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Date: 19980506

Dossier: 96-2222-IT-G

ENTRE :

MARCEL BEAUDRY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Dans ces appels interjetés par Marcel Beaudry à l’encontre des cotisations pour les années 1982 et 1983, il s’agit de déterminer si la mauvaise créance était une perte d’entreprise ou une perte au titre d’un placement d’entreprise et si la créance est devenue mauvaise en 1982 ou en 1983. Me Beaudry en a également appelé de la cotisation établie à l’égard de l’année 1981, mais il s’est désisté de cet appel au procès. Cet appel est par conséquent rejeté.

[2] Marcel Beaudry est un avocat qui a pratiqué le droit dans la région de l’Outaouais au Québec pendant environ 25 ans. Il a également participé à de nombreuses entreprises risquées au cours des ans. Me Beaudry a évoqué sa participation dans au moins 33 sociétés depuis le début des années 60 jusqu’à la date du procès. Même si certaines sociétés ne détenaient pas de biens immobiliers - une d’entre elles exploitait un restaurant, par exemple, - la plupart détenaient des immeubles. Me Beaudry détient également, ou a détenu, en son nom personnel des droits sur des immeubles, que ce soit à titre d’associé, de copropriétaire ou de coentrepreneur. Me Beaudry ne faisait pas affaire dans le domaine du prêt d’argent; il s’est rappelé avoir effectué des prêts uniquement à deux occasions.

[3] Les immeubles appartenant à Me Beaudry à titre personnel ou autrement ou par l’entremise d’une société étaient détenus à titre de biens en immobilisation (placement) et de biens pour la revente (stock). Me Beaudry, par exemple, détenait des droits dans des immeubles de rapport résidentiels et commerciaux, dont un hôtel, pour son propre compte à titre de copropriétaire ou d’associé. La plupart des sociétés dans lesquelles il possédait des actions achetaient des terrains en vue de les revendre, notamment dans le cadre de l’aménagement de copropriétés, mais elles pouvaient également les détenir à titre de biens de placement.

[4] L’achat de biens immeubles était généralement financé au moyen de prêts bancaires. Me Beaudry a personnellement garanti tout prêt effectué à une société. Il va de soi qu’il était personnellement responsable des prêts consentis à des entreprises sans personnalité morale. Il s’attendait à gagner un revenu des sociétés, peu importe leurs activités, en touchant des dividendes, un salaire ou une prime.

[5] Le 28 octobre 1971, Me Beaudry, en association avec trois autres personnes, MM. Maurice Marois, Roger Lachapelle et Pierre Crevier, a fait constituer en société Les Investissements Mirage Inc. ( « Mirage » ) dans le but d’acheter et de vendre des terrains. En 1978, M. Crevier a transféré ses actions dans Mirage aux trois autres actionnaires de sorte que, par la suite, l’appelant, Lachapelle et Marois détenaient chacun 16 2/3 des 50 actions émises de Mirage.

[6] Me Beaudry a joué un rôle actif dans la direction de Mirage, agissant à titre d’administrateur et de dirigeant. Toutefois, toutes les décisions concernant l’acquisition ou la vente de terrains par Mirage nécessitaient le consentement de tous les actionnaires.

[7] À compter du mois de novembre 1972, Mirage a acquis des terres dans le cadre d’une dizaine de transactions. Mirage a acheté la plupart des lots à titre de propriétaire unique, mais il a également acquis d’autres lots conjointement avec d’autres acheteurs. Le coût global de tous les terrains, aux environs de 2 000 000 $, a été financé par des prêts hypothécaires et des prêts bancaires consentis par la Banque de Montréal. Les trois actionnaires de Mirage étaient solidairement responsables des prêts bancaires.

[8] L’exercice de Mirage s’est terminé le 31 octobre.

[9] En raison des mauvaises conditions du marché qui prévalaient à la fin des années 70, Mirage a eu de la difficulté à disposer de ses terrains. Deux parcelles de terrain ont été reprises par les créanciers hypothécaires. Une autre a fait l’objet d’une expropriation. La vente des terrains de Mirage a entraîné des pertes nettes qui ont été déclarées comme pertes d’entreprise aux fins fiscales, et la cotisation a été établie en fonction de cette déclaration par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ). Il semble que les profits des ventes des années précédentes aient été déclarés comme revenus d’entreprise.

[10] En 1982, en raison, semble-t-il, des taux d’intérêt élevés et de la chute de la valeur des terrains, Mirage devait à sa banque 1 803 000 $. Les actifs de Mirage ne suffisaient pas à payer les intérêts du prêt bancaire, et les actionnaires ont avancé des fonds à cette fin.

[11] Me Beaudry et les deux autres actionnaires ont tenté de négocier avec la Banque de Montréal un règlement aux termes duquel Mirage aurait délaissé ses terrains au profit de la banque en paiement de sa dette. La Banque de Montréal a rejeté la proposition et a insisté pour que les actionnaires respectent leur garantie. En 1992, les actionnaires ont finalement conclu avec la banque le règlement suivant : M. Lachapelle devait assumer la responsabilité d’une partie de la dette, soit 450 000 $, et les deux autres actionnaires deviendraient personnellement responsables du solde. À leur tour, les actionnaires étaient subrogés aux droits de la banque.

[12] En octobre 1982, Mirage a transféré un tiers de ses droits sur les terrains à une société appartenant à M. Lachapelle et le reste à Me Beaudry et M. Marois. Les terrains ont été transférés pour la somme de 1 870 000 $, soit la juste valeur marchande approximative à la date en question; la valeur comptable des terrains pour Mirage s’élevait à 2 407 631 $. Dans le cadre de cette opération, Mirage a subi une perte de l’ordre de 537 631 $. Après le transfert des terrains, Mirage ne possédait plus aucun bien réalisable et a cessé toute activité commerciale.

[13] À la suite du transfert des terrains à ses actionnaires, Mirage devait à ces derniers la somme de 575 758 $[1]. Le total des actifs reporté au bilan de Mirage au 31 octobre 1982 s’élevait à 162 894 $. Selon Me Beaudry, les actifs n’avaient aucune valeur réelle : un montant de 21 593 $ dû par une société affiliée était irrécouvrable puisque le débiteur ne possédait aucun actif; une participation dans une société de personnes (parfois appelée la « société Terre Chevrette » ) d’une valeur comptable de 132 457 $, était également sans valeur réelle. Les partenaires n’ont pas encore réalisé quoi que ce soit de cette société. Me Beaudry a déclaré ne pas être au courant du troisième actif, une somme à recevoir résultant d’un placement.

[14] Les droits sur les terrains transférés par Mirage à Me Beaudry et M. Marois étaient détenus par ces derniers à titre de copropriétaires sous le nom de « Développement Terrains Beaudry et Marois » ( « Développement » ). Un état des résultats pour les mois de novembre et décembre 1982 a été préparé pour refléter la créance et les actifs transférés au 31 octobre 1982. L’état révèle une perte de 33 940 $ pour les deux mois.

[15] L’appelant soutient que, à la fin de l’année civile 1982, l’entreprise était inactive, qu’elle ne possédait aucun actif réalisable et que ses actions n’avaient aucune valeur. Au 31 octobre 1982, Mirage devait à ses actionnaires la somme de 575 758 $. La part de Me Beaudry dans la créance était de 194 242 $. À cette époque, Me Beaudry était d’avis que Mirage ne serait jamais en mesure de rembourser aucune partie de la créance à ses actionnaires. La créance était mauvaise en 1982. Par conséquent, lorsqu’il a calculé ses revenus pour 1982, M. Beaudry a déclaré la somme de 194 242 $ à titre de mauvaise créance[2]. À son avis, la dette avait été contractée dans le cadre de l’activité de l’entreprise et, par conséquent, toute la créance était déductible à titre de perte d’entreprise. Le Ministre a établi une nouvelle cotisation pour 1982 dans laquelle il a refusé la déduction de l’appelant au titre d’une perte d’entreprise. Une des raisons pour lesquelles le Ministre a considéré que la créance n’était pas mauvaise en 1982 repose sur le fait que, dans l’année civile 1983, Mirage a versé 149 486$ en dividendes. Lorsqu’il a établi la cotisation de l’appelant pour 1983, le Ministre a considéré que la créance était devenue mauvaise en 1983 et qu’elle constituait une perte en capital. Me Beaudry a été autorisé à déduire un montant de 97 121 $ (50 % de la perte) comme perte déductible au titre d’un placement d’entreprise.

[16] Le Ministre affirme que les prêts de Me Beaudry à Mirage étaient imputables au compte d’immobilisations. Me Beaudry n’a pas acquis les actions de Mirage dans le but d’en disposer à profit. Il ne faisait pas affaire dans le domaine du prêt d’argent ou des cautionnements. Me Beaudry n’a jamais reçu de contrepartie pour avoir garanti un prêt accordé à une société ou à qui que ce soit. L’appelant comptait faire de l’argent en recevant des dividendes, des salaires, des primes ou d’autres avantages de la société Mirage.

[17] M. Gaétan Lafleur a témoigné pour le compte de l’appelant. M. Lafleur est l’agent des appels à Revenu Canada qui a examiné les cotisations en litige après que l’appelant eut déposé les avis d’opposition appropriés. M. Lafleur a déclaré, entre autres choses, que Mirage, selon son bilan au 31 octobre 1982, détenait 160 000 $ d’actifs et, par conséquent, les fonctionnaires du Ministère ont jugé que, le 31 décembre 1982, la totalité de la créance des actionnaires n’était pas mauvaise.

[18] M. Lafleur a également cité le paragraphe 10 du Bulletin d’interprétation de Revenu Canada no IT-159R3[3], pour défendre la position de Revenu Canada selon laquelle un contribuable peut réclamer une perte en capital à l’égard d’une créance qui lui est due uniquement lorsque la totalité de la créance est mauvaise.

[19] M. Lafleur a également confirmé que Revenu Canada avait permis à M. Lachapelle de déduire en 1982 sa part d’avance d’actionnaire à Mirage puisque, à ce moment-là, M. Lachapelle n’était plus un actionnaire, ni un dirigeant, ni un administrateur de Mirage[4]. M. Lafleur a également déclaré que le compte des prêts des actionnaires de Mirage pour la période se terminant le 31 octobre 1983 faisait état de transactions en ce qui a trait à M. Marois et Me Beaudry.

[20] M. Daniel Amyotte, comptable agréé du cabinet Levesque, Marchand, a également témoigné pour le compte de l’appelant. M. Amyotte n’a pas préparé les états financiers de Mirage pour 1981, 1982 et 1983. Ceux-ci ont été préparés par M. Ronald Belisle, C.A., décédé en 1991. M. Amyotte avait examiné les documents de travail de M. Belisle afin de se familiariser avec la situation pour être en mesure de témoigner à l’audience du présent appel.

[21] M. Amyotte a déclaré dans son témoignage que, selon les documents de travail de M. Belisle, Mirage avait conservé sa participation dans la société Terre Charette au cours des mois de novembre et de décembre 1982. Au cours de cette période, Mirage a engagé des dépenses de l’ordre de 8 744 $ dans le cadre de la société. (Ces données sont confirmées par la déclaration de revenu de Mirage pour son exercice 1983.)

[22] L’examen des documents de travail de M. Belisle n’a pas permis à M. Amyotte de déterminer la raison pour laquelle les livres de Mirage au 31 octobre 1982 continuaient de faire état de trois actifs, soit la société Terre Charette, une avance à une société affiliée et une somme à recevoir résultant d’un placement. Il a supposé que c’était parce que les biens n’étaient pas productifs de revenu. Il a expliqué que la société Terre Charette avait pu être transférée de Mirage en tout temps entre le 1er novembre 1982 et le 31 décembre 1982 de sorte qu’elle figurerait encore dans un état du 31 octobre 1983. M. Amyotte pense que, au 1er janvier 1983, tous les actifs de Mirage avaient été transférés à Développement.

[23] Les divers biens immeubles acquis de Mirage en 1982 sont décrits dans la note 1 afférente aux états financiers de Développement pour les deux mois se terminant le 31 décembre 1983. La note 3 fait état de l’hypothèque détenue par la Banque de Montréal sur les terrains acquis de Mirage et prise en charge par Me Beaudry et M. Marois.

[24] Mirage avait engagé des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 octobre 1983. M. Amyotte a expliqué que certaines des dépenses étaient des intérêts et des frais bancaires et des honoraires professionnels qui « auraient pu être des dépenses qui s’étalaient sur tout l’exercice de la société, soit du 1er novembre au 31 octobre » . Il a ajouté « même si les revenus cessent, certaines dépenses doivent encore être engagées » . Même si M. Amyotte était d’avis que, au 31 décembre 1982, tous les biens de Mirage, à l’exception de sa participation dans la société Terre Charette et sa créance, avaient été transférés à Développement, il ne savait pas avec certitude à quel moment la participation dans la société Terre Charette avait été transférée.

[25] En contre-interrogatoire, M. Amyotte, après avoir examiné les pages 14 et 15 de la pièce A-23, a convenu avec l’avocat de l’intimée qu’une écriture de journal datée de mars 1983 indique que la valeur de réalisation nette de la société Terre Charette a été transférée de Mirage en mars 1983 et que, le 1er janvier 1983, la société constituait un actif de Mirage. Comme il l’a expliqué à l’avocat de l’appelant, il est également possible que le transfert de la société ait été inscrit au dossier de son cabinet en mars 1983.

[26] En ce qui a trait à l’activité du compte des prêts des actionnaires de Mirage, l’explication de M. Amyotte était simple : son examen a révélé que, en dépit du fait que la banque de Mirage ait reçu le conseil de fermer le compte de la société le 31 octobre 1982, « ou à un moment quelconque avant le 31 octobre 1982 » , la banque n’avait pas suivi cette directive et des transactions ont été inscrites au compte bancaire. M. Amyotte a expliqué que ces transactions ne concernaient que les actionnaires parce qu’il ne restait plus aucun actif dans Mirage. Tous les montants qui figurent au compte des prêts des actionnaires sont passés dans le compte bancaire de Mirage, mais en réalité ils appartenaient aux actionnaires, a-t-il conclu.

[27] Le bilan de Mirage au 31 octobre 1982 révèle une dette de 575 758 $ envers les actionnaires. L’avocat de l’appelant a montré à M. Amyotte plusieurs états financiers de Mirage pour 1983 afin d’expliquer la réduction du montant dû aux actionnaires qui est passé de 575 758 $ à zéro à la fin de 1983. Le montant dû par une société affiliée (21 593 $) et la participation dans la société Terre Charette et d’autres placements figurant au bilan de Mirage au 31 octobre 1982 (141 301 $) ont été radiés. Mirage a également subi une perte de 13 358 $ au cours de son exercice 1983, et la perte a été déduite du total des montants radiés (162 894 $) laissant un solde de 149 486 $. Entre-temps, les actifs ont été transférés aux actionnaires, et des écritures de compensation ont été effectuées aux fins du bilan.

[28] M. Amyotte a expliqué que le montant de 149 486 $ avait été ajouté au revenu des actionnaires à titre de dividende pour éviter que la valeur de tout profit soit ajoutée au revenu des actionnaires à la suite du transfert des actifs. Le dividende correspondait à la valeur nette des actifs transférés aux actionnaires moins les dépenses et la perte pour l’année découlant de la participation à la société Terre Charette.

[29] M. Amyotte a reconnu que, plutôt que de traiter le montant de 149 486 $ comme un dividende, la transaction aurait pu être structurée différemment. Toutefois, a-t-il conclu, la méthode du dividende constituait « la meilleure façon de transférer des actifs et d’imputer, à tout le moins à des fins fiscales, le montant correspondant à la valeur des actifs » .

[30] En contre-interrogatoire, M. Amyotte a convenu avec l’avocat de l’intimée que Me Beaudry et M. Marois avaient payé à Mirage le coût de sa participation dans la société Terre Charette en déclarant un dividende. M. Amyotte et l’avocat de l’intimée ont reconnu que le dividende avait été « payé » pendant l’exercice 1983 de Mirage et l’année civile 1983. Selon l’avocat de l’intimée, Mirage ne pouvait mettre fin à ses activités pendant l’année civile 1982 si un dividende était versé dans l’année civile 1983. M. Amyotte a expliqué qu’il avait tenu pour acquis que les actifs de Mirage avaient été retirés avant le 31 décembre 1982. Dans les circonstances, il n’a pas jugé nécessaire que le dividende soit versé en 1982 également puisqu’il ne s’agissait pas d’une « transaction commerciale » mais d’un « paiement à un actionnaire » .

[31] Répondant à une de mes questions, M. Amyotte a convenu que, au 31 octobre 1982, Mirage avait évalué ses actifs au coût ou à la valeur du marché, selon le moins élevé des deux et que, au jour en question, les actifs ont pu être réalisés au montant de 162 000 $. M. Amyotte a reconnu que la somme de 412 000 $ ne serait vraisemblablement jamais payée; qu’il s’agissait d’une mauvaise créance. Il a reconnu que, sur le montant de 575 758 $ dû aux actionnaires, 162 894 $[5] n’étaient pas irrécouvrables. Il a expliqué que si la perte de 575 758 $ avait été radiée, Mirage posséderait encore des actifs « de sorte que, pour remettre ces actifs entre les mains des actionnaires, nous devions fournir une contrepartie quelconque et c’est la raison pour laquelle le dividende a été versé parce que le montant du prêt des actionnaires qui a été radié est le même montant qui figure au bilan du 31 octobre 1982 et il n’a rien à voir avec les transactions postérieures à cette date » .

Argumentation

[32] L’avocat de l’appelant a fait valoir que, compte tenu du fait que son client avait l’habitude de contracter des emprunts personnels, de garantir des prêts, de prendre à sa charge personnellement des dettes contractées par des sociétés dont il était actionnaire et, en dernier lieu, étant donné que les activités de Mirage consistaient à acheter et à vendre des terrains en vue d’un profit, la perte de Me Beaudry provenant de la dette de Mirage à l’endroit de ses actionnaires constituait une perte d’entreprise.

[33] Il existe une présomption selon laquelle l’achat d’actions d’entreprises constitue un placement en actif immobilisé[6]. La participation d’un contribuable dans une société de personnes peut également être réputée constituer une immobilisation. Une avance faite par un actionnaire à la société ou des débours effectués par celui-ci pour le compte de la société sont aussi généralement imputés au compte d’immobilisations[7]. Dans l’arrêt Easton et autre c.La Reine et autre, le juge Robertson a déclaré que les mêmes considérations étaient applicables aux garanties données par des actionnaires à l’occasion de prêts consentis à des sociétés[8].

[34] Le juge Robertson a fait remarquer qu’il existe deux exceptions reconnues au principe général selon lequel de telles pertes sont généralement imputées au compte d’immobilisations :

Premièrement, il se peut que le contribuable soit en mesure de démontrer que le prêt a été consenti dans le cours normal des activités de son entreprise. L’exemple classique est celui du contribuable/actionnaire qui est dans l’entreprise de prêt d’argent ou d’octroi de garanties. La deuxième exception[9] est [...] lorsqu’un contribuable possède des actions dans une société non pas comme un placement mais comme un actif commercial, la perte résultant d’une dépense accessoire, y compris un paiement effectué à l’occasion d’une garantie, sera imputable au compte de revenu.

[35] Une personne qui acquiert des actions dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial peut également bénéficier de la deuxième exception.

[36] Il est vrai que Me Beaudry s’est employé et qu’il s’emploie encore activement à faire des placements. À titre d’actionnaire, Me Beaudry peut être appelé à garantir des prêts souscrits par une société particulière. Il est normal et non inhabituel qu’un prêteur d’argent qui consent un prêt à une société privée demande que celui-ci soit garanti, habituellement par des garanties personnelles des actionnaires de la société. Certes, un associé est responsable des dettes de la société. Le seul fait qu’une personne fasse des placements et qu’elle soit requise de garantir des prêts consentis à l’instrument de placement n’a pas pour effet de transformer ce placement en une entreprise, comme le laisse entendre l’avocat de l’appelant.

[37] L’appelant ne fait pas affaire dans le domaine du prêt d’argent ou des cautionnements. Il n’a pas garanti la dette de Mirage à l’égard de la banque pour protéger le fonds de commerce de l’une de ses entreprises. En dernier lieu, il n’a pas acquis les actions de Mirage dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

[38] Me Beaudry a acquis les actions de Mirage à titre de placement. Il a garanti la dette en question en sa qualité d’actionnaire de Mirage. La garantie a été portée au compte d’immobilisations et, à ce titre, la perte ne peut être déduite par l’appelant dans le calcul de son revenu : alinéa 12(1)b) de la Loi.

[39] La perte de l’appelant à l’égard de la mauvaise créance de 194 242 $ était une perte en capital qui constitue une perte au titre d’un placement d’entreprise : alinéa 39(1)c).

[40] L’avocat de l’intimée a soutenu que la dette de 194 242 $ ne constituait pas une mauvaise créance pour l’appelant en 1982 parce que Mirage possédait suffisamment de biens pour payer un dividende en 1983. Il a également soutenu que, puisque l’alinéa 50(1)a) de la Loi, qui traite de la disposition réputée d’une mauvaise créance pour un produit nul, fait état d’ « une créance » , c’est la totalité et non une partie de celle-ci qui doit être mauvaise au cours de l’année en question avant de pouvoir être reconnue comme étant mauvaise.

[41] L’alinéa 50(1)a) est en partie libellé comme suit :

Aux fins de la présente sous-section,

(a) lorsqu’un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition [...] s’est révélée être au cours de l’année une mauvaise créance; le contribuable est réputé avoir disposé de la créance [...] à la fin de l’année [...][10].

[42] L’intimée a soutenu que la créance dont il est question à l’alinéa 50(1)a) ne peut être divisée d’aucune façon et que l’ensemble de la créance doit être mauvaise avant de pouvoir être reconnue comme telle. Selon l’avocat de l’intimée, l’article 20 de la Loi renvoie à des créances commerciales courantes dont le caractère est différent des créances mentionnées à l’article 50. L’article 20 fait également état de « créances » .

[43] Il est manifeste qu’en 1982 l’appelant n’aurait jamais réussi à recouvrer la totalité de la créance. Il incombe au contribuable d’établir à quel moment une créance, qu’elle soit imputée au compte d’immobilisations ou de revenu, est devenue mauvaise. C’est à partir du moment où le contribuable détermine raisonnablement qu’il ne réussira pas à recouvrer la totalité de la créance que celle-ci devient mauvaise. Le contribuable doit déterminer objectivement en s’appuyant sur des motifs raisonnables si la créance est mauvaise ou non. Il ne s’agit pas d’un critère objectif qui permet au Ministre de mettre en doute l’appréciation commerciale de l’appelant. Dans le cas d’une créance imputée au compte d’immobilisations, si la détermination du contribuable est incorrecte et que la totalité ou une portion de la créance est recouvrée, celui-ci paiera alors l’impôt dans l’année du recouvrement de la créance puisque le coût de base rajusté est nul.

[44] Dans l’affaire Hogan v. M.N.R., 56 DTC 183, la Commission d’appel de l’impôt a examiné la notion de mauvaise créance, bien que ce soit dans le contexte d’une disposition que l’alinéa 20(1)p) remplace, et elle a formulé ce qui suit à la p. 193 :

[TRADUCTION]

« Par conséquent, aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, une mauvaise créance peut comprendre l’ensemble ou une partie d’une créance au sujet de laquelle le créancier, après avoir personnellement examiné les facteurs pertinents exposés plus haut, dans la mesure où chacun d’entre eux peut être retenu à l’égard de chacune des créances, peut honnêtement et raisonnablement décider qu’elle est irrécouvrable à la fin de l’exercice financier lorsque cette décision doit être prise, bien que par la suite il puisse y avoir des événements qui fassent que la dette ou une partie de celle-ci puisse en fait être recouvrée. Cette décision doit être prise par le créancier (ou un de ses employés), car il a une connaissance personnelle et complète des faits et des circonstances entourant non seulement chacune des créances, mais également, autant que possible, chacun des débiteurs (bien que cette dernière condition soit improbable dans le cas d’une créance d’un service de vente par correspondance où il faudrait vraisemblablement se fier à des rapports de crédit ou autres documents ou à l’opinion de tiers).

Comme je l’ai déjà mentionné, je suis d’avis que ce contribuable, après avoir pris en compte les divers facteurs connus à l’époque ou prévisibles dans un proche avenir, a honnêtement et raisonnablement conclu que la créance de l’ordre de 3 190,17 $ de ses comptes clients était mauvaise le jour de la vente de son entreprise personnelle à la nouvelle société.

L’avocat de l’intimé a également soutenu qu’un compte client ne pouvait être partiellement mauvais et partiellement douteux ni même partiellement mauvais et partiellement recouvrable. J’ai mentionné précédemment les circonstances expliquées par l’appelant à l’égard d’au moins une créance qu’il jugeait partiellement mauvaise et partiellement recouvrable. L’appelant a fourni d’autres exemples dans son témoignage, et je suis convaincu qu’une créance peut être considérée comme étant en partie mauvaise et en partie recouvrable dans certaines circonstances lesquelles peuvent varier dans chaque cas.

[45] La décision de la Commission a été suivie récemment par cette cour dans l’affaire Granby v. M.N.R., 89 DTC 456. Le juge Lamarre Proulx de la C.C.I. a convenu que c’est la détermination du contribuable qui importe et a également conclu que les mauvaises créances pouvaient être réparties sur plusieurs années aux termes du paragraphe 50(1). Plus récemment encore, la Cour d’appel fédérale a approuvé le juge Archambault de cette cour d’avoir fait sien l’extrait cité dans Hogan : voir Flexi-Coil Ltd. v. The Queen, 96 DTC 6350.

[46] Lorsque M. Lachapelle a déclaré que sa part de la créance due aux actionnaires par Mirage était mauvaise en 1982, Revenu Canada a, à bon droit, accepté sa décision. Le litige portait sur la question de savoir si la perte devait être portée au compte d’immobilisations ou de revenu11 . On a laissé entendre que Revenu Canada a accepté la déclaration de M. Lachapelle selon laquelle il s’agissait d’une mauvaise créance en 1982 parce que ce dernier n’était plus actionnaire de Mirage mais a rejeté la déclaration de Me Beaudry pour la même année puisque celui-ci était encore actionnaire. Je ne comprends pas les motifs de la décision du Ministre. Les créances de Mirage envers Me Beaudry et M. Lachapelle étaient de nature semblable. S’il y avait suffisamment d’actifs dans Mirage, alors ces actifs étaient à la disposition de tous les créanciers, y compris Me Beaudry et M. Lachapelle. Il n’a pas été établi en preuve que Me Beaudry a participé à une décision des administrateurs de Mirage établissant qu’il serait payé et que M. Lachapelle ne le serait pas. De plus, je ne comprends pas pourquoi, dans les circonstances de l’espèce, un non-actionnaire serait mieux placé pour décider qu’une créance est mauvaise qu’un actionnaire, plus particulièrement si l’actionnaire est un dirigeant et un administrateur de la société. Un administrateur d’une société aurait normalement beaucoup plus de renseignements à sa disposition pour lui permettre de prendre une telle décision qu’une personne de l’extérieur de la société. Pour Mirage, il importe peu que Me Beaudry ait ou n’ait pas été un actionnaire. Si la créance était mauvaise pour M. Lachapelle, et elle l’était également pour Me Beaudry.

[47] Il incombe au contribuable de déterminer à quel moment une créance est mauvaise, et il était raisonnable que Me Beaudry ait conclu que la créance en l’espèce était devenue mauvaise en 1982.

[48] Les appels relatifs aux années 1982 et 1983 sont admis avec frais au motif que, en 1982, l’appelant a subi une perte au titre d’un placement d’entreprise de l’ordre de 194 242 $; la cotisation pour l’année 1983 sera rajustée en conséquence et le Ministre, dans l’établissement de cette cotisation, devra appliquer à Me Beaudry tous les crédits qui peuvent être reportés à 1983.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mai 1998

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de juillet 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1]            À la fin de son exercice de 1981, Mirage devait 41 992 $ aux actionnaires et 1 803 000 $ à la banque. À la fin de son exercice de 1982, Mirage devait 575 758 $ aux actionnaires et plus rien à la banque.

[2]            La part de M. Marois dans la créance était de 238 036 $ et celle de M. Lachapelle, de 143 480 $.

[3]            Ce bulletin porte la date du 1er mai 1989 et le paragraphe en question est semblable au paragraphe 9 du bulletin d’interprétation de Revenu Canada no IT-159R2, daté du 18 décembre 1979.

[4]            En calculant son revenu de 1982, M. Lachapelle a également déduit toute la créance, comme l’a fait Me Beaudry, en tant que perte d’entreprise. Le Ministre a refusé la déduction mais a permis à M. Lachapelle de réclamer une perte au titre d’un placement d’entreprise, et la Cour a confirmé la cotisation : 90 DTC 1876.

[5]            Me Beaudry a insisté précédemment sur le fait que la valeur comptable des actifs totalisant la somme de 162 894 $ n’avait aucune valeur au marché, et j’accepte ce point de vue.

[6]            Irrigation Industries Limited v. M.N.R., 62 DTC 1131 (C.S.C.)

[7]            Easton et al. v. The Queen et al., 97 DTC 5464 (C.A.F.)

[8]            Précité, page 5468.

[9]           Précité, page 5468, où M. le juge Robertson a cité Freud v. M.N.R. [1969] R.C.S. 75 pour ce qui est de la deuxième exception.

[10]          L’alinéa 20(1)p) précise que les mauvaises créances sont le total des montants suivants:

            — le total des créances du contribuable

            (i) qu’il a prouvées être de mauvaises créances dans l’années, et [...]

11          Précité.

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