Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980915

Dossier: 97-311-UI

ENTRE :

MARTIN MELNICK,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge O’Connor, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à St. Catharines (Ontario), le 4 septembre 1998. Les deux parties étaient représentées par un avocat. Martin Melnick (le “ travailleur ”) interjette appel contre un règlement d'une question par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”), règlement selon lequel l’emploi du travailleur chez Sorensen Concrete & Pools (le “ payeur ”) au cours de la période allant du 8 mai 1995 au 3 novembre 1995 n’était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-chômage (la “ Loi ”) parce que le travailleur et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance et que le ministre pouvait raisonnablement conclure que le travailleur et le payeur n’auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

[2] Les dispositions applicables de la Loi sont celles du paragraphe 3(2), dont voici la partie pertinente :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l’alinéa d), tout emploi lorsque l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l’application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu,

(ii) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance;

[...]

[3] Avant de continuer, il importe d’examiner la nature de l’enquête à laquelle doit se livrer notre cour dans le cadre d’un appel interjeté contre la conclusion tirée par le ministre en vertu de l’alinéa 3(2)c) de la Loi.

[4] Dans l’arrêt Bayside Drive-In Ltd. v. Her Majesty the Queen (1997), 218 N.R. 150, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

Le juge de la Cour de l’impôt n’était justifié d’intervenir dans la décision prise par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s’il était convaincu que le ministre avait commis une ou plusieurs des erreurs suivantes pouvant donner lieu à examen : (i) le ministre a agi de mauvaise foi ou en s’appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié; (ii) le ministre n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii); ou (iii) le ministre a tenu compte d’un facteur non pertinent. Ce n’est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l’on peut dire qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon contraire à la loi, et donc, que le juge de la Cour de l’impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[5] De plus, dans l’arrêt Attorney General of Canada v. Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit :

[...] Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l’impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n’auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n’avaient pas eu un lien de dépendance. S’il existe suffisamment d’éléments pour justifier la décision du ministre, il n’est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l’impôt d’infirmer la décision du ministre du simple fait qu’une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge serait arrivé à une conclusion différente selon la balance des probabilités. En d’autres termes, ce n’est que lorsque la décision du ministre n’est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l’intervention de la Cour de l’impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un vice qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l’impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l’enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n’est qu’alors que la Cour de l’impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la balance des probabilités. [...]

À mon sens, le travailleur a établi que le ministre n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes ou qu’il a tenu compte d’un facteur non pertinent. Je tire cette conclusion pour les motifs suivants :

1. Plusieurs hypothèses formulées dans la réponse du ministre se sont révélées inexactes ou incomplètes, comme je l'explique ci-après.

a) Selon l’hypothèse 6e), Michael Melnick, le père du travailleur et l’unique actionnaire de la société payeuse est décédé en octobre 1995, alors que la preuve montre qu’il est mort en juillet 1995 à la suite d’une crise cardiaque.

b) Selon l’hypothèse 6j), le travailleur prenait les décisions majeures. Or, la preuve montre qu’avant sa mort en juillet 1995, le père du travailleur prenait les décisions majeures pour l’entreprise et c’est seulement après cette date que le travailleur est essentiellement devenu le contrôleur de l’entreprise, responsable de son fonctionnement quotidien.

c) Quant à l’hypothèse 6l) de la réponse, le travailleur a confirmé qu’après le décès de son père, c'était lui, le travailleur, qui avait pouvoir de signature relativement au compte bancaire du payeur. Il a expliqué que c’était simplement plus pratique ainsi parce que sa mère, qui possédait alors toutes les actions du payeur, ne se mêlait aucunement de l’entreprise et en avait confié entièrement l'exploitation au travailleur.

d) Quant aux hypothèses 6s) et 6t) de la réponse, la preuve montre que le payeur a versé au travailleur un salaire mensuel brut de 3 000 $ en 1994, et de 3 350 $ en 1995 (soit 20 100 $ pour la saison comprenant six mois). Le travailleur a témoigné avoir travaillé six mois en 1995 et seulement cinq mois en 1994. De fait, son augmentation mensuelle de 1994 à 1995 a été légèrement supérieure à 10 p. 100. Il a de plus témoigné que [TRADUCTION] “ nous avons tous eu une petite augmentation en 1995 ”. De plus, en ce qui concerne les salaires, le travailleur, après la mort de son père, était le principal responsable de l’entreprise. Parmi les 15 autres employés, trois employés clés touchaient un salaire qui n’était pas sensiblement inférieur à celui du travailleur. Par exemple, au cours de la saison 1995, Bruce Taylor, directeur du service d’entretien, a reçu 18 502 $, Elizabeth Currie, gérante du magasin, a reçu 17 000 $, et Aaron Sinclair, contremaître de construction, a reçu 17 275 $.

e) Quant à l’hypothèse 6u) de la réponse, le travailleur a confirmé que quatre de ses chèques de salaire mensuels, d'un montant net de 2 164 $ chacun, avaient effectivement été déposés au compte de banque de l’entreprise payeuse. Il a expliqué que la raison tenait tout d’abord au manque de liquidités de l’entreprise au moment du démarrage en mai, en conséquence de quoi il a convenu avec sa mère de déposer les chèques au compte de l'entreprise. Le travailleur a ajouté qu’il devait 13 000 $ à son père (et donc à sa mère, légataire universelle de ce dernier) et que le dépôt des quatre chèques constituait essentiellement un remboursement partiel de cette dette.

f) En outre, lorsqu’on lui a demandé comment il pouvait subsister sans l’argent représenté par les quatre chèques en question, le travailleur a répondu que son épouse de fait avait un emploi chez la Banque Toronto-Dominion qui lui rapportait environ 33 000 $ par année, et que ce salaire leur avait permis de s'en tirer pendant ces quatre mois.

g) En ce qui concerne ses heures de travail, le travailleur a témoigné que son taux de salaire se fondait essentiellement sur une semaine de travail estimée à 44 heures, et que ses heures de travail étaient dans bien des cas dictées par la nature du travail et les conditions atmosphériques. En d’autres termes, il était tout simplement impossible de cesser de couler le ciment à 17 heures pile, mais il fallait continuer jusqu’à ce que ce travail soit terminé. De plus, il arrivait que le travail soit fini avant 17 heures, par exemple, et qu’il n'y ait pas suffisamment de temps pour entreprendre une nouvelle tâche, de sorte que le travailleur rentrait tôt chez lui. Enfin, les heures de travail variaient lorsqu’il était impossible de couler du ciment ou de faire du travail semblable à cause des conditions atmosphériques.

[6] Ayant donc tranché la question préliminaire, j’estime pouvoir avec justification procéder à ma propre appréciation et, me fondant sur le témoignage du travailleur, je conclus selon la prépondérance des probabilités qu'il a établi qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, que lui et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

[7] L’appel est par conséquent accueilli et le règlement de la question par le ministre est infirmé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de septembre 1998.

“ T. P. OConnor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'avril 1999.

Erich Klein, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.