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Date: 19980417

Dossier: 97-1155-UI

ENTRE :

KULBIR KAUR BHATTI,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 janvier 1998.)

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] La Cour est maintenant saisie de l'affaire Kulbir Kaur Bhatti et le ministre du Revenu national, 97-1155(UI).

[2] Il s'agit uniquement de savoir si l'appelante exerçait un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ), pendant qu'elle travaillait censément pour Sahota Farms du 3 juillet au 11 novembre 1995, soit la période en cause.

[3] Mme Kulbir Kaur Bhatti a témoigné. Elle a fondamentalement déclaré qu'elle avait travaillé durant la période en question. Mme Bhatti est arrivée au Canada en 1986 et, en 1987, elle a commencé à travailler pour Sahota Farms. Elle a travaillé pour cette entreprise pendant dix ou onze ans, de 1987 à 1997. En 1995, soit l'année en cause, elle a travaillé du 3 juillet au 11 novembre. Elle gagnait 500 $ par semaine.

[4] Mme Bhatti a décrit toute une gamme de tâches qu'elle était censée accomplir. Elle n'a pas donné beaucoup de précisions au sujet de ce qu'elle devait faire, mais il va sans dire que les tâches qu'elle a mentionnées étaient nombreuses. Entre autres, elle conduisait le tracteur et se servait du transplantoir; elle binait et creusait le sol; elle pointait l'arrivée des employés; elle fournissait les plateaux de cueillette; elle apportait de l'eau aux champs; elle ramassait du maïs et des pois; elle fournissait les boîtes pour les pois; elle conduisait la lieuse à maïs; elle livrait le brocoli à l'usine de transformation; elle aidait à ramasser le chou-fleur et les baies. Elle a fondamentalement dit qu'elle faisait tout, n'importe où.

[5] On s'attendrait, lorsqu'une personne est embauchée comme employée, que ses tâches soient dans une certaine mesure précisées. Toutefois, l'appelante a soutenu qu'elle faisait toutes ces choses et qu'on s'attendait à ce qu'elle les fasse. Elle travaillait de 50 à 60 heures par semaine.

[6] En 1995, Mme Bhatti a travaillé pendant toute la période en cause. Elle a dit qu'elle s'était rendu compte, à un moment donné, que d'autres personnes travaillaient comme entrepreneurs en main-d'oeuvre agricole, et qu’elle croyait qu'il serait avantageux pour elle de faire la même chose et que c'était la raison pour laquelle elle avait créé son entreprise. Elle en a parlé à son mari et, même si l'idée ne semblait pas trop plaire à celui-ci parce qu'il y avait trop de risques, elle a créé l'entreprise. Elle a ensuite embauché son mari pour gérer l'entreprise. Cependant, c'était son entreprise, c'était elle qui détenait le permis.

[7] Mme Bhatti a dit que son mari se chargeait de la gestion et qu'elle continuait à travailler ailleurs; de fait, pendant la période en question, elle travaillait, comme elle l'a affirmé, pour le soi-disant employeur en cause aux termes d'un contrat de louage de services.

[8] C'était le mari de Mme Bhatti qui avait embauché, le 10 juillet 1995, Gurpal Sahota, soit la personne avec qui l'échange de travail aurait censément eu lieu. Les périodes pendant lesquelles Gurpal Sahota travaillait et les périodes pendant lesquelles l'appelante travaillait coïncidaient à peu près. Ce n'étaient pas exactement les mêmes périodes, mais c'étaient à peu près les mêmes périodes, et elles avaient chacune travaillé pour à peu près la même durée, à trois semaines près. Mme Sahota gagnait 400 $ et Mme Bhatti, 500 $, soit à peu près le même montant.

[9] On a demandé à Mme Bhatti pourquoi elle ne travaillait pas pour son propre compte au lieu de travailler pour Sahota Farms et elle a répondu que Sahota Farms lui versait 500 $ alors qu'elle ne versait que 400 $ à Mme Sahota. C'était l'unique raison qu'elle a donnée pour expliquer pourquoi elle travaillait pour une autre entreprise alors qu'elle exploitait elle-même une entreprise. Elle a également dit que Sahota Farms appréciait fort son travail et qu'on ne voulait pas la laisser partir. Elle a en outre affirmé que Mme Sahota ne pouvait pas faire le travail qu'elle faisait.

[10] Telle était la preuve directe présentée par Mme Bhatti.

[11] Pendant le contre-interrogatoire, Mme Bhatti a confirmé qu'elle avait travaillé du 3 juillet au 11 novembre 1995. La ferme était exploitée par Mme Sahota, qui a témoigné. Elle a décrit le travail que Bhatti Labourers faisait : l'entreprise fournissait de la main-d'oeuvre à diverses fermes. Il est certain qu'un gros contrat avait été conclu avec Sahota Farms pendant l'année en question. Sahota Farms a censément versé un montant considérable à Bhatti Labourers pour la fourniture de la main-d'oeuvre cette année-là. Une partie considérable du revenu total de Bhatti Labourers cette année-là provenait certainement de Sahota Farms.

[12] Mme Bhatti gérait Sahota Farms, mais elle n'avait pas été embauchée par Bhatti Labourers pour travailler pour Sahota Farms; tel était fondamentalement son témoignage.

[13] Il a été confirmé que Mme Sahota avait travaillé du 10 juillet jusqu'au 14 novembre 1995 environ. La période de travail était fondamentalement la même, à une semaine près, que celle durant laquelle l'appelante avait censément travaillé pour Sahota Farms.

[14] Mme Bhatti a dit qu'elle ne travaillait pas du tout pour sa compagnie. Elle travaillait ailleurs. Elle faisait parfois du travail chez elle. Son mari gérait l'entreprise. Il supervisait les employés. Elle gagnait 500 $ par semaine lorsqu'elle travaillait pour Sahota Farms.

[15] Mme Bhatti a déclaré dans son témoignage que l'entreprise avait fourni les services d'environ huit ouvriers agricoles à Sahota Farms pendant la période en question, mais elle n'en était pas sûre. La main-d'oeuvre valait beaucoup d'argent, mais elle ne savait pas exactement combien, environ 40 000 $. C'était l'entreprise Bhatti qui payait les ouvriers dont les services étaient fournis à Sahota.

[16] Mme Bhatti a soutenu qu'elle supervisait les ouvriers agricoles qui travaillaient pour Sahota Farms, ou que c'était peut-être sa soeur qui les supervisait. Elle était rémunérée par Sahota Farms pour superviser les ouvriers; c'était son travail.

[17] Les pièces R-1, R-2, R-3 et R-4 ont été produites de consentement. Selon la pièce R-2, soit le relevé d'emploi, l'appelante aurait travaillé 20 semaines, du 3 juillet au 11 novembre. La pièce R-3 était une liasse de chèques signés par Sahota Farms et la pièce R-4 consistait également en un chèque signé par Sahota Farms. Ces pièces ont une certaine importance et la Cour y reviendra plus loin.

[18] Mme Bhatti a admis qu'elle avait reçu un chèque de 1 035 $ daté du 17 mai 1995. Selon la preuve, ce chèque avait été émis bien avant la date à laquelle Mme Bhatti avait censément commencé à travailler, soit le 11 novembre 1995. On a également émis un chèque de 4 300 $ en sa faveur le 17 novembre 1995 ainsi qu'un chèque de 2 665 $ le 10 décembre 1995. En tout, elle aurait reçu 8 000 $.

[19] Selon le feuillet T-4 délivré par Sahota, le montant se rapportant à l'emploi assurable était de 10 000 $. Mme Bhatti devait recevoir net 7 619,50 $, mais elle a reçu 8 000 $, soit 380,50 $ de plus. Le chèque no 48770 du 2 novembre 1995 montrait qu'elle avait remboursé à Sahota Farms un montant de 380,50 $ qui se rapportait apparemment au salaire versé en trop. C'était le 2 novembre 1995, soit avant la date à laquelle Mme Bhatti avait cessé de travailler, le 11 novembre 1995. On a signalé la chose à Mme Bhatti et elle a répondu que cela s'était passé avant qu'elle touche la majeure partie de son salaire.

[20] Pendant le réinterrogatoire, Mme Bhatti a dit qu'elle s'occupait de supervision pour Sahota Farms. Outre Mme Bhatti, trois entrepreneurs travaillaient pour Sahota Farms. Il pouvait parfois y avoir de 700 à 800 travailleurs dont les services étaient fournis par différents entrepreneurs. Mme Bhatti ne supervisait pas Mme Sahota. Elle ne travaillait pas dans cette ferme pendant la période visée par le contrat Bhatti.

[21] Gurpal Sahota a également témoigné. On lui a demandé pourquoi elle ne travaillait pas à sa propre ferme mais plutôt ailleurs. Elle a répondu qu'elle travaillait toujours ailleurs parce qu'elle faisait moins d'argent à sa propre ferme et qu'elle aimait travailler ailleurs. Elle a déclaré qu’elle avait commencé à travailler à la ferme en 1988 et que Mme Bhatti travaillait là depuis 1987.

[22] Mme Sahota a répété ce que Mme Bhatti avait dit au sujet de ses tâches (soit celles de Mme Bhatti) : elle conduisait le tracteur; elle faisait tout ce qu'il fallait faire; elle communiquait avec les gens; elle transmettait les messages lorsque le témoin ne pouvait pas le faire; elle livrait le produit; elle ramassait le produit; ce sont là des choses que Mme Sahota a affirmé ne pas pouvoir faire même si elle était elle aussi ouvrière agricole.

[23] Mme Sahota a dit que la ferme possédait ou louait environ 200 acres. On y cultivait des fraises, des framboises, du chou-fleur, du maïs, des pois et du brocoli. En 1995, Mme Sahota travaillait. Elle gagnait 400 $ par semaine. Elle travaillait fondamentalement au verger de pommiers. Elle arrachait les mauvaises herbes, s'occupait de l'émondage. Elle ne travaillait pas pour Sahota Farms aux termes du contrat Bhatti.

[24] En 1996, Mme Sahota n'a pas travaillé à l'extérieur parce que la ferme était apparemment rentable et qu'elle n'avait pas besoin de travailler à l’extérieur.

[25] Pendant le contre-interrogatoire, Mme Sahota a convenu que Mme Bhatti avait travaillé à sa ferme en 1987, mais Mme Sahota exploitait Sahota Farms depuis 1988, ainsi qu’en 1995. Mme Sahota travaillait à l'extérieur et signait les chèques, mais c'était fondamentalement tout ce qu'elle faisait, même si c’était elle qui déclarait tout le revenu, par l'entremise de son entreprise.

[26] Mme Sahota a embauché l'appelante en 1995 pour superviser les ouvriers qui travaillaient à sa ferme et elle a conclu un contrat avec Bhatti Labourers pour qu'on lui fournisse des services de main-d'oeuvre.

[27] Mme Sahota ne savait pas trop combien d'argent sa ferme payait, c'est-à-dire combien d'argent Sahota Farms avait versé à Bhatti Labourers en 1995, mais elle a fondamentalement admis que le montant s'élevait à environ 40 000 $, ce qui est considérable.

[28] Mme Sahota a nié avoir travaillé pour Sahota Farms pendant l'année en question. Elle a dit qu'elle avait travaillé pour Bhatti Labourers du 10 juillet au 11 novembre 1995, puis elle a dit qu'elle avait plutôt travaillé jusqu'au 4 novembre. Cela semblait être la période de travail, jusqu'au 4 novembre. Elle a réitéré qu'elle gagnait 400 $ par semaine, puis elle a fait savoir qu'elle touchait peut-être un salaire horaire, mais elle a en fin de compte affirmé qu’elle gagnait 400 $ par semaine.

[29] Opinder Singh Bhatti a témoigné. Il était entrepreneur en main-d'oeuvre agricole. L'appelante était sa conjointe. Il n'a pas créé d'entreprise parce qu'il estimait que la chose comportait trop de risques, et il l'avait fait savoir à sa femme. Cependant, il lui a dit d'aller de l'avant, qu'elle pouvait aller de l'avant si elle le voulait, qu'elle pouvait tenter sa chance et qu'il gérerait l'entreprise.

[30] M. Bhatti gérait Bhatti Labourers. Il embauchait les employés pour effectuer le travail. Il essayait également de trouver du travail. Il ne pouvait pas signer les chèques.

[31] En 1995, pour le compte de Bhatti, M. Bhatti a embauché Mme Sahota; elle avait travaillé pendant la période susmentionnée. M. Bhatti a déclaré que Mme Sahota avait travaillé depuis la première ou la deuxième semaine du mois de juillet jusqu'à la première semaine du mois de novembre. Elle travaillait surtout au verger de pommiers. M. Bhatti donnait également aux employés du travail à faire dans son jardin ou chez lui. Son jardin avait une superficie de trois quarts d'acre. On ne sait pas trop si Mme Sahota avait travaillé dans ce jardin, mais cela n'est pas pertinent. Mme Sahota gagnait 400 $ par semaine et elle ne travaillait jamais pour Sahota Farms.

[32] En contre-interrogatoire, M. Bhatti a déclaré que Bhatti Labourers appartenait à sa conjointe et qu'il gérait l'entreprise.

Arguments de l'appelante

[33] Dans le cadre de l'argumentation, le représentant de l'appelante a dit que sa cliente avait travaillé pendant la période en question. Elle avait commencé à travailler à la ferme pour le payeur en 1987, et elle a travaillé jusqu'en 1997. Elle s'attend même à travailler en 1998.

[34] Pendant la période en question, soit du 3 juillet au 11 novembre 1995, l'appelante travaillait comme employée du payeur et gagnait 400 $ par semaine.

[35] Le 10 juillet 1995, Mme Sahota a été embauchée par Bhatti Labourers. Il ne s'agissait pas d'un échange de travail. Les deux femmes ne gagnaient pas le même salaire. Mme Sahota ne pouvait travailler que comme ouvrière agricole. Elle ne pouvait pas faire tout le travail que l'appelante faisait. Pendant la période en question, l'appelante était une employée de Sahota Farms. L'appel devrait être accueilli.

Arguments de l'intimé

[36] L'avocat de l'intimé a déclaré que l'emploi n'était pas assurable. Il ne s'agissait pas d'un travail régi par un contrat de louage de services parce que l'emploi était exclu. L'avocat a cité l'alinéa 3(2)h) de la Loi, qui se lit comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

h) tout emploi qui constitue un échange de travail ou de services;

[...]

[37] L'avocat a affirmé que c'est cette situation que nous retrouvons ici. Fondamentalement, nous avons un échange de travail et, en pareil cas, l'emploi est exclu et n'est pas assurable.

[38] La Cour doit examiner la preuve en tenant compte du but de la disposition. Or, cette disposition vise à exclure de l'emploi assurable le travail qui est accompli par deux personnes qui échangent des services de façon à pouvoir obtenir des prestations d'assurance-chômage.

[39] Dans ce cas-ci, Bhatti s'occupait de fournir des services de main-d'oeuvre agricole. Bhatti appartenait à l'appelante; l'entreprise était contrôlée par l'appelante, et elle était gérée par le mari de l'appelante. Mme Sahota était employée par Bhatti; pourtant, elle gérait une ferme et avait néanmoins décidé de travailler ailleurs plutôt qu'à sa ferme. Cela est louche.

[40] Mme Sahota et l'appelante gagnaient à peu près le même salaire, à 100 $ près.

[41] Mme Bhatti et Mme Sahota ont travaillé à peu près à la même époque, à une semaine près. La période de travail de l'une était complètement incluse dans celle de l'autre, mais l'une des deux femmes a travaillé moins longtemps que l'autre.

[42] Les deux femmes effectuaient fondamentalement le même genre de travail, mais il est certain, à en croire la preuve, que Mme Bhatti faisait beaucoup plus de travail que Mme Sahota, ou peut-être du travail différent. Malgré tout, les descriptions de tâches étaient remarquablement similaires.

[43] Les périodes pendant lesquelles les deux femmes avaient travaillé coïncidaient.

[44] Il y avait deux entreprises. L'appelante était l'employeur dans un cas. L'appelante et la propriétaire de Sahota Farms, c’est-à-dire le soi-disant employeur dans l'autre cas, exploitaient des entreprises. Chaque femme travaillait ailleurs plutôt que pour sa propre entreprise de façon à pouvoir toucher des prestations d'assurance-chômage. Tel était le but visé. Il s'agissait d'un emploi exclu, et l'appel devrait être rejeté.

[45] L'avocat a cité un certain nombre de jugements importants. Il y avait tout d'abord le jugement Lévesque c. Canada (Ministre du Revenu national),[1987] A.C.I. no 430, dans lequel la Cour a déclaré ceci :

Les deux familles appelantes exploitaient des entreprises, une ferme et une boucherie. Le fermier et sa conjointe travaillaient pour le boucher, et le boucher et sa conjointe pour le fermier; ils échangeaient des services de valeur égale.

[...]

La Cour a jugé que les périodes de travail en question correspondaient exactement aux nombres de semaines de travail nécessaires pour devenir admissibles aux prestations d'assurance-chômage et que les prétendus employeurs ne supervisaient pas le travail des employés. La Cour a conclu que les services rendus avaient été échangés et non loués. De plus, s'il y avait eu emplois, ces derniers auraient été exclus. La Cour a jugé qu'il s'agissait d'un stratagème et non d'un contrat de louage de services et elle a donc rejeté les appels.

[46] L'avocat de l'intimé a affirmé que ce jugement s'appliquait en l'espèce et que cette cour devrait le suivre.

[47] Dans un autre jugement, Ann Gaudet v. The Minister of National Revenue, NR 911, la Cour a statué comme suit :

[TRADUCTION]

Le fait plutôt étrange que les périodes pendant lesquelles chacune des femmes travaillait pour son beau-frère respectif étaient juste assez longues pour que celles-ci soient admissibles à des prestations d'assurance-chômage — si toutes les autres exigences de la Loi étaient par ailleurs respectées — nous permet d'inférer qu'elles avaient intentionnellement organisé leurs soi-disant périodes de travail de façon à pouvoir demander des prestations d'assurance-chômage.

Dans l'affaire Lévesque (précitée), la Cour a en outre statué comme suit :

Vu les faits prouvés soit les mêmes montants de services rendus par Antoine et Omer Lévesque soit $3850.00, les montants à $9.00 de services rendus par Mona et Frances Lévesque, les périodes d'emploi exactement celles, requises pour bénéficier d'assurance-chômage, cessation d'emploi après ces périodes et pas d'emploi avant, il me parait évident qu'il s'agit d'un stratagème de la part des appelants et non de contrat de louage de service.

Dans la décision Allain c. Canada (Ministre du Revenu national), [1987] A.C.I. no 1143, que l'avocat de l'intimé a également citée, la Cour a statué comme suit :

La Cour a expliqué que les appelantes avaient conclu cet arrangement pour obtenir des prestations d'assurance-chômage auxquelles elles n'auraient pas eu droit si elles avaient travaillé pour leur propre mari, qu'elles étaient sans expérience de travail et que leur travail consistait en un échange de services.

[48] L'avocat a également cité le jugement Entreprises R. Joncas Inc.c. Canada (Ministre du Revenu national), [1994] A.C.I. no 818 :

La Cour constate également que les salaires étaient semblables, que les périodes d'emploi étaient presque semblables et que le genre de travail se ressemblait. De plus, il y a les périodes d'emploi qui correspondaient au nombre minimum de semaines de travail que les travailleuses devaient accumuler pour être admissible à recevoir des prestations d'assurance-chômage.

Après avoir constaté toute la preuve et les plaidoiries des avocats, la Cour détermine que, selon la prépondérance de la preuve, il y a eu un échange de travail et que les emplois sont exclus en vertu de l'alinéa 3(2)h) de la Loi.

[49] L'appel devrait être rejeté et le règlement du ministre confirmé.

Analyse et décision

[50] Bien sûr, dans une affaire de ce genre, l'appelant doit établir selon la prépondérance des probabilités que l'emploi était assurable. S'il s'agissait d'un emploi exclu, l'emploi ne serait certainement pas assurable.

[51] Le ministre s'est fondé sur l'alinéa 3(2)h) pour soutenir qu'il s'agissait d'un échange de travail et de services. Dans la réponse, il a énoncé les hypothèses de fait ou présomptions sur lesquelles il s'était fondé pour arriver à son règlement.

[52] Certains éléments de preuve ont été présentés au sujet de la nature de l'entente, mais on n'a pas tenté de traiter précisément des allégations figurant dans la réponse. Les allégations qui n'ont pas été abordées n'ont certainement pas été réfutées. Voici certaines des présomptions qui figuraient dans la réponse :

[TRADUCTION]

b) Mme Sahota exploite une ferme de 250 acres, qui lui appartient en partie et qu'elle loue en partie;

c) pendant la période en cause et au cours des dix années antérieures, l'appelante avait été employée par Mme Sahota pour superviser les ouvriers agricoles;

d) en 1995, l'appelante a créé une entreprise sous le nom de Bhatti Labourers;

e) l'entreprise de l'appelante s'occupait de fournir les services de travailleurs à diverses fermes moyennant une certaine rémunération déterminée à l'avance pour chaque travailleur;

f) l'appelante a retenu les services de son conjoint, Opinder Bhatti, pour gérer Bhatti Labourers;

g) Bhatti Labourers a embauché Mme Sahota le 10 juillet 1995 comme ouvrière agricole et l'a envoyée travailler dans sa propre ferme;

Ces présomptions ont été contestées et, dans la mesure où elles l’ont été, la Cour ne les retient pas. Les autres présomptions ont été passablement bien établies.

[TRADUCTION]

h) Bhatti Labourers versait à Mme Sahota 400 $ par semaine pour travailler dans sa propre ferme sous la supervision de l'appelante, qui avait été embauchée comme superviseure;

i) Mme Sahota avait embauché l'appelante le 3 juillet 1995 moyennant un salaire de 500 $ par semaine pour superviser les ouvriers agricoles, notamment Mme Sahota elle-même, dont les services avaient été fournis par la propre entreprise de l'appelante;

j) l'emploi exercé par l'appelante représentait un échange de travail ou de services entre celle-ci et Mme Sahota.

Les circonstances étaient suspectes en ce qui concerne ce soi-disant contrat de louage de services.

[53] La Cour retient l'argument de l'avocat de l'intimé selon lequel Bhatti Labourers avait été établie en vue de fournir de la main-d'oeuvre agricole alors que la ferme, bien sûr, devait cultiver des produits agricoles et avoir recours à de la main-d'oeuvre agricole.

[54] La Cour est convaincue que la rétribution versée à la soi-disant travailleuse, Mme Sahota, et celle qui était versée à l'appelante étaient certainement à peu près les mêmes, à 100 $ près.

[55] Les périodes pendant lesquelles les deux femmes avaient travaillé coïncidaient à peu près, à une semaine près. La période pendant laquelle Mme Sahota avait travaillé était certainement complètement incluse dans la période de travail de l'appelante. Cela soulève des doutes.

[56] Les descriptions de tâches des deux femmes étaient quelque peu semblables. Il est vrai que, selon certains éléments de preuve, les tâches n'étaient pas tout à fait identiques et que certaines des tâches accomplies par Mme Bhatti étaient différentes de celles de Mme Sahota, mais elles faisaient néanmoins à peu près le même genre de travail. La preuve montrait que le travail était suffisamment similaire pour éveiller les soupçons.

[57] Deux entreprises étaient exploitées, l'une par l'appelante et l'autre par la personne qui aurait censément participé à l'échange de travail. Ces entreprises étaient passablement similaires, du moins en ce qui concerne le travail. Chacune embauchait l'autre pour travailler pour son entreprise pendant la période en question.

[58] Selon toute probabilité, il s'agissait d'un échange de travail et la Cour doit tenir compte de la preuve dans son ensemble afin de déterminer si c'est bien le cas. La situation dans son ensemble est fort louche.

[59] En outre, dans ce cas particulier, il y a des anomalies. Ainsi, la preuve montrait que l'appelante avait en fait reçu la majeure partie de sa rétribution le 17 novembre et le 10 décembre 1995. Or, cela ne coïncidait guère avec la période de travail. Trois chèques seulement ont été émis pendant toute la période, mais on a affirmé qu'un salaire hebdomadaire était versé. Les chèques montraient que la rémunération était versée sous la forme de sommes forfaitaires dont le montant était élevé.

[60] Bien sûr, une autre anomalie se rapportait au fait que l'appelante avait émis un chèque de 380,50 $ en faveur du soi-disant employeur le 2 novembre 1995. Premièrement, il est étrange qu'un salaire ait été versé en trop. Si une personne gagnait 500 $ par semaine, on s'attendrait à ce qu'il n'y ait pas de problème lorsqu'il s'agit de savoir combien d'argent est dû à un moment donné. Il est encore plus étrange que l'appelante ait émis un chèque pour ce qui constituait censément un salaire versé en trop le 2 novembre, alors qu'elle n'a cessé de travailler que le 11 novembre 1995.

[61] Il serait encore plus étrange que l'appelante, s'il s'agissait d'une relation employeur-employé normale, ait reçu un chèque de 1 035 $ le 17 mai 1995, alors qu'elle ne devait commencer à travailler que le 3 juillet 1995 et qu'elle n’a de fait pas travaillé avant ce moment-là.

[62] La Cour conclut que compte tenu des circonstances telles que la preuve les a révélées, et compte tenu des jugements qui ont été cités, même si dans ce cas-ci la situation n'est pas tout à fait la même que dans ces affaires-là, il existe néanmoins suffisamment de similitudes pour amener la Cour à conclure que ces jugements s'appliquent aux faits qui nous intéressent.

[63] Même si les périodes de travail ne coïncidaient pas exactement et même si le montant de la rémunération n'était pas exactement le même, lorsque la Cour tient compte de la preuve dans son ensemble, lorsqu'elle lui accorde l'importance qu'elle mérite, lorsqu'elle tient compte des anomalies qu'elle a décrites, elle est convaincue que, pendant les périodes de travail, il y a eu un échange de travail ou de services.

[64] Comme dans les affaires citées, cette cour est convaincue que les appelantes ont conclu cette entente afin d'obtenir chacune de leur côté des prestations d'assurance-chômage qu'elles n'auraient pu obtenir si elles avaient travaillé pour leur propre entreprise ou si elles avaient travaillé pour leur mari.

[65] Bien sûr, en l'espèce, les deux travailleuses avaient de l'expérience; il ne s'agissait pas de travailleuses sans expérience comme dans l'affaire Allain, précitée, mais la différence entre les deux affaires n'est pas suffisamment grande pour nous permettre de conclure que le jugement Allain ne s'applique pas dans ce cas-ci.

[66] La Cour conclut que, selon la prépondérance de la preuve, il y avait un échange de travail et que l'emploi de l'appelante est exclu aux termes de l'alinéa 3(2)h) de la Loi.

[67] L'appel est rejeté et le règlement du ministre est confirmé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'avril 1998.

T. E. Margeson

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de février 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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