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Date : 19980217

Dossiers : 97-1305-IT-I; 97-1635-GST-I

ENTRE :

JEFF BLACKWOOD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Jeff Blackwood a interjeté appel à l’encontre des cotisations établies conformément aux articles 227 et 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et à l'article 323 de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise. Le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et le paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise prévoient, entre autres choses, que lorsqu'une compagnie a omis de remettre des sommes retenues à la source ou la taxe nette conformément à la loi pertinente, ceux qui étaient administrateurs de la compagnie au moment où celle-ci était tenue de déduire et de remettre les sommes retenues à la source ainsi que la taxe nette sont solidairement responsables, avec la compagnie, du paiement de ces sommes, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

[2] M. Blackwood a été administrateur de H.E.B.B. Publications Inc. ( « H.E.B.B. » ou la « compagnie » ) du 2 octobre 1991 au 22 février 1994. Pendant cette période, la compagnie a omis de remettre au receveur général du Canada l'impôt sur le revenu fédéral retenu sur le salaire versé à ses employés en 1992, soit un montant de 1 046,46 $, et en 1993, soit un montant de 2 874,24 $. La compagnie a également omis de payer les intérêts se rapportant à l'impôt fédéral non versé, soit un montant de 815,30 $ et de 2 860,86 $ respectivement. La compagnie a omis de remettre au receveur général la taxe nette sur les produits et services (la « TPS » ) qui avait été perçue :

1er oct. au 31 déc. 1991 2 406,79 $

1er janv. au 31 mars 1992 789,18

1er avr. au 30 juin 1992 2 415,85

1er juill. au 30 sept. 1992 1 122,34

1er oct. au 31 déc. 1992 2 259,27

1er janv. au 30 mars 1993 79,43

1er avr. au 30 juin 1993 2 099,58

1er juill. au 30 sept. 1993 1 126,58

1er oct. au 31 déc. 1993 1 266,50

1er janv. au 22 fév. 1994 134,10

Total 13 699,62

[3] Les pénalités et les intérêts que la compagnie a omis de verser en ce qui concerne la TPS non payée s'élevaient à 3 045,97 $ et à 3 034,35 $ respectivement.

[4] Les appels des cotisations établies conformément aux deux lois ont été entendus sur preuve commune.

[5] M. Blackwood a témoigné qu'il n'est pas responsable de l'omission de la compagnie de déduire et de remettre les sommes retenues à la source et la taxe nette étant donné qu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables : paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise.

[6] Avant 1991, M. Blackwood exploitait une entreprise individuelle sous le nom de Jeff Blackwood & Associates. Son fils l'aidait à préparer les livres de l'entreprise et à percevoir les créances. À un moment donné au début de 1991, une certaine Lillian Hayes a communiqué avec M. Blackwood et son cousin, Dwight Blackwood, pour exploiter un journal local pour la ville de Mount Pearl (Terre-Neuve). Ils ont convenu de se joindre à Mme Hayes en vue d'exploiter l'entreprise et ont constitué H.E.B.B. à cette fin. M. Blackwood a souligné qu'étant donné qu'il exploitait déjà sa propre entreprise, il voulait « participer le moins possible » aux activités de H.E.B.B. Sa propre entreprise venait en premier lieu.

[7] Dwight Blackwood était le directeur général de H.E.B.B.; il était également responsable des affaires financières de la compagnie. Mme Hayes et l'appelant étaient tous les deux vice-présidents; Mme Hayes était responsable des ventes et de la publicité. Ils étaient tous les trois administrateurs de la compagnie.

[8] Avant que la compagnie commence à exploiter l'entreprise, des locaux ont été loués à Mount Pearl, et ils ont en partie été sous-loués à l'entreprise de l'appelant, Jeff Blackwood & Associates. La compagnie et Jeff Blackwood & Associates partageaient également les frais de secrétariat.

[9] La première édition du journal que H.E.B.B. devait publier a paru en mars 1991. Les recettes de ventes n'ont pas été telles qu'on l'avait prévu et, à la mi-mai, Mme Hayes a convoqué une réunion en vue d'aviser les deux Blackwood de sa démission. Étant donné que personne n'était libre pour s'occuper des ventes, l'appelant, malgré son engagement envers sa propre entreprise, s'est porté volontaire pour travailler le samedi, ce qu’il a fait pendant les 50 samedis suivants en ne touchant qu'une rémunération minime ou même en ne touchant aucune rémunération. Dans l'intervalle, Dwight Blackwood a obtenu des fonds additionnels par l'entremise d'Euracan Investments Limited ( « Euracan » ), une compagnie dont les actions étaient détenues par son beau-frère et lui.

[10] M. Blackwood a déclaré qu'il avait travaillé six jours par semaine en 1991 et qu'il était finalement tombé malade, souffrant d'arythmie cardiaque et d'hypertension.

[11] Dwight Blackwood s'occupait d'autres entreprises commerciales à l'extérieur du Canada et il effectuait souvent des voyages. Il apposait sa signature sur les chèques de façon que Jeff Blackwood puisse acquitter les dettes au fur et à mesure qu’elles arrivaient à échéance. (L'appelant faisait la même chose lorsqu'il devait s'absenter.) Jeff Blackwood a fait savoir qu'en pareil cas, il remettait toujours les sommes à Revenu Canada au fur et à mesure qu'elles étaient dues.

[12] L'appelant a déclaré qu'il n'était pas au courant des difficultés financières de la compagnie. Il a déclaré qu'à ce moment-là, Dwight Blackwood effectuait également des études en comptabilité, pour devenir comptable agréé selon l'appelant, et que c'était Dwight qui était responsable de toutes les questions financières.

[13] L'appelant a déclaré qu'il avait reçu, en avril 1993, un appel téléphonique d'un employé de Revenu Canada, l'informant qu'il y avait un arriéré à l'égard des sommes retenues à la source par H.E.B.B. Cet employé l'a également informé que les discussions qu'il avait eues avec Dwight Blackwood n'avaient pas porté fruit. Revenu Canada avait l’intention de saisir les comptes de H.E.B.B. Jeff Blackwood a déclaré que c'était la première fois qu'il apprenait que la compagnie avait des problèmes avec Revenu Canada. Il a dit à l'employé qu'il parlerait à Dwight Blackwood aussitôt que possible. Il a déclaré qu'il s'était rendu au bureau de ce dernier pour lui faire part de ses préoccupations. Les Blackwood se sont présentés au bureau de Revenu Canada et ont pris des dispositions en vue de payer les arriérés se rapportant à l'année 1993. L'appelant a déclaré qu'en revenant au bureau de H.E.B.B., il avait dit à Dwight Blackwood qu'il fallait d'abord payer Revenu Canada, même avant la compagnie de téléphone et les autres créanciers. L'appelant a affirmé qu'il préférait fermer l'entreprise plutôt que de ne pas payer Revenu Canada.

[14] M. Blackwood a affirmé avoir dit à Dwight Blackwood qu'il voulait que les livres de la compagnie soient mis à jour; de fait, il voulait qu'une vérification soit effectuée à l'égard des retenues à la source et il a demandé à Dwight Blackwood de faire en sorte que Revenu Canada vérifie les livres. Lorsque Dwight Blackwood l'a informé, en avril 1993, que la compagnie n'avait pas d'argent pour remettre les sommes dues à Revenu Canada, M. Blackwood a émis un chèque en faveur de Revenu Canada sur son compte bancaire personnel. Par la suite, a-t-il déclaré, il a essayé de s'assurer que Revenu Canada soit payé en temps opportun.

[15] Les Blackwood se sont ensuite rencontrés toutes les semaines et l'appelant a témoigné qu'on l’avait informé que « tout [allait] bien » . Euracan maintenait la compagnie à flot. M. Blackwood a également déclaré qu'il avait demandé à Dwight Blackwood s'il y avait des problèmes avec les créanciers et que ce dernier lui avait répondu qu'il n'y en avait pas.

[16] L'appelant a expliqué qu'en fait, H.E.B.B. avait fort peu de créanciers. Les créanciers d'un éditeur sont fondamentalement la compagnie de téléphone, les employés à qui les salaires doivent être versés et l'imprimeur. C'était surtout à l'imprimeur qu'on devait de l'argent.

[17] Jeff Blackwood a également témoigné que les livres comptables de Jeff Blackwood & Associates étaient dans un « état irréprochable » et qu'il n'avait pas de problèmes avec Revenu Canada.

[18] Pendant l'été 1993, Dwight Blackwood a informé l'appelant que H.E.B.B. avait des difficultés de trésorerie. Apparemment, un employé de H.E.B.B. avait fraudé la compagnie en s’emparant d'une somme d'environ 25 000 $.

[19] Vers le mois d'octobre 1993, l'appelant a reçu un appel téléphonique d'un certain Bill Ryan, agent des recouvrements et d'exécution de la section de la TPS à Revenu Canada. L'agent a informé l'appelant que H.E.B.B. n'avait pas produit de déclarations relatives à la TPS et que Dwight Blackwood ne collaborait pas avec lui. L'appelant a affirmé qu'il avait parlé à Dwight Blackwood et que ce dernier avait promis de produire les déclarations « dans une semaine environ » . L'appelant a affirmé avoir « fait le suivi » et que Dwight Blackwood lui avait assuré que « tout [allait] bien, [qu']il n'y [avait] pas lieu de s'inquiéter » . La situation financière de la compagnie ne s'était pas améliorée, mais il y avait suffisamment de fonds en caisse pour satisfaire aux obligations de cette dernière.

[20] Enfin, en février 1994, juste avant que le journal paraisse, l'imprimeur a fait savoir que le journal ne serait pas publié tant qu'il ne serait pas payé. L'appelant a payé par chèque le montant qui était dû à l’imprimeur et le journal a été publié.

[21] Plusieurs heures plus tard, Dwight Blackwood a informé l'appelant qu'en sa qualité de président d'Euracan, lui-même et l'autre administrateur, son beau-frère, M. Martens, avaient décidé de demander le remboursement du prêt consenti à H.E.B.B. Euracan a saisi les actifs de H.E.B.B. Euracan a également demandé à l'appelant d'honorer la garantie personnelle qu'il avait donnée à l'égard du prêt consenti à H.E.B.B., d'un montant de 10 000 $, et l'appelant a versé cette somme. M. Jeff Blackwood est resté sur les lieux parce qu'il « n'avai[t] pas le choix » ; il a payé le loyer et les frais qu'il avait jusqu'alors partagés avec H.E.B.B.

[22] Environ trois semaines plus tard, en mars 1994, l'appelant a communiqué par téléphone avec Dwight Blackwood pour confirmer que les sommes retenues à la source en janvier 1994 avaient été remises à Revenu Canada. Dwight Blackwood lui a dit que les sommes avaient été versées et qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, étant donné que Revenu Canada avait saisi les créances de H.E.B.B. Les créances s'élevaient à environ 27 000 $, ce qui, selon Dwight Blackwood, était plus que suffisant pour payer tout montant dû à Revenu Canada à l'égard des retenues à la source et de la TPS.

[23] En contre-interrogatoire, l'appelant a témoigné que fort peu d'états financiers avaient été produits par H.E.B.B. et que, de toute façon, il ne comprenait rien aux états financiers. Il a affirmé s'être pour la première fois rendu compte qu'il y avait des difficultés de trésorerie en avril 1993. Il a déclaré qu'il ne savait pas que H.E.B.B. avait omis de verser à Revenu Canada les sommes retenues à la source en 1991 et en 1992.

[24] M. Bill Ryan a témoigné pour le compte de l'intimée. Il a déclaré qu'en mars 1992, il avait parlé à Jeff Blackwood au téléphone et qu'il avait proposé que H.E.B.B. remette des chèques postdatés à Revenu Canada à l'égard des arriérés accumulés jusqu'au 10 mars 1992. Il a déclaré avoir de nouveau parlé à Jeff Blackwood le 2 avril 1992. À ce moment-là, Jeff Blackwood lui a dit que Dwight Blackwood venait tout juste de revenir à St. John's et qu'il communiquerait sous peu avec lui (M. Ryan). Dwight Blackwood n'a pas communiqué avec M. Ryan et Revenu Canada a délivré une « demande péremptoire de paiement » le 14 avril 1992. Dwight Blackwood a alors communiqué avec M. Ryan et l'a informé qu'on avait besoin de l'argent qui était à la banque pour la paye et les autres obligations; il a demandé si H.E.B.B. pouvait remettre des chèques postdatés pour les trois mois d’arriérés impayés. Revenu Canada a accepté la proposition. Le 23 février 1994 ou vers cette date, M. Ryan a appris que H.E.B.B. avait cessé ses activités. L'appelant a déclaré qu'il ne se rappelait pas les conversations téléphoniques antérieures qu'il aurait eues avec M. Ryan. Il a fait savoir que trois Blackwood étaient en cause, soit lui-même, Dwight Blackwood et son propre fils, et qu'il y avait peut-être eu erreur sur la personne pendant les conversations téléphoniques.

[25] M. Keith Rees, qui est également agent des recouvrements et d’exécution à Revenu Canada, a témoigné que l'appelant avait fait l'objet d'une cotisation à l'égard de l'omission de H.E.B.B. de remettre les sommes retenues à la source pour la période allant jusqu'au 25 mai 1993, d'un montant de 8 551,18 $.

[26] Étant donné que Jeff Blackwood avait fait l'objet d'une cotisation à l'égard de l'omission de H.E.B.B. d'effectuer les versements avant le 25 mai 1993, je dois déterminer s’il a, avant cette date, agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[27] En fait, Jeff Blackwood s'intéressait moins à H.E.B.B. qu'à sa propre entreprise. Celle-ci, admettons-le, lui assurait son gagne-pain et c'était à cette entreprise qu'il consacrait tout son temps et toute son attention. Dwight Blackwood est le cousin de Jeff Blackwood. Il effectuait également des études en vue de devenir comptable agréé. Une compagnie dans laquelle M. Dwight Blackwood avait des intérêts finançait H.E.B.B. Dwight Blackwood était responsable des affaires courantes de l'entreprise de H.E.B.B., notamment les dettes. Rien ne montre que les deux Blackwood ait par le passé eu du ressentiment l'un envers l'autre et rien ne montre ni ne laisse entendre que Dwight Blackwood ait été incompétent ou qu'il n'ait pas été digne de foi.

[28] De plus, Jeff Blackwood communiquait constamment avec Dwight Blackwood pendant la période en cause. L'appelant partageait les bureaux de H.E.B.B. Il n'a appris que H.E.B.B. faisait face à des difficultés financières qu'après que la compagnie eut omis de verser les sommes dues. L'appelant a en outre été gravement malade pendant un certain temps au cours de cette période.

[29] Dans ces conditions, l'appelant pouvait avec raison avoir fortement confiance en la capacité de Dwight Blackwood d'exploiter l'entreprise de H.E.B.B. À certains égards, l'appelant pouvait être considéré comme un administrateur externe. Jeff Blackwood a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté, pour prévenir les omissions de remettre les sommes retenues à la source et la taxe nette en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur la taxe d'accise respectivement, qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Partant, l'appelant n'est pas responsable des omissions de H.E.B.B. de respecter ces lois. Les appels sont accueillis avec dépens, le cas échéant, et les cotisations sont annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de février 1998.

Gerald J. Rip

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

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