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Date: 19990521

Dossiers: 98-908-UI; 98-146-CPP

ENTRE :

SATURN CONSTRUCTION SYSTEMS LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

HENRYK SITEK,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune, à Vancouver (Colombie-Britannique), les 18 et 19 mai 1999. Le président de l'appelante, M. Frans Pellikaan, a témoigné et a appelé à la barre des témoins, dans l'ordre : Dmitriy Kononenko; Russell Hopeton; son frère, David Pellikaan; l'intervenant, Henryk Sitek; Sandor Berke et Carl Bouchard.

[2] Les paragraphes 2 à 6, inclusivement, de la réponse à l'avis d'appel qui a été déposée dans le dossier 98-908(UI) énumèrent les questions dont la Cour a été saisie. Ces paragraphes se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

2.                     Par avis d'évaluation daté du 20 novembre 1997 (l' « évaluation » ), l'intimé a établi une évaluation de la somme que l'appelante devait payer au titre, entre autres, des cotisations d'assurance-emploi (les « cotisations » ), soit 13 788,93 $, conformément à la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « LAE » ), relativement aux services fournis à l'appelante, pendant l'année d'imposition 1997, par les particuliers énumérés dans la liste figurant à l'annexe A ci-jointe [dans sa version modifiée lors de l'audience], étant donné que l'appelante a omis de retenir sur la rétribution de ces particuliers les cotisations prévues par la LAE et de remettre celles-ci au receveur général du Canada (le « receveur général » ).

3.                     En réponse à la demande de révision de l'évaluation que l'appelante avait présentée en vertu de l'article 92 de la LAE, l'intimé a confirmé l'évaluation.

4.                     Pour établir cette évaluation à l'égard de l'appelante, l'intimé s'est entre autres fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)                    l'appelante exploitait une entreprise de construction;

b)                    l'appelante a embauché les particuliers nommés à l'annexe A (les « travailleurs » ) pour effectuer les travaux suivants : menuiserie, peinture, bardage, installation de revêtement mural et de revêtement de plancher, finition et travaux n'exigeant pas de connaissances particulières;

c)                    les travailleurs fournissaient leurs propres marteaux, ceintures à outils, rubans gradués, pinceaux-brosses et casques protecteurs;

d)                    l'appelante fournissait tous les matériaux ainsi que les échelles, scies circulaires, pulvérisateurs à peinture, préparateurs et autres gros outils dont les travailleurs avaient besoin pour exécuter leurs tâches;

e)                    on disait aux travailleurs où travailler, quoi faire et comment le faire, quand commencer à travailler et quand prendre un temps de repos;

f)                     l'appelante supervisait les travailleurs et consignait les heures de travail de chacun;

g)                    l'appelante rémunérait les travailleurs selon un taux horaire;

h)                    les travailleurs n'étaient pas responsables des travaux incomplets ou mal exécutés; s'ils devaient refaire des travaux, ils recevaient leur salaire horaire habituel;

i)                      les travailleurs n'engageaient aucune dépense dans l'exécution de leurs fonctions, sauf pour ce qui est des petits outils;

j)                      les travailleurs qui étaient dans l'impossibilité d'exécuter leurs fonctions ne pouvaient se faire remplacer par d'autres travailleurs;

k)                    certains des travailleurs avaient, dans l'année d'imposition 1996, fournis à l'appelante les mêmes services, selon les mêmes modalités, et l'appelante considérait alors ces travailleurs comme des employés;

l)                      l'appelante a omis de retenir sur la rétribution payée aux travailleurs les montants prévus par la LAE au titre des cotisations et a également omis de remettre au receveur général les montants payables au titre de la cotisation ouvrière ou de la cotisation patronale, et elle est redevable de ces montants, et des intérêts sur ces montants, au receveur général.

B.                   DISPOSITIONS LÉGISLATIVES SUR LESQUELLES L'INTIMÉ SE FONDE ET MOTIFS INVOQUÉS PAR L'INTIMÉ

5.                     L'intimé se fonde sur l'alinéa 5(1)a), le paragraphe 2(1) et les articles 82, 85 et 92 de la LAE, dans sa version modifiée.

6.                     L'intimé soutient, avec respect, qu'il a correctement établi une évaluation de ce que devait payer l'appelante, conformément aux articles 82 et 85 de la LAE, puisque les travailleurs exerçaient pour cette dernière, en 1997, un emploi assurable aux termes d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la LAE, et que l'appelante a omis de retenir sur la rétribution payée aux travailleurs les montants payables au titre de la cotisation ouvrière et a également omis de verser au receveur général les montants correspondant à la cotisation ouvrière ou à la cotisation patronale qui était payable, et qu'elle est par conséquent redevable de ces montants, et des intérêts sur ces montants, au receveur général.

[3] Les particuliers dont il est question sont :

Sandor Berke

S. Boucher

David Pellikaan

Yuri Concharenko

Russell Hopeton

Jimmy Bouchard

Carl Bouchard

Henryk Sitek

Alexander Doubrov

Roman Pawlak

Aldimar Von Angel

Stepan Veltchev

Angelo Markov

Edourd Bakechiev

Dmitriy Kononenko

Evgeni Kostiouk

Taras Kostyuk

Gyula Lovas

Jerry Peitecha

Fernand Bouchard

[4] Les hypothèses figurant aux alinéas 4a), b), c), d), e), h), i), k) et l) sont exactes.

[5] L'hypothèse figurant à l'alinéa 4f) est en partie exacte, en ce sens que l'appelante, si on prend comme exemple le témoignage de Dmitriy Kononenko, consignait les heures de travail de ce dernier. L'appelante avait versé au travailleur ce qu'elle lui devait, selon le taux horaire convenu de 10 $ (les heures supplémentaires n'étant pas payées et aucune retenue n'étant effectuée); toutefois, les fiches de présence produites n'indiquent pas avec exactitude les heures de travail de M. Kononenko. Selon ces fiches, les journées et les heures de travail de ce dernier auraient été irrégulières, alors que M. Kononenko avait régulièrement travaillé cinq jours par semaine, effectuant des journées de travail complètes et ininterrompues.

[6] La situation de M. Sandor Berke est identique. Il est peintre. Selon les feuilles de présence de l'appelante, M. Berke n'aurait pas travaillé les 14 et 15 avril 1997, alors que le calendrier de ce dernier indique qu'il a effectué neuf heures de travail pour l'appelante au cours de chacune de ces journées. La pièce A-15 renferme la facture no 335583, qui fait notamment état des 14 et 15 avril 1997 et qui s'élève à 1 372 $, ce montant visant entre autres les 18 heures de travail susmentionnées. Le 29 avril 1997, Saturn payait ce montant à M. Berke au moyen du chèque portant le no 0917. La Cour croit M. Berke et non M. Frans Pellikaan.

[7] Au cours de son témoignage, M. Berke a en outre déclaré que Saturn l'avait également embauché, le 18 mars 1997, comme peintre salarié. On lui avait dit, trois semaines plus tard, qu'il ne recevrait aucun chèque de paye tant qu'il n'aurait pas produit une facture en qualité de sous-traitant. Un autre travailleur lui ayant fait parvenir une formule de facturation, M. Berke avait facturé ses heures de travail en tant que sous-traitant, et il avait été payé. Il avait aussi effectué des heures de travail supplémentaires, pour lesquelles il avait été rémunéré selon son taux horaire habituel. Pendant les autres périodes où M. Berke avait travaillé pour Saturn en 1997, on avait continué à le payer de cette façon. Pourtant, M. Berke ne possédait aucun outil, il travaillait selon les instructions de son contremaître, et il avait été mis à pied le 13 mai 1997 lorsqu'un inspecteur avait interrompu les travaux effectués par Saturn au chantier sur lequel il travaillait. Selon les documents produits sous la cote A-15, M. Berke travaillait alors sur le projet « Centreville » .

[8] Par conséquent, la Cour ne donne pas foi aux registres produits en preuve par l'appelante, puisqu'ils n'indiquaient pas avec exactitude le nombre d'heures de travail effectuées par ses employés ni ne mentionnaient que certaines des personnes engagées par l'appelante n'étaient pas des employés.

[9] En outre, M. Kononenko a témoigné qu'il avait à deux occasions fait du travail à la pièce pour l'appelante; le tarif à la pièce correspondait cependant à peu près au salaire horaire qu'il recevait, soit 10 $. M. Kononenko a été le seul témoin à donner des détails au sujet de l'hypothèse énoncée à l'alinéa 4g). La Cour croit M. Kononenko. Ainsi, bien qu'il semble que les employés aient effectué quelques travaux à contrat à prix forfaitaire, il s'agissait là d'un simple subterfuge pour cacher le fait que l'appelante payait en réalité les particuliers en question selon le taux horaire habituel.

[10] En ce qui concerne l'hypothèse figurant à l'alinéa 4g), M. Henryk Sitek a déclaré au cours de son témoignage que, lorsqu'il était malade, il pouvait avec l'approbation de l'employeur se faire remplacer par un autre travailleur. M. Russell Hopeton, qui est un bon ami de M. Frans Pellikaan, et M. David Pellikaan ont tous deux déclaré à la Cour qu'ils pouvaient en tout temps envoyer des travailleurs suppléants sur les lieux de travail. La Cour ne croit pas ces deux témoins. Russell Hopeton, qui est au chômage depuis plusieurs mois, a désespérément besoin d'un emploi et il espère que l'appelante lui en offrira un. M. David Pellikaan est très contrarié; il est toujours au service de l'appelante et tout le régime de l'assurance-emploi, qu'il dit être la cause du présent appel et avoir nui à ses possibilités de travail auprès d'autres entrepreneurs, l'irrite au plus haut point. Il a interjeté appel devant la Cour internationale de justice. Compte tenu de ces circonstances, la Cour comprend les raisons pour lesquelles les personnes mentionnées au présent paragraphe ont témoigné comme elles l'ont fait, mais elle ne peut retenir ces témoignages lorsqu'ils contredisent ceux d'autres témoins. La Cour conclut par conséquent que l'hypothèse énoncée à l'alinéa 4j) est exacte.

[11] M. Carl Bouchard a été le dernier témoin. Il a déclaré avoir travaillé pour Saturn en 1997 en qualité de sous-traitant. Mais il n'a donné aucune indication laissant à penser que ses conditions de travail pouvaient être différentes de celles des autres témoins. Plusieurs des factures qu'il a remises à Saturn étaient fondées sur les heures de travail, tandis que les factures qui ne mentionnaient pas d'heures de travail étaient peu détaillées. Compte tenu de la déposition des autres témoins, et de l'incompatibilité entre les dossiers de l'appelante et les dossiers personnels des autres témoins de cette dernière, la Cour ne retient pas le témoignage de M. Bouchard.

[12] En l'espèce, l'appelante a convoqué ses témoins aveuglément. Tous ceux qui ont témoigné avaient été convoqués par l'appelante; pourtant, leur version des faits contredisait bien souvent celle de M. Frans Pellikaan. Les dires des témoins convoqués par l'appelante qui sont défavorables à celle-ci doivent donc être pris au pied de la lettre et, en cas d'incompatibilité entre ces dires et les autres éléments de preuve, les autres éléments de preuve doivent être rejetés. Les dépositions des témoins font partie de la preuve produite par l'appelante, et celle-ci doit en accepter les conséquences.

[13] La question qu'il revient à la Cour de trancher est celle de savoir si les particuliers engagés par Saturn étaient ses employés. L'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit comme suit :

3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

a)       un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[14] L'alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada se lit comme suit :

6. (1) Ouvrent droit à pension les emplois suivants :

a) l'emploi au Canada qui n'est pas un emploi excepté;

[15] Lorsqu'il s'agit d'interpréter ces dispositions, il convient de renvoyer à la citation qui suit du juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. (C.A.F.), 87 DTC 5025 :

La jurisprudence a établi une série de critères pour déterminer si un contrat constitue un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise. Bien qu'il en existe d'autres, les quatre critères suivants sont les plus couramment utilisés :

a)                    le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b)                    la propriété des instruments de travail;

c)                    les chances de bénéfice et les risques de perte;

d)                    l'intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l'entreprise de l'employeur présumé.

[...]

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (pp. 738-739) :

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte? » Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. [...]

[16] D'après ces critères, la Cour arrive aux conclusions suivantes :

a)                    Contrôle

L'appelante fixait les heures de travail des particuliers. La preuve établit clairement qu'on indiquait à ces derniers l'heure à laquelle ils devaient se présenter au travail, prendre une période de repos, prendre une pause pour le déjeuner, et quitter le lieu de travail. On leur disait exactement ce qu'ils devaient faire dans le cadre de leur travail. Ils travaillaient tous dans des immeubles de grande hauteur situés sur le territoire de la communauté urbaine de Vancouver; les contremaîtres de l'appelante coordonnaient les travaux de concert. La majorité des factures établies par ces particuliers étaient fondées sur des taux horaires, et les témoignages de ceux qui ont souligné qu'ils étaient sous-entrepreneurs n'étaient ni détaillés ni crédibles lorsqu'il s'agissait de prouver que ces particuliers avaient, à titre de sous-traitants indépendants, effectué des travaux sans être supervisés par le contremaître et indépendamment de la gestion et du contrôle assurés par Saturn au lieu de travail. Selon les dépositions détaillées de certains témoins, le total des factures établies d'après des prix forfaitaires correspondait à peu près au montant versé aux travailleurs d'après leur taux horaire habituel.

b)                    Propriété des instruments de travail

Si l'on fait abstraction de la liste des outils que M. David Pellikaan a établie en 1999, les particuliers qui ont mentionné à la Cour les outils qu'ils utilisaient pour les travaux de Saturn ont témoigné que très peu de ces outils leur appartenaient, si ce n'est un casque protecteur, un marteau, ou un tournevis et un ruban gradué, ou encore une brosse. Ils possédaient le type de matériel avec lequel les ouvriers se présentent habituellement au travail.

c)                    Les chances de bénéfice et les risques de perte

Les travailleurs qui ont témoigné accomplissaient le travail qui leur était confié et touchaient une rémunération qui correspondait à leur salaire calculé selon un taux horaire fixe. On leur avait remis des formules de facturation. Pendant les semaines ou les mois où ils étaient au service de Saturn, ces travailleurs ne travaillaient pour aucun autre employeur. Se fiant au témoignage de Dmitriy Kononenko, qu'elle retient plutôt que les témoignages contradictoires, la Cour conclut qu'il a été établi que le tarif applicable aux travaux effectués par les travailleurs à prix forfaitaire correspondait au salaire horaire que ces derniers obtenaient habituellement. En outre, la preuve a clairement établi l'existence de faux dossiers pour ce qui est des fiches de travail horaire, ce qui démontre à la Cour que Saturn a faussement rempli ces fiches à dessein pour donner plus de poids aux déclarations des travailleurs selon lesquelles il y avait des contrats « à forfait » . Ainsi, les taux horaires ne pouvaient être comparés aux tarifs des prétendus travaux à contrat.

Les travailleurs n'avaient aucune chance de réaliser un bénéfice ni aucun risque de subir une perte, au plan pécuniaire. Ils risquaient, en tant qu'employés, de perdre leur emploi ou la santé.

d)                    Intégration

Le travail exécuté par les travailleurs était manifestement intégré à l'entreprise de Saturn. Tous les témoins effectuaient des travaux d'intérieurs : perçage de trous pour les systèmes de ventilation, menuiserie, peinture, installation de revêtement de planchers, et autres tâches similaires exécutées après l'achèvement de la charpente. Chaque travailleur devait s'acquitter de ses tâches selon un horaire précis, puis céder la place à un autre travailleur qui exécutait les prochaines tâches prévues.

[17] Les travailleurs ne travaillaient pas pour leur propre compte. L'appel est rejeté.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique) ce 21e jour de mai 1999.

D. W. Beaubier

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de mars 2000.

Benoît Charron, réviseur

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