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Date: 19980324

Dossier: 95-4042-IT-G

ENTRE :

EVA MAY BLANCO,

EXÉCUTRICE TESTAMENTAIRE DE FEU JOHN HENRY BLANCO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Dans cette affaire, Eva May Blanco interjette appel en tant qu'exécutrice testamentaire de son défunt mari, John Henry Blanco, décédé le 10 janvier 1995. Elle réclame comme perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (PDTPE) 71 938 $ pour l'année d'imposition 1991, soit une déduction qui avait été refusée par le ministre du Revenu national.

[2] En 1989, l'appelante avait prêté 100 000 $ à une société, dont 50 p. 100 des actions appartenaient à sa fille et à son gendre. La société avait utilisé l'argent pour acquérir le Malibu Bar and Grill, soit un bar-restaurant, qui a fait faillite en 1991. L'appelante a perdu la somme de 100 000 $, et il s'agit de savoir en l'espèce si le prêt a été consenti en vue de gagner un revenu conformément au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[3] Voici les faits de l'espèce qui, pour la plupart, ne sont pas en litige. Avant son décès, M. Blanco était frappé d'incapacité mentale depuis plusieurs années, y compris au cours de la période dans laquelle s'inscrit l'opération qui a donné lieu à cet appel. Mme Blanco avait mené l'opération en question au nom de son époux, en vertu d'une procuration qui lui avait été accordée en septembre 1986. M. et Mme Blanco avaient exploité une ferme avec succès pendant plus de 30 ans. Ils ont vendu la ferme en 1981 — M. Blanco semblait être aux premiers stades de la maladie d'Alzeimer — et sont allés habiter à Winnipeg.

[4] De 1984, à peu près, jusqu'au début des années 90, Teresa — soit la fille de l'appelante —, son époux, Roman Haderer, et leurs trois enfants ont vécu gratuitement dans une maison appartenant à M. et Mme Blanco. Pendant la majeure partie de cette période, Roman et Teresa étaient en chômage et non seulement ils ne payaient pas de loyer, mais Mme Blanco payait généralement les impôts fonciers et les services publics relatifs à l'immeuble et avançait de l'argent aux fins de l'épicerie et d'autres nécessités pour aider Teresa et sa famille.

[5] En août 1989, Roman avait appris de son frère, Richard Haderer, qui était agent immobilier, qu'une entreprise de restauration était à vendre, et on avait demandé à Mme Blanco de prêter la somme de 100 000 $ pour aider à l'achat de l'entreprise. Richard était agent immobilier dans la région de Winnipeg depuis plus de dix ans, et Mme Blanco avait déjà eu affaire à lui concernant la construction de sa maison. Elle mettait toute sa confiance en lui et, comme il devait participer à l'exploitation du restaurant, l'idée de prêter l'argent ne lui faisait pas peur. Elle a dit qu'elle voulait un taux d'intérêt de 12 p. 100 par année sur ce prêt, parce qu'il lui fallait vivre de ses intérêts. Elle a admis en preuve que l'objet premier du prêt était d'aider Teresa et sa famille et qu'elle s'attendait à créer des emplois pour Teresa et Roman et à ne plus devoir les faire vivre.

[6] En 1989, la 2483981 Manitoba Ltd. avait été constituée par Roman et Teresa Haderer et Philippa Haderer, soit la conjointe de Richard Haderer; Roman était le président, et Philippa était la secrétaire. La compagnie avait acquis le Malibu Bar & Grill en septembre 1989, et l'appelante avait puisé dans les réserves monétaires personnelles de son époux et avait avancé la somme de 100 000 $ à la compagnie aux fins de la conclusion de l'opération d'achat. L'incertitude entourant les modalités du prêt donne lieu à cet appel.

[7] L'avocat de la compagnie avait établi un billet, dont il existe trois versions. L'appelante m'exhortait à accepter le billet suivant :

[TRADUCTION]

Billet à ordre

La 2483981 MANITOBA LTD. s'engage à payer à Eva Blanco la somme de CENT MILLE DOLLARS (100 000 $), avec des intérêts de 12 p. 100 calculés semestriellement — non à l'avance —, par versements annuels égaux de VINGT MILLE DOLLARS (20 000 $) chacun, plus les intérêts courus, à partir du 15 septembre 1990 jusqu'au 15 septembre 1994 inclusivement, date à laquelle le montant intégral devra être payé.

DATÉ le 15 septembre 1989.

2483981 MANITOBA LTD.

PAR : Roman Haderer, prés.

Par : P. Haderer, sec.

Ce billet n'a jamais été livré à l'appelante, et l'avocat de la compagnie avait écrit sur le billet original « inopérant » . Une deuxième version du billet, déposée en preuve sous la cote A-1 et datée de septembre 1989, n'indique pas de jour précis, ne fait état d'aucun taux d'intérêt et est signée par seulement un dirigeant de la compagnie. La troisième version, déposée en preuve sous la cote A-1 et datée du 15 septembre 1989, ne prévoit aucun taux d'intérêt mais est signée par Roman et Philippa.

[8] L'appelante n'avait reçu aucune garantie personnelle des dirigeants de la compagnie et n'avait obtenu aucun conseil juridique. En septembre 1989, elle avait versé les 100 000 $ dans le compte en fiducie de l'avocat de la compagnie sans avoir reçu de documents, billets ou autres garanties. Elle faisait confiance aux parties et avait débloqué les fonds, comme elle l'aurait fait dans le cas d'une banque à charte ou d'une compagnie de fiducie pour l'achat d'un certificat de placement garanti. Elle prévoyait de gagner 12 p. 100 d'intérêts, ce dont elle avait besoin pour payer ses frais de subsistance, et a dit que sa motivation était d'aider sa fille et la famille de celle-ci.

[9] L'avocat de la compagnie avait fait en sorte qu'une débenture en faveur de la société soit enregistrée au bureau d'enregistrement des biens meubles du Manitoba. La débenture, dont le taux d'intérêt était de 0 p. 100, visait à fournir une garantie à l'appelante pour son capital. La débenture n'avait pas été signée par Mme Blanco, qui n'y avait pas consenti non plus. L'avocat de la compagnie a expliqué en preuve qu'un taux d'intérêt autre qu'un taux de 0 p. 100 avait été prévu et que, toutefois, un taux inférieur à 12 p. 100 se négociait avec Mme Blanco. Richard Haderer a dit en preuve que, après s'être entendus sur un taux d'intérêt de 12 p. 100, lui et Roman avaient négocié un taux d'intérêt de 10 p. 100 avec Mme Blanco et que la débenture avait été enregistrée pour protéger le capital de Mme Blanco.

[10] La compagnie n'a jamais fait de paiements à Mme Blanco sur le principal ou les intérêts. En septembre 1990, Mme Blanco avait fait en sorte qu'un avocat écrive à la compagnie une lettre de recouvrement exigeant le paiement du principal, lettre qui ne faisait nullement mention d'intérêts. En 1991, l'entreprise de restauration de la compagnie avait fait faillite, et la compagnie était devenue insolvable, ce qui avait fait de ce prêt une créance irrécouvrable. Il semble que Roman ait été incapable d'exploiter le restaurant et, à l'époque où l'entreprise a fait faillite, Roman et Teresa se sont séparés.

[11] À l'époque où les fonds ont été avancés, Mme Blanco était convaincue que le restaurant assurerait du travail à Roman et elle présumait que l'entreprise serait supervisée par Richard Haderer. En outre, elle s'attendait à recevoir des paiements mensuels ou trimestriels. N'ayant reçu aucun paiement après les trois premiers mois, elle s'était entretenue avec Roman au restaurant, sans résultat. Plus tard, en 1990, elle avait fait en sorte que soit envoyée à la compagnie une mise en demeure exigeant le paiement des 100 000 $ conformément aux modalités de la débenture.

Analyse

[12] Il n'y a aucun différend quant au fait qu'il existait un prêt exécutoire. La question est de savoir si le prêt a été accordé en vue de gagner un revenu conformément au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, qui dit qu'un contribuable ne peut déduire une perte résultant de la disposition d'une créance, sauf si la créance a été acquise en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

[13] L'appelante est une personne bonne et généreuse qui, au fil des ans, a aidé sa fille et la famille de celle-ci grâce à ses revenus de placements. Lorsque Roman et Richard l'ont contactée, en août 1989, Richard lui a présenté des projections relatives au revenu de l'entreprise de restauration qui lui démontraient comment le restaurant pourrait générer suffisamment de revenus pour qu'on puisse lui rembourser son prêt, avec intérêts. Elle s'était fiée à l'avis qui lui avait ainsi été donné et avait avancé les fonds. Elle faisait confiance aux emprunteurs plus qu'ils ne le méritaient, et on ne peut lui en tenir rigueur. Cependant, je ne peux faire fi de la réalité.

[14] La Loi exige qu'un prêt ait été accordé en vue de gagner un revenu. Je n'ai aucune difficulté à conclure que l'appelante a consenti le prêt en vue d'aider sa fille et la famille de celle-ci et que sa principale considération était sa famille. Le moment à prendre en compte relativement à l'intention de l'appelante est le moment auquel le prêt a été consenti1.

[15] Je comprends bien le point de vue de l'appelante, mais, malgré tous mes efforts, je ne peux parvenir à une conclusion qui lui soit favorable. Bien que l'appelante eût prévu de recevoir un revenu en intérêts sur son placement, je ne peux faire fi du fait qu'il s'agissait d'un prêt familial et que le principal souci de l'appelante était d'aider sa famille. Ni Roman ni Teresa n'ont témoigné. L'appelante avait la charge de prouver qu'elle avait accordé le prêt en vue de gagner un revenu, charge dont elle ne s'est pas acquittée.

[16] L'appel est rejeté, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 1998.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de juillet 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1 Lowery v. M.N.R., 86 DTC 1649, juge Sarchuk, C.C.I.

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