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Date: 19991125

Dossier: 1999-2603-EI

ENTRE :

MARY LOU MCKENNA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Weisman, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance est interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi ”)[1].

La question en litige

[2] Il s'agit de déterminer si, au cours de la période pertinente, l'appelante a accumulé suffisamment d'heures d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi.

L'emploi de l'appelante

[3] Au cours de l'année scolaire 1997-1998, l'appelante était chargée de cours en expression écrite pour l'université York. Elle touchait un salaire fixe de 9 806,80 $, payable en versements mensuels égaux sur une période de 35 semaines, soit la période prévue au contrat.

[4] Suivant les modalités du contrat, l'appelante devait consacrer au moins 174 heures à des séances de tutorat individuelles. En outre, elle était chargée de l'enseignement par groupes, des travaux en comité, de la formation et de la supervision des aide-enseignants; elle devait aussi assurer la liaison en ce qui a trait aux cours d'expression écrite intensifs et participer à des activités de perfectionnement professionnel ou à toute autre activité visant à faire profiter ses collègues de la faculté des Arts de ses compétences en enseignement de l'expression écrite.

[5] De ce fait, l'appelante jouissait d'une grande latitude pour ce qui est des heures d'emploi assurable qu'elle pouvait travailler et de la proportion de ces heures où elle pouvait travailler à la maison.

Le Règlement

[6] L'article 10 du Règlement sur l'assurance-emploi (le “ Règlement ”)[2] précise la façon de déterminer le nombre d'heures d'emploi assurable lorsqu'une personne n'est pas rémunérée à l'heure. En voici les passages pertinents :

10. (1) Lorsque la rémunération d'une personne est versée sur une base autre que l'heure et que l'employeur fournit la preuve du nombre d'heures effectivement travaillées par elle au cours de la période d'emploi et pour lesquelles elle a été rétribuée, celle-ci est réputée avoir travaillé ce nombre d'heures d'emploi assurable.

(2) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l'article 9.1 s'appliquent, lorsque l'employeur ne peut établir avec certitude ni ne connaît de façon précise le nombre d'heures de travail effectivement accomplies par un travailleur ou un groupe de travailleurs, l'employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs peuvent, sous réserve du paragraphe (3) et si cela est raisonnable dans les circonstances, s'entendre sur le nombre d'heures de travail qui correspondraient normalement à la rémunération visée au paragraphe (1), auquel cas chaque travailleur est réputé avoir travaillé ce nombre d'heures d'emploi assurable.

(3) Lorsque le nombre d'heures convenu par l'employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs conformément au paragraphe (2) n'est pas raisonnable ou qu'ils ne parviennent pas à une entente, chaque travailleur est réputé avoir travaillé le nombre d'heures d'emploi assurable établi par le ministre du Revenu national d'après l'examen des conditions d'emploi et la comparaison avec le nombre d'heures de travail normalement accomplies par les travailleurs s'acquittant de tâches ou de fonctions analogues dans des professions ou des secteurs d'activité similaires.

(4) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l'article 9.1 s'appliquent, lorsque l'employeur ne peut établir avec certitude ni ne connaît le nombre réel d'heures d'emploi assurable accumulées par une personne pendant sa période d'emploi, la personne est réputée, sous réserve du paragraphe (5), avoir travaillé au cours de la période d'emploi le nombre d'heures d'emploi assurable obtenu par division de la rémunération totale pour cette période par le salaire minimum, en vigueur au 1er janvier de l'année dans laquelle la rémunération était payable, dans la province où le travail a été accompli.

(5) En l'absence de preuve des heures travaillées en temps supplémentaire ou en surplus de l'horaire régulier, le nombre maximum d'heures d'emploi assurable qu'une personne est réputée avoir travaillées d'après le calcul prévu au paragraphe (4) est de 7 heures par jour sans dépasser 35 heures par semaine.

La thèse de l'appelante

[7] L'appelante soutient que son employeur ignorait le nombre réel d'heures d'emploi assurable qu'elle avait accumulées au cours de la période d'emploi ou qu'il était incapable de le déterminer et que, par conséquent, le paragraphe 10(4) s'applique, de sorte qu'elle a travaillé un nombre d'heures d'emploi assurable suffisant pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi.

[8] L'appelante a admis qu'elle n'avait pas consigné les heures d'emploi assurable qu'elle avait effectivement travaillées. Cependant, comme elle avait déjà effectué les mêmes tâches pendant 12 ans, elle a pu établir une moyenne fiable et exacte des heures d'emploi assurable qu'elle avait accomplies. Elle est donc arrivée au total de 720 heures. Elle a admis également avoir rempli une demande de prestations d'assurance-emploi dans laquelle elle avait indiqué avoir travaillé 12 heures par semaines ou 420 heures au cours de la durée du contrat. Elle a inscrit ce chiffre parce qu'elle croyait à tort que sa demande devait correspondre au relevé d'emploi, lequel indiquait 420 heures.

[9] Le directeur de l'appelante a confirmé qu'il ignorait le nombre réel d'heures d'emploi assurable travaillées par l'appelante au cours de la période d'emploi et qu'il était incapable de le déterminer. Il a témoigné que les différentes activités accomplies par l'appelante étaient toutes prévues dans son contrat et que le total de 720 heures était raisonnable et se comparait au nombre d'heures que lui-même accomplissait dans des circonstances semblables.

La thèse de l'intimé

[10] L'intimé soutient que l'article 10 du Règlement établit un régime qui est fondé de façon générale sur le degré de connaissance qu'a l'employeur des heures effectivement travaillées par l'employé. Il a fait valoir que le paragraphe 10(1) s'applique lorsque l'employeur connaît parfaitement le nombre d'heures, le paragraphe 10(4), lorsqu'il ne le connaît pas du tout, et le paragraphe 10(3), lorsque, comme en l'espèce, il connaît partiellement le nombre d'heures effectivement travaillées, en l'occurrence 174. Si l'on compare les textes anglais et français du paragraphe 10(3), on arrive à la conclusion que les termes “ ils ne parviennent pas à une entente ” ne signifient pas que les parties doivent avoir tenté, sans succès, de se mettre d'accord. De l'avis de l'intimé, le paragraphe 10(4) doit être interprété de façon stricte en dernier recours seulement parce qu'il donne encore lieu aux abus que le nouveau régime réglementaire vise à éliminer et donne lieu à des résultats absurdes.

[11] Le nouveau régime est fondé sur la rémunération et les heures totales plutôt que sur les semaines de travail. Aux termes de l'ancien régime, les heures de travail de certains employés avaient parfois une plus grande valeur que celles d'autres employés aux fins de l'assurance-chômage. Appliquer le paragraphe 10(4) à la présente situation de faits revient à contrecarrer l'intention du législateur et mène au résultat absurde que l'appelante est réputée avoir accumulé plus de 1 430 heures d'emploi assurable. C'est presque deux fois le nombre d'heures qu'elle a elle-même déclarées. Le Règlement ne doit pas être interprété d'une manière susceptible de produire des résultats arbitraires ou capricieux[3].

[12] L'intimé s'est fondé sur trois différents documents pour déterminer que l'appelante avait effectivement travaillé au total 420 heures et qu'elle n'était donc pas admissible à des prestations d'assurance-emploi. Premièrement, il a produit un tableau dressé à partir d'un échantillon d'universités choisies au hasard, qui ne s'appliquait pas aux chargés de cours en expression écrite; il permettait uniquement de déterminer comment chaque établissement calculait les heures d'emploi assurable. Les critères énoncés au paragraphe 10(3) n'y étaient pas utilisés. Puis, l'intimé a déposé un autre tableau contenant censément les équivalents en heures permettant de déclarer la rémunération aux fins de l'assurance-emploi. Ce tableau était le résultat d'une formule conçue par un professeur en relations de travail à l'université York et il était utilisé pour remplir les relevés d'emploi de l'établissement. Il ne reflétait cependant pas les heures de travail effectivement travaillées et ne s'appliquait qu'aux enseignants et non aux chargés de cours en expression écrite. Enfin, l'intimé a mentionné la demande de prestations de l'appelante, où cette dernière a indiqué avoir travaillé 420 heures au cours de la durée du contrat, ainsi qu'il a été mentionné précédemment.

[13] Reconnaissant que le ministre du Revenu national avait pris en considération des facteurs non pertinents dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 10(3) du Règlement, l'avocat m'a invité à invoquer la doctrine formulée dans les arrêts Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R.[4], et Canada (A.G.) v. Jencan Ltd.[5], et à conclure que les heures d'emploi assurable de l'appelante totalisaient 420, conformément à sa demande de prestations d'assurance-emploi.

La jurisprudence

[14] Deux décisions publiées ont été citées pour m'aider à interpréter l'article 10 du nouveau Règlement.

[15] Dans l'affaire Franke v. M.N.R.[6], il fallait déterminer le sens de la phrase “ l'employeur fournit la preuve du nombre d'heures effectivement travaillées par [une personne] ” au paragraphe 10(1). L'appelant donnait des cours de sciences politiques à l'université de Victoria. Il jouissait d'une grande marge de manoeuvre quant au nombre d'heures d'emploi assurable qu'il consacrait en dehors des heures de classe à la préparation du cours, à la rédaction des exposés et à l'évaluation des examens. Au procès, il a déposé en preuve un tableau donnant le détail du nombre d'heures qu'il avait consacrées à l'exécution de ses tâches. La preuve de l'employeur sur les heures d'emploi assurable de l'appelant était appuyée en partie sur l'application d'une formule négociée entre l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université et des agents de l'assurance-emploi. La Cour a conclu que la formule ne faisait pas la preuve du nombre d'heures que l'appelant avait effectivement travaillées. L'appel a par conséquent été accueilli et la décision du ministre a été modifiée aux termes du paragraphe 103(3) de la Loi, pour concorder avec le nombre d'heures d'emploi assurable documentées de l'appelant.

[16] Dans l'affaire Furtado v. M.N.R.[7], l'appelante travaillait comme concierge dans un immeuble appartenant à l'employeur. Elle était chargée de percevoir les loyers et de nettoyer les lieux. L'employeur contestait les heures déclarées par l'appelante, mais il ne pouvait déterminer avec précision le nombre d'heures qu'elle avait effectivement travaillées. En conséquence, le paragraphe 10(4) a été appliqué. Il a été jugé que l'appelante n'avait pas travaillé un nombre d'heures suffisant pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi, et son appel a été rejeté.

Analyse

[17] Les arguments de l'intimé sont compliqués et peu convaincants. C'est le résultat direct de ses efforts pour assujettir cette situation de faits au paragraphe 10(3) du Règlement, alors qu'il ne s'y applique manifestement pas. Le paragraphe 10(3) porte sur les heures qui sont normalement travaillées et non sur les heures effectivement travaillées. Il s'applique lorsque le nombre d'heures normalement travaillées convenu par l'employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs conformément au paragraphe 10(2) n'est pas raisonnable ou qu'il est impossible de s'entendre sur le nombre d'heures normalement travaillées. Le paragraphe 10(3) ne mentionne pas les heures effectivement travaillées et il ne s'applique pas à ce cas.

[18] Je suis saisi d'un cas où, clairement, l'employeur ne pouvait établir avec certitude ni ne connaissait le nombre réel d'heures d'emploi assurable accumulées par l'appelante pendant la période d'emploi au sens du paragraphe 10(4) du Règlement. Les formules peuvent avoir une certaine utilité pour déterminer les heures normalement travaillées en vertu du paragraphe 10(3), mais non pour déterminer les heures effectivement travaillées en vertu du paragraphe 10(4)[8].

[19] Si cette conclusion mène à des résultats incompatibles avec ce qu'était l'intention du législateur lorsqu'il a adopté le nouveau Règlement, il appartient à ce dernier, et non aux tribunaux, de se pencher sur cette question[9].

[20] L'appel sera accueilli et la décision du ministre sera modifiée aux termes de l'alinéa 103(3)a) de la Loi pour établir que le nombre d'heures d'emploi assurable travaillées et pour lesquelles l'appelante a été rétribuée au cours de l'année scolaire 1997-1998 était de 720.

Signé à Toronto (Ontario), ce 25e jour de novembre 1999.

“ N. Weisman ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               L.C. 1996, ch. 23.

[2]               DORS/96-332.

[3]               Franke v. M.N.R., [1999] A.C.I. no 645.

[4]               185 N.R. 73.

[5]               215 N.R. 352.

[6]               Précitée, note en bas de page 3.

[7]               [1999] A.C.I. no 164.

[8]               R. v. Franke, note en bas de page 3.

[9]               R. v. M.(C.) (1995), 23 O.R. (3d) 629; R. c. Hess, [1990] 2 R.C.S. 906.

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