Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19971029

Dossiers : 96-462-UI; 96-21-CPP

ENTRE :

JORMEG CONSTRUCTION LIMITED,

appelante,

et

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimée,

et

ALLAN L. SMART, JOHN MCFERRAN,

intervenants.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel d'évaluations établies aux termes du Régime de pensions du Canada (“ R.P.C. ”) et de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi sur l'a.-c. ”), dont les avis sont datés du 9 mai 1994. Les évaluations ont été établies au motif que la ministre du Revenu national (la “ ministre ”) a déterminé que 17 personnes (les “ travailleurs ”) ayant conclu un contrat avec l'appelante occupaient un emploi assurable au sens de la Loi sur l'a.-c. et un emploi ouvrant droit à pension au sens du R.P.C. L'appelante soutient que les travailleurs étaient tous des entrepreneurs indépendants et non des employés.

[2] Les deux appels ont été entendus sur preuve commune.

Faits

[3] Les modalités des contrats conclus entre les travailleurs en cause et l'appelante ne sont pas vraiment en litige. C'est l'interprétation juridique des modalités des contrats qui est en litige.

[4] Les travailleurs étaient tous soit des hommes de métier qualifiés, soit des assistants spécialisés d'hommes de métier (travailleurs non qualifiés ou aides). Au nombre de ces travailleurs, il y avait 10 maçons (je ne fais aucune distinction entre le tailleur de pierre, le briqueteur ou le poseur de blocs de béton), un finisseur de planchers et son assistant, quatre assistants, un carrier et K. Moore, qui n'appartenait à aucune classification précise.

[5] Pour établir les évaluations en cause, la ministre s'est fondée sur certains faits, reproduits au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel dans l'appel interjeté en matière d'assurance-chômage. Les faits reproduits aux alinéas a) à d), f) à j) et l) à r) n'ont pas été contestés ou ont été confirmés par la preuve produite devant moi. Ces alinéas se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

a) le payeur a été constitué en société sous le régime des lois de l'Ontario le 25 mars 1987;

b) pendant toutes les périodes pertinentes, toutes les actions en circulation du payeur étaient détenues par Cathy Smith;

c) pendant toutes les périodes pertinentes, Boyd Smith était le directeur général de l'entreprise et en dirigeait les activités quotidiennes, en plus de prendre toutes les décisions commerciales importantes;

d) le payeur exploite une entreprise de construction saisonnière et s'occupe principalement d'obtenir et d'exécuter des contrats de maçonnerie pour différents clients à Bracebridge et dans la région avoisinante;

[...]

f) les travailleurs n'avaient besoin d'aucune formation et de peu de supervision directe, si tant est qu'ils en aient eu besoin;

g) l'appelante tentait d'obtenir et obtenait des contrats de maçonnerie, ce qui faisait partie intégrante de ses activités commerciales, et elle engageait au besoin des travailleurs pour effectuer les travaux aux différents chantiers;

h) l'appelante était entièrement responsable de tout travail jugé insatisfaisant et des dommages causés par les travailleurs relativement à tous les contrats de maçonnerie;

i) l'appelante fournissait la totalité des matériaux et de l'équipement nécessaires pour exécuter chaque contrat de maçonnerie;

j) les travailleurs fournissaient leurs propres outils à main et assumaient le coût de leurs déplacements pour se rendre aux chantiers et en revenir, mais ils n'engageaient aucune dépense importante ou exceptionnelle relativement au travail qu'ils effectuaient pour l'appelante;

[...]

l) l'appelante déterminait la date à laquelle chaque contrat de maçonnerie devait être terminé, quels travailleurs feraient le travail et l'endroit où le travail devait être effectué, et elle établissait le salaire horaire des différents travailleurs selon leurs connaissances et leur expérience;

m) les travailleurs exécutaient leurs tâches à différents chantiers et ils devaient se présenter au bureau de l'appelante ou au chantier tous les jours [la preuve a établi que chaque travailleur devait se présenter au bureau tous les jours à 7 h];

n) les heures de travail des travailleurs variaient du fait que le travail était effectué à l'extérieur;

o) l'appelante tenait un registre des heures de travail effectuées par les travailleurs (fiches de travail sur les chantiers);

p) les tâches que les travailleurs effectuaient faisaient partie intégrante de l'entreprise de l'appelante;

q) les travailleurs recevaient de l'appelante un chèque de paie hebdomadaire régulier basé sur un taux horaire préétabli;

r) si les services d'un travailleur donné n'étaient pas satisfaisants, l'appelante ne rappelait pas celui-ci;

[...]

[6] Chaque travailleur devait signer, sur du papier à lettres à en-tête de l'appelante, une attestation qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

J'atteste par les présentes que je suis employé par Jormeg Construction Limited en tant que sous-entrepreneur et que je suis par conséquent responsable des remises nécessaires au titre de l'impôt sur le revenu et des autres régimes d'avantages (c.-à-d. RPC).

On n’a pas établi si les 17 travailleurs ont signé ces attestations. Aux fins des présents motifs, je tiendrai pour acquis qu'ils ont tous signé les attestations. Celles-ci ont été rédigées sur le conseil du comptable de l'appelante. Pour des motifs que j'exposerai plus loin, il est regrettable que l'appelante se soit adressée à une personne non compétente pour obtenir un avis juridique. La question de savoir si un travailleur est un entrepreneur indépendant ou un employé est une question de droit.

[7] Après que le vérificateur de Revenu Canada eut effectué la vérification, l'appelante a immédiatement commencé à faire les retenues et les remises habituelles. Les modalités des contrats et les conditions de travail sont demeurées inchangées. Je reconnais que l'appelante n'a effectué les retenues et les remises habituelles que par prudence, parce qu'elle craignait d'être tenue responsable, mais qu'elle continuait de traiter les travailleurs en cause comme des entrepreneurs indépendants.

[8] Chaque travailleur était informé de ce qu'il devait faire le jour dit et à quel endroit il devait travailler, lors de réunions quotidiennes tenues à 7 h à l'atelier de l'appelante. Boyd Smith (“ Boyd ”), un maçon qualifié, l'époux de Cathy Smith, a donné comme exemple que, si l'appelante avait deux contrats à exécuter en même temps relativement à des bungalows, et si le propriétaire de l'un des bungalows se présentait alors que les travailleurs travaillaient à l'autre bungalow et que le propriétaire de celui-ci était absent, il envoyait les travailleurs au bungalow dont le propriétaire était présent, afin de le satisfaire. Les travailleurs n'étaient pas affectés à un projet précis, telle la construction d'un foyer de briques. Ils pouvaient être affectés à un contrat puis passer à un autre pour revenir au premier contrat et ainsi de suite, selon les directives de Boyd. L'appelante devait respecter les échéanciers établis avec les clients. Elle respectait ces échéanciers en engageant des travailleurs pour faire le travail nécessaire. Les travailleurs n'étaient tenus à aucun échéancier, ils travaillaient seulement à l'heure pour l'appelante et ils étaient payés pour les heures de travail. Une fois le taux horaire convenu, c'est Boyd seul qui déterminait l'endroit, le moment et le nombre d'heures de travail à effectuer. Le travailleur n'était jamais certain de terminer une tâche donnée car c'est Boyd qui contrôlait tout.

Analyse

[9] En ce qui concerne ce qu'on appelle les quatre critères, à savoir le contrôle, la propriété des outils, les chances de bénéfice ou les risques de pertes et l'intégration, le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, écrit qu'il considère le critère “ non pas comme une règle comprenant quatre critères [...] mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes ” et qu'il faut appliquer en insistant sur “ l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ”.

À la page 5030, le juge MacGuigan a déclaré ceci :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l'“ employé ” et non de celui de l'“ employeur ”. En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question “ À qui appartient l'entreprise ”.

Plus loin à la même page, il a poursuivi dans les termes suivants :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de Lord Wright, du Lord Juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[10] Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099, la Cour d'appel fédérale s'est exprimée dans les termes suivants à la page 6100 :

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[11] Pour ce qui est des attestations écrites que l'appelante a pu ou non avoir obtenu de tous les travailleurs, et de la coutume générale dans le métier, j'ai décidé, dans les présents appels, après avoir examiné les faits, de leur accorder très peu de poids. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Standing v. M.N.R., [1992] A.C.F. no 890, publié le 29 septembre 1992, a déclaré ceci :

[...] Peu importe l'appréciation, par la Cour de l'impôt, du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door, l'essentiel, tout compte fait, c'est que les parties elles-mêmes ont ensuite qualifié leur relation d'employeur-employé. Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. La Cour de l'impôt aurait dû analyser les faits en tenant compte de ce critère qui, en fait, a été confirmé à nouveau par l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. The Minister of National Revenue.

[12] La question de savoir si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant est une question de droit. Le critère décrit par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd., et analysé de nouveau par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Moose Jaw Flying Fins Inc., doit être appliqué à toutes les modalités du contrat. Dans certains cas, ce que les parties ont déclaré être la nature de leur relation contractuelle et la coutume dans cette sphère d’activités particulière peuvent très bien être un facteur qui fait pencher la décision d'un côté ou de l'autre.

Contrôle

[13] La question est la suivante : un travailleur peut-il offrir ses services comme sous-traitant pour effectuer du travail à un taux horaire seulement, en se soumettant au contrôle d'un payeur qui déterminera les heures de travail, les services à fournir, le travail à effectuer de jour en jour et même d'heure en heure, et l'endroit où le travail doit être effectué, et demeurer entrepreneur indépendant? Je ne le crois pas.

[14] Je crois que le fait de céder le contrôle à l'appelante dans la mesure où cela s'est produit en l'espèce fait basculer l'entrepreneur indépendant dans la catégorie des employés.

Chance de bénéfices - risque de pertes

[15] On a soutenu en l'espèce que les travailleurs avaient une chance de réaliser des bénéfices et assumaient un risque de subir des pertes, mais je ne peux retenir cet argument. Seule l'appelante pouvait réaliser des bénéfices ou subir des pertes. Les travailleurs étaient payés à l'heure et ils n'avaient aucune chance de réaliser des bénéfices, si ce n'est celui de gagner un salaire, et ils ne risquaient pas de subir des pertes. Ils touchaient un salaire, non des bénéfices. Ils n'assumaient pas plus de risque de pertes que n'importe quel autre employé. Je reconnais que, dans une véritable situation de sous-traitance, le sous-traitant peut travailler à l'heure. J'accorde très peu d'importance à cette partie du critère en l'espèce.

Outils

[16] Je n’ai devant moi aucune preuve que les travailleurs étaient ou n'étaient pas propriétaires de l'équipement que l'appelante fournissait. Les hommes de métier, qu'ils soient des entrepreneurs indépendants ou des employés, utilisent tous leurs propres outils à main et leur équipement. Les faits en l'espèce ne font pencher la balance ni d'un côté ni de l'autre quant à ce volet du critère.

Intégration

[17] En ce qui concerne l'intégration aux yeux des travailleurs, en faisant fi de l'attestation, si on pose la question “ À qui appartient l'entreprise? ”, la réponse ne peut clairement qu'être “ à l'appelante ” si l'on tient compte de toutes les modalités des contrats de travail.

[18] Compte tenu de l’ensemble de la preuve ainsi que des critères applicables, l'appelante ne m'a pas convaincu que les travailleurs en cause étaient des entrepreneurs indépendants. De fait, je ne peux que conclure une chose, c'est que chaque travailleur était simplement un employé de l'appelante, payé à l'heure.

[19] Les appels sont rejetés et les évaluations sont confirmées.

“ Gordon Teskey ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juin 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

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