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Date: 19980708

Dossier: 97-2031-UI

ENTRE :

M.S. THOMPSON AND ASSOCIATES HOLDINGS LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel de l'évaluation que le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établie pour défaut de verser des cotisations d'assurance-chômage de 31 369,52 $ pour 1995 et de 24 266,70 $ pour 1996, plus intérêts et pénalités totalisant approximativement 3 000 $.

[2] L'appelante exploite une entreprise de génie conseil et de conception architecturale qui compte environ 20 actionnaires, 8 administrateurs et 45 travailleurs, pour la plupart des ingénieurs et des architectes. Huit des 11 personnes en cause dans l'appel en l'instance étaient des administrateurs.

[3] Les raisons invoquées à l'appui de l'appel sont énoncées dans l'avis d'appel de l'appelante dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

1. Nous nous opposons à l'évaluation rétroactive aux années 1995 et 1996, du fait des opinions divergentes de deux agents d'évaluation. Les circonstances entourant l'emploi des employés-actionnaires n'ont pas changé depuis qu'une première décision relative au caractère assurable de l'emploi a été demandée en 1994.

2. Si la Cour détermine qu'elle est correcte, l'évaluation de Revenu Canada, Impôt devrait s'appliquer à compter du mois de novembre 1996 (la date de la vérification) et non de façon rétroactive.

[4] Le litige se résume à une question de préclusion (“ estoppel ”). Le 11 avril 1995, Revenu Canada, Douanes, Accise et Impôt, a rendu la décision suivante :

[TRADUCTION]

Décision : 93-95-0047

Compte : TH0400964

M.S. Thompson & Associates Le 11 avril 1995

Service de paie

1345, avenue Rosemount

Cornwall (Ontario)

K6J 3E5

Objet : Jean-Paul Tardif, Donald Branch, Mark Smelko, Richard Eamon, Eric Cameron, David Handy, Ricky Taylor, Gerald Walsh, Ian McLeod, William Woodside et Gerry Knight

Monsieur, Madame,

Nous avons étudié votre demande du 21 décembre 1994 en vue d'obtenir une opinion sur la question de savoir si les travailleurs susmentionnés sont des employés aux fins de l'assurance-chômage.

Nous sommes d'avis qu'au cours des années d'imposition 1991 à 1993, ils n'occupaient pas un emploi assurable en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage chez M.S. Thompson & Associates.

Notre décision est fondée sur les renseignements que vous avez fournis et elle s'applique tant que les faits ne changent pas de façon significative. Le cas échéant, une Demande pur une opinion (formulaire CPT-1) devra être soumise à votre bureau de district d'impôt.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec notre bureau au (613) 954-8222.

Veuillez agréer, Monsieur, Madame, l'expression de mes sentiments distingués.

D. Fife

Centre fiscal d'Ottawa

[5] L'appelante a agi en fonction de cette décision jusqu'au 4 novembre 1996, date à laquelle Revenu Canada a fait volte-face et a exigé environ 55 000 $ au titre de cotisations d'assurance-chômage pour 1995 et 1996 et approximativement 3 000 $ en intérêts et pénalités.

[6] De longues observations écrites ont été faites par Mark Smelko, ingénieur et président de l'appelante. Elles sont résumées aux pages 4 et 5 de la plaidoirie de l'appelante dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Événements subséquents - Les appels

Le déroulement des appels est bien documenté. J'aimerais cependant souligner ce qui suit :

1) C'est uniquement l'évaluation du 4 novembre 1996 qui fait l'objet d'un appel.

2) Notre argument n'est pas que la décision du 11 avril 1995 était valide, nous ne faisons que souligner qu'il s'agit d'un énoncé de fait, à savoir que les 11 personnes en cause n'occupaient pas un emploi assurable.

3) On indique dans la décision que celle-ci vaut jusqu'à ce que les faits changent. Revenu Canada n'a pas répondu à notre appel pour le motif que les faits ont changé.

Argument principal

La décision du 11 avril était fondée sur des renseignements factuels présentés à Revenu Canada qui, ensuite, nous a fait cette déclaration de fait que les 11 personnes en cause n'occupaient pas un emploi assurable. Se fondant sur cette déclaration, notre compagnie a cessé de verser des cotisations d'assurance-emploi et elle a pris d'autres décisions de nature commerciale en tenant compte de prévisions de trésorerie basées en grande partie sur le fait qu'elle ne paierait pas ces cotisations d'assurance-emploi dans un avenir prévisible. Revenu Canada a fait une déclaration à notre attention dans la décision du 11 avril 1995. Revenu Canada devrait être lié par cette décision.

Arguments secondaires

1) Selon la décision du 11 avril 1995, les 11 personnes en cause n'occupaient pas un emploi assurable aux fins de l'assurance-emploi, de sorte que nous n'avons pas omis de verser les cotisations.

2) La décision du 11 avril 1995 était en vigueur à tout le moins jusqu'au 26 octobre 1996. La décision indiquait clairement que Revenu Canada souhaitait nous lier par cette décision à l'avenir, tant que les faits ne changeraient pas de façon significative. Les faits n'ont pas changé de façon significative.

3) Nous avons exploité notre entreprise sur la foi de l'allégement des charges sociales reliées à l'assurance-emploi et nous avons droit à une procédure raisonnable lorsque cet allégement nous est retiré. Rétablir le paiement de cotisations d'assurance-emploi rétroactivement n'est pas raisonnable car une entreprise ne peut revenir en arrière et modifier sa stratégie.

À notre avis, une procédure raisonnable aurait consisté à nous aviser le 26 octobre 1996 que Revenu Canada révisait sa décision antérieure et demandait le paiement de cotisations d'assurance-emploi à compter de cette date. Nous aurions alors eu le choix d'interjeter appel ou non.

Essentiellement, la procédure actuelle nous impose des coûts énormes et nous n'avons en fait pas d'autre choix que d'interjeter appel — une procédure que nous ne souhaitons pas particulièrement financer. Cependant, si nous n'interjetons pas appel, nous devrons débourser un montant considérable. En nous obligeant à recourir aux tribunaux pour faire annuler sa propre décision plutôt que de tenter d'en arriver lui-même à une nouvelle décision avec notre collaboration, Revenu Canada paraît opter pour la ligne dure et la confrontation.

4) Les personnes en cause n'ont pas joui de la sécurité qu'offre le Régime d'assurance-emploi pendant la période en question. De fait, on leur a expressément déclaré qu'elles n'étaient pas admissibles. Vu qu'elles n'étaient pas assurées, et ce d'après une décision de Revenu Canada, comment peut-on réclamer des cotisations rétroactivement? Il est impossible d'offrir la sécurité rétroactivement. Comme preuve d'inadmissibilité, nous proposons deux scénarios :

(i) Si la compagnie avait fait faillite au cours de cette période, les 11 personnes en cause n'auraient pas même pu demander des prestations d'assurance-emploi. Elles travaillaient consciemment sans le filet de sécurité qu'offre l'assurance-emploi et, en cas de difficultés, elles n'auraient eu droit à des prestations d'assurance-emploi. Le rétablissement rétroactif des cotisations ne s'accompagne d'aucun avantage et ne constitue donc pas pour Revenu Canada une façon convenable d'agir.

(ii) Si la compagnie avait versé des cotisations d'assurance-emploi pour les personnes en cause pendant la période en question comme Revenu Canada affirme qu'elle aurait dû le faire, des demandes de prestations présentées par ces personnes auraient probablement été rejetées compte tenu de la décision du 11 avril 1995. À moins qu'une demande d'opinion soit soumise, tel que l'exigeait la première décision, celle-ci devait demeurer en vigueur même si des cotisations étaient versées.

5) Une évaluation rétroactive est injuste pour le motif qu'une telle évaluation implique que la décision ne lie pas Revenu Canada, alors qu'elle nous lie clairement “ tant que les faits ne changent pas de façon significative ”. À quoi sert une décision si elle n'est pas exécutoire? Comment une entreprise peut-elle faire des choix appropriés si une décision n'est pas exécutoire?

6) Nous avons agi de façon régulière et honnête dans tous nos actes et, par conséquent, en tout état de cause, nous ne devrions pas être tenus de payer des intérêts et pénalités. En l'espèce, les intérêts équivalent à une pénalité.

[7] La Cour a été priée de se reporter à la décision rendue par le juge Bowie dans l'affaire Stephen D. Rogers c. La Reine (97-443(IT)I). L'affaire peut être résumée brièvement dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Le contribuable s'est inscrit à un cours après qu'une conseillère d'un Centre d'emploi du Canada lui eut indiqué que la part des frais d'inscription qu'il assumerait lui donnerait droit aux crédits pour frais de scolarité et pour études - La conseillère a affirmé expressément que l'établissement qui offrait le cours était un établissement d'enseignement agréé aux fins des crédits demandés - Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard du contribuable et il a refusé les demandes de crédit pour le motif que le contribuable n'avait pas fréquenté un établissement d'enseignement agréé et qu'il n'avait pas produit le formulaire requis - L'appel du contribuable de la nouvelle cotisation établie par le ministre a été admis - La Couronne a été préclue de prétendre que le contribuable n'avait pas droit aux crédits puisque ce dernier s'était fondé sur une affirmation de fait d'une représentante de la Couronne selon laquelle l'établissement en question était un établissement d'enseignement agréé - On ne pouvait refuser les crédits au contribuable pour défaut d'avoir présenté le reçu prescrit alors qu'il avait demandé ce reçu à l'établissement et qu'il avait fourni au ministre le seul reçu qu'il avait obtenu de l'établissement.

[8] Je me rallie au raisonnement du juge Bowie, qui est tout aussi pertinent en l'espèce. Aux pages 4 et 5, il s'est exprimé dans les termes suivants :

Étant donné les circonstances, la Couronne ne peut nier que Memorex est un établissement reconnu. Il est bien établi que la préclusion (“ estoppel ”) ne peut déroger au droit, et que le ministre n'est pas tenu d'appliquer incorrectement la loi simplement parce que des fonctionnaires ont donné des avis erronés. Cependant, dans les cas y donnant ouverture, la préclusion du fait du comportement s'est toujours appliquée contre la Couronne. L'énoncé classique des conditions requises pour invoquer la doctrine de la préclusion du fait du comportement est formulé dans la décision de la Chambre des lords Greenwood v. Martins Bank, et il a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canadian Superior Oil v. Hambly. Il doit y avoir une déclaration portant sur un fait qui a pour but d'inciter la personne qui fait valoir la préclusion à adopter une certaine ligne de conduite, et cette partie doit avoir agi sur la foi de cette déclaration et subir un préjudice en conséquence. Dans l'affaire qui nous occupe, un ministre de la Couronne, par l'intermédiaire de la conseillère en emploi, a déclaré que l'établissement concerné faisait partie des établissements pour lesquels les crédits prévus à la Loi seraient accordés. L'appelant devait agir sur la foi de ce conseil, et c'est ce qu'il a fait. Il s'agit d'une déclaration portant sur un fait puisque tout ce qui devait être éclairci lorsque l'appelant s'est informé auprès de Mme Knox du traitement fiscal de la partie des frais qu'il assumerait était la question de savoir si Memorex était un établissement qui avait été reconnu. Le conseil donné par Mme Knox équivalait à une déclaration que son ministre avait reconnu Memorex comme étant un établissement du genre de celui qui est décrit aux sous-alinéas 118.5(1)a)(ii) et 118.6(1)a)(ii) de la Loi. Aussi essentielle qu'elle soit à l'application de la loi, la reconnaissance en soi est une question de fait et non de droit. N'eût été la déclaration en question, l'appelant aurait choisi un autre établissement qui était reconnu. Il subit un préjudice du fait, bien sûr, de la nouvelle cotisation à l'encontre de laquelle l'appel en l'instance est interjeté.

[9] Dans la décision du 11 avril 1995 de Revenu Canada, il est déclaré que les personnes concernées n'occupaient pas un emploi assurable. Cette déclaration de fait a incité l'appelante à organiser ses finances à son détriment. Il est tout à fait inadmissible que le ministre puisse revenir sur la décision du 11 avril 1995 rétroactivement. Il se peut que le ministre ait eu le droit de modifier sa position au mois de novembre 1996 pour la période suivant cette date, en supposant que l'appelante serait en mesure de réorganiser ses finances de façon à respecter la nouvelle évaluation.

[10] L'appel est accueilli pour la période rétroactive de 1995 et 1996. L'appelante a convenu de se conformer à compter du 6 novembre 1996 à la nouvelle opinion du ministre inversant sa première opinion.

[11] En résumé, les personnes mentionnées ne doivent pas être considérées comme ayant occupé un emploi assurable au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage en 1995 et jusqu'au 6 novembre 1996. Elle sont considérées comme ayant occupé un emploi assurable après le 6 novembre 1996.

[12] L'appel est accueilli et l'évaluation est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 1998.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de janvier 1999.

Stephen Balogh, réviseur

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