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Date: 20000222

Dossier: 97-2039-UI

ENTRE :

STEVEN MARIC, S/N LES SERVICES DECOR LEXTRA ENR.,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Montréal (Québec), le 14 décembre 1999 dans le but de déterminer si l'évaluation du 29 mars 1995 envoyée à l'appelant, pour les années 1993 et 1994, était conforme aux articles 53 et 56 de la Loi sur l'assurance-chômage en ce qui concerne des cotisations de l'employé et des cotisations de l'employeur non payées dans le cas de deux employés, en l'occurrence Sven A. Kikals et Peter Maric. Le montant de l'évaluation pour ces deux employés de l'appelant a été établi à 454,68 $ en 1993 et à 1 603,99 $ en 1994, soit un montant total de 2 058,67 $.

[2] Dans une lettre du 12 novembre 1997, l'intimé a confirmé l'évaluation du 29 mars 1995 précisant que Peter Maric (le travailleur) était un employé de l'appelant en vertu d'un contrat de louage de services.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels l'intimé s'est appuyé pour prendre sa décision sont ainsi exposés au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

(a) En 1993 et en 1994, le payeur n'a retenu aucune cotisation d'assurance-chômage pour Peter Maric. (fait accepté)

Le 3 avril 1991, l'appelant a enregistré une entreprise sous le nom de “ Les Services Décor Lextra ”. (fait accepté)

Selon la déclaration enregistrée, Steven Maric était l'unique propriétaire de cette entreprise. (fait nié)

L'appelant exploitait une entreprise d'entretien résidentiel et de décoration. (fait accepté avec justification)

L'entreprise fonctionnait toute l'année. (fait accepté avec justification)

Le travailleur était le frère de Steven Maric. (fait accepté)

Le travailleur n'a pas produit de déclaration de revenu depuis 1987. (ne sait pas)

Le travailleur a été embauché pour faire de la menuiserie, peindre, installer des portes, calfeutrer des fenêtres et installer des coupe-froids. (fait accepté avec justification)

Le travailleur était sous la supervision du payeur. (fait nié)

Pendant les périodes en cause, l'appelant utilisait également les services de Sven A. Kikals. (fait accepté avec justification)

Sven A. Kikals recevait des directives de l'appelant ou du travailleur. (fait accepté)

En 1993, le travailleur a reçu cinq chèques de l'appelant, deux en janvier et en février et trois en novembre et en décembre, totalisant 2 470,00 $. (fait ignoré)

En 1994, le travailleur a reçu six chèques de l'appelant de juin à octobre, totalisant 13 410,00 $. (fait ignoré)

Le 21 décembre 1994, l'appelant et le travailleur ont signé un contrat d'entrepreneur indépendant. (fait accepté)

Le contrat a été signé après les périodes en cause. (fait accepté avec justification).

[4] L'appelant a admis tous les faits allégués aux alinéas du paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel, à l'exception des faits avec lesquels il était en désaccord ou qu'il ne connaissait pas, comme il est précisé entre parenthèses à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Steven Maric

[5] Le 3 avril 1991, Steven Maric a enregistré la raison sociale “ Les Services Decor Lextra ” en vue d'effectuer de l'entretien résidentiel et a déclaré qu'il n'avait pas d'associés, qu'il était “ l'unique propriétaire de l'entreprise ” (pièce déposée sous la cote R-1). Peter, le travailleur, accompagnait l'appelant sur les lieux, examinait le travail à effectuer et fournissait une estimation. Ils divisaient ensuite le travail entre eux, l'effectuaient et se partageaient les honoraires. Steven a nié qu'il était le patron de son frère. Son frère et lui partageaient le montant de l'estimation en différents pourcentages, selon ce qu'ils avaient convenu avant de commencer le travail. Chacun d'eux fournissait ses outils, son équipement, son matériel, l'assurance et le transport. (pièce déposée sous la cote A-1).

[6] Les rapports entre Steven et M. Kikals étaient assez différents : essentiellement, ce dernier recevait ses ordres de l'appelant et du travailleur Peter Maric et était engagé comme sous-traitant puisqu'il possédait sa propre entreprise. M. Kikals s'entendait sur un montant fixe pour effectuer certaines parties du travail. Parfois, il faisait un prix selon ses estimations ou, à la fin d'un travail, il demandait un certain montant. Il ne connaissait jamais la valeur totale du travail accompli. Il effectuait une partie du travail quand il était disponible. Auparavant, l'appelant avait un autre employé qui s'appelait Paul Desjardins, que Steven avait embauché après avoir consulté Peter : “ Nous n'avions pas de travail, nous avons dû le licencier, je crois ”, a déclaré Steven. En fait, les deux frères ont réfléchi à la situation et ont pris la décision. Steven possédait un camion, financé grâce à un prêt qu'une banque lui avait consenti, qu'il utilisait pour transporter l'équipement, les outils et les travailleurs aux lieux de travail.

Témoignage de Peter Maric

[7] Peter Maric est le frère de Steven. Lorsqu'il travaillait avec son frère, l'appelant, Peter se rendait au lieu de travail, faisait une estimation du travail à effectuer et partageait les honoraires avec lui. Peter a déposé à la Cour une lettre du 21 décembre 1994 (pièce déposée sous la cote A-1), qui porte sa signature. Il était responsable de la qualité du travail qu'il effectuait. Il recrutait parfois des clients qu'il envoyait à son frère mais il n'a jamais embauché d'employés. Il lui arrivait de recevoir des plaintes dont il s'occupait. Peter avait une automobile qu'il utilisait pour aller travailler et pour transporter son équipement. Il n'a jamais subi de pertes lorsqu'il travaillait avec son frère.

Témoignage de Sven Kikals

[8] Le 7 octobre 1992, Sven Kikals a fait une demande d'emploi auprès de l'appelant qui l'a ensuite rencontré et lui a offert l'emploi. L'appelant l'a embauché et l'a chargé de faire la peinture. Peter n'a pas participé à l'embauche de M. Kikals. Tous les matins, ce dernier accompagnait Steve et Peter au lieu de travail, dans le camion de Steve. Les travailleurs utilisaient les outils fournis par Steven qu'il transportait dans son camion. Sven a déclaré que Steven était son patron. Si Peter lui donnait des directives, il lui disait : “Steven veut que nous fassions ceci ”. C'est toujours Steven qui recrutait les clients et qui s'occupait des plaintes. Parfois, lorsque Sven et Peter étaient à un lieu de travail en l'absence de Steven, Peter informait les clients insatisfaits qu'ils devaient d'abord s'adresser à Steven. Le témoin a déclaré qu'il n'avait jamais été un employé de Peter Maric. Il utilisait seulement les outils de l'appelant, à l'instar de Peter. L'appelant achetait tout le matériel utilisé sur les lieux de travail et payait le salaire de Sven Kikals. Steven payait tout ce qui concernait le témoin. À la fin de décembre 1994, Sven lui a annoncé qu'il n'y avait plus de travail. Après avoir terminé de travailler en 1994, Sven a demandé à l'appelant de faire des retenues parce qu'il voulait toucher des prestations d'assurance-chômage. Steven lui a répondu que c'était impossible, selon son comptable, et qu'il lui accorderait plutôt une augmentation de salaire plus tard. Sven a déclaré qu'il avait exigé sa fiche de cessation d'emploi mais que Steven ne voulait pas la lui remettre. Il lui aurait donné comme raison qu'il était sous-traitant et qu'il avait été payé pour tout. Sven s'est adressé à Revenu Canada, à Revenu Québec, à la Commission des normes du travail, qui ont tranché en sa faveur : l'appelant a été contraint de faire des retenues pour que Sven puisse enfin toucher des prestations d'assurance-chômage.

Contre-preuve de Steven Maric

[9] Le 7 octobre 1992, Sven Kikals a rempli un formulaire de demande d'emploi auprès de “ Les Services Decor Lextra Enr ”. (pièce déposée sous la cote R-3). Fondamentalement, l'appelant voulait qu'il soit un employé et lui a remis un formulaire de demande d'emploi. Cependant, cette demande ne s'est pas concrétisée. L'appelant a déclaré que, de juin à novembre 1994, période pendant laquelle il a embauché Sven Kikals, celui-ci “ voulait être un employé et il a commencé à demander des fiches de cessation d'emploi. Il s'est mis à demander une paie de vacances, ce qu'il n'avait jamais fait en 1993, quand il a travaillé pendant deux mois. Puis, en 1994, pour une raison ou une autre, il décide qu'il veut tout ça. Il a donc modifié son histoire ” (à la page 66 de la transcription). L'appelant a embauché M. Kikals, a fait les retenues et a payé les cotisations d'assurance-chômage après avoir reçu une lettre de Revenu Canada.

Autre témoignage de Sven Kikals

[10] En réplique au témoignage de Steven, Sven Kikals a nié avoir même songé à devenir un sous-traitant puisqu'il ne possédait tout simplement pas l'équipement nécessaire. Sven a déclaré qu'il avait travaillé à temps plein de septembre à décembre 1993 et de juin à décembre 1994.

Témoignage de Jean-Louis Lussier

[11] Agent des appels à Revenu Canada, Jean-Louis Lussier a parlé tant à Steven qu'à Peter. L'appelant a déclaré que Peter était un travailleur autonome.

Nouveau témoignage de Steven Maric

[12] Steven Maric a confirmé que le nom commercial était enregistré à la Cour supérieure du district de Montréal, comme en fait foi la pièce déposée sous la cote R-1.

Analyse des faits en fonction du droit

[13] Il faut maintenant décider si l'activité du travailleur répond à la notion d'emploi assurable, c'est-à-dire qu'il faut déterminer s'il existait ou non un contrat d'emploi.

[14] Les tribunaux ont établi quatre critères importants pour déterminer s'il existe un contrat d'emploi. En ce domaine, la décision de principe est City of Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161. Voici ces critères : (1) le contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) les chances de bénéfice; (4) les risques de perte. Dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. 87 DTC 5025, la Cour d'appel fédérale a ajouté le critère de l'intégration. La liste des critères n'est toutefois pas exhaustive.

[15] D'après la preuve, le travail du travailleur s'est effectué de la manière suivante :

Le 3 avril 1991, Steven a enregistré une entreprise d'entretien résidentiel et a déclaré qu'il n'avait pas d'autres associés et qu'il était l'unique propriétaire de l'entreprise. (pièce déposée sous la cote R-1)

Peter examinait le travail à effectuer et soumettait une estimation. Les deux frères se partageaient ensuite le travail et les honoraires.

Steven a nié être le patron de son frère.

Steven a affirmé que chacun fournissait ses outils, son équipement, le matériel, l'assurance et le transport.

Steven a déclaré que M. Kikals recevait des ordres de lui et de son frère.

L'appelant avait, à un moment donné, un autre travailleur sous ses ordres qui s'appelait Paul Desjardins. Les deux frères se consultaient avant de prendre une décision, que ce soit pour licencier ou embaucher un employé.

Steven était propriétaire d'une camionnette qu'il utilisait pour transporter l'équipement, les outils et les employés aux lieux de travail.

Peter a prétendu qu'il était responsable de la qualité de son travail.

Peter envoyait parfois des clients à son frère.

Peter n'a jamais embauché d'employés.

À l'occasion, Peter veillait à s'occuper des plaintes qu'il recevait.

Peter possédait une voiture qu'il utilisait pour se rendre au lieu de travail et pour transporter son équipement.

Chaque matin, M. Kikals se rendait au travail avec Steven et Peter, dans la voiture de ce dernier.

M. Kikals a déclaré que Steven fournissait les outils utilisés pour effectuer le travail et que celui-ci les transportait dans son camion.

M. Kikals a affirmé que son patron était Steven. En l'absence de Steven, il arrivait que Peter lui dise : “ Steven veut que nous fassions ceci ”.

Selon M. Kikals, Steven recrutait toujours les clients et s'occupait des plaintes.

M. Kikals n'a jamais travaillé pour Peter.

M. Kikals utilisait tout le temps les outils de Steven, de même que Peter.

Steven payait tout le matériel et versait le salaire de M. Kikals.

En 1994, lorsque Steven a licencié M. Kikals, il a refusé de lui remettre une fiche de cessation d'emploi sous prétexte qu'il était un sous-traitant.

M. Kikals a poursuivi l'appelant afin de pouvoir enfin toucher des prestations d'assurance-chômage.

[16] Il revient à l'appelant de prouver qu'il exerçait un contrôle sur le travailleur lorsque celui-ci effectuait son travail, qu'il lui fournissait les instruments de travail, que celui-ci n'avait aucune chance de réaliser des bénéfices ni de risques de subir des pertes, et qu'il était bien intégré à l'entreprise. L'appelant a prouvé qu'il était propriétaire des instruments de travail mais a nié que son frère lui était subordonné. Il a omis ne serait-ce que de mentionner les chances de réaliser des bénéfices et l'intégration à l'entreprise. Il a prétendu qu'il partageait les honoraires avec son frère. Il emmenait les employés au lieu de travail. Le travailleur n'a subi aucune perte pendant la durée de son emploi. Par conséquent, je conclus que l'emploi n'était pas assurable, qu'il existait un contrat d'entreprise ou une coentreprise.

[17] L'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, le 22 février 2000.

“ G. Charron ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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