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Date: 19990719

Dossier: 98-1693-GST-I

ENTRE :

ATLANTIC MINI & MODULAR HOMES (TRURO) LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Brulé, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel d'un avis de cotisation établi par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour la période du 9 août 1991 au 30 juin 1996.

Les faits

[2] L'appelante est inscrite aux fins de la taxe sur les produits et services (TPS). M. Ray Thibault, propriétaire et unique actionnaire de l'appelante, a témoigné pour le compte de celle-ci. L'appelante exploite une entreprise de vente de maisons mobiles (soit préfabriquées soit modulaires) neuves ou ayant déjà servi. M. Thibault était un employé de East Coast Housing Ltd., qui elle aussi exploitait une entreprise de vente de maisons mobiles, préfabriquées et modulaires. Cette entreprise a été mise sous séquestre par la Banque Nationale du Canada (la « banque » ) en août 1991. M. Thibault a constitué l'appelante en société et s'est lancé en affaires.

[3] L'appelante a conclu avec la banque une entente dans laquelle elle s'engageait à effectuer les réparations et l'entretien des unités d'habitation dont la banque avait repris possession. L'entente prévoyait également que l'appelante serait la mandataire non exclusive de la banque, qui lui verserait une commission pour chaque unité dont elle avait repris possession à East Coast Housing Ltd. et que l'appelante vendrait. La commission prévue était de 30 p. 100. L'entente a été signée le 10 septembre 1992 et a expiré à la fin du mois d'août 1993. Pendant cette période, l'appelante a soumis à l'approbation de la banque des offres d'achat d'unités d'habitation sollicitées. Quand les offres étaient retenues, la banque recevait directement les paiements et versait ensuite une commission à l'appelante.

[4] À l'expiration de l'entente, des paiements ont été effectués à l'appelante. M. Thibault a témoigné que, après le 31 août 1993, l'appelante avait fait des offres à la banque pour acheter les maisons mobiles. La banque et l'appelante n'ont toutefois jamais signé d'acte de vente. M. Thibault a expliqué que, au lieu de recevoir des commissions, l'appelante fixait elle-même le prix des maisons qu'elle vendait, et que la différence entre le prix de vente et le prix qu'elle avait payé pour acheter les maisons représentait les bénéfices, lesquels variaient.

[5] M. Thibault a également témoigné que le temps qui s'écoulait entre l'achat par l'appelante des maisons mobiles à la banque et la vente comme telle de ces maisons à des acheteurs n'était jamais le même. Si l'acheteur éprouvait des problèmes avec sa maison mobile, il s'adressait à l'appelante. Aucune garantie n'était toutefois offerte sur les maisons en question.

[6] M. Thibault a déclaré que le coût de l'appelante correspondait au prix des maisons qu'elle achetait à la banque, et que l'appelante essayait de revendre les maisons à profit. L'appelante avait par ailleurs souscrit une police d'assurance globale sur son stock. Cette police couvrait toutes les unités dont elle était propriétaire, mais aucune des unités n'était assurée individuellement.

[7] Pour la période visée par la nouvelle cotisation, les ventes d'unités d'habitation s'élèvent à 114 478,55 $. L'appelante a reçu de la banque des sommes que le ministre a qualifiées de commissions. Le ministre est d'avis que les maisons mobiles ayant déjà servi qui ont été vendues par l'appelante sont des immeubles d'habitation au sens de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) et que, par conséquent, il y a lieu de remettre la TPS sur les fournitures taxables effectuées par l'appelante. Toutefois, l'appelante n'a ni déclaré les commissions gagnées ni remis de TPS à leur égard.

La question en litige

[8] L'appelante effectuait-elle des fournitures taxables ou achetait-elle des fournitures en vue de les revendre, effectuant ainsi des fournitures exonérées?

La thèse de l'appelante

[9] L'appelante soutient que les sommes reçues de la banque pour les maisons mobiles vendues n'étaient pas des commissions, mais correspondaient au produit de la revente des maisons. Elle fait valoir qu'elle était propriétaire des maisons mobiles et qu'elle ne pouvait réclamer de TPS sur celles qui étaient vendues puisqu'il s'agissait de fournitures exonérées. En outre, l'avocat de l'appelante soutient que l'acte de vente n'est pas nécessaire parce qu'il ne fait qu'établir le titre à l'égard d'un tiers. Ainsi qu'il ressort de la pièce A-1, la correspondance qu'ont échangée l'appelante et la banque indique normalement le prix de la maison mobile et la raison pour laquelle la banque devrait accepter le prix mentionné.

[10] L'appelante concède que, avant le 31 août 1993, elle était effectivement mandataire de la banque. Les sommes qu'elle a reçues peuvent clairement être qualifiées de commissions puisque le taux de commission — 30 p. 100 — était toujours le même. Cependant, la relation de mandataire s'est éteinte avec l'expiration de l'entente. Le taux des commissions a alors oscillé entre 25 et 56 p. 100. L'avocat de l'appelante a indiqué qu'il ne s'agissait plus d'une relation de mandataire et qu'il serait absurde de conclure le contraire.

La thèse de l'intimée

[11] Le ministre soutient qu'il n'existe aucun document faisant la preuve que la banque a vendu des maisons mobiles à l'appelante. L'avocat de l'intimée soutient qu'en réalité l'appelante vendait les maisons pour le compte de la banque et qu'elle déduisait ensuite une commission avant de lui verser l'argent. L'avocat soutient que l'appelante est mandataire de la banque. Au sujet du fait que les maisons mobiles n'ont jamais été transportées au parc à roulottes de l'appelante, où certaines des maisons faisant partie de son stock se trouvaient, l'avocat de l'intimée a fait valoir que c'était le signe que l'appelante n'avait jamais été propriétaire des maisons.

L'analyse

[12] Le paragraphe 165(1) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée, est libellé dans les termes suivants :

Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l'acquéreur d'une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 7 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

[13] Au paragraphe 123(1) de la Loi, l'expression « fourniture taxable » est définie ainsi :

[...] Fourniture effectuée dans le cadre d'une activité commerciale.

On trouve, dans la même disposition, la définition de l'expression « activité commerciale » :

l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l'exception de quelque projet ou affaire qu'entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l'affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d'immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu'elle accomplit dans le cadre ou à l'occasion des fournitures.

[14] Une modification a été apportée à la définition de l'expression « activité commerciale » au cours de la période pertinente, mais cette modification n'a en l'espèce aucune incidence.

[15] Donc, si le fournisseur réalise une fourniture exonérée, aucune TPS n'est payable à cet égard. La fourniture exonérée est prévue à l'annexe V de la Loi. L'article 2 de l'annexe V était libellé dans les termes suivants au cours des périodes pertinentes :

La fourniture par vente d'un immeuble d'habitation, ou d'un droit afférent, effectuée par une personne autre que le constructeur de l'immeuble ou, si l'immeuble est un immeuble d'habitation à logements multiples, d'une adjonction à celui-ci, sauf si la personne demande un crédit de taxe sur les intrants relativement à sa dernière acquisition de l'immeuble ou relativement à son acquisition ou importation, après sa dernière acquisition de l'immeuble, d'améliorations apportées à celui-ci.

[16] L'expression « immeuble d'habitation » vise notamment la maison mobile, dont la définition figure au paragraphe 123(1) de la Loi :

[...]

une maison mobile, y compris ses dépendances et, si elle est fixée à un fonds (sauf un emplacement dans un parc à roulottes résidentiel) destiné à en permettre l'usage résidentiel, le fonds sous-jacent ou contigu qui est attribuable à la maison et qui est raisonnablement nécessaire à son usage résidentiel;

[...]

Il s'ensuit que les maisons mobiles sont des fournitures exonérées si elles sont fixées à un fonds :

[TRADUCTION]

La maison mobile qui n'est pas fixée à un fonds est réputée être un bien meuble, et non un bien immeuble, conformément au paragraphe 142(3) de la Loi.

[17] L'appelante soutient qu'elle vendait des maisons mobiles et que ses bénéfices équivalaient à la différence entre le prix d'achat versé à la banque et le prix de vente, et qu'aucune TPS ne devrait donc être imposée. L'appelante soutient que cette différence n'est pas une commission, mais la majoration du prix. Pour sa part, le ministre soutient que l'appelante était mandataire de la banque. Il soutient également que l'appelante ne peut se prévaloir de l'exception visée à l'article 177 de la Loi, qui prévoit que, dans le cadre d'une relation de mandataire, le mandant paie la TPS sur les commissions du mandataire. Cette disposition ne s'applique pas en l'espèce car l'appelante effectuait des fournitures exonérées.

[18] De l'avis de la Cour, la seule question qui reste à trancher est celle de savoir si l'appelante effectuait des fournitures exonérées (c'est-à-dire la revente de maisons mobiles ayant déjà servi) ou des fournitures taxables (c'est-à-dire le service de vente de maisons mobiles pour le compte de la banque).

[19] L'avocat de l'intimée fait valoir que l'appelante effectuait des fournitures taxables à la banque en sa qualité de mandataire. Puisqu'elle ne tombe pas sous le coup de l'exception prévue à l'article 177 de la Loi relativement à la relation de mandataire, l'appelante doit payer la taxe s'il est conclu qu'elle effectuait des fournitures taxables. Dans son ouvrage intitulé The Law of Agency (6e éd., Markham, Butterworths, 1990), à la page 9, G. H. L. Fridman a défini dans les termes suivants la relation de mandataire :

[TRADUCTION]

Il existe une relation de mandataire entre deux personnes lorsque l'une elles, appelée le mandataire, est, en droit, considérée comme représentant l'autre personne, appelée le « mandant » , d'une façon qui lui permette de modifier la position juridique du mandant à l'égard des tiers en concluant des contrats ou en disposant de biens.

[20] Le ministre a examiné la question du mandat dans un projet d'énoncé de politique (P-182); y sont énumérées les trois qualités essentielles du mandat, lesquelles sont plus ou moins identiques à celles que Me Fridman a formulées. Ce sont le consentement du mandant et du mandataire, le pouvoir du mandataire d'influer sur la situation juridique du mandant, et le contrôle par le mandant des actes du mandataire. Dans la même politique, on peut lire également ceci :

Il est vraisemblable qu'une personne qui fixe le prix de revente d'un bien soit un acheteur qui effectue une nouvelle fourniture. De manière générale, le prix de revente comprend une majoration sur le bien ou le service acquis d'un tiers et fourni à une autre personne. Autrement dit, les gains de la personne qui n'est pas mandataire proviennent de la possibilité qu'elle a de vendre le bien ou le service à un prix supérieur à ce qu'elle a payé pour l'acquérir et non de la rémunération habituellement distincte pour ses services de mandataire.

[21] Dans la présente affaire, le mandat indique peut-être l'existence d'une relation dans le cadre de laquelle l'appelante effectuait des fournitures taxables à la banque. Cependant, ce n'est là qu'un des nombreux facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si l'appelante a effectué des fournitures taxables. Il est intéressant de noter qu'aucun représentant de la banque n'a été appelé à témoigner.

[22] Du 10 septembre 1992 au 30 août 1993, il existait effectivement une relation de mandataire. L'entente signée par l'appelante et la banque, prévoyant que l'appelante agit à titre de [TRADUCTION] « mandataire non exclusive du séquestre » , en est la preuve. Cette entente prévoyait également le versement d'une commission de 30 p. 100 à l'appelante pour chaque maison mobile vendue. À l'expiration de l'entente, aucun autre document établissant une relation de mandataire entre l'appelante et la banque n'a été signé.

[23] Dans la présente affaire, je ne vois rien dans le comportement de l'appelante ou de la banque qui équivaille à une relation de mandant et mandataire. Inversement, il semble, d'après la correspondance qu'ont échangée la banque et l'appelante, que cette dernière a effectivement fait des offres à la banque relativement à chaque unité d'habitation mobile. Ainsi, dans une note adressée à la banque, l'appelante mentionne un prix de 2 800 $ pour l'unité d'habitation mobile TN-28. Un contrat de vente a été signé par l'appelante à titre de vendeur et par l'acheteur de l'unité d'habitation mobile TN-28, le prix d'achat étant de 5 499,21 $. Le fait que l'appelante avait déjà trouvé un tiers intéressé à acheter la maison mobile ne permet pas à lui seul d'établir l'existence d'un mandat. De l'avis de la Cour, il s'agit là d'un comportement prudent sur le plan commercial. La Cour doit de toute évidence conclure, d'après la preuve produite, que l'appelante avait acheté les unités d'habitation mobiles et qu'elle les avait revendues à des tiers.

[24] Le projet d'énoncé de politique P-182 fait état du cas du fournisseur qui acquiert un bien pour le revendre. Dans le passage reproduit précédemment, le ministre estime qu'il est peu probable que le fournisseur qui acquiert un bien pour le revendre à un prix supérieur soit un mandataire. La Cour est du même avis. Un mandataire recevrait généralement une rémunération sous une forme prédéterminée, comme une commission à taux fixe, ainsi que le prévoyait l'entente signée le 10 septembre 1992. Or, après l'expiration de l'entente, aucune forme prédéterminée de rémunération n'a été établie. Le prix de vente des maisons mobiles dépendait exclusivement de la capacité de l'appelante d'ajouter une marge au coût d'achat.

[25] Enfin, toute l'argumentation de l'avocat de l'intimée repose sur l'absence de documents faisant la preuve du transfert du titre de propriété des maisons mobiles de la banque à l'appelante. L'article 286 de la Loi exige que des registres soient tenus. Toutefois, la Cour ne croit pas que l'absence de tels documents soit fatale. La question de savoir si une personne a omis de tenir des registres satisfaisants est une question de fait : voir Helsi Construction Management Inc. v. The Queen, 98 GTC 2004. De plus, les documents produits à la Cour sont clairement satisfaisants; à tout le moins, ont été produits des documents dans lesquels l'appelante faisait à la banque des offres d'achat des maisons mobiles. Ces documents sont appuyés par le témoignage de M. Thibault. De plus, ainsi que l'a dit ce dernier, le temps qui s'écoulait entre l'achat des maisons mobiles à la banque et la revente de ces maisons était en général très court.

[26] La Cour conclut que l'appelante n'effectuait pas des fournitures taxables au sens de la Loi au cours de la période du 31 août 1992 au 30 juin 1996. L'appelante était un acheteur qui revendait les maisons mobiles ayant déjà servi. Comme celle-ci effectuait des fournitures exonérées, aucune TPS n'était imposée. Les deux parties soutiennent que l'appelante était avant cette période mandataire de la banque et que, par conséquent, une TPS devrait être payée sur les commissions reçues. En conséquence, l'appel est accueilli et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs qui précèdent.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juillet 1999.

« J. A. Brulé »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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