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Date: 19980817

Dossier: 96-256-IT-G

ENTRE :

VIVIAN McGREGOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels contre de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, par lesquelles le ministre du Revenu national a refusé à l'appelant la possibilité, dans le calcul de son revenu en vertu de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), de déduire de son revenu tiré d'une autre source des pertes qu'il prétend avoir subies relativement à la location de trois maisons dont il est propriétaire. Les pertes dont la déduction a été refusée s'élèvent à 53 138 $ pour 1991, à 47 089 $ pour 1992 et à 37 791 $ pour 1993.

[2] L'appelant a pour la première fois acheté une maison en vue de la louer en 1977 ou 1978. Il a été propriétaire de ce bien locatif pendant environ sept ans avant de le revendre. Il a acquis un autre bien locatif en 1988. Peu après, il en a acquis deux autres. L'appelant a apparemment déduit une perte locative dans sa déclaration de revenus de 1987, mais la preuve ne révèle pas comment il aurait pu le faire si en réalité il n'était propriétaire d'aucun bien locatif entre 1985 et 1988. Ce n'est là que l'une des aberrations dans la preuve de l'appelant.

[3] Les détails des achats en question, d'après ce que je peux glaner dans la preuve, sont les suivants. En 1988, l'appelant a acheté la propriété située au 708, Mountain View Place, Newmarket. Je l'appellerai la propriété no 1. Il l'a payée 159 000 $, dont 124 000 $ provenaient d'une hypothèque de premier rang au taux d'intérêt annuel de 12,5 p. 100, et 24 000 $, d'une hypothèque de deuxième rang. Le taux d'intérêt de l'hypothèque de deuxième rang n'est pas connu. L'appelant a payé de sa poche quelque 15 000 $ représentant le reste du prix d'achat et le solde des frais de clôture.

[4] En 1989, l'appelant a acheté la propriété située au 640, Mountain View Place, qu'il a payée 205 000 $, dont 153 650 $ provenaient d'une hypothèque de premier rang au taux d'intérêt annuel de 13,75 p. 100, et 25 000 $, d'une hypothèque de deuxième rang au même taux d'intérêt annuel. L'appelant a puisé environ 26 000 $ dans ses propres fonds. J'appellerai cette propriété la propriété no 2.

[5] Toujours en 1989, l'appelant a acheté la propriété située au 48, Seacliff Boulevard, North York. Il l'a payée 239 000 $, dont 167 300 $ provenaient d'une hypothèque de premier rang dont le taux d'intérêt annuel était de 12 p. 100, et 31 000 $, d'une hypothèque de deuxième rang dont le taux d'intérêt annuel était de 18 p. 100. La valeur nette de cette propriété pour l'appelant était donc d'environ 41 000 $. Je l'appellerai la propriété no 3.

[6] Le témoignage de l'appelant sur les loyers qu'il était en mesure de demander pour ces propriétés a été pour le moins vague, tout comme son témoignage sur la durée exacte de la période au cours de laquelle les propriétés n'ont pas toutes été louées. Il semble cependant que le loyer mensuel potentiel était environ de 1 650 $ pour la propriété no 1, de 1 500 $ pour la propriété no 2 et de 1 600 $ pour la propriété no 3, après que l'appelant eut payé pour faire aménager un deuxième logement au sous-sol de celle-ci. Les taxes foncières s'élevaient environ à 1 500 $ par année pour chacune de ces propriétés. Ces chiffres montrent clairement qu'aucune des propriétés ne pouvait individuellement rapporter des revenus suffisants pour payer, au départ, ne serait-ce que les intérêts hypothécaires et les taxes, même si l'appelant avait des locataires dans chacune douze mois par année.

[7] En fait, l'appelant a prétendu avoir subi, entre 1987 et 1997, des pertes totalisant 425 235 $ du fait de sa prétendue entreprise de location. La perte la moins élevée a été de 12 826 $, en 1996, mais, l'année suivante, la perte a de nouveau augmenté, passant à 29 738 $. Je dis qu'il a prétendu avoir subi ces pertes parce que le ministre ne les considérait pas comme ayant été établies de façon satisfaisante, ce qui a été soulevé dans les actes de procédure. Aucune preuve de ces pertes, si ce n'est de vagues affirmations orales de l'appelant, n'a été offerte au procès.

[8] Au cours de son interrogatoire principal, l'appelant a affirmé à plusieurs reprises qu'il avait un plan pour tirer un profit des biens locatifs en cause et que, d'après le plan, ces biens deviendraient rentables après cinq ou six ans. À un certain moment, il a témoigné qu'il avait mis ce plan par écrit; inexplicablement, toutefois, il n'a pas apporté le document avec lui ni ne l'a, semble-t-il, montré à son avocat. Je ne retiens pas la déclaration de l'appelant selon laquelle il avait un plan d'entreprise. J'estime que tout le témoignage de l'appelant est extrêmement insatisfaisant. En plus d'être vague et de ne pas être appuyé par les documents que quiconque exploitant une entreprise devrait tenir, il était à certains moments contradictoire. Au mieux, il était intéressé et il n'était corroboré d'aucune façon. À plus d'une occasion, il était manifeste que ce témoignage était simplement inexact, soit délibérément, soit peut-être par insouciance. Je me retrouve donc sans aucune idée claire des dépenses qui ont effectivement été engagées par l'appelant relativement aux propriétés en question. S'il les a surévaluées et que de ce fait les pertes sont exagérées, l'appelant est l'artisan de son propre malheur, puisque j'ai conclu, en me fondant au moins en partie sur la longue et ininterrompue série de pertes très considérables qu'il a déduites, qu'il ne pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit de ces propriétés, et que, par conséquent, il n'exploitait pas d'entreprise et n'avait pas de revenu d'entreprise.

[9] Me McCool a indiqué dans sa plaidoirie que je devrais voir une similarité entre la présente affaire et l'arrêt Tonn c. Canada[1], où la Cour d'appel fédérale a conclu que les appelants exploitaient effectivement une entreprise de location, non rentable toutefois, et qu'on pouvait s'attendre qu'elle rapporte, ce qu'elle aurait fait d'ailleurs n'eussent été des malheurs imprévus. Me McCool m'a demandé de conclure que des circonstances imprévues semblables étaient le seul obstacle à un avenir prospère pour l'appelant en l'espèce et que lui non plus, pour reprendre les termes du juge Linden, ne devrait pas être pénalisé pour s'être honnêtement trompé.

[10] À mon avis, il n'y a aucune similarité entre la présente affaire et l'arrêt Tonn. Dans l'affaire Tonn, de nouvelles cotisations avaient été établies à l'égard des appelants pour les années 1989, 1990 et 1991 relativement à un bien qu'ils avaient acquis en 1989. La Cour d'appel fédérale a conclu qu'ils avaient un plan, quoique rudimentaire. Elle a également conclu que des facteurs indépendants de la volonté des appelants avaient empêché ces derniers de réaliser des profits. Dans la présente affaire, je conclus que l'appelant n'avait aucun plan qui allait lui permettre de réaliser des profits dans le cadre de son entreprise. Son avocat lui a demandé à maintes reprises de décrire le plan, et il n'a rien pu dire d'autre que c'était son intention de réaliser des profits de 5 000 $ ou 6 000 $ par année après cinq ans. Il n'a pas pu expliquer comment il s'y prendrait, si ce n'est qu'il réduirait le capital des emprunts hypothécaires et réduirait ainsi ses dépenses. Je reviendrai sur cette question un peu plus loin.

[11] L'appelant en l'espèce, contrairement aux appelants dans l'arrêt Tonn, a subi des pertes sans interruption pendant 11 ans d'après un sommaire que lui et son avocat ont accepté au cours du procès. L'appelant n'a produit aucune preuve convaincante d'événements imprévus qui ont déjoué ses plans de rentabilité. Il a parlé en des termes on ne peut plus vagues de locataires qui quittaient et de locataires qu'il avait dû expulser pour non-paiement du loyer. Ce sont là, évidemment, certains des risques habituels de la location d'immeubles. La preuve ne me convainc pas que les problèmes de l'appelant à cet égard étaient plus nombreux que la normale.

[12] Quant à l'intention déclarée de l'appelant de réduire le capital des emprunts hypothécaires, premièrement, il n'y a aucun plan qui indique le montant qu'il avait l'intention de rembourser ou la provenance des fonds. Deuxièmement, il n'y a eu aucune preuve claire du montant qui a été effectivement remboursé ou de la date de ce remboursement. Il semble que l'appelant ait bel et bien effectué des versements de sommes globales sur les emprunts hypothécaires de temps en temps, mais la preuve est nébuleuse et imprécise et elle n'est appuyée par aucun document. Troisièmement, l'appelant a effectivement indiqué qu'au moins certains des versements globaux provenaient des remboursements d'impôt très importants qu'il a obtenus par suite des pertes qu'il a déduites de son revenu tiré de l'emploi à temps plein qu'il occupait dans l'industrie de l'automobile. Il se peut que certains des montants en question aient en fait provenu de ses chèques de paie, mais, à mon avis, on peut à juste titre inférer que les paiements n'auraient pas été effectués n'eussent été les remboursements d'impôt ou, s'ils avaient été effectués, ils auraient été beaucoup moins élevés.

[13] Dans l'arrêt Mohammad v. The Queen[2], la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question des biens locatifs dont l'achat est financé dans une proportion si élevée au moyen d'emprunts qu'il est impossible de réaliser quelque profit que ce soit, du moins au cours des premières années. Le juge Robertson, exprimant l'opinion unanime de la cour, a écrit aux pages 5505 et 5506 :

Il arrive souvent que des contribuables achètent un immeuble résidentiel à des fins de location en finançant la totalité du coût d'acquisition. La situation type est celle d'un contribuable qui occupe à plein temps un emploi tout à fait indépendant. Trop fréquemment, le montant des intérêts annuels payables sur le prêt dépasse de beaucoup les revenus de location auxquels on pouvait raisonnablement s'attendre. Cela est vrai, même en faisant abstraction des baisses imprévues du marché locatif ou de la survenance d'autres événements qui ont des répercussions négatives sur la rentabilité de l'activité locative, par exemple, les frais d'entretien et de réparation et des dépenses autres qu'en capital. Dans bon nombre de cas, la composante intérêts est si importante qu'une perte locative est enregistrée avant même que d'autres dépenses locatives autorisées soient prises en compte dans l'état des résultats. Les faits sont tels qu'il n'est pas nécessaire d'avoir l'expérience d'un analyste du marché immobilier pour comprendre qu'un bénéfice ne peut être réalisé tant que les frais d'intérêts ne sont pas réduits en remboursant le principal du prêt. Autrement dit, il y a des cas où le contribuable n'est pas en mesure de respecter à première vue la doctrine de l'expectative raisonnable de profit. Il ne s'agit pas de cas où l'on demande à la Cour de l'impôt de faire des conjectures sur le sens des affaires d'un contribuable dont l'entreprise commerciale ou l'investissement se révèle moins rentable que prévu. Ce sont plutôt des cas où, dès le départ, les contribuables savent qu'ils subiront une perte et qu'ils devront compter sur d'autres sources de revenu pour payer la dette relative à l'immeuble en location.

Après avoir parlé des faits précis se rapportant au financement dans cette affaire-là, le juge Robertson a poursuivi dans les termes suivants aux pages 5506 et 5507 :

L'analyse précitée a pour but de démontrer qu'il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Cela mène inévitablement à la question de savoir si une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question. Je répondrais par l'affirmative, mais en ajoutant cependant quelques réserves. Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Comme tout propriétaire l'apprend tôt ou tard, presque toutes les mensualités hypothécaires sont imputées au paiement des intérêts pendant les cinq premières années d'un prêt hypothécaire amorti sur vingt à vingt-cinq ans. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que le système fiscal canadien subventionne l'acquisition d'un immeuble de rapport pour des périodes indéfinies. Les contribuables qui ont l'intention de financer l'acquisition d'un immeuble à usage locatif de façon qu'aucun bénéfice ne soit déclaré, malgré qu'ils aient touché la totalité des revenus locatifs prévus, ne doivent pas s'attendre à bénéficier d'un traitement fiscal favorable en l'absence d'une preuve objective et convaincante de leur intention et de leur capacité financière de rembourser une part importante de l'emprunt ayant servi à l'achat dans les quelques années qui suivent l'acquisition du bien. Si, en raison du niveau de financement, l'immeuble ne peut générer suffisamment de bénéfices pouvant servir à réduire l'emprunt en cours, alors le contribuable doit trouver d'autres sources de revenu pour parvenir à ce résultat. Si les autres sources de revenu d'un contribuable, par exemple, le revenu tiré d'un emploi, sont insuffisantes pour lui permettre de réduire le montant de l'emprunt qui a servi à l'acquisition, alors il se peut que le contribuable ait à supporter le plein coût de la perte locative. Certainement, de vagues attentes indiquant qu'un apport de capital était attendu de tante Béatrice ou d'oncle Bernard ne sera pas suffisant pour conclure que le contribuable s'est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. En pratique, le contribuable s'acquittera de ce fardeau en démontrant que des paiements importants ont été faits sur le principal dans les années d'imposition suivant de près l'année de l'acquisition.

[...]

Je signalerai également qu'il est difficile d'accepter que l'intérêt payé sur des sommes empruntées pour acquérir un bien en immobilisation peut être caractérisé de frais de “ démarrage ” du genre de ceux dont la présente Cour a traité dans l'arrêt Tonn, précité. La Cour ne nie pas que dans d'autres circonstances des frais de démarrage autres qu'en capital permettent d'expliquer, du moins en partie, pourquoi l'activité locative d'un contribuable n'a pas été rentable. Le fait est qu'il est beaucoup plus facile pour les contribuables de respecter le critère Moldowan et de réclamer une perte locative lorsque le bien a été acquis sans financement à ratio élevé [...]

[14] La preuve en l'espèce est bien loin de ce qu'il faut pour s'acquitter de la charge de la preuve dont le juge Robertson parle ci-dessus. J'infère de la preuve de l'appelant que la source principale de fonds pour la réduction du capital des emprunts hypothécaires, si réduction il y a eu, était les remboursements d'impôt que j'ai mentionnés. Il est évident qu'un plan qui table uniquement sur l'avantage fiscal découlant des pertes pour parvenir à la rentabilité ne suffit pas pour satisfaire à l'exigence, posée dans l'arrêt Moldowan[3], selon laquelle il faut prouver l'existence d'une attente raisonnable de profit. Quoi qu'il en soit, même avec l'avantage que représentent ces pertes, pendant 11 ans l'appelant a été incapable de réaliser des profits, et rien n'indique objectivement qu'il y arrivera un jour.

[15] Outre les profits et les pertes des années antérieures, et la capacité de l'entreprise, telle qu'elle est structurée, de réaliser un profit, et la capacité du contribuable d'exploiter l'entreprise et sa formation à cet égard, facteurs mentionnés par le juge Dickson dans l'arrêt Moldowan, les tribunaux ont pris en considération d'autres facteurs, comme la persistance des éléments qui causent les pertes, la présence ou l'absence de planification, et le fait de ne pas rectifier le tir, pour déterminer si une entreprise a une attente raisonnable de profit[4]. Dans la présente affaire, aucun de ces facteurs ne peut être invoqué par l'appelant. J'ai déjà fait état de l'absence de ce que l'on pourrait appeler un plan véritable. Il n'y a aucune preuve qui indique que l'appelant a pris des mesures pour surmonter les difficultés qu'il éprouvait, si ce n'est la preuve à laquelle j'ai fait allusion précédemment concernant les versements globaux qu'il a effectués pour rembourser les emprunts hypothécaires.

[16] Bref, l'appelant peut fort bien avoir espéré que, d'une manière ou d'une autre, il réaliserait des profits, mais l'analyse du caractère raisonnable de l'attente de profit doit être objective et non subjective. Or, aucun observateur objectif n'aurait pu conclure au cours des années visées par les appels qu'on pouvait s'attendre que les biens locatifs en cause, ou même l'un ou l'autre d'entre eux, produisent un véritable profit dans un avenir prévisible, une fois prise en considération la déduction pour amortissement.

[17] Les appels sont rejetés, avec frais.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 17e jour d'août 1998.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mars 1999.

Erich Klein, réviseur



[1]               [1996] 2 C.F. 73.

[2]               97 DTC 5503.

[3]               Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480.

[4]               Landry v. The Queen, 94 DTC 6624.

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