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Date: 20001101

Dossiers: 2000-2476-EI; 2000-2477-EI

ENTRE :

ANDRÉ JAILLET, JACQUES JAILLET

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Moncton (Nouveau-Brunswick) le 4 octobre 2000.

[2] Les appelants ont interjeté appel des décisions du ministre du Revenu national (le “Ministre”) selon lesquelles les emplois exercés au cours des périodes en cause, soit du 30 mai au 4 novembre 1994 et du 19 juin au 8 septembre 1995 dans la cause d’André Jaillet, et du 30 mai au 14 octobre 1994 et du 17 juillet au 13 août 1995 dans la cause de Jacques Jaillet, auprès de J & S Lumber Co. Ltd., le payeur, sont exclus des emplois assurables au sens de la Loi sur l’assurance-chômage, maintenant la Loi sur l’assurance-emploi, au motif que les emplois n’étaient pas assurés en vertu d’un contrat de louage de services.

[3] Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l'assurance-emploi se lit en partie comme suit :

“5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]”

[4] Le fardeau de la preuve incombe aux appelants. Ces derniers se doivent d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que les décisions du Ministre sont mal fondées en fait et en droit. Chaque cas est un cas d’espèce.

[5] Le Ministre s’est fondé, pour rendre sa décision dans l’appel d’André Jaillet, sur les faits suivants énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel, lesquels ont été admis ou niés :

[TRADUCTION]

le payeur, une société dûment enregistrée au Nouveau-Brunswick, se spécialisait dans la coupe du bois; (admis)

l'appelant était bûcheron; (admis)

en 1994 et en 1995, le fils de l'appelant, Jacques, a utilisé le numéro de bûcheron attribué à son père; (admis)

les rapports de production du payeur dressés au nom de l'appelant incluaient le bois coupé par le fils de ce dernier; (admis)

le payeur n'était pas en mesure de déterminer la production de chacun des bûcherons utilisant le même numéro; (nié)

ainsi qu'en font état les annexes A et B, les montants de la rémunération assurable déclarés par le payeur sur les relevés d'emploi et les feuillets T4 de l'appelant ne correspondent pas aux montants qui ont effectivement été payés à ce dernier; (nié)

la rémunération déclarée sur la liste de paie du payeur ne correspond pas à la quantité de bois coupé par l'appelant; (nié)

la rémunération déclarée par le payeur ne correspond pas au montant reçu par l'appelant; (nié)

l'appelant déterminait à quel moment il souhaitait être inscrit sur la liste de paie du payeur; (nié)

l'appelant déterminait quel montant le payeur devait inscrire sur la liste de paie au titre de sa rémunération hebdomadaire; (nié)

le payeur ignorait à quel moment l'appelant travaillait, dans la mesure où il travaillait; (nié)

le payeur ignorait si l'appelant travaillait seul ou avec d'autres personnes à quelque moment que ce soit; (nié)

l'appelant était un bûcheron dont le travail était régi par un contrat d'entreprise; (nié)

aucun contrat de louage de services n'a été conclu entre l'appelant et le payeur. (nié)

[6] Le même exercice d’admission ou négation dans l’appel de Jacques Jaillet sur les faits allégués à la Réponse à l’avis d’appel sont sensiblement les mêmes que ceux allégués dans l’appel d’André Jaillet.

[7] Le payeur est une compagnie exploitant une entreprise forestière au Nouveau-Brunswick. Le payeur engageait, pendant les années en cause, environ 30 bûcherons, dont les deux appelants.

[8] Carl Barnes, superviseur des coupes de bois et employé depuis 17 ans par le payeur, déterminait les endroits où les bûcherons devaient couper. Les appelants étaient assignés un certain endroit. Selon ce témoin, il visitait les lieux deux ou trois fois par semaine et il faisait un rapport au bureau d’administration. Les appelants devaient fournir chacun leur scie mécanique et devaient respecter les règles de sécurité. Ce témoin explique ses responsabilités en général, mais ne précise pas le degré de contrôle qu’il exerçait sur les bûcherons.

[9] L’appelant André Jaillet explique qu’il a travaillé à titre de bûcheron chez le payeur environ 12 ans, sous les mêmes conditions de travail d’année en année.

[10] De plus, il explique qu’il a travaillé avec son fils Jacques Jaillet pendant les périodes en cause, à couper du bois aux endroits qui lui étaient indiqués, et à mettre ce bois en pile. André Jaillet avait conjointement avec Jacques Jaillet le numéro 25 pour identifier les cordes de bois coupé. Les mesures de cordes de bois coupé étaient faites à l’oeil sur les chantiers. Les mesures exactes se faisaient une fois que le bois coupé était livré à l’usine. Les appelants acceptaient, sans vérification, les mesures déterminées par le payeur.

[11] Les appelants étaient payés par chèque. À toutes les semaines, ils recevaient du payeur une avance de laquelle étaient faites les déductions habituelles. Des chèques pour des montants égaux, déposés en preuve, ont été émis aux appelants pendant les périodes en cause. Des chèques de paie ont été émis aux appelants quelques semaines après la fin de leur travail; tous ces chèques n’étaient pas des montants égaux. Ces montants représentaient la différence entre les avances reçues et les sommes additionnelles payées une fois le bois mesuré à l’usine. Jacques Jaillet a admis que le bois coupé pouvait rester longtemps sur les chantiers; le bois est transporté à l’usine selon le marché des ventes. Il a admis qu’à une occasion il avait été payé trois ans après la coupe de bois.

[12] En contre-interrogatoire, André Jaillet a admis qu’il était possible qu’il ait eu un passif de bois coupé au début de l’année 1994. Selon ce témoin, les deux appelants coupaient du bois côte à côte. Les appelants étaient payés à la corde. Ils se fiaient au payeur pour l’exactitude des relevés d’emploi et du mesurage du bois coupé. André Jaillet admet également que, selon la température, la quantité de bois coupé pouvait varier à chaque semaine.

[13] Jacques Jaillet corrobore essentiellement le témoignage de son père, André Jaillet. Il affirme qu’il ne compilait pas les heures et journées travaillées. Il se fiait sur les relevés d’emploi préparés par le payeur. C’était la preuve présentée par les appelants.

[14] Charles Albert, agent d’enquête pour le ministère des Ressources humaines, a fait une requête au sujet de cette affaire pour les années 1994 et 1995. Il a obtenu du payeur les relevés d’emploi, les listes de paie, les chèques de paie émis et les rapports de coupe de bois. Ces documents ont été déposés en preuve.

[15] Ce témoin a constaté que les relevés d’emploi ne représentaient pas la réalité quant aux chiffres estimés et le bois réellement coupé. Le payeur ne tenait pas compte des heures ou semaines travaillées par les appelants. Par contre, les documents indiquent que les appelants travaillaient 40 heures par semaine. De fait, les appelants étaient payés au volume.

[16] Les seules mesures de bois coupé gardées par le payeur étaient les mesures faites à l’usine. Ces rapports indiquent que le bois a été mesuré hors des périodes en cause, même aux mois de janvier, février, novembre et décembre. De par ces rapports, on ne peut déterminer quand le bois a été coupé par les appelants.

[17] Des chèques de paie ont été émis après les dates apparaissant sur les relevés d’emploi. Il y avait des différences entre les montants des chèques émis et les montants rapportés aux relevés d’emploi. Les appelants recevaient des chèques de paie après les dates apparaissant sur les relevés d’emploi. Les appelants avaient reçu moins que les montants indiqués sur les relevés d’emploi.

[18] L’enquêteur a constaté que les appelants avaient besoin d’accumuler chacun 12 semaines d’emploi afin de se qualifier pour recevoir des prestations d’assurance-chômage. De fait, ces relevés d’emploi démontraient qu’ils ont travaillé chacun 12 semaines pour les années 1994 et 1995.

[19] James Ferguson est le seul actionnaire de la compagnie depuis 1991. Il affirme que le payeur se base sur la capacité de production des appelants pour déterminer les avances de paie. Il y a un ajustement des paies une fois que le mesurage du bois coupé est fait au moulin.

[20] Il admet que la température et la topographie du terrain sont des facteurs quant aux dates et la quantité du bois coupé. Le bois est parfois resté dans la forêt un certain temps dépendant du marché des ventes ou la température. S’il n’y a pas de ventes, le bois demeure dans la forêt même pendant l’hiver. Le bois est transporté au moulin selon la demande.

[21] Il dit que les travailleurs avaient des heures régulières pour couper le bois, mais ces heures n’étaient pas compilées. Les bûcherons avaient parfois des aides bûcherons pour couper le bois. Le numéro 25 était octroyé à l’appelant André Jaillet, mais il ignore si un numéro était octroyé à l’appelant Jacques Jaillet. Le bois coupé était divisé entre les deux appelants sans distinction de la quantité de bois coupé par chaque appelant.

[22] Il dit que la responsabilité du superviseur était d’indiquer à chaque bûcheron les endroits désignés pour couper le bois, de vérifier à l’oeil la quantité de bois coupé et de s’assurer que les règles de sécurité étaient observées.

[23] Joanne Robichaud, agente des appels, a communiqué avec James Ferguson le 5 janvier 2000. Lors de cette conversation téléphonique, James Ferguson lui aurait dit que le payeur n’avait pas de contrôle sur les bûcherons. Les bûcherons allaient dans la forêt sans sa connaissance. Les bûcherons coupaient suffisamment de bois afin qu’ils puissent se qualifier pour recevoir des prestations d’assurance-chômage. Il ajoute que c’était difficile de garder les bûcherons une fois qu’ils ont suffisamment de timbres pour se qualifier en vertu de la loi. Des timbres d’assurance-chômage étaient accordés aux bûcherons basé sur le volume de bois coupé et même lorsque le payeur achetait du bois des bûcherons. Ces remarques adressées à l’agente des appels impliquent les bûcherons en général. L’agente des appels admet que James Ferguson n’a pas dit que les appelants coupaient du bois seulement pour recevoir des timbres d’assurance-chômage.

[24] Afin de bien distinguer le contrat de louage de services du contrat d’entreprise, il faut examiner l’ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties.

[25] Dans la cause Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, la Cour d’appel fédérale reconnaît quatre éléments de base pour distinguer un contrat de louage de services d’un contrat d’entreprise qui sont :

Le degré de contrôle exercé par l’employeur;

La propriété des outils;

Les chances de profit ou les risques de perte;

Le degré d’intégration.

Le contrôle

[26] Cet élément est peut-être l’élément le plus important afin de faire la distinction nécessaire dans ce cas. Le superviseur n’a pas donné de précisions quant au degré de contrôle qu’il avait sur les appelants. Le fait d’indiquer où le bois devait être coupé, de vérifier à l’oeil la quantité de bois coupé et de s’assurer que les règles de sécurité sont observées ne nous permet pas de conclure qu’il y a un contrôle sur les appelants. Les heures et les semaines de travail ne sont pas compilées. Le payeur ne savait pas quand les appelants travaillaient. Le payeur pouvait seulement se baser sur la quantité de bois coupé. Les relevés d’emploi ne représentaient pas la réalité de la situation. Le payeur était plutôt intéressé au résultat que de l’exactitude des heures et semaines travaillées. Dans la cause de Charbonneau c. M.R.N., [1996] A.C.F. no. 1337, le juge Décary de la Cour d’appel fédérale dit : “le contrôle des résultats ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur”. De ces faits, nous pouvons conclure qu’il n’y a pas de contrôle sur les appelants. Donc, le contrat est plutôt un contrat d’entreprise.

La propriété des outils

[27] L’utilisation de sa scie mécanique par les appelants, d’après la jurisprudence, n’empêche pas un travailleur d’être considéré comme un employé. Donc, la preuve n’est pas concluante afin de faire la distinction entre un contrat de louage de services et un contrat d’entreprise.

Les chances de profit ou les risques de perte

[28] Les appelants étaient payés au volume et non à l’heure. Les appelants pouvaient faire plus ou moins de revenu par la quantité de bois coupé. Ce type d’arrangement ne peut qualifier les appelants comme des salariés.

Le degré d’intégration

[29] Les allées et venues, leurs heures et même les semaines de travail n’étaient d’aucune façon intégrées ni coordonnées avec les opérations de la compagnie. Les bûcherons pouvaient à leur bon vouloir coupé le bois dans la forêt. Le payeur sortait le bois coupé de la forêt quand il y avait la possibilité d’une vente et que la température était favorable.

[30] L’élément de contrôle est l’élément le plus déterminant dans cette cause. Le fait de donner des instructions sur la sorte de bois à couper et de vérifier à l’oeil la quantité de bois coupé ne crée pas en lui-même un lien de subordination comme celui qui existe entre l’employeur et l’employé.

[31] Compte tenu de toutes les circonstances, les appelants n’étaient pas engagés par le payeur en vertu d’un contrat de louage de services. Les appelants n’exerçaient pas des emplois assurables en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[16] L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2000.

“ J.F. Somers ”

J.S.C.C.I.

Jurisprudence consultée :

Canada (Procureur général) c. Rousselle, [1990] A.C.F. no. 990

Charbonneau c. M.R.N., [1996] A.C.F. no. 1337

Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553

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