Date: 19991209
Dossier: 97-2000-UI
ENTRE :
LUA-NZAMBI ACKE LUZOLO,
Appelant,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
intimé.
Motifs du jugement
(Prononcés oralement sur le banc le 24 août 1999 à Montréal (Québec) et modifiés à Ottawa (Ontario) le 9 décembre 1999)
La juge Lamarre, C.C.I.
[1] Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (“ Ministre ”) rendue en vertu de l'ancienne Loi sur l'assurance-chômage (“ LAC ”) et de la Loi sur l'assurance-emploi (“ LAE ”), par laquelle le Ministre a décidé que l'appelant n'a pas exercé un emploi assurable lorsqu'il était au service de la compagnie 9008-7834 Québec Inc. (“ payeur ”) au cours de la période du 30 janvier 1996 au 7 février 1997. La seule raison invoquée par le Ministre est que l'appelant ne détenait pas un permis de travail du ministère de la Citoyenneté et Immigration Canada l'autorisant à travailler au Canada au cours de la période en litige. Ne détenant pas un tel permis, le Ministre s'appuie sur l'article 18 de la Loi sur l'immigration (L.R.C. (1985), ch. I-2) de même que sur les articles 9 et 1385 et suivants du Code civil du Québec pour invoquer que le contrat passé entre l'appelant et le payeur était de nullité absolue et ne pouvait donc constituer un contrat de louage de services au sens de la LAC et de la LAE.
[2] Les faits sur lesquels s'est fondé le Ministre pour rendre sa décision se retrouvent au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel. Ces faits ne sont pas contestés par l'appelant et ils se lisent comme suit :
a) le payeur exploite une entreprise de désossage;
b) l'appelant a le statut de réfugié depuis le 21 novembre 1995;
c) les fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada lui ont émis des permis de travail pour les périodes suivantes :
du 6 mars au 6 décembre 1995;
du 17 février 1997 au 16 février 1998
d) durant la période en litige, l'appelant n'avait pas de permis de travail valide.
[3] L'appelant s'appuie sur la décision de la Cour d'appel fédérale rendue dans l'affaire Kathleen Still c. M.R.N., [1998] 1 C.F. 549, pour invoquer son droit de bénéficier de prestations d'assurance-chômage même s'il ne détenait pas de permis de travail au cours de l'année en litige. Dans cette affaire, madame Still qui était une citoyenne des États-Unis et qui avait été légalement admise au Canada, avait accepté un emploi de domestique sans obtenir au préalable le permis de travail prescrit par la Loi sur l'immigration. Au moment d'obtenir cet emploi, elle attendait l'examen de sa demande de statut de résident permanent. Après avoir été mise à pied, elle a demandé des prestations en vertu de la LAC et sa demande a été refusée au motif qu'elle avait contrevenu à la loi en travaillant sans permis de travail.
[4] Le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (mod. par DORS/89-80, art. 1; 95-353, art. 6) prévoit qu'il est interdit à quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre ou de conserver un emploi au Canada sans une autorisation d'emploi en cours de validité. Cependant, et tel que soulevé par le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Still, aucune peine n'est explicitement prévue pour la violation de cette disposition.
[5] En common law, un contrat qui est soit explicitement, soit implicitement interdit par une loi est normalement considéré comme nul ab initio. C'est-à-dire qu'à première vue, aucune des parties n'a le droit de demander l'aide des tribunaux. Dans le cas de madame Still, l'emploi qu'elle avait exercé était régi par un contrat illégal puisqu'il contrevenait à l'article 18 de la Loi sur l'immigration.
[6] Après avoir fait une étude approfondie sur la théorie de l'illégalité en common law, le juge Robertson rejette l'approche classique qui interdit l'aide des tribunaux à une personne partie à un contrat frappé d'une interdiction légale.
[7] Le juge Robertson croit plutôt à la théorie voulant que si une loi interdit la formation d'un contrat, les tribunaux devraient être libres de déterminer les conséquences d'une infraction à cette loi. Il adhère également au principe qui, selon lui, exprime le mieux la théorie de l'illégalité d'origine législative dans le contexte fédéral. Il s'exprime ainsi à la page 578 :
[48] [...] lorsqu'un contrat est explicitement ou implicitement interdit par une loi, un tribunal peut refuser d'accorder une réparation à une partie si, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, y compris l'objet de l'interdiction en question, il était contraire à l'intérêt public, reflété dans la réparation demandée, de le faire.
[8] Gardant en mémoire l'idée qu'il ne convient pas d'accorder une réparation à une partie si cela a pour effet d'affaiblir l'objet des deux lois fédérales en cause (en l'occurrence la Loi sur l'immigration et la LAC), le juge Robertson conclut que dans la mesure où madame Still était de bonne foi, il était de l'intérêt public de lui accorder des prestations d'assurance-chômage. En effet, en prenant pour acquis qu'il faut interpréter la LAC de façon libérale (Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2), le juge Robertson a conclu que les objectifs qui sous-tendent les restrictions prévues par la Loi sur l'immigration ne sont pas mis en veilleuse par le fait d'accorder des prestations d'assurance-chômage à une personne qui est entrée légalement au Canada et qui a par ailleurs exercé un emploi, lequel s'il ne s'agissait pas de la question du permis de travail, serait considéré assurable au sens de la LAC.
[9] Selon le juge Robertson, madame Still n'était passible d'aucune sanction en vertu de la Loi sur l'immigration en raison de l'infraction commise. Il se pose alors la question suivante à la page 581 de ses motifs du jugement :
[55] [...] Si la Loi sur l'immigration ne vise que les personnes qui violent sciemment l'obligation d'obtenir un permis de travail, pourquoi la Cour devrait-elle infliger une peine qui s'élève à plusieurs milliers de dollars de prestations?
[10] Il conclut donc, compte tenu des objectifs de la LAC, et du fait que madame Still était une immigrante légale et qu'elle avait agi de bonne foi, que celle-ci ne pouvait être privée de son droit à des prestations d'assurance-chômage en raison d'une illégalité. Il considère en effet que dans les circonstances, refuser les prestations constituerait une peine infligée disproportionnée à l'infraction.
[11] Tel que je l'ai souligné lors de l'audience, cette décision a été rendue selon les principes de common law. Nous sommes ici en droit civil. Le juge Archambault de cette Cour a déjà rendu deux décisions sur cette même question dans les affaires Saad c. Canada, [1997] A.C.I. no 644 (Q.L.) et Kante c. M.R.N., [1997] A.C.I. no 463 (Q.L.) dans lesquelles il arrivait à la conclusion contraire de la Cour d'appel fédérale. Le juge Archambault, en s'appuyant sur les dispositions du Code civil du Québec concluait que le fait de travailler sans permis de travail, rendait le contrat de travail nul et sans effet. De ce fait, il concluait qu'un contrat de travail invalide ne pouvait donner lieu à un emploi assurable au sens de la LAC.
[12] La décision Still, rendue postérieurement aux décisions Saad et Kante vient à mon avis régler la question tant en droit civil qu'en common law. A ce stade, je crois approprié de citer les propos du juge Robertson dans l'affaire Still, à la page 576 :
[44] Il me paraît en outre important de faire remarquer que la théorie de l'illégalité en common law peut varier d'une province à l'autre. La Cour suprême du Canada n'a pas encore rendu d'arrêt de principe sur cette question. Chaque espèce dépend des faits qui lui sont propres et s'inscrit dans un cadre législatif particulier. On peut soutenir que la Cour devrait appliquer la théorie de l'illégalité en common law telle qu'elle est comprise et appliquée dans chaque province. En théorie, les conséquences juridiques qu'entraîne le défaut d'une personne d'obtenir un permis de travail de la manière prescrite par la Loi sur l'immigration pourraient être déterminées par la common law de la province dans laquelle le contrat de travail a été conclu. Vu le caractère bijuridique de la Cour fédérale, nous ne saurions perdre de vue le fait que les affaires émanant du Québec doivent être tranchées en vertu des dispositions relatives à l'illégalité qui figurent au Code civil du Québec [L.Q. 1991, ch. 64]. L'article 13 qui était en vigueur lorsque l'affaire Bank of Toronto v. Perkins, précitée, a été décidée est devenu l'article 9 du nouveau Code civil. L'article 1413 de ce Code dispose: “Est nul le contrat dont l'objet est prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public”: Voir aussi les articles 1412 et 1418. (Jusqu'à ce jour, les décisions rendues par la Cour de l'impôt dans des affaires émanant du Québec, et portant sur la question qui nous a été soumise, ne font référence à aucune décision relevant du droit civil.)
[45] Il est vrai que la Cour a uniquement besoin de trancher la question de la légalité dans le contexte fédéral et que rien de ce qu'elle décide en ce qui concerne la validité ou le caractère exécutoire d'un contrat de travail ne lie les provinces. Néanmoins, j'estime que la Cour fédérale devrait s'efforcer de favoriser l'uniformité des décisions judiciaires sur la question du droit à des prestations d'assurance-chômage.
[13] A mon avis, les principes sous-jacents à la nullité d'un contrat en droit civil, soit quant à sa formation soit quant à son objet, ne dérogent pas à première vue de la common law. Il suffit de lire l'analyse qui a été faite dans l'affaire Still et de les comparer avec les dispositions pertinentes du Code civil du Québec, soit les articles 9, 1371 à 1375, 1385 ainsi que les articles 1412 à 1418 qui se lisent comme suit :
LIVRE PREMIER
DES PERSONNES
TITRE PREMIER
9. Dans l'exercice des droits civils, il peut être dérogé aux règles du présent code qui sont supplétives de volonté; il ne peut, cependant, être dérogé à celles qui intéressent l'ordre public.
LIVRE CINQUIÈME
DES OBLIGATIONS
TITRE PREMIER
DES OBLIGATIONS EN GÉNÉRAL
CHAPITRE PREMIER
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
1371. Il est de l'essence de l'obligation qu'il y ait des personnes entre qui elle existe, une prestation qui en soit l'objet et, s'agissant d'une obligation découlant d'un acte juridique, une cause qui en justifie l'existence.
1372. L'obligation naît du contrat et de tout acte ou fait auquel la loi attache d'autorité les effets d'une obligation.
Elle peut être pure et simple ou assortie de modalités.
1373. L'objet de l'obligation est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose.
La prestation doit être possible et déterminée ou déterminable; elle ne doit être ni prohibée par la loi ni contraire à l'ordre public.
1374. La prestation peut porter sur tout bien, même à venir, pourvu que le bien soit déterminé quant à son espèce et déterminable quant à sa quotité.
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.
CHAPITRE DEUXIÈME
DU CONTRAT
SECTION III
DE LA FORMATION DU CONTRAT
§ 1. – Des conditions de formation du contrat
I – Disposition générale
1385. Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n'exige, en outre, le respect d'une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n'assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.
Il est aussi de son essence qu'il ait une cause et un objet.
V – De l'objet du contrat
1412. L'objet du contrat est l'opération juridique envisagée par les parties au moment de sa conclusion, telle qu'elle ressort de l'ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître.
1413. Est nul le contrat dont l'objet est prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public.
VI – De la forme du contrat
1414. Lorsqu'une forme particulière ou solennelle est exigée comme condition nécessaire à la formation du contrat, elle doit être observée; cette forme doit aussi être observée pour toute modification apportée à un tel contrat, à moins que la modification ne consiste qu'en stipulations accessoires.
1415. La promesse de conclure un contrat n'est pas soumise à la forme exigée pour ce contrat.
§ 2. – De la sanction des conditions de formation du contrat
I – De la nature de la nullité
1416. Tout contrat qui n'est pas conforme aux conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité.
1417. La nullité d'un contrat est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général.
1418. La nullité absolue d'un contrat peut être invoquée par toute personne qui y a un intérêt né et actuel; le tribunal la soulève d'office.
Le contrat frappé de nullité absolue n'est pas susceptible de confirmation.
[14] Dans l'affaire Damian Daniel Haule et M.R.N.,[1998] A.C.I. no 1079, où il s'agissait d'un cas similaire à l'espèce, la juge Lamarre Proulx a analysé les dispositions du Code civil du Québec en relation avec l'omission de se conformer à l'article 18 du Règlement sur l'immigration. Ce faisant, elle s'est également ralliée à la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Still. Elle s'exprime ainsi :
[22] Le juge Robertson a conclu, aux fins de la Loi sur l'immigration et de la Loi sur l'assurance-emploi, qu'il n'est pas nécessaire, dans l'intérêt public général, de sanctionner l’omission de se conformer à l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 en frappant le contrat de nullité lorsque l’omission à été faite de bonne foi. L’omission de se conformer en cause dans l'affaire Still est exactement de la même nature que celle dont il s’agit en l'espèce. Comme la Cour d'appel fédérale est une juridiction supérieure par rapport à notre Cour et qu’elle a compétence pour interpréter les lois fédérales, comme la Loi sur l'immigration et la Loi sur l'assurance-emploi, j'estime, du fait de la règle de stare decisis, que je suis liée par la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le fait de se conformer à l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 n'est pas quelque chose qui s’impose pour la protection de l’intérêt général. Par conséquent, je conclus que le contrat de travail de l'appelant n'est pas frappé de nullité absolue au sens de l'article 1417 du Code civil du Québec puisque celui-ci prévoit que la condition de formation doit être sanctionnée par la nullité du contrat lorsque cela s'impose pour la protection de l'intérêt général.
[15] Je conclus donc que l'affaire Still doit servir de référence tant dans les provinces de common law que dans la province de Québec. A cet égard, je soulignerai que dans le cadre de l'interprétation de deux lois fédérales, dont la LAC, il est de mise tel que le disait le juge Robertson de favoriser l'uniformité des décisions judiciaires sur la question du droit à des prestations d'assurance-chômage. Cela ne veut pas dire, toutefois, que les décisions rendues en application de lois fédérales doivent nécessairement s'appliquer en ce qui concerne la validité ou le caractère exécutoire d'un contrat de travail au niveau d'une loi provinciale.
[16] Dans ce contexte, et tel que décidé dans l'affaire Still, il revient aux tribunaux de déterminer les conséquences d'une infraction à une loi, si cette loi interdit la formation d'un contrat. Selon le juge Robertson, la bonne foi de la partie qui demande une réparation revêt alors une grande importance.
[17] Appliquant ce principe à la présente cause, je dois décider si l'appelant peut se qualifier comme un immigrant légal qui a agi en toute bonne foi. Après avoir entendu la preuve, je suis d'avis que l'appelant a fait la preuve de sa bonne foi.
[18] Il est arrivé au Canada en provenance de la République démocratique du Congo (anciennement le Zaïre) le 17 janvier 1995 et, à ce moment, a revendiqué le statut de réfugié. Il a alors cherché un emploi dans une manufacture. L'employeur qui était alors prêt à l'engager lui a dit qu'il devait se procurer un permis de travail, ce qu'il a obtenu le 6 mars 1995. Son permis expirait le 6 décembre 1995 (pièce A-1). L'appelant n'a malheureusement pu avoir l'emploi en question puisque le poste était déjà donné lorsqu'il a reçu son permis de travail. Le 21 novembre 1995, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié octroyait à l'appelant son statut de réfugié politique en vertu du paragraphe 69.1(9) de la Loi sur l'immigration (pièce A-2). L'appelant a témoigné qu'il pensait ne plus avoir besoin de faire de démarches supplémentaires pour obtenir un emploi, et qu'il n'avait plus de contraintes légales d'immigration. Il a obtenu son emploi avec le payeur à compter du 30 janvier 1996 et celui-ci s'est terminé le 7 février 1997. Le payeur ne lui a jamais fait part de l'obligation qu'il avait de se procurer un nouveau permis de travail. À la fin de sa période de travail, l'appelant a fait une demande de prestations en vertu de la LAC et de la LAE. On lui a refusé ses prestations parce qu'il avait travaillé sans un permis de travail. C'est après avoir obtenu ces nouvelles informations que l'appelant a fait la demande d'un deuxième permis de travail, lequel lui a été octroyé le 17 février 1997 et devait expirer le 16 février 1998 (pièce A-3).
[19] Le Ministre ne conteste pas, outre la question du permis de travail, que cet emploi rencontrait toutes les exigences d'un emploi assurable.
[20] La preuve ne révèle pas comme dans l'affaire Still si les cotisations à l'assurance-chômage ont été versées ou non. Le Ministre n'a toutefois pas soulevé ce point et s'appuie simplement sur l'absence du permis de travail pour refuser les prestations à l'appelant.
[21] Je suis d'avis que la preuve n'a pas révélé qu'il s'agit d'une affaire dans laquelle il faut refuser d'accorder une réparation pour préserver l'intégrité du système juridique. (voir Hall c. Hébert, [1993] 2 R.C.S. 159, motifs du jugement du juge McLachlin).
[22] Je considère donc que l'emploi exercé par l'appelant au cours de la période allant du 30 janvier 1996 au 7 février 1997 était un emploi assurable au sens de la LAC et la LAE. L'appel est donc admis et la décision du Ministre est annulée.
Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 1999.
“ Lucie Lamarre ”
J.C.C.I.