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Date: 20000330

Dossier: 98-687-IT-G

ENTRE :

ATCON CONSTRUCTION LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel à l'égard de son année d'imposition 1991.

[2] L'appelante, Atcon Construction Ltd. (“ Atcon ”) exploite une carrière à Belledune (Nouveau-Brunswick). À la carrière, Atcon transforme la roche de carrière en produits qu'elle vend à ses clients. L'exploitation de la carrière est une activité continue, 24 heures sur 24 et cinq jours par semaine, qui comprend, selon la spécification de produit particulière, la foration, l'abattage à l'explosif, le triage, le concassage, le criblage et, s'il y a lieu, du triage, du concassage et du criblage supplémentaires. La méthode employée par Atcon pour exploiter la carrière se fonde sur un modèle serré de foration et d'abattage à l'explosif afin que certains produits soient prêts pour la vente après l'abattage, alors que les roches qui subsistent sont concassées et criblées jusqu'à ce que la taille définitive désirée soit obtenue. La taille des produits est variable : de grosse (pierres de protection, roches pour enrochements et roche abattue) à petite (roches de 3 pouces, d'un pouce et 1/4 et de 3/4 de pouce)[1]. Les produits subissent continuellement des tests afin de satisfaire aux normes et aux exigences des clients.

LA NOUVELLE COTISATION

[3] Le 3 février 1994, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante pour son année d'imposition 1991. Le ministre a admis la somme additionnelle de 63 156 $ à titre de déduction pour amortissement mais a réduit de 1 084 363 $ à 506 296 $ le solde reporté du crédit d'impôt à l'investissement se rapportant à des acquisitions effectuées au cours des années d'imposition 1989, 1990 et 1991. L'appelante s'est opposée à la nouvelle cotisation par voie d'avis d'opposition daté du 4 mai 1994. Au moment de confirmer la nouvelle cotisation le 8 décembre 1997, le ministre a révisé le crédit d'impôt à l'investissement et a admis un montant de 179 668 $ seulement.

[4] Atcon fait valoir que la roche de carrière qu'elle produit est le résultat d'un procédé continu de fabrication et de transformation menant à un produit final et ne comprenant pas l'extraction des minéraux de la roche. Atcon soutient également que l'équipement utilisé dans le cadre du procédé devrait être considéré comme un “ bien certifié ” au sens du paragraphe 127(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) plutôt que comme un “ bien admissible ”. En considérant l'équipement comme un “ bien admissible ”, le ministre a admis un crédit d'impôt à l'investissement au taux de 15 p. 100 plutôt que de 30 p. 100; ce dernier taux aurait été admis si le ministre avait considéré l'équipement comme un “ bien certifié ”. Le ministre a conclu que l'équipement constituait un “ bien admissible ” en se fondant sur la constatation que cet équipement ne faisait pas partie d'un “ établissement ” au sens de l'article 2 de la Loi sur les subventions au développement régional (la “ LSDR ”).

L'OBJET DE LA LOI ET LE RÉGIME LÉGISLATIF

[5] Le paragraphe 127(5) de la Loi se lit comme suit :

Crédit d'impôt à l'investissement - Est déductible de l'impôt payable par ailleurs par un contribuable en vertu de la présente partie pour une année d'imposition un montant qui ne dépasse pas le moins élevé des montants suivants :

a) le crédit annuel maximal d'impôt à l'investissement du contribuable;

[6] Le paragraphe 127(9) de la Loi définit les termes “ bien certifié ”, “ crédit d'impôt à l'investissement ”, “ bien admissible ” et “ pourcentage déterminé ” de la façon suivante :

“ bien certifié ” d'un contribuable s'entend d'un bien (à l'exclusion d'un bien d'un ouvrage approuvé) visé à l'alinéa a) ou b) de la définition de “ bien admissible ”

a) qui a été acquis par le contribuable

(i) après le 28 octobre 1980 et

(A) soit avant 1987,

(B) soit avant 1988, si le bien est :

(I) un bâtiment en construction avant 1987, ou

(II) une machine ou du matériel que le contribuable a commandé par écrit avant 1987,

(ii) après 1986 et avant 1989, sauf s'il s'agit d'un bien visé au sous-alinéa (i), ou

(iii) après 1988,

et qui, avant cette acquisition, n'a été utilisé à aucune fin ni acquis pour être utilisé ou loué à quelque fin que ce soit, et

b) qui fait partie d'un établissement défini pour l'application de la Loi sur les subventions au développement régional et qui a été acquis principalement pour être utilisé par le contribuable dans une région prescrite;

[je souligne]

[...]

“ crédit d'impôt à l'investissement ” [...] s'entend de l'excédent, s'il en est, du total

a) de l'ensemble des montants dont chacun représente le pourcentage déterminé;

(i) du coût en capital pour le contribuable d'un bien admissible [...] ou d'un bien certifié, que le contribuable a acquis dans l'année, [...]

[...]

“ bien admissible ” d'un contribuable s'entend d'un bien [...] qui est

[...]

b) une machine prescrite ou du matériel prescrit que le contribuable a acquis après le 23 juin 1975,

qui, avant cette acquisition, n'a été utilisé à aucune fin [...]

c) qu'il compte utiliser au Canada principalement pour

(i) la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer,

[...]

“ pourcentage déterminé ” correspond aux pourcentages suivants

a) dans le cas d'un bien admissible

[...]

(iii) acquis principalement pour être utilisé dans les provinces de Terre-Neuve, de l'Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse ou du Nouveau-Brunswick ou dans la péninsule de Gaspé, [...]

[...]

(B) après 1988, 15%,

d) dans le cas de biens certifiés,

[...]

(iii) dans les autres cas, 30%,

[7] La LSDR a pour objet de promouvoir la croissance économique. Elle prévoit l'établissement de subventions au développement à l'intention des entreprises du secteur manufacturier mais ne prévoit pas l'établissement de telles subventions pour les entreprises du secteur des ressources naturelles.

[8] Le préambule de la LSDR se lit comme suit :

Loi prévoyant des subventions au développement pour favoriser les possibilités d'emploi productif dans les régions du Canada où des mesures spéciales sont nécessaires pour promouvoir l'expansion économique et le relèvement social.

[9] L'article 2 de la LSDR définit le terme “ établissement ” de la façon suivante :

“ établissement ” désigne les bâtiments, l'outillage et le matériel nécessaires à une entreprise de fabrication ou de transformation, autres que ceux employés ou utilisés dans une étape de transformation initiale dans une industrie basée sur une ressource naturelle.

[je souligne]

[10] L'article 15 de la LSDR prévoit ce qui suit :

Le gouverneur en conseil peut établir des règlements

a) définissant, aux fins de la présente loi, les expressions “ entreprise de fabrication ou de transformation ”, “ entreprise de transformation initiale ”, “ industrie basée sur une ressource naturelle ” et “ entreprise commerciale ”.

[11] Le paragraphe 2(2) du Règlement concernant les subventions au développement régional définit les termes “ entreprise de transformation initiale ” et “ entreprise de fabrication ou de transformation ” de la façon suivante :

“ entreprise de transformation initiale ” désigne une entreprise dont le produit est un combustible ou une matière principalement utilisée pour la transformation ou la fabrication ultérieure.

[...]

“ entreprise de fabrication ou de transformation ” désigne une entreprise qui crée, fabrique, raffine ou rend davantage vendables des marchandises, des produits, des denrées ou des articles, mais ne comprend pas

[...]

c) l'extraction des minéraux par quelque méthode que ce soit.

[je souligne]

ANALYSE

[12] Le procédé de l'appelante consistant à fabriquer des produits rocheux vendables, lesquels sont forés, abattus, concassés et criblés, constitue une activité en vertu de laquelle les marchandises produites obtiennent une plus grande valeur et deviennent ainsi commercialisables. L'équipement[2] utilisé de la foration jusqu'à l'obtention du produit final regroupe des éléments qui font tous partie du régime de production. Je conclus que la méthode de production utilisée par l'appelante, de la foration et de l'abattage à l'explosif de la roche de carrière jusqu'au criblage final du produit rocheux, constitue une entreprise de fabrication ou de transformation intégrée et continue. Le produit passe ainsi à travers toutes les étapes du procédé et n'a plus besoin d'être fabriqué ou transformé. Par conséquent, la méthode de production de l'appelante déborde du cadre de la définition d'“ entreprise de transformation initiale ”.

[13] Je dois maintenant me prononcer sur la question de savoir si cette entreprise de fabrication et de transformation est visée par l'exclusion, c'est-à-dire si elle comprend “ l'extraction des minéraux par quelque méthode que ce soit ”.

[14] Tel que prévu, la preuve d'expert s'est avérée contradictoire. L'expert de l'appelante, M. F. Dwight Ball, un géologue-conseil du secteur privé, a conclu ce qui suit : “ il n'y a pas de concentration ou d'extraction de minéraux; la roche est simplement extraite de la carrière et transformée directement en une série de produits ”. L'expert de l'intimée, le docteur Donald A. Cranstone, un géologue travaillant comme économiste en minéralogie dans le secteur public, en est arrivé à la conclusion qu' “ Atcon Construction Ltd. se livrait à “ l'extraction de minéraux ” provenant de sa carrière de roches basaltiques près de Belledune (Nouveau-Brunswick) ”. Le docteur Cranstone a également examiné en contre-preuve le rapport de M. Ball et a fait valoir que la conclusion selon laquelle “ Atcon [...] ne se livrait pas à l'extraction de minéraux provenant de sa carrière de Belledune était insoutenable[3] ”.

[15] Il précise également qu'une roche basaltique est un minerai, d'après la définition générale du terme “ minerai ”. De plus, il conclut que la roche basaltique à la carrière d'Acton est constituée de plusieurs minéraux, y compris le plagioclase, le pyroxène, le quartz et l'oxyde opaque.[4]

[16] L'intimée a cité le juge Bowman dans l'affaire Coastal Construction & Excavating Ltd. c. R., C.C.I., no 94-1724(IT)G, 5 septembre 1996 ([1996] 3 C.T.C. 2845), au cours de laquelle la contribuable a allégué qu'une centrifugeuse et deux excavatrices acquises par cette dernière, en vue d'être utilisées pour la récupération des déchets de charbon se trouvant dans une mine désaffectée, étaient des “ biens certifiés ” en vertu du paragraphe 127(9) de la Loi. Au paragraphe 22 de la décision, le juge dit ce qui suit :

Je ne puis penser à aucune expression qui décrive mieux les activités de l'appelante que celle d'“ extraction de minéraux ”. L'extraction initiale avait lieu lorsqu'on enlevait le minerai et les déchets du sous-sol puis les séparait, mais aucun principe d'interprétation des lois ni aucune application du sens clair du mot “ extraction ” ne me permettrait de limiter la portée de ce mot à l'étape initiale. Les déchets, lorsqu'on les avait enlevés et déposés sur le sol, faisaient partie du terrain où ils sont restés pendant des années jusqu'à ce que l'appelante entreprenne l'étape secondaire qui consistait à extraire des déchets le charbon qui n'avait pas été extrait à l'étape initiale.

[je souligne]

[17] Le juge Bowman a conclu que l'équipement constituait un “ bien admissible ” parce que la contribuable se livrait de façon évidente à l'extraction de minéraux aux étapes initiales et secondaires lorsque le minerai et les déchets étaient extraits du sous-sol puis séparés.

[18] En l'espèce, bien que la roche basaltique ait effectivement été extraite du front de taille de la carrière, les minéraux composites de la roche basaltique n'étaient nullement extraits ni séparés.

[19] Dans l'affaire Nova Scotia Sand and Gravel Limited c. La Reine, C.A.F., no A-160-78, 28 juillet 1980 (80 D.T.C. 6298), la Cour a interprété la définition de l'expression “ production de minéraux industriels” se trouvant à l'alinéa 125.1 (3)b) de la Loi. À la page 7 (D.T.C. : à la page 6301), la Cour a déclaré ce qui suit :

[...] qu'il n'était pas dans l'intention du législateur d'inclure dans l'expression “ production de minéraux industriels ” la transformation de minéraux industriels en produits minéraux industriels spécialisés du genre de ceux que l'appelante produit par transformation.

[20] La Cour a également déclaré, à la page 6 (D.T.C. : à la page 6300) :

[...] Il convient [...] de souligner que les opérations exclues en (i), l'exploitation agricole ou la pêche, en (ii), l'exploitation forestière, en (iv), l'exploitation d'un puits de pétrole ou de gaz, en (v), l'extraction de minéraux d'une ressource minérale, si tant est qu'on doive les considérer comme des opérations de fabrication ou de transformation, sont essentiellement des opérations de production de produits bruts de matières premières.

[21] Par conséquent, la Cour a conclu que l'exploitation de sable et de gravier était une opération de fabrication ou de transformation et qu'il n'était pas dans l'intention du législateur d'inclure dans l'exclusion “ production de minéraux industriels” la transformation de minéraux industriels en produits de sable et de gravier de la Nova Scotia Sand and Gravel Limited. La décision a aussi clairement établi une distinction entre la production de matériaux bruts ou de ressources naturelles, laquelle est exclue, et la transformation de minéraux industriels en produits minéraux, laquelle, selon la Cour, n'est pas exclue, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas là de l'extraction de minéraux provenant d'une ressource minérale.

[22] La Cour fédérale, Section de première instance, a examiné la question dans un autre contexte. Dans l'affaire Double N Earth Movers Ltd. c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-698-97, 17 juillet 1998 ([1998] F.C.J. No. 1033 (Q.L.)), le juge Campbell a déclaré ce qui suit :

[13] Par définition, l'expression “ opérations minières ” du paragraphe 69(1) concerne une activité touchant “ une ressource minérale ”. Toutefois, dans la décision sous appel, même si le gravier n'est pas une ressource minérale, le ministre a conclu que la récupération des terrains exploités à ciel ouvert dans le cas du gravier est assimilée à une opération minière aux fins de la ristourne de taxe sur le carburant. Pour que cette conclusion soit bien fondée, le ministre doit avoir admis qu'il est nécessaire d'interpréter les mots “ la récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert ” de l'expression “ opérations minières ” définie au paragraphe 69(1) sans tenir compte des autres dispositions de la définition.

[23] L'appelante transforme la roche de carrière en produits vendables, tout en laissant les minéraux exactement comme ils se retrouvent à l'état naturel sur le front de taille de la carrière. Je conclus que la roche de carrière est constituée de minéraux, mais que ces derniers ne sont d'aucune façon extraits de la roche et que les produits rocheux sont simplement calibrés.

[24] Il s'agit en l'espèce d'une entreprise de fabrication ou de transformation par laquelle la roche de carrière est transformée grâce à une méthode de production continue, de la foration jusqu'au criblage final. Il ne s'agit pas d'un procédé d'extraction de minéraux par quelque méthode que ce soit, mais plutôt de la transformation de la roche par calibrage visant à fabriquer un produit final de roche concassée, vendable et utilisable.

[25] Par conséquent, l'appelante ne se livre pas à l'extraction des minéraux par quelque méthode que ce soit dans le cadre de l'entreprise de fabrication ou de transformation.

CONCLUSION

[26] L'entreprise de l'appelante comprend des biens qui font partie d'un établissement et qui, par conséquent, constituent des “ biens certifiés ”.

DÉCISION

[27] L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'équipement de l'appelante figurant sur la liste présentée à titre de pièce R-2 est visé par l'expression “ biens certifiés ” au sens du paragraphe 127(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[28] Les dépens sont en faveur de l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de mars 2000.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Les produits et les prix ont été énoncés dans la pièce R-1, onglet 24.

[2]               Pièce R-2.

[3]               Pièce R-3.

[4]               Pièce R-4, tableau 1.

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