Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980603

Dossiers: 97-2251-IT-I; 97-2252-IT-I

ENTRE :

ELIZABETH M. AMATO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

ENTRE :

EUGENIO AMATO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1]Les appelants, Elizabeth M. Amato et Eugenio Amato, sont femme et mari; ils interjettent appel à l’encontre des cotisations établies en 1992, 1993 et 1994, en se fondant sur le fait qu’ils ont acquis une unité condominiale en mai 1987, qu’ils avaient une attente raisonnable de profit provenant de cette propriété, que les dépenses qu’ils ont encourues pendant les années en litige et qui ont été rejetées par le ministre du Revenu national ( « le Ministre » ) ont été engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.[1]

[2]En mai 1987, les appelants ont acheté une unité condominiale située à Sandhurst Circle, dans la ville de Scarborough, en Ontario. Le prix d’achat était de 138 000$. Les appelants ont emprunté 57 000$ en hypothéquant leur résidence de Markham, en Ontario. Leur banque leur a également prêté 88 000$ avec, en garantie, une hypothèque de premier rang sur la propriété de Scarborough.

[3]Les appels ont été entendus sur preuve commune. Mme Amato a témoigné pour son propre compte et pour son mari. La famille Amato, qui comprend deux enfants, a émigré au Canada en 1977, venant d’Uruguay. Ne parlant pas l’anglais, ils n’ont pas pu trouver d’emploi dans leurs spécialités, c’est-à-dire enseignante en éducation physique pour Mme Amato et électricien pour M. Amato. Ils ont obtenu deux postes de concierges d’immeubles. Ils démontrèrent rapidement leurs aptitudes et il leur fut alors suggéré de lancer une entreprise d’entretien d’immeubles. C’est ce qu’ils ont fait, avec succès. Mme Amato a déclaré que l’entreprise emploie aujourd’hui plus de 60 personnes, dont quelques-unes à temps partiel.

[4]Pendant toute la période au cours de laquelle ils ont exploité cette entreprise, les Amato se sont fiés aux conseils de leur gérant de banque. Vers 1987, celui-ci leur a suggéré d’investir dans un bien de placement, plus particulièrement, un bien immobilier. Mme Amato a rappelé comment le gérant de banque avait calculé combien ils pouvaient se permettre de verser en guise de dépôt initial, combien la banque serait prête à leur prêter contre une garantie sur leurs biens, ainsi que le prix qu’ils pouvaient se permettre de payer. Il leur avait également expliqué le montant d’intérêts qu’ils pouvaient se permettre de payer pour financer la propriété et le flux de la trésorerie nécessaire au paiement de ces intérêts. Le gérant les avait enfin envoyés dans une agence immobilière voisine de la banque. C’était donc en se fondant sur les conseils de leur gérant de banque que les Amato avaient acheté la propriété de Scarborough.

[5]Aussitôt après avoir acquis la propriété, les appelants ont engagé des dépenses supplémentaires pour la rendre plus attrayante.

[6]Malheureusement, depuis le début et jusqu’en 1994, les appelants n’ont réalisé aucun profit en louant la propriété et ils ont, en conséquence, déclaré les pertes suivantes:

ANNÉE

PERTE LOCATIVE TOTALE

PART DE PERTE DE CHAQUE APPELANT - 50%

1987

1 478 $

739 $

1988

5 378 $

2 689 $

1989

2 934 $

1 467 $

1990

2 382 $

1 191 $

1991

2 196 $

1 098 $

1992

17 438 $

8 719 $

1993

18 190 $

9 095 $

1994

17 848 $

8 924 $

[7]L’une des hypothèses de faits sur lesquelles le Ministre s’est appuyé pour calculer la cotisation des appelants est que la propriété de Scarborough était inoccupée en 1993 et 1994. Mme Amato a déclaré qu’il était devenu très difficile de louer la propriété pendant ces années-là. Elle a rappelé que des gens perdaient leurs emplois à cette époque et que les personnes qui demandaient à louer l’unité n’étaient pas fiables. Elle a précisé que les candidats locataires avaient soit une mauvaise cote de solvabilité, soit des recommandations défavorables de la part de propriétaires antérieurs. M. et Mme Amato ont décidé de rénover l’unité afin d’attirer une meilleure catégorie de locataires.

[8]Les appelants ont placé des annonces publicitaires dans les journaux pendant toutes les années en litige. Bien qu’ils n’aient pas déclaré les dépenses de ces annonces comme frais d’entreprise, Mme Amato a déclaré avoir fourni des reçus à un agent de Revenu Canada. Le prix demandé pour l’unité était de 1 100 $ par mois. Elle a déclaré que, au moment du procès, l’unité se louait 1 000 $ par mois. Elle a aussi indiqué qu’ils font, aujourd’hui, un profit d’environ 10 $ par mois sur l’unité.

[9]Selon Mme Amato, l’acquisition de la propriété de Scarborough, en 1987, avait pour but d’assurer un revenu de retraite au couple. Ils n’avaient pas l’intention de vendre l’unité et n’ont effectivement pas essayé de la vendre. Mme Amato a déclaré qu’ils essaient, actuellement, de réduire l’hypothèque qui grève la propriété.

[10]Mme Amato a déclaré qu’au moins une fois, un locataire a laissé l’unité en mauvais état et qu’ils ont dû faire des dépenses imprévues pour la remettre en état.

[11]La crédibilité de Mme Amato n’a pas été mise en doute lors du contre-interrogatoire.

[12]L’intimée estime qu’il n’existait aucune attente raisonnable de profit lors de l’acquisition de la propriété et que, par conséquent, les Amato ne pouvaient en tirer de revenu. L’avocat de l’intimée reconnaît qu’il n’y avait point d’élément personnel dans l’acquisition de la propriété.

[13]Dans l’affaire Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, une décision de la Cour suprême du Canada, le juge Dickson (tel était alors son titre) a déclaré que, pour être réputé avoir une « source de revenu, » le contribuable doit faire un profit ou avoir une attente raisonnable de profit. À la page 5215, il a expliqué que:

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l’expression « expectative raisonnable de profit » , mais il ne s’en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s’appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants: l’état des profits et des pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l’entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocution à l'égard du coût en capital. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l’importance de l’entreprise: La Reine c. Matthews (1974), 28 D.T.C. 6193. Personne ne peut s’attendre à ce qu’un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

[14]L’avocat de l’intimée soutient que les appelants ont subi des pertes sur cette propriété, pendant au moins huit ans, qu’ils n’avaient ni expérience ni formation en matière de gestion immobilière, qu’ils n’avaient aucun plan d’action permettant de démontrer que l’entreprise pouvait réussir et qu’ils n’ont pu démontrer que la propriété, telle qu'immobilisée, pouvait générer des profits. L’avocat a ajouté que cette propriété ne semble pas pouvoir devenir profitable à long terme. Il a, en conséquence, conclu que la propriété ne pouvait pas être considérée comme une source de revenu pour les Amato pendant les années en litige.

[15]Dans l’affaire Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il ne convient pas à une cour de mettre en doute les décisions d’affaires qu’un contribuable pourrait prendre à l’égard d’une entreprise commerciale qui s’avère être moins profitable que prévu. Voir également: A.G. of Canada v. Mastri, 97 DTC 5420 à la p. 5423 (C.A.F.). En l’espèce, il existe toutefois des circonstances que l’on ne retrouve normalement pas dans des cas comme celui-ci et qui sont favorables aux appelants.

[16]Il s’agit, ici, de déterminer si les appelants avaient une attente raisonnable de profit ou non; cette détermination ne peut être qu’objective et fondée sur tous les faits. C’est ce qu’a déclaré la Cour suprême dans l’affaire Moldowan, précitée. Les appelants en l’espèce étaient immigrants au Canada. Ils gèrent une entreprise avec succès. Pour investir et prendre des décisions d’affaires, ils se fient aux conseils de leur gérant de banque. Eux-mêmes ne croient pas qu’ils avaient alors l’expertise requise pour prendre de telles décisions. C’est le gérant de banque qui leur a suggéré d’acquérir un bien locatif. Il a pris le temps de les conseiller, entre autres choses, sur la somme qu’ils pourraient payer pour acheter la propriété et combien de revenus locatifs ils devraient en tirer pour couvrir leurs obligations hypothécaires. Ils ont acquis la propriété pour un prix que le gérant de banque avait jugé convenable. Il avaient confiance en leur gérant de banque.

[17]Il m’apparaît clairement qu’au moment de l’acquisition de la propriété, les appelants avaient une attente raisonnable de profit provenant de ladite propriété. Lorsque l’on évalue si des contribuables ont une attente de profit raisonnablement fondée, plutôt qu’un simple espoir, il faut se pencher non seulement sur les indices précisés dans Moldowan, ci-dessus, mais également prendre en considération les antécédents des contribuables, ainsi que la source des conseils qu’ils ont suivis lors de l’acquisition. Pour les appelants, un gérant de banque est une personne compétente et instruite, qui est capable de les conseiller sur la façon de faire des investissements sûrs, profitables et à leur portée. Que les appelants aient subi des pertes depuis 1987 et pendant toutes les années en litige et que, par exemple, ils n’aient eu ni expérience antérieure ni formation en matière d’investissement, ne diminue en rien, à la lumière des faits spécifiques et particuliers en l’espèce, la valeur de l'attente raisonnable que les appelants avaient, de réaliser un profit à long terme sur la propriété.

[18]En conséquence, leurs appels sont admis et un seul mémoire de frais sera taxé, le cas échéant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 1998.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de novembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Le Ministre a également soutenu que les dépenses étaient déraisonnables dans les circonstances. Aucune preuve à ce sujet n’a toutefois été déposée, ni par les appelants ni par l’intimée.   

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