque l'avancement de la colonisation rendra nécessaire l'arpentage des terres. De fait les sauvages s'opposaient en général à être placés sur les réserves. Il eût été impossible de faire un traité si nous ne leur avions pas assuré que nous n'avions aucune intention de les confiner dans des réserves. Nous avons dû leur expliquer que la disposition relative aux réserves et à la répartition des terres était faite pour les protéger et pour leur assurer à perpétuité une portion raisonnable de la terre cédée, dans le cas où la colonisation avancerait.

[L'italique est de moi.]

[10] À l'époque où les Chipewyans ont conclu un traité avec le Canada, l'article 77 de l'Acte des Sauvages, 49 Victoria, chapitre 43 (Statuts révisés du Canada 1886), prévoyait des exemptions de taxes pour les Indiens, soit :

77. Nul sauvage ou sauvage non compris dans les traités ne pourra être taxé pour aucune propriété mobilière ou immobilière, à moins qu'il ne possède en son propre et privé nom quelque immeuble à bail ou en pleine propriété, ou des biens meubles, en dehors de la réserve ou réserve spéciale, — auquel cas il pourra être taxé pour ces biens meubles ou immeubles au même taux que celui imposé aux autres personnes de la localité où ils seront situés :

2. Nulles taxes ne seront prélevées sur les immeubles d'aucun sauvage, acquis en vertu des clauses d'émancipation du présent acte, avant que ces immeubles n'aient été déclarés passibles de taxes par une proclamation du Gouverneur en conseil, publiée dans la Gazette du Canada :

3. Toute terre tenue par la Couronne ou par quelque personne en fidéicommis pour un sauvage, ou un sauvage non compris dans les traités, ou une bande, ou une bande irrégulière de sauvages ou de sauvages non compris dans les traités, ou pour leur usage, sera exempte de taxe.

[11] Le recueil de pièces contient aussi le Rapport sur la revendication concernant le barrage WAC Bennett et les dommages causés à la réserve no 201, de mars 1998 (le « Rapport concernant le barrage Bennett » ), établi par la Commission des revendications des Indiens. Ce rapport contient un résumé très instructif du contexte historique et des circonstances dans lesquels le traité no 8 a été négocié et signé. J'en reproduis ci-après un extrait commençant à la page 23. Il est à noter que j'ai ajouté les caractères gras pour insister sur certains passages et que j'ai omis les notes de bas de page :

Le Traité 8

Le 21 juin 1899, le Traité 8 est signé au Petit lac des Esclaves. Il indique que les « Cris, Castors, Chipewyans et autres habitant les territoires [...] » cèdent au Canada environ 324 900 milles carrés au nord de l'Alberta, au nord-est de la Colombie-Britannique, au nord-ouest de la Saskatchewan et au sud des Territoires du Nord-Ouest[...]. Comme la région est très vaste et que tous les Indiens intéressés ne peuvent être représentés au Petit lac des Esclaves, au cours des mois qui suivent les commissaires au Traité se rendent dans diverses localités du territoire cédé pour négocier avec d'autres bandes. Vers 1914, quelque 32 bandes ont adhéré au Traité 8[...]. Le 13 juillet 1899, les commissaires au Traité J.A.J. McKenna et J.H. Ross rencontrent deux bandes, les Cris et les Chipewyans, à Fort Chipewyan sur les bords du lac Athabasca. Le chef Alexandre Laviolette et les conseillers Julien Ratfat et S. Heezell signent l'adhésion au Traité 8 au nom des Chipewyans[...].

Dans les années 1880, la construction du chemin de fer et les projets de travaux publics s'étendent vers le nord en Alberta. En conséquence, la Compagnie de la Baie d'Hudson et les Indiens habitant au nord de la région du Traité 6 demandent la signature d'un traité. La Couronne au départ refuse de conclure un traité dans cette région, mais, avec la découverte d'or au Yukon en 1896, l'intérêt pour le processus de signature de traités reprend. Le (sic) ruée vers l'or au Yukon fait qu'un grand nombre de non-Indiens passent dans ce qu'on connaît maintenant comme le nord de l'Alberta et de la Saskatchewan. Un décret daté du 27 juin 1898 donne aux commissaires fédéraux aux traités le pouvoir discrétionnaire de décider quel territoire serait couvert dans la région du traité. Le commissaire aux traité (sic) Laird explique comment les limites du Traité 8 ont été fixées :

[Traduction]

Les commissaires avaient pour instruction d'obtenir le renoncement des Indiens et des Métis à la propriété de la partie du territoire située au nord du traité no 6 au sujet de laquelle l'autorité gouvernementale avait dans une certaine mesure été étendue par l'envoi de membres de la Police à cheval du Nord-Ouest, pour protéger et contrôler les Blancs qui s'y rendaient comme traiteurs, voyageurs vers le Klondike, prospecteurs et mineurs. C'est sur le territoire irrigué par le Petit lac des Esclaves, les rivières de la Paix et Athabasca, le lac Athabasca, le sud du Grand lac de l'Esclave [sic] et leurs affluents que se retrouvaient les Blancs, et les commissaires n'ont pas jugé nécessaire d'étendre la portée du traité 8 plus loin qu'ils l'ont fait[...].

En février 1899, le commissaire Laird adresse les instructions suivantes aux représentants locaux du gouvernement dans le but de corriger les « rapports trompeurs... qui circulent parmi les Indiens » de la région et leur garantir que leur droit de chasser, de pêcher et de piéger serait protégé par le traité proposé :

[Traduction]

Vous pouvez leur expliquer que la Reine, ou Grande Mère, a promis par le truchement de ses commissaires de leur donner des réserves qu'ils pourront appeler les leurs et sur lesquelles les Blancs ne seront pas autorisés à s'établir sans paiement et sans le consentement des Indiens, exprimé devant un agent du gouvernement, mais que les Indiens seront autorisés à chasser et à pêcher sur tout le territoire comme ils le font maintenant, sous réserve des lois qui pourront être adoptées pour protéger le gibier et le poisson à la saison des amours, et aussi longtemps que les Indiens n'attaqueront pas et ne gêneront pas les colons, les mineurs ou les voyageurs[...].

Les dispositions écrites du Traité 8 prévoient des annuités, l'instruction, une aide agricole et « des réserves pour les bandes qui en désireront, pourvu que ces réserves n'excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes pour tel nombre de familles qui désireront habiter sur des réserves » . On leur promet également qu'ils auront « le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l'étendue du pays cédée [...] subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement [...]. »

En ce qui concerne l'établissement de réserves, les Indiens indiquent aux commissaires au traité qu'ils veulent surtout protéger et continuer leur économie traditionnelle fondée sur la chasse, la pêche et le piégeage. Les extraits suivants du rapport des commissaires dépêchés pour conclure le Traité 8 en témoignent :

[...[3]]

Les commissaires au Traité 8 savent que le mode de vie des populations du nord basé sur la chasse, la pêche et le piégeage continuerait à leur fournir une (sic) moyen de subsistance viable. C'est pour cette raison que les Indiens ne veulent pas être confinés dans des réserves et que, pour la plupart, ils ne veulent pas s'adonner à l'agriculture. Au Fort Chipewyan, un missionnaire catholique note dans son journal la discussion suivante entre les Indiens et les commissaires au traité :

[Traduction]

Le commissaire explique les vues du gouvernement et les avantages qu'il offre aux gens. Le chef des Cris dit qu'il acceptera les propositions du gouvernement aux conditions suivantes :

1. Liberté totale de pêcher.

2. Liberté totale de chasser.

3. Liberté totale de piéger.

4. Comme lui et son peuple sont catholiques, il veut que leurs enfants soient instruits dans des écoles catholiques.

À son tour, le porte-parole des Chipewyans expriment (sic) les mêmes conditions. Le commissaire prend note de toutes les demandes que les deux ont formulées[...].

Le père Gabriel Breynat est aussi témoin de la négociation du traité au Fort Chipewyan et écrit plus tard ce qui suit :

[Traduction]

Les discussions sont assez longues mais franches; les Cris et les Chipewyans refusent d'être traités comme les Indiens des Prairies et d'être confinés dans des réserves [...] Il est essentiel pour eux d'avoir la liberté totale d'aller où ils veulent[...].

À la conclusion des négociations du Traité 8, les commissaires rapportent au surintendant général des Affaires indiennes que la sélection et l'arpentage des réserves peuvent attendre à plus tard quand ils seront obligés de protéger une base territoriale pour la bande :

[...[4]]

Sélection et arpentage des réserves des Chipewyans d'Athabasca

Dans la période qui suit la conclusion du Traité, les Chipewyans de Fort Chipewyan continuent de vivre dans une relative prospérité, sans être trop importunés par les représentants du gouvernement et les Blancs. Le ministère des Affaires indiennes n'ouvre une agence dans cette région qu'en 1911 et les contacts avec les agents fédéraux se limitent au versement annuel des annuités. Les rapports de ces visites sont en général succincts et peu détaillés, mais ils donnent une idée du mode de vie et de l'aisance de la bande. En 1903, par exemple, l'inspecteur du Traité 8, H.A. Conroy, raconte ce qui suit sur son séjour au Fort Chipewyan :

[Traduction]

Nous avons versé les annuités aux Chipewyans et aux Cris. Leur chasse a été très bonne car ils ont vendu beaucoup de peaux à la Baie d'Hudson et aux commerçants. Il n'y a pas non plus de maladies ni d'épidémies. Le poisson est abondant, et ils sont très prospères, la fourrure rapportant de bonnes sommes[...].

En 1918, le train se rend à Peace River Crossing et au Fort McMurray et les bateaux à vapeur parcourent les rivières de la Paix et Athabasca; les deux favorisent le transport des trappeurs blancs et métis venant du sud et voulant profiter de l'abondance des animaux à fourrure dans la région de Fort Chipewyan. Toutefois, l'afflux des trappeurs entraîne rapidement une diminution des animaux à fourrure et, au début des années 20, les Indiens du nord de l'Alberta demandent aux Affaires indiennes de protéger leur mode de vie.

Au versement des paiements prévus au Traité en 1922, au Fort Chipewyan, les Cris et « une cinquantaine de Chipewyans vivant à l'embouchure de la rivière Birch » se plaignent à l'agent de la présence d' « étrangers » , et ce dernier recommande qu'un territoire de chasse de quelque 4 000 milles carrés soit mis de côté pour ces Indiens exclusivement :

[Traduction]

[...] à mon avis, le seul moyen efficace de protéger leurs intérêts serait de demander une réserve de chasse et de piégeage dans ce district où ils ont leurs maisons et ont toujours vécu. J'ai indiqué sur la carte ci-jointe le district qu'ils veulent faire mettre de côté [...] Il est beaucoup plus grand que ce que prévoit le Traité. Mais, comme ce territoire est en grande partie marécageux et ne convient pas pour l'agriculture ou le pâturage, il me semble, du point de vue des Indiens, qu'il pourrait être mis de côté comme réserve de piégeage pour eux; ils y font d'ailleurs la trappe depuis des temps immémoriaux. Organisés comme ils sont, les Indiens n'ont d'autres moyens que la chasse et le piégeage pour tirer leur subsistance[...].

Le chef Laviolette et d'autres membres de la bande présentent une première demande officielle pour ce territoire dès 1922. Le territoire qu'ils demandent est beaucoup plus grand que celui qu'ils obtiendront plus tard, mais ils convoitent manifestement le delta Paix-Athabasca, affirmant qu'ils en ont besoin pour poursuivre leur mode de vie traditionnel :

[Traduction]

J'ai consulté mon peuple et la bande crie à ce sujet. Nous aimerions avoir maintenant une réserve de chasse proportionnelle à la population des deux bandes à l'heure actuelle, c.-à-d. à partir du Vieux Fort sur la rivière Athabasca à Jack Fish Creek sur la rivière de la Paix, jusqu'à la jonction des rivières de la Paix et Athabasca, à partir de là à la baie Big sur la rive nord du lac Athabasca et de l'autre côté du lac, sur la rive sud, et jusqu'à la limite pour revenir au Vieux Fort.

Le territoire décrit ci-dessus sera assez grand pour que nous puissions chasser, pêcher et trapper; nous voulons qu'il soit assez grand pour que nous puissions tous tirer notre subsistance grâce à la chasse, à la pêche et au piégeage.

Nous ne pouvons pas nous adonner à l'agriculture car nous savons que ça ne marchera jamais ici.

Nous signons tous cette demande pour montrer que nous voulons tous avoir le territoire décrit ci-dessus. Beaucoup d'hommes blancs trappent durant la saison morte; nous voulons qu'ils cessent[...].

Au cours des années qui suivent, pendant que les autorités fédérales négocient avec le gouvernement provincial pour obtenir des réserves de chasse plus grandes, les Cris et les Chipewyans de Fort Chipewyan font activement campagne pour qu'on arpente leur réserve. En 1923, une délégation des bandes se rend à ses propres frais à Edmonton pour exposer sa situation au ministre de l'Intérieur[...]. La question est aussi examinée avec les représentants du gouvernement lors du versement des annuités annuelles.

En 1926, la concurrence pour les animaux à fourrure devient féroce. Cette année-là, les frontières du parc voisin de Wood Buffalo sont repoussées afin d'inclure une bonne partie du delta Paix-Athabasca, les lacs Claire et Mamawi, et des régions aussi à l'ouest que les rivières Athabasca et Embarras. Les trappeurs non-Indiens chassés du parc vont s'installer dans la région du lac Jackfish où les Indiens ont l'habitude de piéger. La situation devient très tendue à l'été de 1926 et, en guise de représailles contre l'empiétement des non-Indiens, les Indiens allument des feux de forêts dans les territoires de chasse[...].

En février 1927, le chef chipewyan Jonas Laviolette écrit une longue lettre au « chef du ministère des Affaires indiennes » , à Ottawa. Sa frustration est évidente quand il décrit les problèmes créés par les trappeurs non indiens dans la région et dit qu'il faut absolument créer une réserve :

[Traduction]

J'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous écrire, mais il y a si longtemps que je n'ai pas entendu parler de vous que je pense que vous m'avez oublié, moi et mon peuple de Fort Chipewyan [...] Je vous ai raconté à Edmonton que les trappeurs blancs allaient détruire mon pays, et ce que j'ai dit est finalement arrivé. Mon pays est presque dévasté.

Les hommes blancs tuent les animaux à fourrure en les empoisonnant; ils trappent dans le sable avant que tombe la neige. Ils brisent les huttes des rats musqués et des castors et il ne reste maintenant à peu près plus rien. Si vous ne faites rien pour nous, nous allons mourir de faim [...]

Il y a longtemps que je vous supplie de me donner à moi et à mon peuple une réserve au lac Jackfish, et nous en voulons une encore désespérément. J'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous écrire cette lettre, mais il ne sert à rien de l'envoyer à M. Card qui ne semble pas vouloir nous aider. Pourquoi ne vient-il pas ici et n'essaie-t-il pas d'arrêter ces trappeurs qui nous font du tort. Personne ne semble se préoccuper de ce qui nous arrive. Il y a beaucoup d'hommes ici pour s'occuper du parc de Buffalo, mais personne pour s'occuper de nous. Nous ne voyons M. Card que quelques heures une fois par année [...].

Les trappeurs blancs viennent ici et tuent tous les animaux, puis vont s'installer ailleurs. Nous ne pouvons pas aller ailleurs et nous ne voulons pas car les pères de nos pères ont toujours vécu ici et veulent que nos enfants vivent ici quand nous mourrons. Le lac Jackfish était autrefois un bon territoire pour le rat musqué, mais il n'a plus la chance de se reproduire car il y a plus de trappeurs qu'il n'y a de rats musqués. Si vous nous donniez ce territoire et que quelqu'un nous aidait à nous en occuper, vous me sauveriez, moi et mon peuple, de la famine. C'était un beau pays il y a trente ans, quand il n'y avait que des Indiens qui y vivaient [...].

Le lac Jackfish n'est pas loin du parc de Buffalo, et nous aimerions que notre réserve aille jusqu'à cette ligne. Et à partir du lac Jackfish, nous aimerions aller au grand lac où nous pourrions pêcher. Nous avons peur de demander un territoire trop grand par rapport à notre réserve, car vous pourriez ne pas nous donner ce que nous voulons, mais nous voulons avoir des terres bien à nous où nous pouvons chasser et pêcher et faire pousser un peu de pommes de terre. Si nous obtenons cette réserve, les trappeurs blancs et les Métis ne pourront plus nous déranger [...].

À l'une des audiences publiques de la Commission, Mme Victorine Mercredi a raconté ce qui suit :

[Traduction]

En 1928, le chef Jonas Laviolette a demandé une parcelle de terre (la réserve 201 aujourd'hui) pour les membres de la bande seulement, parce qu'il y avait beaucoup d'étrangers et que les gens commençaient à se mélanger, et que cela créait des problèmes à tout le monde. Il a donc demandé des terres dans le delta pour que la bande puisse piéger[...].

Les autorités fédérales restent insensibles aux supplications du chef Laviolette jusqu'en 1931, quand l'exploration minière dans la région menace les meilleurs sites déjà choisis par les Indiens. À l'été 1931, H.W. Fairchild, un ingénieur-arpenteur du ministère des Affaires indiennes, reçoit l'ordre de rencontrer les Indiens pour déterminer l'emplacement de réserves « conformément au Traité 8 et selon leur population au paiement prévu cette année[...] » . Fairchild rencontre le chef et d'autres membres de la bande après le versement des annuités en juillet 1931, et détermine qu'il y a des maisons, des potagers, des cimetières et des camps de pêche indiens à divers endroits, y compris cinq petits territoires au sud du lac Athabasca et à l'est du delta et deux autres endroits le long de la rivière Athabasca à Point Brule et Poplar Point. Sept petites réserves, appelées réserves 201A et 201G, sont arpentées cet été-là. Les réserves s'étendent sur une superficie allant de 10,7 à 2 237 acres, soit une superficie totale de 4,4 milles carrés de terre[...].

L'établissement des limites de la RI 201, la principale réserve dans le delta, n'est pas aussi simple. Avant de quitter Edmonton, Fairchild et le groupe d'arpenteurs demandent à des représentants du gouvernement albertain la permission de faire une entorse aux normes, premièrement accorder une plus grande superficie que celle prévue dans le Traité, car les terres sont marécageuses et, deuxièmement, accepter comme frontières les plans d'eau naturels qui pourraient être repérés par levés aériens. Les représentants de l'Alberta ne répondent pas tout de suite à cette demande, et le groupe d'arpenteurs sur le terrain durant l'été 1931 parcourent seulement la limite est de la réserve proposée. Ce n'est qu'en 1935 que les gouvernements fédéral et provincial s'entendent finalement sur certaines frontières naturelles et une superficie légèrement supérieure à 68 milles carrés prévue dans le Traité[...]. Selon le plan d'arpentage, le territoire mis de côté pour les Chipewyans s'étend sur 77,5 milles carrés (49 600 acres) « après soustraction des plans d'eau » [...]. Le certificat du titre transférant le territoire de l'Alberta au Canada est produit le 23 décembre 1937 et le 3 juin 1954, la réserve 201 des Chipewyans devient officiellement une réserve indienne conformément au décret C.P. 1954-817[...].

[12] Outre l'exposé conjoint des faits et le recueil de pièces qui ont été déposés, il y a eu le témoignage de Mme Victorine Mercredi, qui, comme elle l'avait fait devant la Commission des revendications des Indiens, a témoigné en tant qu'ancienne de la bande des Chipewyans. Mme Mercredi, qui avait 82 ans quand elle a témoigné, a été membre du conseil de bande des Chipewyans de 1974 à 1984. Son père avait été chef de la bande. Mme Mercredi est née à Old Fort Point, qui fait maintenant partie de la réserve des Chipewyans no 201A. Elle a dit qu'elle avait passé son enfance à Old Fort Point et dans les bois avoisinants, à faire du piégeage, de la chasse et de la pêche.

[13] L'avocate de Mme Adams a demandé à Mme Mercredi d'expliquer à la Cour comment son peuple — le peuple des Chipewyans — voyait le traité no 8 et de décrire le mode de vie de son peuple. Mme Mercredi a dit qu'elle avait obtenu son information sur le traité principalement d'une dame, qui n'a pas été nommée, et de son propre père, qui était là à l'époque de la signature du traité. Étant donné que son père n'avait que 10 ans à cette époque, Mme Mercredi a reconnu qu'il ne pouvait alors avoir été au courant des modalités du traité.

[14] De la manière dont Mme Mercredi comprend le traité, le Canada a promis que son peuple sera autorisé à faire du piégeage, de la chasse et de la pêche tant que le soleil brillera et que la rivière coulera. Mme Mercredi a également reconnu que le Canada s'était engagé à fournir à son peuple des munitions et de la ficelle. Malgré les questions qui lui ont été posées à maintes reprises par l'avocate de Mme Adams, Mme Mercredi a déclaré qu'elle n'était au courant d'aucun autre aspect du traité et qu'elle ne voulait pas en dire davantage à ce sujet parce qu'elle n'était pas là à l'époque des négociations du traité.

[15] Mme Mercredi a décrit les principaux endroits — Old Fort Point, Jackfish Lake, Point Brule et Poplar Point — où le peuple des Chipewyans vivait lorsqu'elle était jeune. Ces endroits sont maintenant décrits comme étant, respectivement, les réserves des Chipewyans 201A, 201E, 201F et 201G. Toutes ces réserves sont situées sur la rive sud du lac Athabasca et le long de la rivière Athabasca. Mme Mercredi a confirmé que les Chipewyans vivaient à ces endroits parce que les Chipewyans étaient des chasseurs et des trappeurs et qu'ils voulaient vivre près de leurs lieux de chasse et de piégeage.

[16] À cette époque, les Chipewyans envoyaient leurs enfants comme internes dans un pensionnat de Fort Chipewyan, sur la rive nord du lac Athabasca. Tant que le pensionnat est demeuré ouvert, les Chipewyans ont pu vivre sur leurs réserves et faire du piégeage, de la chasse et de la pêche. Lorsque le pensionnat a fermé ses portes, il n'est resté à Fort Chipewyan qu'une école publique ordinaire, c'est-à-dire une école où il n'y avait pas d'internes. Pour pouvoir vivre là où leurs enfants pouvaient aller à l'école, de plus en plus de Chipewyans ont déménagé à Fort Chipewyan, où aucune terre n'avait été mise de côté comme réserve par Sa Majesté en 1954.

[17] Mme Mercredi a dit que, vers 1958, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ( « MAINC » ) avait financé la construction de maisons sur les réserves indiennes de Jackfish Creek et d'Old Fort Point. Par la suite, le MAINC a financé la construction d'immeubles pour son peuple à Fort Chipewyan seulement. Mme Mercredi a confirmé qu'elle vivait actuellement à Fort Chipewyan et que son rêve était de retourner vivre à Old Fort Point.

[18] Mme Mercredi a en outre confirmé que le barrage WAC Bennett construit par le gouvernement de la Colombie-Britannique avait été préjudiciable aux activités de chasse et de piégeage du peuple des Chipewyans. La Commission des revendications des Indiens a conclu dans son rapport que les Chipewyans avaient eu de dures épreuves et subi des pertes sur le plan économique en raison des dommages environnementaux causés à la réserve no 201 par suite de la construction et de l'exploitation du barrage WAC Bennett. La Commission des revendications des Indiens a constaté que le Canada avait manqué à ses obligations législatives et fiduciaires envers les Chipewyans et elle a recommandé que la revendication des Chipewyans soit acceptée pour négociation en vertu de la politique du Canada en matière de revendications particulières.

[19] M. Tony Punko, un non-autochtone, a témoigné à la demande de Mme Adams. Par le passé, il a travaillé comme gestionnaire responsable de plusieurs avant-postes pour la Compagnie de la Baie d'Hudson, à plusieurs endroits dans le nord de l'Alberta, en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest, y compris à Fort Chipewyan. M. Punko a aussi agi comme gestionnaire ou consultant pour la bande. À l'époque de l'audience, il agissait comme consultant. Il a confirmé que de nombreux Chipewyans continuaient à faire du piégeage, de la chasse et de la pêche et que, toutefois, pour la plupart des autochtones, ces occupations traditionnelles ne pouvaient constituer une source suffisante de revenus. Ils avaient besoin de revenus d'autres sources pour assurer leur subsistance.

[20] Lorsqu'on lui a demandé s'il reconnaissait que la bande des Chipewyans avait obtenu tout le territoire qu'elle était en droit d'occuper comme réserve en vertu du traité no 8, M. Punko a refusé de répondre. Cependant, il a reconnu que des négociations se poursuivaient en vue d'échanger des réserves contre d'autres terres.

[21] M. Punko a déclaré en outre que la bande voyait le tourisme comme une source de revenus futurs pour les Chipewyans. La région du lac Athabasca est magnifique. Si le gouvernement aménageait une route jusqu'au lac, à partir du sud, les touristes pourraient se rendre là en grand nombre.

Analyse

[22] Avant d'analyser l'application des articles 87 et 90 de la Loi, il serait utile de réitérer les principes d'interprétation énoncés par les tribunaux pour la détermination de la portée d'une disposition législative particulière.

[23] Le principe fondamental tient à la méthode « contextuelle » et à la méthode de l'interprétation « fondée sur l'objet visé » . Ces méthodes ont été décrites comme suit dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Verdun v. Toronto-Dominion Bank, [1996] 139 D.L.R. (4th) 415, à la page 422, par le juge L'Heureux-Dubé :

[22] De toute évidence, pour répondre à une question d'interprétation de la loi, il faut toujours commencer par examiner le texte même de la loi en cause. Comme l'a écrit E. [Elmer] A. Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. [Toronto, Butterworths] 1983), à la p. 87:

[TRADUCTION] De nos jours, il n'y a qu'un seul principe ou méthode; il faut interpréter les termes d'une loi dans leur contexte global selon le sens grammatical et ordinaire qui s'harmonise avec l'économie et l'objet de la loi et l'intention du législateur. [...] Dans Victoria (City) c. Bishop of Vancouver Island [[1921] [2] A.C. 384, à la p. 387], lord Atkinson l'a exposé en ces termes:

Dans l'interprétation des lois, on doit donner aux termes leur sens grammatical ordinaire, à moins que quelque chose dans le contexte, ou dans l'objet visé par la loi où ils figurent, ou encore dans les circonstances où ils sont employés, n'indique qu'ils ont été employés dans un sens spécial et différent de leur acception grammaticale ordinaire.

Notre Cour a cité ce principe à maintes reprises: voir, par exemple, Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 [127 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.)], Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 [10 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.)], et Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3 [C.S.C. ...]

[24] De plus, vu la nature de la Loi et étant donné que la Loi a pour but de protéger les autochtones, le juge Dickson, de la Cour suprême du Canada, affirmait dans l'arrêt Nowegijick v. The Queen et al., 144 D.L.R. (3d) 193, à la page 198 :

Selon un principe bien établi, pour être valide, toute exemption d'impôts doit être clairement exprimée. Il me semble toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exemption d'impôts, il faut, selon moi, préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l'exemption.

[25] C'est en se fondant sur ce principe d'interprétation, soit la méthode d'interprétation libérale, que la Cour suprême du Canada a conclu que les « biens personnels » (biens meubles) incluaient un revenu d'emploi.

[26] Ce principe d'interprétation adopté dans l'arrêt Nowegijick, précité, a également été appliqué par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba dans l'affaire Mitchell v. Sandy Bay Indian Band, [1983] 5 W.W.R. 117. La question était de savoir si l'expression « Sa Majesté » figurant à l'alinéa 90(1)b) de la Loi se limitait à la Couronne fédérale ou si elle comprenait également les Couronnes provinciales. Se fondant sur la méthode d'interprétation libérale, ce tribunal a conclu que l'expression incluait bel et bien une Couronne provinciale.

[27] Dans l'appel qui a été interjeté devant la Cour suprême du Canada, soit une décision figurant à 71 D.L.R. (4th) 193 et publiée sous le nom de Mitchell c. Bande indienne Peguis dans [1990] 2 R.C.S. 85, tous les juges, sauf le juge Dickson, qui avaient énoncé la méthode d'interprétation libérale dans l'arrêt Nowegijick, précité, ont conclu que l'expression « Sa Majesté » n'incluait pas les Couronnes provinciales. Bien qu'acceptant la règle voulant que les traités et les lois concernant les Indiens doivent être interprétés de façon libérale et que des expressions douteuses doivent être interprétées en faveur des Indiens, le juge La Forest a indiqué qu'il était quand même nécessaire de concilier une interprétation donnée avec la politique que cherche à promouvoir la Loi. Il a nuancé la règle comme suit à la page 236 :

Je souligne au départ que je ne conteste pas le principe que les traités et les lois visant les Indiens devraient recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté devrait profiter aux Indiens. Dans le cas des traités, ce principe se justifie par le fait que la Couronne jouissait d'un pouvoir de négociation supérieur au moment de la négociation des traités avec les peuples autochtones. Du point de vue des Indiens, les traités ont été rédigés dans une langue étrangère et faisaient appel à des concepts juridiques d'un système de droit qui leur était inconnu. Dans l'interprétation de ces documents, il est donc simplement juste que les tribunaux tentent d'interpréter les diverses dispositions selon ce que les Indiens ont pu en avoir compris.

Mais selon ma conception de l'affaire, des considérations quelque peu différentes doivent s'appliquer dans le cas des lois visant les Indiens. Alors qu'un traité est le produit d'une négociation entre deux parties contractantes, les lois relatives aux Indiens sont l'expression de la volonté du Parlement. Cela étant, je ne crois pas qu'il soit particulièrement utile d'essayer de déterminer comment les Indiens peuvent comprendre une disposition particulière. Je pense que nous devons plutôt interpréter la loi visée en tentant de déterminer ce que le Parlement voulait réaliser en adoptant l'article en question. Ce point de vue ne constitue pas un rejet de la méthode d'interprétation libérale. Comme je l'ai déjà dit, il est clair que dans l'interprétation d'une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d'interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d'interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. Donc si la loi porte sur des promesses contenues dans un traité, les tribunaux vont toujours s'efforcer de rejeter une interprétation qui a pour effet de nier les engagements pris par la Couronne; voir l'arrêt United States v. Powers, 305 U.S. 527 (1939), à la p. 533.

En même temps, je n'accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens revienne à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu'il peut être vraisemblable que les Indiens la préférerait (sic) à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir.

[Je souligne.]

[28] Je traiterai maintenant des arguments de l'appelante dans l'ordre dans lequel ils ont été présentés.

Le revenu d'emploi de Mme Adams est-il réputé situé sur une réserve?

[29] Le premier argument de Mme Adams est que son revenu d'emploi est un bien meuble qui lui a été donné en tant qu'Indienne en vertu d'un accord entre sa bande et Sa Majesté et qui est toujours réputé situé sur une réserve conformément à l'alinéa 90(1)b) de la Loi. Je ne crois pas que cet alinéa s'applique au salaire reçu par Mme Adams.

[30] Tout d'abord, l'argent qu'elle a reçu ne lui a pas été donné conformément à un accord entre la bande et Sa Majesté. Il lui a été versé conformément à un contrat de travail conclu entre elle et la bande. L'argent lui a été versé en contrepartie des services qu'elle fournissait au profit de la bande. Un bon exemple de ce qui représenterait un bien donné en vertu d'un traité et visé par l'article 90 de la Loi est une bourse d'étude accordée à un autochtone pour permettre à cette personne de fréquenter une université : voir par exemple l'affaire Greyeyes v. The Queen, [1978] CTC 91.

[31] Mme Adams prétend que son salaire est payé sur de l'argent fourni dans le cadre de l'Entente de financement global conclue par Sa Majesté et la bande des Chipewyans et que cette entente est un accord visé à l'alinéa 90(1)b) de la Loi. En vertu de l'Entente de financement global, Sa Majesté accorde une subvention inconditionnelle pour financer, du moins en partie, la conduite de l'administration publique de la bande. Cela est fait conformément au Programme de financement du soutien des bandes du MAINC. Comme le conseil de la bande utilise de tels fonds pour payer des dépenses comme des salaires et des frais de déplacement de personnel administratif, il est juste de présumer qu'une bonne partie du salaire de Mme Adams a été payée sur cette subvention.

[32] Toutefois, il est également possible qu'une partie de son salaire n'ait pas été payée sur de l'argent reçu conformément à l'Entente de financement global. Il pourrait en être ainsi parce que la bande, à l'occasion, enregistre un déficit et que le salaire de Mme Adams est payé sur un compte bancaire dans lequel d'autres fonds sont déposés, par exemple des prêts de la SCHL et d'autres « revenus divers » comme des revenus de location provenant de logements de la bande (voir les paragraphes 14 et 15 de l'exposé conjoint des faits, au paragraphe [6] des présents motifs). Donc, il est également juste de présumer qu'une partie du salaire de Mme Adams pourrait avoir été payée sur des fonds provenant d'une source autre qu'une entente entre Sa Majesté et la bande de Mme Adams.

[33] Même si nous devions présumer, comme le prétend Mme Adams, que le salaire de cette dernière a été payé sur des fonds versés en vertu de l'Entente de financement global, peut-on dire que le salaire de Mme Adams lui a été donné en vertu de cette entente? Je ne doute nullement du fait qu'une telle entente est une entente entre la bande des Chipewyans et Sa Majesté et que l'argent accordé en vertu de cette entente est de l'argent donné à une bande. Cependant, est-ce que l'Entente de financement global est un accord visé à l'alinéa 90(1)b) de la Loi? L'avocat de l'intimée dit que non. À l'appui de sa position, il invoque l'énoncé de principe suivant, exprimé par le juge La Forest dans l'arrêt Mitchell, précité, à la page 221 :

[...] j'estime que les termes « traité » et « accord » à l'al. 90(1)b) déteignent l'un sur l'autre. Il faut se rappeler que les promesses contenues dans les traités sont souvent formulées en des termes très généraux et que des accords supplémentaires sont nécessaires pour préciser les engagements pris par la Couronne; voir l'exemple d'un tel accord dans la décision Greyeyes c. La Reine, [(1978), 84 D.L.R. (3d) 196] [1978] 2 C.F. 385 [1978] C.T.C. 91] (D.P.I.).

[34] Le juge La Forest déclare à la page 229 que les accords visés à l'alinéa 90(1)b) de la Loi sont ceux qui traitent de sommes d'argent données à des Indiens conformément aux obligations contractées par la Couronne en vertu de traités et d'accords accessoires :

Si, comme je le crois, l'expression « Sa Majesté » à l'al. 90(1)b) est limitée à la Couronne fédérale, il s'ensuit que les exemptions et privilèges des art. 87 et 89 s'appliqueront seulement, sans égard au situs, aux biens que la Couronne fédérale donne aux Indiens en s'acquittant de ses responsabilités conformément aux traités et à leurs accords accessoires. Cette interprétation est conforme aux antécédents historiques de l'article dans la mesure où j'interprète les termes « présents » et « annuités » dans ces articles comme renvoyant aux sommes que la Couronne s'est engagée à donner aux Indiens par suite de la cession de leurs terres ancestrales.

[Je souligne.]

[35] À la même page, le juge La Forest explique cette conclusion comme suit :

La raison pour laquelle le Parlement aurait voulu protéger ces biens personnels sans égard à l'endroit où ils sont situés est évidente. Tout simplement, s'il faut donner aux promesses contenues dans les traités ce qui, peut-on présumer, a été le sens naturel compris par les Indiens, on est porté à conclure que les Indiens qui ont signé les traités auront tenu pour acquis que les biens qui leur étaient donnés par traité seraient protégés sans égard au situs. Dans le cas des chatels, je ne dispose d'aucun élément de preuve historique qui laisserait entendre que les Indiens ont déjà envisagé que leur capacité de profiter pleinement de ces biens pourrait être compromise en raison du pouvoir des non-Indiens d'imposer des privilèges ou des taxes chaque fois qu'il était nécessaire de sortir ce bien de la réserve. De même, lorsque la Couronne s'acquitte de ses obligations prévues par traités et accords accessoires en versant des sommes à titre d'aide en matière d'éducation, de logement, de santé et de bien-être notamment, on ne peut accepter que les Indiens aient déjà cru que ces droits conférés par traité pourraient être compromis en raison d'arguments juridiques subtils portant que les biens en question, bien qu'il ne fasse pas de doute qu'il s'agit de biens auxquels les Indiens avaient droit conformément à un accord que la Couronne était tenue par honneur de respecter, étaient fictivement situés à l'extérieur de la réserve et donc susceptibles d'être taxés ou saisis. Il serait très étrange que la Couronne, compte tenu de la teneur de ses engagements par traités, ait pu, en imposant des taxes, diminuer sensiblement la valeur apparente des avantages accordés.

Je crois que c'est précisément ce raisonnement qui a incité la Section de première instance de la Cour fédérale dans la décision Greyeyes c. La Reine, précitée, à conclure qu'une bourse d'étude versée à une étudiante indienne conformément à un accord établissant les détails de la promesse du gouvernement fédéral dans le traité no 6 de fournir assistance en matière d'éducation devrait être tenue pour située sur une réserve par application de l'al. 90(1)b).

À l'appui de mon avis que les Indiens ont compris que les avantages prévus par traités leur ont été accordés de façon inconditionnelle, je soulignerais l'extrait suivant du rapport des commissaires chargés de négocier le traité no 8. Le passage témoigne de façon éloquente que les peuples autochtones craignaient que l'imposition de taxes compromette sérieusement leur capacité de conserver leur mode de vie traditionnel sur les terres réservées à leur usage et, de plus, il ne laisse planer aucun doute qu'on avait promis aux Indiens que leurs droits seraient exemptés de taxation:

Ils exprimèrent partout la crainte que la signature du traité ne fut suivie d'une restriction des privilèges de chasse et de pêche, et plusieurs étaient convaincus que le traité conduisait à la taxation et au service militaire obligatoire.

Nous les assurâmes que le traité ne mènerait à aucune intervention forcée dans leur manière de vivre, qu'il n'ouvrait aucune voie pour l'imposition de taxes, et qu'ils n'avaient pas à craindre le service militaire obligatoire. [Traité no 8, 1989 (Imprimeur de la Reine, Ottawa), aux pp. 5 et 6.]

En résumé, je conclus qu'une interprétation de l'al. 90(1)b), qui considère que son seul objet est d'empêcher les non-Indiens de gêner les Indiens dans leur pleine jouissance des biens personnels promis par traités et par accord accessoires, est tout à fait conforme à la teneur des obligations que la Couronne s'est toujours engagée à respecter à l'égard de la protection des biens des autochtones.

[Je souligne.]

[36] Dans le cas particulier qui nous occupe, l'avocat de l'intimée a soutenu que, en vertu du traité no 8, Sa Majesté n'avait aucune obligation d'accorder du « financement du soutien des bandes » . Après avoir lu soigneusement le traité no 8, ainsi que le rapport des commissaires sur le traité no 8, qui fournit de l'information supplémentaire sur ce qui s'est passé durant les négociations, je ne trouve aucune déclaration qui confirmerait l'existence d'une obligation de la part du Canada de financer le coût de l'administration locale de la bande des Chipewyans. Donc, l'Entente de financement global n'est pas le type d'accord qui est visé à l'alinéa 90(1)b) de la Loi.

[37] À l'appui de son argument, l'avocat de l'intimée fait également valoir ce qui suit :

[TRADUCTION]

9. De plus, le contexte du paragraphe 90(1) de la Loi sur les Indiens inclut les paragraphes 90(2) et 90(3). Si l'interprétation préconisée par l'appelante était exacte, le salaire gagné par celle-ci à titre d'employée de la PNCA serait un bien réputé situé sur une réserve en vertu de l'article 90, de sorte que les paragraphes 90(2) et 90(3) s'appliqueraient. Ainsi, toute opération par laquelle l'appelante chercherait à dépenser une partie quelconque de son salaire — autre qu'une opération avec la bande ou un autre membre de la bande — exigerait le consentement du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, faute de quoi une infraction serait commise par l'appelante et l'autre partie. Ce résultat absurde est une raison de plus pour rejeter l'application de l'alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens préconisée par l'appelante.

[38] Je conviens avec l'avocat de l'intimée que, si le salaire de Mme Adams était un bien toujours réputé situé sur la réserve, Mme Adams ne serait pas libre de dépenser son argent à sa guise hors de sa réserve, ce qui serait assurément un résultat bizarre.

[39] Je suis en outre conscient que, dans l'affaire Kakfwi v. R., [1998] 1 C.T.C. 2695, mon collègue le juge Bowie a adopté une approche différente de celle du juge La Forest dans l'arrêt Mitchell, précité, et qu'il a conclu que l'alinéa 90(1)b) de la Loi pouvait s'appliquer à un accord qui n'était pas un accord accessoire concernant un traité : dans cette affaire, le programme de financement du soutien des bandes n'était pas lié non plus à des droits conférés par voie de traité. Bien que je respecte l'opinion contraire, j'estime non seulement que je suis lié par l'énoncé de principe du juge La Forest dans l'arrêt Mitchell, précité, mais aussi que cet énoncé de principe exprime l'interprétation qu'il convient de donner de cet alinéa[5].

[40] Le revenu d'emploi de Mme Adams ne peut être un bien meuble qui lui a été donné en vertu d'un accord visé à l'alinéa 90(1)b) de la Loi et n'est pas toujours réputé situé sur une réserve.

Le revenu d'emploi de Mme Adams est-il en fait situé sur une réserve?

[41] Ayant conclu que le revenu d'emploi de Mme Adams n'est pas toujours réputé situé sur une réserve en vertu de l'alinéa 90(1)b) de la Loi, il reste à déterminer s'il était situé sur une réserve selon les règles habituelles du situs (lieu) élaborées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Williams, précité. À la page 6326 des DTC, le juge Gonthier décrivait comme suit la méthode à utiliser :

La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d'imposition. Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu'il s'agit de prestations d'assurance-chômage, de revenu d'emploi ou de prestations de pension. Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

[42] En examinant le poids qu'il convient d'accorder aux facteurs de rattachement selon l'arrêt Williams, l'avocate de Mme Adams dit ce qui suit dans ses observations écrites :

[TRADUCTION]

27. En examinant les considérations énoncées par le juge Gonthier, il est clair que l'analyse n'était pas destinée à constituer une application mécanique d'un critère rigide. Dans les facteurs à soupeser selon le juge Gonthier, il faut plutôt déterminer si un bien a été acquis dans le cadre d'une entreprise commerciale ou s'il s'agit d'un bien acquis par un Indien inscrit qui entendait en fait structurer ses affaires de manière à être protégé par les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de biens au lieu de s'intégrer à l'ensemble du monde des affaires.

28. Le critère des facteurs de rattachement énoncé dans l'arrêt Williams n'a jamais été destiné à représenter une opération technique. Les facteurs doivent toujours être examinés en tenant compte de l'objet des exemptions et, lorsque la nature de l'emploi consiste à apporter des avantages à des Indiens, les facteurs jouent en faveur de l'exemption.

À mon avis, lorsque le bien meuble en cause est un revenu d'emploi, il est sensé de prendre en compte l'objet principal ainsi que les fonctions de l'emploi sous-jacent, tout particulièrement en vue de déterminer si cet emploi était destiné à apporter des avantages à des Indiens sur des réserves.

[43] L'avocate de Mme Adams présente ensuite une liste de facteurs de rattachement à prendre en compte dans la présente espèce :

[TRADUCTION]

30. En 1993, Rose Adams :

a) habitait sur une terre assujettie à l'administration et au contrôle du Canada;

b) habitait sur une terre qui a été mise de côté par le Canada expressément en vue de loger la bande de Mme Adams;

c) était et est encore considérée par le Canada comme une Indienne habitant sur une réserve aux fins du financement dans le cadre d'une entente de financement global;

d) était une employée d'une bande indienne;

e) remplissait dans le cadre de son emploi des fonctions consistant notamment à aider à la régie de la bande, à tenir des registres concernant les membres de la bande et à inscrire les Indiens ayant droit au statut d'Indien inscrit;

f) remplissait dans le cadre de son emploi des fonctions liées à la prestation de services, y compris les avantages prévus par traité, aux membres de la Première Nation à Fort Chipewyan;

g) est payée sur des fonds fournis à la bande conformément à une entente de financement global conclue avec le Canada;

h) travaillait dans les bureaux de la bande, soit des bureaux appartenant à une société dont les actions sont détenues en fiducie pour les membres de sa bande et d'une autre bande.

[44] L'avocate de Mme Adams conclut ensuite comme suit :

[TRADUCTION]

31. On ne pourrait guère dire que la situation de Rose Adams est caractéristique d'une personne exerçant une activité sur le marché ordinaire du Canada. La nature de son emploi, le lieu de son emploi ainsi que son employeur sont intrinsèquement liés à son statut d'Indienne faisant partie d'une bande reconnue. Eu égard à l'analyse fondée sur l'objet visé que le juge Gonthier a énoncée, le bien de Rose Adams était nettement destiné à être exempté de taxation.

[45] Dans l'application de la méthode appropriée pour régler le point en litige dans la présente espèce, j'estime devoir également prendre en compte les énoncés de principes exprimés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Recalma et al. v. The Queen, 98 DTC 6238. Dans cet arrêt, le juge Linden s'exprimait comme suit aux pages 6239 et 6240 :

En évaluant les différents facteurs pertinents, la Cour doit décider de l'endroit où il est « le plus logique » de situer les biens meubles afin d'éviter de porter « atteinte à un bien détenu par un Indien en tant qu'Indien » dans le but de protéger le mode de vie traditionnel des autochtones. Dans l'évaluation des différents facteurs pertinents, il est également important de déterminer si l'activité qui a généré le revenu était « étroitement liée » à la réserve, c'est-à-dire si elle faisait « partie intégrante » de la vie dans la réserve, ou s'il est plus approprié de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire » (voir Canada c. Folster [1997], 3 C.F. 269 (C.A.F.)). Il convient de préciser que le concept « du marché ordinaire » n'est pas un critère ayant pour but de déterminer si les biens sont situés dans une réserve; il s'agit simplement d'un élément qui aide à l'évaluation des divers facteurs à l'étude. Ce n'est absolument pas un critère déterminant. L'exercice de raisonnement primordial est de décider, en tenant compte de l'ensemble des facteurs de rattachement et en gardant à l'esprit l'objet de l'article, de l'endroit où sont situés les biens, c'est-à-dire si le revenu gagné fait « partie intégrante de la vie de la réserve » , s'il est « étroitement lié » à cette vie, et s'il devrait être protégé pour empêcher de porter atteinte aux biens détenus par les Indiens en tant qu'Indiens.

Il est bien évident que les différents facteurs pourront avoir une importance différente dans chaque cas. Ce qui est extrêmement important, surtout en l'espèce, c'est le type de revenus que l'on veut assujettir à l'impôt. Lorsque le revenu est tiré d'un emploi ou qu'il s'agit d'un salaire, le lieu de résidence du contribuable, le type de travail effectué, l'endroit où le travail a été effectué et la nature de l'avantage qu'en tire la réserve ont une très grande importance (voir Folster, précité).

[Je souligne.]

[46] Je voudrais ajouter quelques observations à la déclaration du juge Linden selon laquelle le concept du « marché ordinaire » ne représente pas un critère déterminant. Tout d'abord, quelques exemples illustreront la justesse de cette déclaration. De nombreuses activités exercées par des autochtones sur des réserves peuvent ne pas faire partie de leur « mode de vie traditionnel » , être plutôt des activités accomplies sur « le marché ordinaire » et quand même donner droit à l'exemption. Par exemple — et ceci serait particulièrement vrai dans le cas de réserves situées près d'agglomérations urbaines —, des autochtones peuvent exploiter des postes d'essence, des épiceries de dépannage[6] et même des centres commerciaux et des casinos[7] dont les clients sont surtout des non-autochtones. Quoique ces activités puissent être considérées comme accomplies sur « le marché ordinaire » , il est clair que le revenu qui en est tiré serait nettement exempté de taxation, pourvu que les activités soient exercées sur une réserve par un autochtone vivant sur cette réserve.

[47] La principale distinction entre des activités de cette nature exercées sur une réserve et des activités semblables exercées hors d'une réserve tient au fait que, dans le premier cas, les activités sont exemptées de taxation, comme c'est souvent le cas dans des pays qu'on appelle des paradis fiscaux[8]. Il s'agit néanmoins d'activités accomplies sur « le marché ordinaire » . Lorsque le juge La Forest parlait du « marché » dans l'arrêt Mitchell, je crois que ce qu'il avait à l'esprit, c'était davantage le fait que, si un autochtone détenait des biens hors d'une réserve, ces biens seraient considérés comme situés dans un monde non protégé.

[48] Cela m'amène à ma dernière observation. Vu l'interprétation de l'article 87 de la Loi qui a été adoptée dans la jurisprudence, nous devons être conscients que, quoique cet article puisse avoir visé à l'origine à éviter de porter « atteinte à un bien détenu par un Indien en tant qu'Indien » dans le but de protéger le mode de vie traditionnel des autochtones, l'exemption de taxation semble avoir un effet tout à fait contraire : elle semble accélérer sur les réserves le remplacement d'activités liées au « mode de vie traditionnel » par des activités accomplies sur « le marché ordinaire » [9]. Donc, l'utilisation du concept du « marché ordinaire » comme aide à l'évaluation des divers facteurs de rattachement à l'étude devrait être moins pertinente à l'avenir.

[49] La méthode à utiliser pour régler le point litigieux en l'espèce ayant été examinée, appliquons-la maintenant aux faits de l'espèce. Comme cela a été établi dans l'arrêt Williams, il faut d'abord déterminer les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. Dans la présente espèce, ces facteurs incluent le lieu de résidence de l'employée, l'endroit où le travail est accompli, le type de travail accompli et la nature de l'avantage conféré à la réserve.

Lieu de résidence de l'employée et endroit où les services sont fournis

[50] Je traiterai simultanément du lieu de résidence de l'employée et de l'endroit où les services sont fournis, car les deux questions posent des difficultés semblables. Mme Adams vit dans une roulotte située sur un terrain du lotissement des Affaires indiennes dans le hameau de Fort Chipewyan. Ce terrain n'est pas situé sur les réserves des Chipewyans. En ce qui concerne les locaux où Mme Adams fournissait ses services, ils étaient également situés à Fort Chipewyan, mais pas dans le lotissement des Affaires indiennes.

[51] Un contexte historique explique cette situation. Lorsque le peuple des Chipewyans a cédé ses droits sur son territoire en vertu du traité no 8, Sa Majesté lui a accordé le droit de poursuivre ses occupations habituelles de chasse, de piégeage et de pêche sur tout le territoire cédé. Comme Mme Mercredi l'a dit, le peuple des Chipewyans a reçu l'assurance de pouvoir faire du piégeage, de la chasse et de la pêche tant que le soleil brillera et que la rivière coulera. Pour les Chipewyans, c'était là le plus important. Ils étaient même opposés en général au fait d'être installés dans une réserve.

[52] On a dû les convaincre d'accepter l'engagement de Sa Majesté de créer une réserve à un moment donné pour leur propre protection. Le fait qu'ils aient accepté cet engagement s'est révélé une sage décision, car, au début des années 1920, la bande des Chipewyans a informé le gouvernement qu'elle voulait exercer son droit à des réserves. Il a fallu plus de 30 ans pour obtenir un décret en conseil qui mette officiellement de côté les terres devant servir de réserves à la bande. Les Chipewyans ont fondamentalement choisi le territoire qu'ils jugeaient le meilleur pour la chasse et le piégeage, et ce territoire correspond pour l'essentiel à la réserve des Chipewyans no 201. Ils ont également obtenu d'autres terres, soit les réserves des Chipewyans no 201A à 201G, qui représentent fondamentalement des endroits où les Chipewyans s'étaient traditionnellement établis. Ces terres incluent Old Fort Point, où Mme Mercredi a grandi, Jackfish Lake, Point Brule et Poplar Point. Aucune terre située à Fort Chipewyan n'a été choisie et mise de côté par Sa Majesté comme réserve dans les décrets en conseil de 1954.

[53] Pendant une certaine période, les membres de la bande des Chipewyans vivant sur les réserves ont, petit à petit, déménagé à Fort Chipewyan. Une des raisons de ce phénomène tient au fait que le pensionnat a fermé ses portes et qu'il a fallu trouver à se loger près de l'école publique de Fort Chipewyan. Pour aider à répondre aux besoins des Chipewyans en matière de logement, Sa Majesté a acquis de la province d'Alberta le lotissement des Affaires indiennes, de sorte que les membres de la bande des Chipewyans et ceux de la bande des Cris de Mikisew puissent vivre dans ce hameau. Un décret en conseil de la province d'Alberta en date du 9 décembre 1975 a permis le transfert de l'administration et du contrôle d'une certaine terre publique à Sa Majesté (du chef du Canada), sous réserve que cette terre soit « retransférée » à la province lorsqu'elle ne serait plus requise par Sa Majesté (du chef du Canada) pour le logement d'autochtones à Fort Chipewyan. Un autre décret du gouverneur général en conseil, en date du 1er juin 1976, a confirmé que le Canada acceptait ce transfert de la province d'Alberta. Il n'y a aucun décret en conseil, semblable à ceux de 1954 créant les réserves des Chipewyans, qui mette officiellement de côté comme réserve le lotissement des Affaires indiennes.

[54] L'avocate de Mme Adams indique dans ses observations écrites que Mme Adams vit et travaille sur une réserve de fait. Il faut donc traiter de cette question. Une réserve est définie comme suit au paragraphe 2(1) de la Loi :

« réserve » Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu'elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande; [...]

[55] En l'espèce, la preuve montre que le lotissement des Affaires indiennes appartenait à Sa Majesté. Toutefois, avait-il été mis de côté par « Sa Majesté » à l'usage et au profit de la bande? À mon avis, Mme Adams ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait de prouver que cette terre avait été mise de côté par Sa Majesté à une telle fin. En revanche, une telle preuve existe concernant les réserves des Chipewyans, car les décrets en conseil de 1954 établissaient que Sa Majesté, par l'entremise de son représentant au Canada, soit le gouverneur général, avait exercé son pouvoir de mettre ainsi des terres de côté.

[56] Comme l'a reconnu le juge Mahoney dans l'affaire Town of Hay River v. The Queen, (1979) 101 D.L.R. (3d) 184, à la page 186, il y a une distinction entre l'acquisition d'une terre par Sa Majesté et le fait de mettre une telle terre de côté au profit d'une bande autochtone :

Ce n'est pas le pouvoir, conféré au gouverneur en conseil par l'alinéa 19d) de la Loi sur les terres territoriales, de "mettre à part et affecter les étendues de territoire ou les terres qui peuvent être nécessaires afin de permettre au gouvernement du Canada de remplir ses obligations d'après les traités conclus avec les Indiens" qui lui permet de mettre de côté des terres de la Couronne comme réserve dans la région du Canada que vise la Loi, c.-à-d. le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Ce pouvoir est plutôt celui de créer une banque de terres à cette fin. La Loi sur les Indiens[...] définit "réserve" mais ne traite nulle part de la création d'une réserve. Nonobstant l'emploi des termes "en vertu de la Loi sur les Indiens" au paragraphe (2) du décret en Conseil, il appert que le pouvoir de mettre à part des terres de la Couronne pour une réserve indienne dans les Territoires du Nord-Ouest se fonde entièrement sur la prérogative royale, qui n'est soumise à aucune limitation statutaire.

[Je souligne, et j'ai omis la note de bas de page.]

[57] En l'espèce, le décret en conseil du 1er juin 1976 n'établit que le pouvoir d'acquérir le lotissement des Affaires indiennes. Il ne met nullement de côté cette terre au profit des Chipewyans. Aucun élément de l'exposé conjoint des faits n'indique que Sa Majesté a mis de côté le lotissement des Affaires indiennes pour la bande des Chipewyans. Les seuls éléments approchants à cet égard sont les paragraphes 27, 28 et 29, que je reproduis de nouveau ici par souci de commodité :

27. Une fois la parcelle de 106,17 acres transférée au MAINC, elle a été lotie aux fins du logement d'Indiens de la bande, et le plan de lotissement a été approuvé à la fois par la PNCA et par la Première Nation des Cris de Mikisew, par voie de résolution de conseil de bande en date du 21 avril 1978.

28. L'acquisition du « lotissement des Affaires indiennes » a recueilli la faveur tant du MAINC que de la PNCA et de la bande des Cris de Mikisew, car elle assurait aux membres une enclave au sein de l'agglomération.

29. La PNCA et la bande des Cris de Mikisew se sont toutes les deux vu attribuer des lots dans le « lotissement des Affaires indiennes » pour le logement de membres des bandes, et chaque bande a construit des habitations sur ces terres pour certains de ses membres à l'aide de fonds provenant du programme de logement du MAINC.

[58] Il n'y a aucun document dans lequel Sa Majesté décrit le « lotissement des Affaires indiennes » et le met de côté. Comme le disait le juge Mahoney dans l'affaire Town of Hay River, précitée, il n'y a aucune disposition de la Loi qui traite de la création d'une réserve. Donc, ni le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ni un fonctionnaire de ce ministère n'a le pouvoir de créer une réserve. Seule Sa Majesté, en vertu de sa prérogative royale, peut le faire, et c'est ce qui est envisagé dans la définition de « réserve » figurant à l'article 2 de la Loi.

[59] Dans l'affaire Wewayakum Indian Band v. Canada and Wewayakai Indian Band, (1995) 99 F.T.R. 1[10], au paragraphe 276, le juge Teitelbaum a dit que cette prérogative royale doit quand même être exercée au moyen d'un instrument juridique exprès comme un décret en conseil ou des lettres patentes. Dans cette conclusion, il se fondait sur l'affaire B.C. (A. G.) v. Mount Currie Indian Band (1991), 54 B.C.L.R. (2d) 156 (C.A.).

[60] Il est également à noter que cette approche n'a pas été suivie par le juge Maddison, de la Cour suprême du Yukon, dans l'affaire Ross River Dena Council Band v. Canada, [1998] 3 C.N.L.R. 284 (C.S.Y.), soit une décision que la partie intimée a portée en appel. Le juge Maddison était d'avis que la définition d'une réserve figurant dans la Loi n'exigeait aucune formalité particulière comme une proclamation ou un décret en conseil. Autant que je sache, une décision de la cour d'appel de la Colombie-Britannique n'a pas encore été rendue au moment où j'écris les présents motifs. De plus, il est à noter que nous ne sommes pas dans la même situation que dans l'affaire Ross River Dena Council Band : dans la présente espèce, les Chipewyans ont eu comme réserve tout le territoire auquel ils avaient droit en vertu du traité no 8. Ils ont même reçu une superficie plus grande, sans compter les plans d'eau, que ce qui était stipulé dans le traité. Je doute que le juge Maddison serait arrivé à la même conclusion dans de telles circonstances.

[61] Outre les décrets en conseil et les lettres patentes que mentionnait le juge Teitelbaum dans l'affaire Wewayakum Indian Band, Sa Majesté peut exercer sa prérogative royale par des moyens comme des proclamations, chartes, actes de cession ou autres documents revêtus du grand sceau[11]. Sa Majesté aurait pu délivrer une commission autorisant quelqu'un à créer une telle réserve. Par exemple, un commissaire aux traités a été chargé par voie de commission de signer le traité no 8. Il n'y a toutefois aucune preuve de l'existence d'un tel document en l'espèce.

[62] Je ne peux que déduire des faits de l'espèce que le MAINC a autorisé des membres de la bande des Chipewyans à occuper le lotissement des Affaires indiennes et qu'il a aidé à financer l'achat, par la bande des Chipewyans, de la roulotte à l'usage de Mme Adams. Aucun élément de preuve n'indique que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ou un de ses fonctionnaires avait le pouvoir de créer une réserve. Cela n'aurait pu être accompli que par Sa Majesté ou son représentant, le gouverneur général. De toute évidence, le fait que le MAINC a considéré Mme Adams comme résidente d'une réserve aux fins du financement dans le cadre de l'Entente de financement global est loin d'être suffisant pour établir l'existence d'une réserve.

[63] Le fait que le lotissement des Affaires indiennes devra être rendu à la province d'Alberta lorsqu'il ne sera plus requis pour loger des autochtones indique que cette terre ne devait pas être utilisée en permanence au profit du peuple des Chipewyans ou des Cris de Mikisew. Bien que les termes « en permanence » ne soient pas employés dans la définition d'une réserve, je crois que cette notion est importante aux fins de cette définition, notamment quand on considère le contexte historique et l'objet de la Loi. Pour déterminer ce que désigne la notion de réserve, il est également utile de se reporter aux propos suivants[12] tenus par le chef des Chipewyans Jonas Laviolette : « nous voulons avoir des terres bien à nous où nous pouvons chasser et pêcher et faire pousser un peu de pommes de terre. Si nous obtenons cette réserve, les trappeurs blancs et les Métis ne pourront plus nous déranger » . Le commissaire aux traités Laird, qui a négocié le traité no 8, utilisait des termes semblables : « [...] des réserves qu'ils pourront appeler les leurs et sur lesquelles les Blancs ne seront pas autorisés à s'établir sans paiement et sans le consentement des Indiens, exprimé devant un agent du gouvernement » .

[64] Le fait que le lotissement des Affaires indiennes était occupé à la fois par les Chipewyans et par les Cris de Mikisew étaye également à mon avis la proposition selon laquelle les Chipewyans ne pourraient considérer ce lotissement comme leur réserve. Je ne suis au courant d'aucun cas dans lequel deux bandes partagent le même territoire comme réserve. En fait, dans le cas qui nous occupe, chaque bande a ses propres réserves, sur lesquelles chacune exerce seule son droit à l'autonomie gouvernementale.

[65] En l'absence d'un élément de preuve selon lequel Sa Majesté ou son représentant, le gouverneur général, avait mis de côté le lotissement des Affaires indiennes à l'usage de la bande des Chipewyans, je ne peux conclure que ce lotissement constitue une réserve au sens de l'article 2 de la Loi.

[66] En ce qui a trait à l'endroit où le multiplex a été construit et où Mme Adams fournissait ses services, je crois sincèrement qu'il ne s'agit pas d'une réserve. Ce terrain appartient à la Cree-Chip Development Corporation, qui le détient en fief simple. Comme il n'appartient pas à Sa Majesté, il ne répond pas aux exigences de la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi.

[67] Il reste donc la question de savoir si le terrain en question pouvait constituer une réserve spéciale au sens de l'article 36 de la Loi, qui se lit comme suit :

36. La présente loi s'applique aux terres qui ont été mises de côté à l'usage et au profit d'une bande et qui n'appartiennent pas à Sa Majesté comme si elles étaient une réserve, au sens de la présente loi.

[68] Aucun élément de preuve n'indique que la Cree-Chip Development Corporation a mis le terrain de côté au profit d'une bande. Rien ne contredit la conclusion selon laquelle la Cree-Chip Development Corporation détient ce bien à son propre profit et indirectement au profit de ses actionnaires, comme le font la plupart des sociétés. On a construit le multiplex pour fournir des locaux non seulement pour l'administration des Chipewyans et des Cris de Mikisew, mais aussi pour le gouvernement provincial, soit un palais de justice et d'autres installations semblables. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que l'article 36 ait été destiné à englober des terres comme le lot de la Cree-Chip Development Corporation dans les circonstances de l'espèce[13].

[69] En conclusion, on ne peut dire que l'immeuble qui abrite les bureaux d'administration de la bande des Chipewyans et où Mme Adams fournissait ses services est situé sur une réserve. J'ajouterais qu'il n'y a pas non plus d'éléments de preuve établissant que l'administration centrale de la bande des Chipewyans était située sur une des réserves des Chipewyans. Me fondant sur l'ensemble de la preuve produite dans le présent appel, je pense qu'il est juste de présumer que la bande des Chipewyans remplit toutes ses fonctions administratives à Fort Chipewyan, où elle n'a aucune réserve.

Type de travail accompli et nature de l'avantage pour la réserve

[70] Ayant conclu que le lotissement des Affaires indiennes et le multiplex n'étaient pas situés sur une réserve, il importe de déterminer, par l'application des autres facteurs de rattachement, si le revenu d'emploi de Mme Adams pourrait quand même être considéré comme situé sur les réserves des Chipewyans. En l'espèce, il est sensé d'examiner simultanément le type de travail accompli et la nature de l'avantage pour la réserve, car ces deux facteurs sont étroitement liés. Mme Adams fournit des services qui profitent directement à sa bande et aux membres de celle-ci. Ses services sont fournis dans le cadre de l'autonomie gouvernementale de la bande, et la bande possède des réserves. Dans la plupart des cas, ce serait un facteur indiquant fortement l'existence d'un lien étroit avec une réserve. Comme les services fournis par Mme Adams s'inscrivent dans le cadre de la prestation de services d'administration publique pour les membres d'une bande, ils pourraient assurément être considérés dans une large mesure comme faisant partie intégrante de la vie de cette bande. De plus, si la bande vivait sur une réserve, il serait bien évident que de tels services, ainsi que le revenu qui en est tiré, feraient partie intégrante de la vie de la réserve. Les avantages pour une telle bande seraient évidents.

[71] Toutefois, les faits de l'espèce sont bien particuliers. Il n'y a aucune preuve effective que les membres de la bande vivent sur les réserves des Chipewyans. De la manière dont je comprends la preuve, la plupart des membres de la bande des Chipewyans vivent à Fort Chipewyan ou à proximité[14]. Les membres de la bande des Chipewyans semblent utiliser les réserves des Chipewyans principalement, voire exclusivement, pour faire de la chasse, du piégeage et de la pêche. Ce n'est pas étonnant, car les Chipewyans ont toujours refusé « d'être traités comme les Indiens des Prairies et d'être confinés dans des réserves » . Il est bien évident que les Chipewyans vivent hors d'une réserve, c'est-à-dire à Fort Chipewyan. C'est là qu'ils bénéficient des avantages de la vie moderne : habitations avec services d'adduction d'eau et d'égout et autres services, accès à des magasins, etc. Si la plupart, voire l'ensemble, des Chipewyans bénéficiant des services fournis par Mme Adams vivent hors d'une réserve, comment peut-on dire que les services de Mme Adams et le salaire versé pour ces services sont liés à une réserve?

[72] Les services de Mme Adams semblent principalement axés sur les membres de la bande. Bien que ce ne soit pas expressément mentionné dans l'exposé conjoint des faits[15], il serait juste de présumer que certaines de ses fonctions devaient nécessairement être accomplies relativement aux réserves des Chipewyans. Cependant, aucun élément de preuve n'indique que cela représenterait une part importante de ces fonctions. De plus, des éléments de preuve indiquent que le piégeage, la chasse et la pêche ne peuvent plus assurer la subsistance du peuple des Chipewyans. Les Chipewyans ont besoin d'autres sources de revenus pour assurer leur subsistance. Comme la plupart des services de Mme Adams profitaient à des personnes vivant à Fort Chipewyan, je pense qu'il est juste de conclure que le travail de Mme Adams était plus étroitement lié à la vie à Fort Chipewyan qu'à la vie sur les réserves des Chipewyans.

[73] Je pense que c'est un cas qui correspond aux circonstances décrites par le juge Gonthier dans l'arrêt Williams, précité, à la page 6324, à propos d'un autochtone qui s'intègre à la société en général :

En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société. Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

[74] Étant donné que Mme Adams, comme bien d'autres Chipewyans, a décidé de vivre et de travailler hors des limites d'une réserve, dans une localité où des autochtones de deux bandes différentes et des non-autochtones vivent ensemble, elle n'a pas droit à l'avantage prévu à l'article 87 concernant son revenu. Il importe de rappeler le but dans lequel l'article 87 a été adopté. Dans l'arrêt Mitchell, précité, le juge La Forest a affirmé que cette disposition n'est pas destinée à remédier à la situation économiquement défavorable des autochtones, mais seulement à faire en sorte que des biens situés sur une réserve soient exemptés de taxation. Cette exemption est accordée non pas à tous les autochtones, mais seulement à ceux d'entre eux qui détiennent des terres faisant partie d'une réserve ou qui détiennent des biens meubles situés sur une réserve. L'exemption est accordée non pas pour des biens simplement détenus par un autochtone « en tant qu'autochtone » , mais pour des biens détenus par un autochtone « en tant qu'autochtone » « sur une réserve » . C'est ce que le juge La Forest affirmait aux pages 226 et 227 :

En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

[Je souligne.]

Le juge La Forest ajoutait ce qui suit à la page 228 :

J'attire l'attention sur ces décisions pour souligner encore une fois qu'il faut éviter d'accorder une portée trop large aux art. 87 et 89. Ces dispositions n'ont pas pour but d'accorder des privilèges aux Indiens à l'égard de tous les biens qu'ils peuvent acquérir et posséder, peu importe l'endroit où ils sont situés. Leur but est plutôt simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits.

[Je souligne.]

[75] En l'espèce, le revenu d'emploi de Mme Adams ne représente pas un « bien personnel » (bien meuble) reçu par elle « en tant qu'Indienne » « sur une réserve » . Mme Adams vivait hors de la réserve et travaillait pour un employeur exerçant ses activités hors de la réserve, et les personnes bénéficiant des services que Mme Adams fournissait pour son employeur étaient des autochtones qui vivaient aussi hors d'une réserve. À mon avis, les facteurs examinés précédemment établissent que le revenu d'emploi de Mme Adams est plus « étroitement » lié à la vie à Fort Chipewyan qu'à la vie sur les réserves des Chipewyans. Donc, le revenu d'emploi de Mme Adams n'est pas situé sur une réserve.

[76] Avant de conclure, il convient de déterminer si ce résultat est logique. À cette fin, je pense qu'il serait utile de considérer la situation de Mme Adams en présumant que la question concerne un bien matériel plutôt qu'un bien immatériel comme un revenu. On sait bien que, lorsque l'article 87 de la Loi a pour la première fois été adopté, le Parlement n'avait pas à l'esprit des revenus provenant d'un emploi, d'une entreprise ou d'un bien. Il n'y avait pas de loi de l'impôt sur le revenu à cette époque. Cependant, des biens matériels comme l'équipement pour la chasse, la pêche, le piégeage et l'agriculture étaient clairement envisagés. Dans l'arrêt Nowegijick, précité, la Cour suprême du Canada a élargi le concept de biens personnels ou biens meubles qui est prévu à l'article 87 de la Loi de manière à inclure des revenus, car les termes « biens personnels » ou « biens meubles » étaient susceptibles d'avoir une telle signification. Toutefois, comme le dit l'arrêt Mitchell, précité, l'exemption ne s'applique qu'à des biens situés sur une réserve.

[77] Donc, en l'espèce, si Mme Adams avait un véhicule pour aller travailler au multiplex, ce véhicule ne serait pas insaisissable[16] ou exempté de taxation[17], car il ne serait pas situé sur une réserve[18]. Donc, si un créancier de Mme Adams essayait de saisir la voiture de Mme Adams, cette dernière ne pourrait faire valoir la protection prévue à l'article 89 de la Loi. Si j'avais conclu que le salaire de Mme Adams était situé sur une réserve, le créancier de Mme Adams ne pourrait saisir le salaire de Mme Adams, soit un résultat qui serait à mon avis illogique. Le créancier pourrait saisir le véhicule utilisé par Mme Adams pour aller travailler, mais pas le revenu tiré de ce travail par Mme Adams. Je pense donc que l'issue de l'espèce est conforme à l'esprit de l'article 87 de la Loi et que c'est l'issue la plus logique.

[78] Le fait que le salaire et le véhicule de Mme Adams pourraient être l'objet d'une saisie et d'une taxation ne signifie pas que ses autres biens pourraient l'être. Par exemple, ses biens situés sur les réserves des Chipewyans seraient protégés. De plus, tous les biens donnés à Mme Adams en vertu du traité no 8 et d'accords accessoires seraient également protégés, même s'ils étaient situés hors des réserves des Chipewyans, car de tels biens sont réputés situés sur une réserve en vertu de l'article 90 de la Loi. Ainsi, on ne porterait pas atteinte aux droits détenus par Mme Adams « en tant qu'autochtone » en vertu de ces accords.

[79] Donc, en appliquant l'approche élaborée par les tribunaux concernant des biens immatériels, il importe de ne pas perdre de vue l'esprit dans lequel les articles 87 et 89 de la Loi ont été adoptés. Une personne intelligente peut toujours faire un lien intellectuel pour établir qu'un revenu est étroitement lié à une réserve. Cependant, le résultat doit être conforme à l'objet de la loi, qui est, pour reprendre les termes du juge La Forest cités précédemment, « de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés » . Le juge La Forest a en outre souligné qu' « il faut éviter d'accorder une portée trop large aux art. 87 et 89 » . J'ajouterais qu'il faut éviter d'accorder une extension trop grande au lien entre un revenu et une réserve, sinon cette approche équivaudrait à exempter de taxation des autochtones « en tant qu'autochtones » tout simplement (ce qui serait contraire aux enseignements de l'arrêt Mitchell) plutôt que des autochtones en tant qu'autochtones détenant des biens situés sur une réserve.

[80] Cela m'amène à une dernière observation. Je ne pense pas que le libellé de l'article 87 de la Loi concernant les biens meubles qui sont des biens immatériels soit clair et aisément compréhensible. À mon avis, il est contestable qu'une disposition d'exonération d'impôt sur le revenu soit libellée en termes aussi vagues. L'interprétation de cet article exige une évaluation tellement subjective de facteurs de rattachement pour la détermination du situs d'un revenu — d'abord par des fonctionnaires, puis par les tribunaux — que cela donnera sûrement lieu à une application inégale. En outre, une personne devrait pouvoir déterminer le plus possible son assujettissement à l'impôt sans devoir faire des démarches demandant beaucoup de temps et sans devoir payer des frais importants. En l'espèce, Mme Adams avait deux avocates, qui étaient bien préparées et qui non seulement ont passé deux jours et demi devant le tribunal, mais ont présenté des observations écrites bien documentées. Les contribuables ont droit à des dispositions claires en matière d'assujettissement et d'exemption. Le fait que les fonctionnaires et les tribunaux essaient d'être justes pour les autochtones dans toute la mesure du possible ne devrait pas empêcher que l'on s'efforce de trouver une solution législative à une situation qui pourrait créer une iniquité entre les contribuables autochtones, ce qui serait une source de ressentiment.

[81] Pour tous ces motifs, Mme Adams n'a pas droit à l'exemption prévue à l'article 87 de la Loi, et son salaire est imposable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[82] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de novembre 1999.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de juillet 2000.

Isabelle Chénard, réviseure



[1]            J'appellerai ces terres les « réserves des Chipewyans » .

[2]            C'est-à-dire par le gouverneur général en conseil.

[3]            Ces extraits sont reproduits au paragraphe 9 des présents motifs.

[4]            Cet extrait est reproduit au paragraphe [9] des présents motifs.

[5]           Après que j'ai eu rédigé les présents motifs, la Cour d'appel fédérale a rendu, le 8 septembre 1999, une décision (A-932-97) infirmant le jugement de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Kakfwi et établissant que les fonds provenant du programme de financement du soutien des bandes ainsi que le salaire du chef de la bande n'avaient pas été versés en vertu d'un « accord » au sens de l'alinéa 90(1)b) de la Loi. (Voir le par. 1 des motifs du juge Noël et le par. 5 des motifs du juge Marceau.)

[6]           Dans un article paru dans Le Soleil le lundi 25 octobre 1999, à la page A-4, un journaliste décrivait l'augmentation importante du nombre d'épiceries de dépannage à Listuguj, soit un village micmac : il y avait 4 épiceries de dépannage en 1996, il y en avait 13 en 1997 et il y en avait 11 en 1998.

[7]            Dans ce dernier exemple, il est juste de présumer que la plupart, sinon l'ensemble des clients seraient des non-autochtones (en présumant qu'une bande interdise l'accès au casino à ses propres membres, sauf à ceux qui sont des employés).

[8]            Même si elle est sur une réserve, une personne doit être un autochtone pour bénéficier des avantages du paradis fiscal.

[9]            Pour une description du nouveau mode de vie sur les réserves, voir l'article « Saskatchewan — l'avenir indien » paru dans L'Actualité, 15 octobre 1999, vol. 24, no 16, à la p. 62, ainsi que la description donnée par le juge McLachlin dans l'arrêt Union N.B. Indians c. N.-B. (Min. Finances), [1998] 1 R.C.S. 1161, [1998] A.C.S. no 50 (QL), au par. 44.

[10]          Jugement confirmé par la Cour d'appel fédérale le 12 octobre 1999, dans l'arrêt publié sous le nom de Roberts c. Canada dans [1999] A.C.F. no 1529, sauf concernant la question des frais sur une base procureur-client.

[11]           Voir Halsbury, paragraphe 906, page 517.

[12]           Propos cités au paragraphe 11 des présents motifs.

[13]          Il est à noter — bien que ce ne soit nullement concluant — que la bande des Cris de Mikisew ne croyait pas que son bureau d'administration était, à l'époque où il se trouvait dans le multiplex, situé sur une réserve. La preuve a révélé que, après avoir appris que Revenu Canada estimait que les employés travaillant à cet endroit n'étaient pas exemptés de taxation, cette bande a décidé de transférer son bureau d'administration du multiplex à un immeuble situé sur une de ses réserves, lesquelles se trouvent à Fort Chipewyan ou à proximité.

[14]           Bon nombre vivent sur une terre de la Couronne fédérale ou sur des lots acquis par le Canada (par. 22 de l'exposé conjoint des faits, reproduit au par. [6] des présents motifs). Seules des cabanes pour le piégeage, qui « peuvent être occupées sur une base saisonnière » , semblent utilisées à des fins d'habitation dans les réserves des Chipewyans (par. 20 de l'exposé conjoint des faits, reproduit au paragraphe [6] des présents motifs).

[15]       Pour faciliter la consultation, je reproduis ici le passage pertinent :

Dans le cadre de ses fonctions, elle devait tenir les procès-verbaux des réunions du conseil de bande, en assurer la distribution, établir l'ordre du jour des réunions du conseil et rédiger la correspondance du conseil. Comme administratrice du registre des Indiens, elle délivrait des certificats de statut d'Indien à des membres de la PNCA, tenait le registre de la bande faisant état des membres de cette dernière et communiquait au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) les événements touchant les membres de la PNCA, par exemple les naissances, les décès et les mariages. De plus, elle remplissait des fonctions administratives générales comme recevoir et distribuer le courrier, s'occuper des appels téléphoniques, rédiger et envoyer de la correspondance, faire fonction de réceptionniste, acheter des fournitures de bureau et tenir le matériel de bureau.

[16]           L'article 89 de la Loi, qui traite de cette question, est formulé de façon semblable à l'article 87 :

89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien.

[17]           Cela suppose que ma conclusion sur le statut du lotissement des Affaires indiennes et du multiplex est exacte.

[18]           Il convient également de rappeler que, selon le par. 19 de l'exposé conjoint des faits, il n'y a pas de routes sur les réserves des Chipewyans.

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