Date: 19991221
Dossier: 98-2945-IT-I
ENTRE :
BENJAMIN LEVIT RIVEROS,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
Le juge Rip, C.C.I.
[1] M. Riveros interjette appel contre les cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, cotisations dans lesquelles le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a conclu que son revenu pour ces années d'imposition ne provenait pas principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et d'une autre source et que, par conséquent, suivant le paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ LIR ”) il ne pouvait déduire pour chaque année des pertes agricoles excédant la somme de 8 750 $. L'appelant fait valoir qu'il avait travaillé dans l'agriculture pendant bien des années avant d'être embauché par Chrysler Canada Ltd. (“ Chrysler ”) en novembre 1992, qu'il a continué à exploiter la même ferme par la suite, et que, cela étant, son revenu dans les années en question provenait principalement d'une combinaison de l'agriculture et d'un emploi.
[2] L'appelant et sa famille, qui viennent du Chili, ont immigré au Canada en 1975. Ses parents et ses grands-parents étaient des agriculteurs au Chili, et il a appris à apprécier le style de vie agricole. Il a fait des études au Chili d'abord pour devenir professeur mais a, en définitive, obtenu un diplôme en génie agricole de l'Université du Chili.
[3] M. Riveros dit qu'il avait obtenu à l'ambassade du Canada à Santiago de l'information vantant les mérites des terres et de la technologie agricoles au Canada, et que c'est là la raison pour laquelle ce pays l'avait attiré. À l'ambassade on lui a suggéré de s'installer près de London, en Ontario, puisque ce n'était pas loin de l'Université de Guelph, une institution dont la réputation dans les domaines des études et de la recherche agricoles était excellente. En 1978, il a suivi trois cours d'économie foncière à l'Université de Guelph et, en 1980, s'est inscrit au programme d'études supérieures en économie à l'Université de Western Ontario.
[4] Quand il est arrivé au Canada, M. Riveros s'est mis à la recherche d'un emploi et a été embauché pour travailler sur une ferme laitière à Woodstock, en Ontario, près de London. En 1978, il a commencé à chercher sa propre ferme. Une ferme laitière appartenant à un agriculteur sur le point de prendre sa retraite lui a semblé intéressante. Sur la ferme de 120 acres, il y avait 18 vaches laitières. Il y avait un quota de lait et un permis d'exploitation d'une gravière. Il a négocié une entente avec une compagnie de construction en ce qui concerne la gravière. Il a reçu du ministère de l'Agriculture de l'Alimentation et des Affaires rurales de l'Ontario (“ AAARO ”) une recommandation à l'intention de la Canadian Credit Corporation de lui accorder un prêt, et cette société a réagi favorablement. Toutefois, il n'a pas pu obtenir de financement d'une institution prêteuse. Il a témoigné que le gérant d'un prêteur lui a dit que les banques hésitaient à prêter de l'argent à de nouveaux immigrants. Il a renoncé au projet d'acheter cette ferme.
[5] M. Riveros a continué à travailler et à épargner son capital. Son épouse travaillait aussi. En 1983, ils avaient 22 000 $ de mis de côté et se sont remis à la recherche d'une ferme. Cette fois il a eu plus de succès et, en 1985, M. et Mme Riveros ont acheté une ferme de 100 acres à Wingham dans le Sud-Est de l'Ontario pour 100 000 $. Il a commencé à exploiter la ferme en septembre 1985 et jusqu'à la date de l'audience, il avait fait diverses cultures et s'était livré au naissage-élevage de bovins Hereford et Red Angus et à la production d'oeufs.
[6] La Banque Royale du Canada a accordé à M. Riveros le financement qu'il lui fallait pour acheter la ferme, le prêt étant garanti par une hypothèque grevant la ferme. Il a aussi reçu des fonds en tant que participant au Programme d'aide aux agriculteurs débutants de l'Ontario, dans le cadre duquel l'AAARO vient en aide financièrement aux nouveaux agriculteurs “ sérieux ”; M. Riveros a remboursé le prêt après cinq ans.
[7] M. Riveros a dit qu'il y avait sur la ferme une maison confortable, une grange délabrée destinée aux vaches laitières et un hangar, mais aucune machinerie agricole. La terre avait été louée à un voisin pendant les deux ans précédant la vente. La maison de ferme avait été louée à un couple qui se servait de la grange pour garder des chevaux en pension. Ils logeaient les chevaux en haut; le fumier était jeté en bas et n'était pas enlevé. Selon M. Riveros, environ les deux tiers du bas de la grange étaient remplis de fumier quand il a acheté la ferme et il avait dû nettoyer l'endroit.
[8] D'après M. Riveros, cependant, c'était une “ bonne ” terre dont le rendement pouvait être amélioré si elle était nettoyée, nivelée et drainée. Il a entrepris ces travaux et continue encore à les exécuter.
[9] Quand il a commencé à vraiment exploiter la ferme en 1986, M. Riveros a annulé le bail portant sur la terre et semé du maïs-grain fourrager, une récolte très rentable. Il a engagé le voisin pour ensemencer et pour récolter à la moissonneuse-batteuse la première année.
[10] Tout le revenu que M. Riveros a tiré de l'exploitation agricole servait à faire des versements sur les emprunts, à acheter de l'équipement agricole de base, des matériaux de construction et du bétail de races diverses. M. Riveros a reconnu qu'il avait compris dès le début que, puisque l'entreprise était à court de capital, il devait se tailler une bonne réputation s'il voulait obtenir des prêts. Telle est la [TRADUCTION] “ stratégie économique ” qu'il a continué à suivre et qui lui a permis, selon lui, d'augmenter son investissement en capital dans la ferme. Il a amélioré sa situation de trésorerie en produisant trois cents douzaines d'oeufs environ par semaine.
[11] En 1988, la maison, qu'il venait de rénover, ainsi que tout son contenu ont été détruits lors d'un incendie. M. Riveros n'avait pas assuré la maison contre le feu. Un voisin lui a offert de lui louer une maison inoccupée. L'appelant et sa famille sont demeurés dans cette maison, et l'appelant a travaillé sur sa ferme quotidiennement, s'occupant des affaires courantes de la ferme, nourrissant le bétail et en prenant soin, et construisant une nouvelle maison. L'incendie, a dit M. Riveros, [TRADUCTION] “ a retardé le démarrage de mon exploitation agricole ”. Malgré l'incendie, le revenu brut de la ferme est passé de 16 000 $ environ en 1988 à 39 000 $ environ en 1991. L'appelant attribue cette hausse de revenu à l'acquisition équipement agricole et de nouvelles installations de stockage de céréales, à la remise en état des installations d'entreposage du foin et d'ensilage et à [TRADUCTION] “ l'utilisation de procédés culturaux appris durant ma formation professionnelle en agriculture ”. M. Riveros est convaincu qu'il gère bien ses dépenses agricoles et il emprunte pour accroître son investissement de capital dans la ferme.
[12] M. Riveros, ayant été victime d'un accident, a reçu 25 000 $ en dommages-intérêts qu'il a utilisés pour acheter des obligations. Il a donné les obligations en garantie du remboursement des prêts agricoles.
[13] En 1992, M. Riveros s'inquiétait de la baisse générale du prix des produits agricoles par rapport à celui des produits agricoles assujettis à un système de gestion de l'offre, tels que la volaille et le lait. Il a discuté de la question avec un agent de planification et de développement de l'AAARO. À la suite de cette conversation, il a réévalué son exploitation agricole et conclu qu'il devrait se réorienter vers la production de lait. Toutefois, l'appelant n'était pas financièrement en mesure d'acheter un quota laitier et, de plus, selon lui, les quotas seront bientôt obsolètes. À son avis, la production de lait de chèvre qui n'est pas assujettie à un système de gestion de l'offre constituait la solution de rechange la plus réalisable dans les circonstances. Les chèvres sont petites, dociles et peu chères à entretenir. Il a déterminé que, pour être rentable sur sa ferme, son troupeau de chèvres devrait compter au moins cent têtes. Dès que la production de lait de chèvre fonctionnait normalement, il allait pouvoir aussi produire du fromage feta et tirer un revenu stable de cette source. Dans l'intervalle, il allait continuer son exploitation de naissage-élevage de bovins de race limousine.
[14] Pour exécuter ses plans, il lui fallait plus d'argent. En tant que participant au Programme d'aide aux agriculteurs débutants, il était tenu de respecter les règles du programme et a, en conséquence, demandé à un agent de l'AAARO s'il lui était permis d'occuper un emploi en dehors de la ferme; il a dit qu'il allait affecter le revenu d'emploi à son exploitation agricole. L'agent de l'AAARO lui a indiqué qu'il pouvait prendre un autre emploi.
[15] Tout emploi en dehors de la ferme devait respecter certains critères établis par M. Riveros, c'est-à-dire, lui offrir un horaire flexible et la rémunération la plus élevée pour le moins de temps y consacré. En décembre 1992, il a obtenu un emploi dans une usine de montage de Chrysler à Bramalea, en Ontario, une ville située à une heure de route environ de sa ferme.
[16] Les 4 500 employés de l'usine de montage de Chrysler sont répartis entre trois postes de sept heures et demie chacun. Selon M. Riveros, un employé peut changer de poste à l'intérieur du même service si cela s'impose pour des affaires personnelles de l'employé. L'horaire de travail était donc flexible et lui donnait la possibilité de s'occuper de la ferme.
[17] M. Riveros a déclaré qu'un employé travaille normalement 1 560 heures par année chez Chrysler mais peut demander d'en travailler seulement 780 en vertu d'un programme pour les employés étudiant temporairement à temps partiel. Il a dit qu'il consacrait environ 2 600 heures de travail par année à la ferme, peut-être davantage. Il a indiqué que, quand il avait été embauché par Chrysler, il savait qu'il ne pourrait travailler que pendant huit ans et qu'après ce serait la retraite obligatoire avec une pension de 600 $ par mois au maximum. C'était, a-t-il déclaré, la [TRADUCTION] “ dure ” réalité dont il était conscient depuis qu'il avait acquis la ferme; la seule raison d'être de l'emploi était de soutenir financièrement la ferme.
[18] En 1993, M. Riveros a acheté un nouveau tracteur et commencé à modifier la structure de la grange pour y loger des chèvres laitières. L'année suivante, il a construit une cellule à céréales et des installations pour préparer les aliments des vaches et des chèvres. En 1995, il a conçu un plan pour un bâtiment en acier d'une superficie de trois cent soixante mètres carrés et d'une hauteur de six mètres. Son emploi chez Chrysler lui a permis de discuter de ses dessins et de ses calculs avec les ingénieurs en mécanique de la compagnie.
[19] Malheureusement, en 1996, un incendie a détruit la grange, la cellule à céréales, les installations de préparation des aliments, le chargeur à direction à glissement et tout le contenu. La chaleur de l'incendie a également endommagé une partie de la maison. L'appelant n'avait pas assuré la grange contre le feu. M. Riveros et son fils ont alors commencé à construire un hangar en acier dont le coût était estimé à 60 000 $. Il a déclaré que son temps et son attention étaient consacrés à la ferme et à la réalisation du plan d'affaires établi en 1992.
[20] M. Riveros a aussi conçu le plan d'une nouvelle grange avec un local de traite, un local pour la fabrication du fromage, un entrepôt frigorifique, des installations pour préparer les aliments du bétail, des enclos pour les chèvres et des logements en locaux fermés pour les vaches et les veaux.
[21] De 1993 à 1996, M. Riveros a tiré de son emploi chez Chrysler le revenu suivant :
Année d'imposition Revenu
1993 45 145 $
1994 48 807 $
1995 40 322 $
1996 45 457 $
[22] De 1987 à 1996, les revenus et les pertes agricoles de M. Riveros étaient les suivants :
Année Revenu Revenu d'imposition brut Dépenses net (perte)
1987 8 246 $ 31 407 $ (23 161 $)
1988 16 273 $ 44 715 $ (28,442 $)
1989 19 412 $ 50 091 $ (30,679 $)
1990 23 328 $ 52 228 $ (28 900 $)
1991 38 669 $ 65 359 $ (26 690 $)
1992 28 228 $ 57 300 $ (29 072 $)
1993 39 029 $ 66 857 $ (27 828 $)
1994 36 145 $ 68 956 $ (32 811 $)
1995 27 803 $ 56 935 $ (29 132 $)
1996 31 876 $ 60 618 $ (27 742 $)
[23] Le ministre a prétendu, et M. Riveros a reconnu, que de 1987 à 1992 inclusivement, Mme Riveros avait déduit les pertes agricoles de son revenu. L'appelant a admis à l'audience que son épouse et lui avaient payé la ferme, son épouse effectuant les versements hypothécaires. Toutefois, le ministre n'a rien eu a redire, dans son argumentation, au fait que M. Riveros avait déduit de son revenu toutes les pertes agricoles subies en 1994, 1995 et 1996, même s'il semble que la ferme appartenait à l'appelant et à son épouse. En ce qui a trait aux pertes déduites par M. Riveros, le ministre a simplement fait valoir que certaines dépenses, telles que la taxe sur les produits et les services, les primes d'assurance, les honoraires de comptable et les dépenses d'électricité, représentaient des dépenses personnelles non déductibles dans le calcul du revenu agricole et qu'en conséquence le montant de ses pertes devait être réduit. Je conviens que le ministre a eu raison de réduire les pertes agricoles en 1994, 1995 et 1996 aux sommes de 28 964,58 $, de 25 044,90 $ et de 23 973, 27 $ respectivement. J'ai examiné ces appels en fonction des questions soulevées dans les plaidoiries. Je ne suis pas saisi de la question de savoir si M. Riveros a le droit de déduire seulement la moitié des pertes qu'il a déduites, étant donné que son épouse et lui étaient peut-être copropriétaires à parts égales de l'exploitation agricole.
[24] M. Riveros prétend que la ferme représente le centre de ses activités, qu'il peut y mettre à profit sa formation professionnelle et réaliser ses objectifs et ses rêves. Toutefois, il est conscient du fait que, pour réaliser ces ambitions, il doit se procurer de l'argent ailleurs, ce qu'il pouvait faire en travaillant chez Chrysler. Son emploi et l'exploitation agricole sont indépendants au point de vue financier.
[25] Chaque affaire où il s'agit d'appliquer le paragraphe 31(1) de la LIR est un cas d'espèce. Les principes directeurs à suivre pour déterminer le bien-fondé d'une cotisation établie en vertu du paragraphe 31(1) se trouvent énoncés dans l'arrêt Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, de la Cour suprême du Canada, et dans d'autres décisions rendues par des cours d'appel. Le juge Dickson (plus tard juge en chef) a exprimé l'opinion suivante à la page 5216 :
[...] la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensemble trois catégories d'agriculteur :
(1) le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole; `
(2) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;
(3) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture ou l'agriculture et une source secondaire de revenu comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.
Le paragraphe 13(1) suppose l'existence d'un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et de quelqu'autre source et il renvoie donc à la 1re catégorie. Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie : le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à 5 000 $. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit pertinente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale “ source ” de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'appartenir à la 1re catégorie uniquement parce qu'elle reçoit un héritage. D'autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement.
[26] Les parties sont d'accord pour dire que M. Riveros a exploité une entreprise agricole. La question sur laquelle elles ne s'entendent pas est celle de savoir si le revenu de l'appelant provenait principalement d'une combinaison de l'agriculture et de son emploi de manière à ce qu'il puisse être considère comme faisant partie de la première catégorie d'agriculteurs. Le juge Dickson a fait remarquer aux pages 5215 et 5216 :
Déterminer si une source de revenu est la principale “ source ” de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n'est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu'il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale “ source ” de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d'un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modification de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas.
[27] Les facteurs mentionnés par le juge Dickson ne doivent pas être examinés isolément mais de façon cumulative : voir la décision du juge d'appel Mahoney dans The Queen v. Morrissey, 89 DTC 5080, à la page 5084[1]. Il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents dans leur ensemble pour déterminer la catégorie d'agriculteurs dont le contribuable fait partie.
[28] M. Riveros a immigré au Canada pour, entre autres raisons, exploiter une ferme. Il venait d'une famille d'agriculteurs. Aussitôt arrivé au Canada, il a travaillé sur une ferme. Il ne faisait aucun doute dans l'esprit de l'appelant qu'il exploiterait une ferme. Il savait que la vie serait rude et que sa famille devrait faire des sacrifices. Le revenu d'emploi de son épouse a été affecté aux besoins personnels de la famille, bien entendu, mais, ce qui en restait a été épargnée durant les premières années en vue d'acheter une ferme puis a servi plus tard à faire les versements hypothécaires. Il ressort clairement de la preuve que la seule raison pour laquelle M. Riveros a cherché un emploi c'était pour la ferme.
[29] Le mode de vie de M. Riveros, son investissement de temps et de capital, et son dévouement à l'agriculture viennent tous confirmer sa position selon laquelle il est et était un agriculteur à plein temps qui, lorsqu'il a commencé à exploiter une ferme au Canada, s'attendait raisonnablement à tirer de la ferme la majeure partie de son revenu ou à ce que la ferme soit le centre de son travail habituel. En 1992, M. Riveros a réorienté les activités de la ferme et a obtenu un emploi pour financer cette nouvelle orientation. Il a éprouvé au cours des années des difficultés causées par des incendies et le fait qu'il n'avait pas d'assurance couvrant les sinistres. Il n'a pas tardé à réparer les dommages. Je pense que M. Riveros aura du succès dans ses entreprises et que la ferme générera la majeure partie de son revenu.
[30] M. Riveros a planifié raisonnablement et prudemment ses activités agricoles. Il se rendait compte du défi à relever. Il a discuté de ses plans avec des représentants agricoles du gouvernement de l'Ontario. Ses antécédents en agriculture lui servaient de référence. Il a suivi des cours en agriculture et en économie. Toute son activité économique était centrée sur l'agriculture durant les années en cause.
[31] Chrysler permettait à M. Riveros de s'absenter de la chaîne de montage si sa présence sur la ferme était nécessaire. La capacité de pouvoir se libérer de son travail représentait un facteur important dans le choix de M. Riveros de prendre un emploi chez Chrysler. Il exerçait cet emploi au profit de la ferme et l'emploi était subordonné aux exigences de celle-ci. Comme c'était le cas dans l'affaire Miller[2] et dans l'affaire Hover v. M.N.R.[3], l'activité agricole n'était pas une entreprise secondaire et n'était nullement subordonnée à l'emploi du contribuable. M. Riveros n'appartient pas à la catégorie des personnes qui “ gagnent leur revenu à la ville et le perdent à la campagne ”[4]. Au contraire, M. Riveros est allé travailler en ville pour être en mesure de gagner sa vie à la campagne.
[32] Les appels sont admis, avec dépens le cas échéant. Bien entendu, l'appelant n'a pas le droit de déduire des dépenses personnelles dans le calcul de son revenu agricole et les pertes agricoles dont il a réclamé la déduction seront réduites.
Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 1999.
“ G.J. Rip ”
J.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 29e jour d'août 2000.
Erich Klein, réviseur
[1] Voir également Connell v. The Queen, 92 DTC 6134 (C.A.F.), The Queen v. Poirier, 92 DTC 6335, à la page 6336 (C.A.F.) et Miller v. The Queen, [1999] T.C.J. No. 761.
[2] Précitée, note 1.
[3] 93 DTC 98 (appel interjeté devant la Cour fédérale, Section de première instance).
[4] R. c. Donnelly, [1998] 1 C. F. 513, motifs du juge Robertson. Voir les paragraphes 19 à 21.