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Date: 19981016

Dossier: 96-1561-UI

ENTRE :

THELMA P. MACKINNON,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cuddihy, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance a été entendu à Sydney (Nouvelle-Écosse) les 16 et 17 septembre 1998.

I- L'appel

[2] L'appel est interjeté à l'encontre d'une décision par laquelle, le 17 mai 1996, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé que l'emploi qu'a occupé Thelma P. MacKinnon (la “travailleuse ”) chez John A. MacKinnon (le “ payeur ”) du 15 juillet au 14 septembre 1995 n'était pas assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (l'“ ancienne Loi ”), maintenant appelée la Loi sur l'assurance-emploi (la “ nouvelle Loi ”), pour le motif que la travailleuse n'avait pas été engagée aux termes d'un contrat de louage de services, comme le requiert l'alinéa 3(1)a) de l'ancienne Loi, maintenant l'alinéa 5(1)a) de la nouvelle Loi.

[3] Le ministre a également déterminé que l'emploi était exclu parce que la travailleuse et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance au sens du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de l'ancienne Loi et de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la nouvelle Loi.

II- Les faits

[4] Pour rendre sa décision, le ministre s'est fondé sur les faits et les motifs énoncés dans sa réponse à l'avis d'appel, plus particulièrement au paragraphe 8, dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

a) le payeur est le père de l'appelante;

b) le payeur effectuait la pêche au crabe des neiges au cours de la période en cause;

c) le payeur vendait sa pêche de crabes à Pleasant Bay Fish Co. Ltd. (l'“ acheteur ”) au cours de la période en cause;

d) le payeur avait besoin d'une équipe de 5 personnes, dont il faisait partie comme capitaine, pour pêcher le crabe;

e) le payeur a donné instruction à l'acheteur de remettre à des membres de son équipe, dont le nombre a varié entre 9 et 13, un salaire et une part du produit de la vente au cours de la période en cause, et les dépenses salariales du payeur ont dépassé la valeur de sa pêche au cours de 7 des 10 semaines :

Semaine se Équipe Total des salaires Valeur terminant de la    pêche

15 juillet 10 8 238,88 $ 7 327,50 $

22 juillet 13 18 360,96 45 603,75

29 juillet 13 18 970,38 50 201,25

5 août 13 11 748,13 10 698,75

12 août 13 9 863,46 7 500,00

19 août 12 8 264,08 6 506,25

26 août 10 7 287,83 5 700,00

2 sept. 10 7 308,83 5 805,00

9 sept. 9 6 364,09 5 156,25

16 sept. 9 6 362,59 5 148,75

f) le payeur a fait de fausses déclarations à l'acheteur au cours de la période en question;

g) l'appelante figurait dans les livres de l'acheteur comme membre de l'équipe à bord du bateau du payeur, le “ Perry & Sisters ”;

h) l'appelante n'était pas un pêcheur autonome au cours de la période en question;

i) l'appelante n'était pas propriétaire du bateau ni de l'attirail de pêche;

j) le payeur contrôlait les heures travaillées et les tâches effectuées par l'appelante;

k) l'appelante ne risquait pas de subir une perte ni n'avait-elle la possibilité de toucher une part des bénéfices;

l) au cours de la période en question, l'appelante touchait un salaire hebdomadaire brut de 815 $, par chèque, émis par l'acheteur;

m) en 1995, le maximum de la rémunération hebdomadaire assurable aux fins des prestations d'assurance-chômage était de 815 $;

n) les services de l'appelante n'étaient pas requis pour toute la période au cours de laquelle elle a travaillé pour le payeur;

o) l'emploi de l'appelante était le résultat d'une entente factice visant à la rendre admissible aux prestations d'assurance-chômage, au taux maximum;

p) l'appelante était liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

q) l'appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance;

r) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[5] Par l'entremise de son avocat, l'appelante a admis les allégations énoncées aux alinéas g) et m). Les allégations formulées aux alinéas b), c), h) à j), l), p) et q) ont été admises sous réserve d'explications à donner à l'audition. Les allégations contenues aux alinéas a), d) à f), k), n), o) et r) ont été niées.

III- Le droit et l'analyse

[6] i) Définitions tirées de la Loi sur l'assurance-emploi

emploi ” Le fait d'employer ou l'état d'employé;

emploi assurable ” S'entend au sens de l'article 5;

L'alinéa 5(1)a) de la nouvelle Loi est ainsi libellé :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[7] “ Emploi exclu

L'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la nouvelle Loi sont ainsi libellés :

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[8] ii) Règlement sur l'assurance-chômage

Article 76

76. (1) À toutes les fins de la Loi et de tout règlement établi en vertu de la Loi, l'employeur d'un pêcheur est la personne prévue au présent article.

(2) Lorsqu'une pêche est livrée au Canada à un acheteur ou à l'agent d'un acheteur par un membre de l'équipe qui a fait cette pêche, l'acheteur est considéré comme l'employeur de tous les pêcheurs qui sont membres de cette équipe et qui, dans une déclaration faite selon l'article 82, ont déclaré partager entre eux le produit de la vente de cette pêche.

(3) Sous réserve du paragraphe (5), lorsqu'un membre de l'équipe qui a fait la pêche la livre à une personne autre que l'employeur selon le paragraphe (2),

a) le premier pêcheur de l'équipe, ou

b) s'il n'y a pas de premier pêcheur, l'agent auquel est confiée la vente de la pêche de l'équipe,

est considéré comme l'employeur de tous les pêcheurs autres que lui-même, qui sont membres de l'équipe si le produit brut de la pêche lui est payé.

[...]

(5) Lorsqu'il est établi à la satisfaction d'un fonctionnaire du ministère du Revenu national qu'une personne tenue de faire une déclaration aux termes du paragraphe 82(1), n'a pas fait cette déclaration ou a fait une fausse déclaration, cette personne doit être considérée comme l'employeur de tous les pêcheurs, autres que lui-même, qui sont membres de l'équipe.

Paragraphe 82(1)

82. (1) La personne qui livre une pêche de la manière prescrite au paragraphe 76(2) doit, au moment de la livraison, déclarer à l'acheteur ou à son agent:

a) qu'elle est membre de l'équipe qui a fait la pêche;

b) les noms, adresses et numéros d'assurance sociale de tous les pêcheurs qui sont membres de l'équipe et qui ont part au produit de la pêche, ainsi que les détails de l'entente de partage, y compris les primes ou autres sommes supplémentaires;

c) la partie de la pêche livrée, s'il en est, qui n'a pas été prise par l'équipe;

[...]

e) les noms, adresses et numéros d'assurance sociale de toutes les personnes, s'il en est, qui sont employées aux termes d'un contrat de louage de services et le montant de leur salaire ou de toute autre rémunération qui a été ou qui sera payée à l'égard de la pêche livrée; et

[...]

[9] iii) Définitions tirées de la Loi de l'impôt sur le revenu

Lien de dépendance et personnes liées

L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu est en partie libellé dans les termes suivants :

Article 251. Lien de dépendance

(1) Pour l'application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(2) Définition de “personnes liées”. Pour l'application de la présente loi, sont des “personnes liées” ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

[...]

[10] C'est à l'appelante qu'incombait la charge d'établir le bien-fondé de sa cause. Toutefois, il doit être statué sur chaque appel selon les faits qui sont établis et qui lui sont propres.

[11] La Cour a par conséquent le devoir d'examiner avec soin la nature des relations entre un travailleur et un payeur dans chaque cas.

L'article 15 de la Charte

[12] L'appelante a fait valoir que le sous-alinéa 3(2)c)(ii) était inconstitutionnel pour le motif qu'il est discriminatoire envers les familles et les membres de celles-ci.

[13] En ce qui concerne l'article 15 de la Charte, le juge Archambault, de la Cour canadienne de l'impôt, a statué, dans l'affaire Thivierge c. Ministre du Revenu national (1994), A.C.I. no 876, que le sous-alinéa 3(2)c)(ii) révisé de l'ancienne Loi, maintenant l'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la nouvelle Loi, reproduits au début de la présente décision, ne contrevenaient pas à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'ils n'étaient pas discriminatoires. Je cite en partie deux passages :

La lecture de l'alinéa 3(2)c) de la Loi dans son ensemble m'amène à conclure que l'exclusion d'un travail ne se fait pas en fonction d'une caractéristique personnelle, que ce soit le sexe, le statut matrimonial ou le statut familial, mais plutôt en fonction des modalités même du contrat de travail. Si les modalités du contrat de travail sont celles que des personnes n'ayant pas de lien de dépendance auraient adoptées, le travail constitue un emploi assurable, que l'employée soit de sexe féminin ou l'épouse de la personne qui contrôle l'employeur. Ce sont les modalités du contrat de travail qui déterminent s'il s'agit d'un emploi assurable. Comme il ne s'agit pas d'une inégalité fondée sur des caractéristiques personnelles, l'article 15(1) de la Charte ne peut être soulevé quant à l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[...]

Même si on conclut lors de la première étape qu'il existe un lien de dépendance réputé selon les dispositions de la Loi de l'impôt entre un employé et un employeur, cela ne signifie pas que le travail de cet employé est définitivement exclu des emplois assurables. Lors de la deuxième étape, il est possible que des personnes ayant un tel lien de dépendance réputé aux fins de la Loi de l'impôt soient réputées, aux fins de la Loi ne pas avoir ce lien de dépendance. En d'autres mots, la présomption irréfragable aux fins de la Loi de l'impôt peut être renversée aux fins de la Loi.

Certaines conditions doivent être rencontrées. Le Ministre doit être convaincu que les personnes liées auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. Le Ministre doit tenir compte de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli. Ainsi, s'il s'agit d'un contrat de travail que des étrangers auraient conclu, ce travail constituera un emploi assurable même si l'employée est l'épouse de l'employeur ou de la personne qui contrôle l'employeur. Ce sont donc les modalités d'un travail donné qui détermine l'admissibilité d'un travail et non pas les caractéristiques personnelles de l'employé. La Cour d'appel fédérale a conclu récemment que la différence de traitement accordée par la Loi de l'impôt sur le niveau de revenu ou des sources de revenu ne constituait pas une inégalité fondée sur des caractéristiques personnelles. Par conséquent, l'article 15 de la Charte n'avait pas d'application.

[14] Je suis d'accord avec cette conclusion, et aucune preuve soumise à la Cour ne me permet d'arriver à une conclusion contraire.

Résumé de la preuve documentaire et testimoniale et analyse

[15] L'appelante, son père, John Allister MacKinnon, ainsi que Doug MacKinnon, ont été entendus à l'appui de l'appel. Deborah Fraser a témoigné pour le compte de l'intimé. Les pièces A-1 et R-1 à R-3 ont été versées au dossier de la Cour. La Cour estime qu'il était important et nécessaire d'entendre J. Sutherland, l'agent des appels. Une copie de son rapport a été montrée et remise à la Cour et aux parties. Ce rapport n'a pas été produit en preuve, mais j'ai considéré qu'il faisait partie du dossier et je lui ai attribué la cote J-1 à cette fin.

[16] Le payeur est le père de l'appelante. C'était un pêcheur et il était propriétaire du bateau servant à la pêche au crabe des neiges, le “ Perry & Sisters ”. Au cours de la période en cause, il vendait sa pêche de crabes à la Pleasant Bay Fish Co. Ltd. (l'“ acheteur ”).

[17] La déclaration faite conformément au paragraphe 76(2) du Règlement sur l'assurance-chômage ( le “ Règlement ”) a été produite sous la cote R-2. Cette déclaration a été préparée par la mère de l'appelante et remise à l'acheteur vers le 15 juillet 1995, avant le début de la saison de pêche au crabe. La déclaration contient le nom du capitaine, celui de trois personnes, suivi d'un pourcentage, sous la rubrique “ parts de l'équipe ”, et le nom de huit personnes, dont l'une est l'appelante, sous la rubrique “ équipe pour timbres plus élevés ”. Les noms de deux autres personnes ont été ajoutés à la déclaration (pièce R-2) par un employé du bureau de l'acheteur à une date indéterminée. Les parties de la déclaration (pièce R-2) qui ont été surlignées en jaune à l'audition indiquent l'ajout fait par l'acheteur.

[18] D'après la preuve, cette déclaration (pièce R-2), qui contient les noms de 13 personnes au total, est la seule déclaration qui a été faite conformément au Règlement applicable.

[19] Cette déclaration unique (pièce R-2) aurait été remise à l'acheteur avant qu'une pêche soit faite ou livrée.

[20] L'article 76 du Règlement applicable énonce les conditions dans lesquelles l'acheteur d'une pêche est considéré comme l'employeur d'un pêcheur. L'article 82 du même Règlement énumère ce que la personne qui livre la pêche doit déclarer à l'acheteur au moment de la livraison.

[21] La déclaration (pièce R-2) n'a par conséquent pas été faite au moment de la livraison d'une pêche. Aucune déclaration n'a été faite subséquemment pour quelque autre pêche que ce soit au cours de cette saison; du moins aucune autre déclaration n'a été montrée à la Cour.

[22] Par conséquent, puisqu'elle (pièce R-2) n'a pas été faite au moment de la livraison et que c'est le seul document qui a été remis à l'acheteur avant que l'une ou l'autre des pêches soit faite, ce n'est donc pas la déclaration mentionnée dans le Règlement ou requise par celui-ci. L'acheteur ne pouvait donc pas être considéré comme l'employeur de l'appelante.

[23] Dans les circonstances, le ministre a considéré à juste titre que John Allister MacKinnon était le payeur aux fins de déterminer si l'emploi de l'appelante était assurable.

[24] Après avoir parlé au payeur et à l'appelante, il a analysé l'information obtenue de l'acheteur. La preuve contradictoire l'a amené à déterminer que l'acheteur ne pouvait être considéré comme l'employeur. Comme je l'ai indiqué, il a eu raison sur ce point.

[25] Puis il a analysé la relation entre le payeur et l'appelante. Après leur avoir parlé au téléphone, il a déterminé qu'en raison de la preuve contradictoire il y avait lieu de se demander pourquoi le payeur avait besoin d'un nombre si élevé de personnes sur son bateau. “ Qui faisait quoi? ” s'est-il demandé. Il a jugé qu'il y avait possibilité de trompe-l'oeil en raison de toutes les contradictions. Il a déterminé que les tâches étaient raisonnables et que le salaire de l'appelante correspondait au salaire payé dans l'industrie.

[26] Le travail de l'agent des appels n'est pas facile. Il doit s'appuyer sur ce que les parties lui racontent. Lorsque l'affaire en est à l'étape de l'audition, comme en l'espèce, près de trois ans se sont déjà écoulés.

[27] L'agent des appels a considéré les deux aspects du travail de l'appelante : le contrat de louage de services et le lien de dépendance. Il a cependant mentionné qu'il avait essentiellement analysé la question du lien de dépendance et en était venu à la conclusion que l'appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance.

[28] Quelles étaient les intentions des parties en 1995, lorsque le payeur et l'appelante pêchaient le crabe sur le Perry & Sisters?

[29] Les témoignages entendus et les documents produits indiquent que l'appelante travaillait comme membre de l'équipe sur le Perry & Sisters pour un salaire de 815 $ par semaine, ce qui représentait en 1995 le maximum de la rémunération hebdomadaire assurable aux fins de l'assurance-chômage. Cela est confirmé dans la déclaration (pièce R-2), où le nom de l'appelante figure sous le titre “ Équipe pour timbres plus élevés ”.

[30] L'appelante a confirmé qu'elle ne recevait pas une part du produit de la pêche et qu'elle était payée par l'acheteur. Il lui a remis son relevé d'emploi. Elle ignore quels renseignements son père a donnés à l'acheteur. Elle semble cependant saisir la différence entre le membre de l'équipe qui reçoit une part du produit de la pêche et celui qui touche un salaire. Elle a également déclaré qu'elle avait travaillé deux semaines avant et deux semaines après la saison de pêche au crabe. Elle a affirmé que son père (le payeur) lui avait dit que ces semaines seraient incluses dans sa paie.

[31] L'intimé a fait valoir qu'il n'y avait pas de contrat de louage de services. Lors de l'audition, cet élément n'a pas été plaidé très vigoureusement. Le ministre a-t-il par conséquent déterminé que l'emploi de l'appelante était exclu au sens du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de l'ancienne Loi et de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la nouvelle Loi?

[32] Dans l'arrêt Attorney General of Canada and Jencan Limited[1], la Cour d'appel fédérale a énoncé dans les termes suivants les principes qui doivent guider la Cour de l'impôt dans l'examen d'un appel interjeté en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de l'ancienne Loi :

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit [...][2]

Dans l'arrêt Ferme Émile Richard c. M.R.N., notre Cour a confirmé sa position. Dans une remarque incidente, le juge Décary a déclaré ce qui suit :

Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national (25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. [...], l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que lorsque la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance[3].

L'article 70 confère le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt de toute décision rendue par le ministre en vertu de l'article 61, y compris de toute décision rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. Les mots “ si le ministre du Revenu national est convaincu ” que l'on trouve au sous-alinéa 3(2)c)(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. Ainsi, lorsque le juge Décary déclare dans l'arrêt Ferme Émile, précité, que ce type d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt “ s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire ”, il voulait simplement souligner, à mon humble avis, qu'on doit faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions que le ministre rend en vertu de cette disposition à moins que la Cour de l'impôt ne conclue que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

Si le pouvoir qu'a le ministre de réputer que des “ personnes liées ” n'ont pas de lien de dépendance entre elles pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage est un pouvoir discrétionnaire, pourquoi, pourrait-on se demander, le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt en vertu de l'article 70 s'applique-t-il au sous-alinéa 3(2)c)(ii)? La réponse est que même l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est susceptible d'un contrôle judiciaire pour s'assurer que ces pouvoirs sont exercés d'une manière judiciaire ou, en d'autres termes, qu'ils sont exercés d'une manière qui est compatible avec la loi. Il découle nécessairement du principe de la primauté du droit que tous les pouvoirs conférés par le législateur sont intrinsèquement limités. Dans l'arrêt D.R. Fraser and Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, lord Macmillan a résumé les principes juridiques qui devraient régir un tel contrôle judiciaire. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu[4].

Le juge Abbott, de la Cour suprême, a cité et approuvé les commentaires de lord Macmillan dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration[5]. Voir également les arrêts Friends of the Oldman River Society c. Canada (ministre des Transports)[6]et Canada c. Purcell[7].

Ainsi en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le demandeur en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre aux termes de cette disposition.

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) — en examinant le bien-fondé de cette dernière — lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[33] Lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) ou de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) des Lois, la Cour de l'impôt doit effectuer une analyse à deux étapes.

[34] La Cour de l'impôt n'est justifiée de modifier la décision du ministre que s'il est établi qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision que le ministre a rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) ou de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) en examinant le bien-fondé du règlement, lorsqu'il est établi “ que le ministre (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige[nt] expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii) ou l'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent ”.

[35] Les principales allégations du ministre, pour s'en tenir à celles-là, sont que le payeur n'avait pas besoin de 9 à 13 personnes sur son bateau, que ses dépenses salariales dépassaient le produit de sa pêche au cours de 7 des 10 semaines de pêche, qu'il a fait de fausses déclarations à l'acheteur, que les services de l'appelante n'étaient pas nécessaires pour toute la période au cours de laquelle elle a travaillé pour lui, et que l'emploi de l'appelante était le résultat d'une entente factice visant à la rendre admissible à des prestations. Il m'a semblé également que l'agent des appels s'était demandé si l'appelante avait travaillé sur le bateau.

[36] Le nombre de personnes travaillant sur le bateau du payeur a suscité des interrogations. La preuve a indiqué que le payeur avait de la difficulté avec l'appareil de halage sur son bateau et qu'il avait besoin d'un plus grand nombre de personnes pour l'aider à tirer les cages hors de l'eau. Si l'on se fie au nombre de personnes qui constituent une équipe dans des circonstances normales, la preuve semblait indiquer que de cinq à sept personnes suffisent. On pourrait se demander ce que les cinq ou six autres personnes faisaient; cependant, s'il y avait trop de monde, qui était de trop? Cet élément à lui seul ne peut pas exclure l'appelante, la preuve ayant clairement indiqué qu'elle a bel et bien travaillé sur le bateau; en outre, on a expliqué pourquoi il y avait tant de personnes présentes sur le bateau du payeur, et cette explication n'a pas été réfutée.

[37] Quant aux fausses déclarations faites à l'acheteur, à mon avis la preuve a montré que John Allister MacKinnon n'a fait aucune déclaration valable à l'acheteur comme le requiert le Règlement, de là le fait qu'il a été considéré comme l'employeur de tous les membres de son équipe, dont l'appelante. Les tâches de cette dernière ont été acceptées. Son salaire était équivalent à ce qui était payé dans l'industrie. Cependant, la preuve a effectivement démontré que l'appelante avait aussi travaillé deux semaines avant et deux semaines après la saison de pêche au crabe sans être payée, ce qui, d'après la preuve, donnerait 14 semaines. Cela pourrait permettre de conclure que l'appelante a été engagée par son père avant la saison de pêche au crabe et qu'elle a été payée plus tard, comme cela doit parfois se produire dans le milieu du travail.

[38] En conséquence, les allégations qui ont mené à la conclusion que l'emploi de l'appelante était le résultat d'une entente factice n'ont pas été établies. La crédibilité des témoins de l'appelante n'a pas été contestée, et leurs témoignages doivent être acceptés.

[39] Si le ministre avait entendu les témoignages présentés à l'audition, il aurait à mon avis tiré une conclusion différente. Cependant, le temps accordé au ministre pour mener chaque enquête ne se compare pas à celui dont la Cour dispose, et il faut tenir compte de la difficulté que représente la tâche de l'agent des appels lorsqu'il interroge des gens au téléphone, ce que les deux parties dans la présente affaire ont fait et admis.

[40] Compte tenu de toutes les circonstances qui m'ont été exposées, je ne crois pas que le ministre aurait pu légalement parvenir à la conclusion à laquelle il est parvenu et il est préférable que la Cour intervienne.

[41] La preuve a effectivement démontré que l'appelante et le payeur avaient conclu un contrat de louage de services non visé par le Règlement. La preuve a démontré que l'appelante avait travaillé pendant 14 semaines et non pas seulement pendant les 10 semaines que dure la saison de pêche au crabe. Compte tenu de ces circonstances, le salaire qui a été payé à l'appelante par le payeur aurait dû inclure toutes ses semaines de travail (14) et non pas seulement celles sur lesquelles s'étaient entendus le payeur et l'acheteur de poisson, qui étaient ou auraient dû être au courant du Règlement. Je conclus donc que l'appelante n'avait pas de lien de dépendance pendant cette période de 14 semaines uniquement parce que c'est la seule période de travail que la Cour peut examiner.

[42] Je ne crois pas que ma décision constitue un précédent pour d'autres périodes d'emploi passées ou à venir de l'appelante chez le payeur ou tout autre employeur. Le ministre conserve le droit de faire enquête sur toute autre période d'emploi aux fins de l'assurance-chômage.

IV- La décision

[43] L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée. Conformément à la preuve, la période d'emploi de l'appelante commence le 1er juillet et se termine le 30 septembre 1995.

Signé à Dorval (Québec), ce 16e jour d'octobre 1998.

“ S. Cuddihy ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mai 1999

Mario Lagacé, réviseur



[1]               (1997) 215 N.R. 352.

[2]               Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R. (185 N.R. 73).

[3]               (1994) 178 N.R. 361.

[4]               (1949) A.C. 24, à la page 36 (C.P.).

[5]               [1974] R.C.S. 875, à la page 877.

[6]               [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 76 et 77.

[7]               [1996] 1 C.F. 644, à la page 653 (C.A.) (le juge Robertson).

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