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Date: 19990203

Dossier: 96-561-IT-G; 96-569-IT-G

ENTRE :

S. GORDON FUKUSHIMA, PETER F. STRAWSON,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Les présents appels sont interjetés par M. S. Gordon Fukushima et M. Peter F. Strawson (les appelants), contre les cotisations établies à l'égard de leurs années d'imposition 1987, 1988, 1989 et 1990. Par entente entre les parties, les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les faits ayant donné lieu aux cotisations ne sont pas sérieusement contestés et peuvent se résumer comme suit :

a) Les appelants étaient associés dans la société Strawson, Fukushima, Enstrom, Chartered Accountants, faisant affaires à Thunder Bay (Ontario)[1]. Pour chacune des années en cause, la fin de l'année de la société était le 4 janvier.

b) La société a rédigé ses états des résultats pour chacun des exercices financiers entre 1983 et 1993 selon la méthode de la pleine comptabilité d'exercice[2], c'est-à-dire que les montants figurant dans les états des résultats comprenaient le travail en cours (TEC) qui n'avait pas encore été facturé, et par conséquent pour lequel la société ne pouvait pas exiger paiement à la fin de l'année.

c) Dans le calcul de leurs revenus pour leurs années d'imposition respectives entre 1983 et 1993, les appelants ont choisi de ne pas inclure leurs parts respectives du TEC de la société à la fin de l'année conformément à l'article 34 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

d) Au cours de toutes ces années, les appelants ont omis de contre-passer la déduction du TEC de l'année précédente dans le calcul de leur revenu imposable pour l'année suivante. Conséquemment, ils ont déclaré des revenus imposables réduits pour les années d'imposition 1987 à 1990 comme suit[3] :

Année Fukushima Strawson

1987 55 158 $ 54 599 $

1988 52 510 $ 52 619 $

1989 60 877 $ 61 444 $

1990 89 640 $ 93 961 $

e) Les déclarations des appelants ont initialement fait l'objet d'une cotisation de la part du ministre aux dates suivantes :

Année Fukushima Strawson

1987 Le 18 juillet 1988 Le 18 juillet 1988

1988 Le 24 mai 1989 Le 24 mai 1989

1989 Le 18 juillet 1990 Le 5 juillet 1990

1990 Le 29 juillet 1991 Le 26 juin 1991

f) Le 17 juin 1994, les appelants ont avisé le directeur adjoint de la direction de la vérification, au bureau de district de Revenu Canada à Thunder Bay, qu'ils avaient déclaré en moins leurs revenus depuis plusieurs années en n'ajoutant pas le montant déduit conformément à l'article 34 de la Loi à leur revenu au cours de l'année d'imposition suivant l'année pendant laquelle il avait été déduit.

g) Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard des deux appelants pour les années en cause le 2 février 1995 et il a majoré le revenu de chacun d'eux de la façon suivante :

Année Fukushima Strawson

1987 8 151 $ 8 151 $

1988 7 706 $ 7 706 $

1989 13 576 $ 13 576 $

1990 31 786 $ 31 786 $

Le ministre a aussi, pour les mêmes raisons, établi des cotisations à l'égard des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 des appelants. Ces derniers n'ont pas interjeté appel contre ces cotisations, puisqu'elles n'étaient pas prescrites.

[2] Le quantum des nouvelles cotisations n'est pas contesté dans les présents appels, le seul point litigieux tenant à savoir si le ministre du Revenu national (le ministre) peut établir des nouvelles cotisations à l'égard des années d'imposition en cause au-delà du délai fixé à cet égard. Pour ce faire, les dispositions particulières du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi exigent que le ministre prouve que les appelants ont fait des présentations erronées des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou ont commis quelque fraude en produisant leurs déclarations respectives ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la Loi. À cette fin, l'intimée a produit des témoignages de M. Strawson et de M. John R. Drew (M. Drew), vérificateur auprès de Revenu Canada.

[3] M. Strawson a obtenu le titre de comptable agrée en 1958. Il a travaillé pendant 18 mois auprès de Revenu Canada en qualité de répartiteur, et il a ensuite passé les 12 années suivantes auprès de la société de comptables Crawford, Reedhead & Company. L'entreprise de cette société consistait notamment à faire des vérifications pour la ville de Fort Williams aussi bien que pour d'autres municipalités des environs, plusieurs conseils scolaires, la commission hydroélectrique, etc. M. Strawson faisait notamment des vérifications pour des hôpitaux, travail qui a mené à son embauchage en qualité de directeur des finances auprès de l'hôpital McKellar de 1972 à 1979. Puis, après s'être brièvement joint à une compagnie immobilière, il s'est lancé à son propre compte dans l'exercice de la comptabilité. En 1981, l'Université de Lakehead a offert à M. Strawson de remplacer pendant un an un professeur d'introduction à la comptabilité. Il a pressenti M. Fukushima, avec qui il avait déjà travaillé à deux reprises, et l'automne de cette année-là, ils se sont associés. En raison de leur expérience passée dans le secteur public, les appelants étaient connus dans la région, de sorte que leur clientèle comprenait une municipalité, plusieurs hôpitaux et un certain nombre d'organismes autochtones en plus de leurs clients commerciaux. M. Strawson a décrit ces derniers comme étant des « petites compagnies familiales » , c'est-à-dire généralement de petites entreprises de trois ou quatre actionnaires. Le travail accompli pour ces entreprises comprenait la préparation de leurs déclarations de revenu aussi bien que celle de déclarations personnelles. M. Strawson a déclaré qu'il ne se qualifierait pas et qu’il ne qualifierait pas ses associés d'experts fiscaux et, lorsqu'une question fiscale compliquée se posait, règle générale, elle était soumise à un fiscaliste, de préférence associé à une société nationale.

[4] À toutes les époques pertinentes, l'administration du bureau était confiée à M. Strawson, qui était responsable de la préparation des états financiers de la société. Il a déclaré dans son témoignage que, lorsqu'il a commencé sa propre pratique, ses états financiers ne faisaient pas état du TEC. Lorsqu'il s'est joint à la société, M. Fukushima a suggéré certains changements, surtout en ce qui concernait la tenue des registres comptables. M. Strawson s'est rappelé que, de façon générale, « il voulait améliorer les choses » et il a particulièrement souligné qu'il fallait tenir compte du TEC. Conséquemment, ils ont convenu d'appliquer la méthode de la pleine comptabilité d'exercice dans le calcul de leur revenu aux fins de leurs états financiers. Pour déterminer la façon de déclarer leur revenu aux fins de l'impôt, M. Strawson dit qu'il s'est reporté à la Loi et à un bulletin d'information discutant de l'article 34. Il a souligné qu'en vertu de cet article : « Nous étions autorisés à déduire le travail en cours. Rien ne disait qu'il fallait l'ajouter par la suite. Je me suis dit, c'est curieux. Quelque chose cloche. » Bien que cette situation ait soulevé dans son esprit des questions qui le troublaient, il dit avoir pensé « l'article 34 dit d'exclure du revenu le travail en cours à la fin de l'année. C'est apparemment tout ce qu'il ordonne de faire » , mais il ne mentionne pas qu'il faut l'ajouter l'année suivante ni à aucun autre moment. Il dit en plus qu'il était suffisamment perplexe pour se reporter au dossier d'un client commercial d'importance, B & J Equipment Rentals Limited, qui avait un travail considérable en cours, et il a conclu que son revenu était déclaré correctement et rajusté l'année suivante. Compte tenu de ce qui précède, les appelants ont traité leur TEC et calculé leur revenu à des fins d'impôt de cette façon, et ils ont continué de le faire jusqu'à leur année d'imposition 1994 inclusivement.

[5] M. Drew est à l'emploi de Revenu Canada depuis 23 ans, et il exerce actuellement les fonctions de vérificateur. Il est titulaire d'un diplôme en gestion d'entreprise et d'un baccalauréat en commerce (avec spécialisation). À la suite de la divulgation volontaire des appelants, M. Drew a examiné les documents pertinents et il a recommandé que le ministre établisse de nouvelles cotisations à l'égard des appelants conformément au paragraphe 152 (4) de la Loi. En examinant les déclarations des appelants et d'autres documents, M. Drew a découvert qu'au cours de la première année d'imposition en cause, les appelants avaient utilisé la mauvaise formule, à savoir la formule T2130[4], qui n'est pas destinée à être utilisée par des professionnels dans la préparation de leurs déclarations de revenu. Au cours des années d'imposition 1988 à 1990, ils ont utilisé la bonne formule, la T2032[5]. Il a conclu que les problèmes des appelants ont commencé lorsqu'ils ont omis de reporter correctement les renseignements à partir des états financiers de la société, et qu'ils ont ensuite aggravé leur erreur en utilisant la mauvaise formule en 1987. Il sait par expérience que la pratique reconnue par les comptables consiste à ajouter le montant l'année suivante. C'était la première fois qu'il voyait une telle erreur, et il était étonné que les appelants, qui sont des comptables, l'aient commise.

La position de l'intimée

[6] L'intimée estime que les appelants ont fait des présentations erronées des faits en ce qui concerne leur revenu imposable pendant toutes les années en cause en n'inscrivant pas et en ne déclarant pas correctement leurs revenus professionnels, fait que les appelants ne contestent pas. En outre, l'intimée prétend que la preuve soumise appuie la thèse du ministre que ces présentations erronées des faits étaient le résultat de l'inattention ou de la négligence. L'avocat de l'intimée a avancé que les deux appelants participaient à la tenue de leurs livres comptables et à la préparation de leurs déclarations respectives, qu'ils avaient une connaissance suffisante de ces livres et de leurs rapports avec leurs déclarations respectives pour que chacun ait dû connaître les erreurs commises dans la préparation des déclarations de revenu. L'avocat a soutenu que le revenu déclaré de chaque appelant comprenait de nombreuses présentations erronées des faits. Il a mentionné, en guise d'exemple, le fait qu'en 1987 le revenu déclaré était 54 000 $, qui a été majoré de 8 151 $ après l'établissement de la cotisation, et qu'en 1990 le revenu déclaré était 93 961 $, majoré de 31 786 $ pour chacun des appelants. Ces divergences étaient suffisamment considérables pour que l’on avise les appelants que des erreurs étaient commises.

[7] L'avocat de l'intimée a aussi affirmé que la preuve avait établi que les appelants n'étaient pas sûrs de la bonne application des dispositions pertinentes de la Loi, et que, malgré cela, ils n'avaient pas fait de réels efforts pour apprendre comment ils devaient déclarer leur TEC aux fins de l'impôt sur le revenu. Ceci, a déclaré l'avocat, démontre que les appelants n'ont pas pris de soins raisonnables et ont fait preuve d'inattention et de négligence aux fins des dispositions pertinentes de la Loi.

La position des appelants

[8] Les appelants soutiennent que le ministre ne pouvait pas établir les nouvelles cotisations en cause parce qu'elles ont été faites au-delà du délai imparti au paragraphe 152(4) de la Loi. Ils font valoir que le ministre peut établir des nouvelles cotisations au-delà du délai normal seulement s'il peut être démontré que le contribuable a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude en produisant sa déclaration de revenu. Bien que les appelants admettent que la méthode utilisée pour calculer leur impôt au cours des années d'imposition en litige était mauvaise et que cette erreur constituait une présentation erronée des faits aux fins du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, ils prétendent que l'intimée n'a pas établi que ces présentations erronées étaient imputables à la négligence, à l'inattention ou à l'omission volontaire des appelants.

[9] L'argument principal des appelants est que M. Strawson a été prudent et diligent dans la préparation des états financiers de la société et lorsqu'il a tenu compte du TEC aux fins de l'impôt sur le revenu. Il a reconnu le problème, y a réfléchi et est parvenu à une solution. Dans les circonstances où le contribuable réfléchit à un problème et en considère dûment la solution, comme l'a fait M. Strawson, il ne saurait y avoir présentation erronée des faits du genre envisagé au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi simplement parce que la solution est la mauvaise[6].

[10] Les appelants disent qu'en préparant leurs déclarations de revenus personnelles, ils ont appliqué une norme de soin supérieure à celle de l'inattention ou de la négligence. Les appelants ont avancé que les textes cités disent tous que, pour conclure à la négligence ou à l'inattention, il doit y avoir preuve d' « inattention, d’indifférence, de manque de souci ou de soin raisonnable » [7]. En l'espèce, les signes distinctifs de la négligence et de l'inattention sont absents. Les appelants ont fait un effort réel pour calculer et déclarer correctement leur revenu imposable pour les années en question et il n'existe aucune preuve du contraire. D'autre part, les allégations de l'intimée que les appelants ont été inattentifs, indifférents ou peu soigneux ne sont pas appuyées par les faits.

Conclusion

[11] Le ministre, s'il veut s'appuyer sur le sous-alinéa 154(2)a)(i) de la Loi, est tenu d'établir non seulement que les appelants ont commis une erreur en remplissant leurs déclarations de revenu, mais en outre que cette erreur provenait d'une négligence ou de l'inattention de leur part. Le ministre doit donc établir, selon la prépondérance des probabilités, que les appelants n'ont pas fait preuve de soins raisonnables dans la préparation et la production de leurs déclarations de revenu, incurie qui les a menés à présenter les faits erronément[8].

[12] Les avocats des appelants ont soutenu que le défaut du ministre d'établir des nouvelles cotisations dans les délais prescrits n'est pas uniquement dû à la présentation erronée des faits de la part de leurs clients. Ils affirment que la politique législative limitant le droit du ministre d'établir des nouvelles cotisations au-delà du délai imparti vise à établir un équilibre entre le besoin du ministre de disposer du temps nécessaire pour étudier et apprécier convenablement les renseignements fournis par le contribuable, et la nécessité pour ce dernier de jouir d’une certaine certitude dans ses affaires fiscales. En raison de cette politique, le ministre est autorisé à établir des nouvelles cotisations au-delà du délai normal seulement si les renseignements dont il a besoin étaient fautifs ou non disponibles en raison de la négligence, de l'inattention ou d'une faute plus grave du contribuable. Puisqu'en l'espèce, tout au long du délai applicable à l'établissement de nouvelles cotisations, Revenu Canada disposait de tous les renseignements nécessaires pour établir correctement la cotisation des appelants, eut-il exercé son droit d'examiner leurs déclarations au cours de cette période, il aurait constaté le problème et il aurait été en mesure de calculer leurs revenus exacts sans autre intervention des appelants. Il a été fait mention des propos du juge MacGuigan, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Regina Shoppers Mall Ltd.[9], qui, après avoir pris en considération le fait que le ministre disposait de tous les renseignements nécessaires pour établir une nouvelle cotisation dans le délai normal, a fait les commentaires suivants :

Il ressort clairement de la preuve que l'omission de procéder à une nouvelle cotisation dans le délai imparti provenait non pas de quelque présentation erronée des faits de la part de la demanderesse [la contribuable], mais plutôt de l'omission totale de la défenderesse [le ministre] de tenir compte des renseignements qu'elle possédait déjà.

[13] Les faits dans l'affaire Regina Shoppers Mall Ltd. diffèrent considérablement de ceux qui sont soulevés dans les présents appels. Les faits en cause dans cette affaire (tels que les résume le sommaire) étaient les suivants :

[TRADUCTION]

La contribuable a vendu un bien immobilier en 1976 et a traité le produit comme une rentrée de capital et réclamé une réserve. Le ministre a considéré que la rentrée était un revenu et accueilli une réserve sur ce fondement. La contribuable a interjeté appel. L'appel a été tranché le 21 septembre 1989, la Cour d'appel fédérale se prononçant en faveur du ministre. En attendant, la contribuable avait continué de faire ses déclarations sur la base de la rentrée de capital. En 1980, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'année 1979, tenant pour acquis que la rentrée constituait un revenu. La contribuable s'est opposée, prétendant que la nouvelle cotisation était prescrite ou, subsidiairement, qu'une réserve aurait dû être permise. Le ministre a établi une nouvelle cotisation, pour permettre une telle réserve. La contribuable a alors interjeté appel avec succès, au motif que la nouvelle cotisation était prescrite. La présente affaire était un appel de cette décision de la Section de première instance. La Couronne a soutenu que la contribuable aurait dû faire sa déclaration en tenant compte de la prétention du ministre ou, subsidiairement, qu'elle aurait dû faire sa déclaration comme elle l'a faite, en y joignant une renonciation au délai de quatre ans applicable aux nouvelles cotisations. Le ministre a aussi établi une nouvelle cotisation pour l'année 1980 au motif que la contribuable avait omis de reporter la réserve qui, selon le ministre, avait été faite en 1979.

La Cour d'appel fédérale devait décider si la nouvelle cotisation établie pour l'année 1979 était réellement prescrite parce qu'elle avait été établie plus de quatre ans après la date de la cotisation originale; la réponse dépendait entièrement de la question de savoir si la demanderesse, en produisant sa formule T2 de déclaration de revenu pour l'année en cause, avait présenté les faits erronément, par négligence, inattention ou omission volontaire ou avait commis quelque fraude. C'est dans ce contexte que le juge MacGuigan a cité en l'approuvant le commentaire suivant du juge Addy, de la Section de première instance de la Cour fédérale :

Il ressort clairement de la preuve que l'omission de procéder à une nouvelle cotisation dans le délai imparti provenait non pas de quelque présentation erronée des faits de la part de la demanderesse mais plutôt de l'omission totale de la défenderesse de tenir compte des renseignements qu'elle possédait déjà. Le témoin de la défenderesse a admis que le Ministère avait, par erreur ou pour quelque raison inconnue, omis de suivre sa procédure normale en cas de continuité de réserves, jusqu'à l'expiration de la période de quatre ans. Il ne s'agissait pas d'une affaire où il fallait fouiller dans de vieux dossiers; au contraire, toute la question faisait l'objet d'une opposition vigoureuse. Lorsque les années d'imposition 1976, 1977 et 1978 ont fait l'objet de nouvelles cotisations, on a inscrit sur le dossier du Ministère une note indiquant qu'il s'agissait d'un dossier à suivre au cours des années subséquentes. Cette procédure a été appliquée pour l'année 1980, mais non pour l'année 1979. J'accepte entièrement la déposition des témoins experts de la demanderesse portant que la méthode adoptée par la demanderesse pour produire sa déclaration de revenu était appropriée. La défenderesse n'a pas réussi à prouver qu'au moment du dépôt de la déclaration de revenu de 1979, il y avait eu présentation erronée des faits par négligence, inattention, omission volontaire ou fraude de la part de la demanderesse ou de son représentant.

(Les caractères gras sont de moi)

Étant donné les faits dans cette affaire, il n'est pas étonnant que la Section de première instance et la Cour d'appel aient conclu que le défaut d'établir une nouvelle cotisation n'était pas dû à une présentation erronée des faits de la part de la contribuable et qu'elles aient décidé que les années d'imposition 1979 et 1980 étaient frappées de prescription.

[14] Il ne faut pas interpréter cette décision comme statuant que le ministre est tenu d'examiner en détail chaque déclaration de revenu pour constater si les faits véritables auraient pu être établis avant l'expiration du délai de prescription. Dans le présent contexte, il est utile de considérer les commentaires de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Nesbitt v. The Queen[10]. Dans cette affaire, l'appelant avait soutenu qu'il ne pouvait y avoir présentation erronée des faits aux fins du paragraphe 152(4) parce qu'au moment de l'expiration du délai de prescription de quatre ans, le ministre était au courant de l'erreur contenue dans la déclaration de l'appelant pour 1981. Traitant de cette prétention, le juge Strayer a fait la remarque suivante :

Même en supposant que l'on puisse considérer que la lettre du 6 août 1986 prouve que le ministre était au courant à cette date-là (deux mois avant l'expiration du délai de prescription de quatre ans) des faits véridiques et qu'il y avait eu présentation erronée de faits, je ne crois pas que cela soit utile à l'appelant. Il me semble que l'un des objets du paragraphe 152(4) est de favoriser l'établissement soigné et exact des déclarations de revenus. C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. Cela demeure une présentation erronée de fait même si le ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs. Le caractère autodéclaratif du système fiscal serait miné si les contribuables pouvaient remplir avec négligence les déclarations tout en fournissant dans les documents de travail des données de base exactes, en espérant que le ministre ne trouve pas l'erreur mais que, si cela arrivait dans les quatre années suivantes, la pire conséquence serait l'établissement d'une nouvelle cotisation exacte à ce moment-là.

(Les caractères gras sont de moi)

[15] J'en viens maintenant à la prétention principale des appelants selon laquelle, bien qu'ils aient été dans l'erreur, ils ont agi honnêtement et avec diligence et de leur mieux en présence de dispositions extrêmement compliqués de la Loi et, ce faisant, ils ont respecté la norme de diligence imposée aux contribuables aux fins du sous-alinéa 154(2)a)(i). En ce qui concerne la norme de diligence requise, l'avocat des appelants a fait valoir qu'il ne s'agit pas d'un délit civil où, d'une part, un comptable a prétendu être un expert en fiscalité et, d'autre part, son client s'est fié à son expertise. En l'espèce, on prétend que M. Strawson a rempli sa déclaration en qualité de contribuable ne possédant aucune connaissance particulière en matière d'impôt et que, conséquemment, sa conduite (et celle de M. Fukushima) doit être jugée compte tenu de ces connaissances restreintes.

[16] Le ministre est tenu de prouver, pour le moins, que le contribuable a commis une erreur et que, bien qu'elle ait pu être faite de bonne foi, il ne s'agissait tout de même pas d'une erreur qu'un contribuable sage et prudent aurait normalement commise. Ce principe doit être considéré dans le contexte de l'expérience du contribuable en comptabilité et en fiscalité et de sa capacité à comprendre pleinement les détails d'une disposition de la Loi. Je tiens à dire dès le départ que je ne souscris pas à la proposition selon laquelle, parce que les appelants sont des comptables agréés et qu'une erreur a été commise dans leurs déclarations de revenu respectives, cette erreur procède forcément de la négligence et de l'inattention. Je crois juste de dire que la jurisprudence reconnaît un élément de subjectivité dans l'application du sous-alinéa 154(2)a)(i)[11], et que la norme requise de diligence dans cette affaire est celle applicable à un comptable raisonnablement compétent qui est un généraliste et non un fiscaliste.

[17] En l'espèce, bien qu'aucun des appelants ne prétende être spécialiste en fiscalité, chacun d'eux traitait régulièrement de questions fiscales dans sa pratique comptable qui, selon M. Strawson, comprenait la prestation d'avis en matière fiscale, et au cours des années les appelants se sont clairement présentés comme étant capables de voir à la préparation des états financiers et des déclarations de revenu requises aussi bien pour les sociétés que pour les particuliers qui sont leurs clients. En raison de cette expertise, on doit leur attribuer une compréhension relativement supérieure des règles de la fiscalité. À mon sens, un comptable dans les circonstances présentes est tenu de remplir ses obligations à l'égard de la préparation et de la production de ses propres déclarations de revenu avec le même soin et la même compétence que ses clients seraient en droit d'attendre de lui s'il leur fournissait les mêmes services.

[18] Il n'est pas contesté que la conduite du contribuable, s'il a agi avec une diligence raisonnable, ne sera pas visée par la phrase « une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire » . À mon avis, les appelants n'ont pas fait preuve d'efforts raisonnables dans les circonstances, vu leurs connaissances et parce qu'ils étaient capables de calculer correctement leur revenu aux fins de l'impôt à la suite du choix qu'ils ont exercé conformément à l'article 34 de la Loi. J'arrive à cette conclusion non pas en raison d'un facteur particulier, mais plutôt à la suite de l'effet cumulatif de tous les éléments de preuve.

[19] Comme on l'a dit, les appelants sont des comptables raisonnablement compétents qui se présentaient comme tels au grand public. On s'attend à ce qu'ils connaissent les principes fondamentaux du droit fiscal généralement familiers aux comptables raisonnablement bien renseignés, et à ce qu'ils découvrent et prennent en considération d'autres aspects des dispositions fiscales que l'application soigneuse des techniques ordinaires de recherche peut facilement révéler. J'estime que le témoignage de M. Strawson ne me convainc pas qu'il a agi de la sorte. En effet, il est plutôt étonnant qu'il ait été incapable de tirer la conclusion relativement simple que le choix prévu à l'article 34 ne lui accorde rien de plus que la possibilité de reporter son revenu et non une déduction permanente.

[20] Le témoignage de M. Strawson ne m'a pas impressionné favorablement. Il a tenté de dénigrer son expérience et sa compétence professionnelles, particulièrement en ce qui concerne les questions fiscales. Il a tenté de justifier sa conduite en blâmant les formules et il a soutenu que Revenu Canada devrait assumer la grande partie du blâme s'il y a eu présentation erronée des faits puisque le problème existait depuis 1982 et que, par conséquent, Revenu Canada n'avait pas à faire la vérification de la société et avait en sa possession tous les renseignements requis. M. Strawson demande aussi à la Cour de convenir que ses inquiétudes en 1982 ou 1983 au sujet de l'application de l'article 34 étaient considérables. Il n'y a toutefois aucune preuve qu'il a discuté de ces inquiétudes avec M. Fukushima qui était, selon M. Strawson, « un des meilleurs comptables généraux de Thunder Bay » , et ceci nonobstant le fait que M. Fukushima avait récemment attiré l'attention de M. Strawson sur l'irrégularité du traitement qu'il avait accordé au TEC. Si, comme l'a dit M. Strawson, les dispositions pertinentes de la Loi le laissaient perplexe et confus et s'il considérait que le problème dépassait ses compétences en matière fiscale, le fait de ne pas rechercher les conseils de M. Fukushima ou ceux d'un expert en fiscalité permet de se demander sérieusement s'il a accordé suffisamment d'attention et de soin aux fonctions qu'il exerçait pour la société. M. Strawson a aussi beaucoup insisté sur le fait qu'il a étudié le dossier d'un client commercial à des fins de comparaison. Puisque l'article 34 de la Loi prévoit des règles particulières à l'endroit de « professions libérales désignées » et définit expressément cette expression, le choix d'une entreprise de location à des fins de comparaison semble bizarre.

[21] En dernier lieu, bien que les appelants conviennent qu'une décision administrative ne peut l'emporter sur la loi, ils font valoir que la complexité est un facteur dont il faut tenir compte en déterminant s'il y a eu respect de la norme de diligence. Les appelants affirment s'être appuyés sur des publications administratives telles les bulletins d'interprétation et les circulaires d'information. Plus précisément, M. Strawson a renvoyé au bulletin d'interprétation IT-457R qui, dit-il, ne traite pas de la question du report du travail en cours de l'année précédente ni ne décrit la méthode applicable. En outre, les appelants soutiennent que, non seulement Revenu Canada ne les a-t-il pas aidés à solutionner ce difficile problème, mais il l'a aggravé, puisque les formules destinées à aider les professionnels qui se prévalent du choix prévu à l'article 34 de la Loi n'étaient, au mieux, d'aucune utilité et, au pire, étaient trompeuses et, même si elles n'ont pas causé leur erreur, elles l'ont perpétuée ainsi que leur méprise à l'égard de l'article 34.

[22] Il convient de faire plusieurs remarques. Premièrement, les formules soumises à l'appui de leur prétention visaient les années d'imposition 1987, 1988, 1995 et 1996. Leur pertinence à cette fin est douteuse puisque les appelants ne contestent pas que les présentations erronées des faits en cause sont apparues tout d'abord dans les déclarations qu'ils ont déposées pour les années d'imposition 1982 et 1983, et qu'ils ont continué de suivre la même méthode fautive chaque année par la suite sans autre pensée ni souci. Les appelants ne contestent pas non plus qu'ils auraient probablement agi de la sorte indépendamment des formules.

[23] Notons que le paragraphe 34(1) avait été modifié et renuméroté par 1985, ch. 45, par. 13(1) applicable aux années d'imposition 1985 et suivantes. En même temps, le paragraphe 34(2) a été abrogé. Alors que l'intention principale des deux dispositions était la même, soit permettre au contribuable qui exerce une profession libérale de choisir de ne pas inclure un montant dans son revenu pour une année d'imposition à l'égard du travail en cours, la formulation utilisée est considérablement différente[12]. Je trouve peu fondée la prétention voulant que la complexité des dispositions ou que les « directives restreintes, sinon erronées » fournies par l'intimée font qu'il est maintenant inapproprié de sa part de prétendre que les appelants ont été négligents ou inattentifs.

[24] Il convient de faire quelques remarques supplémentaires à l'égard de l'appel de M. Fukushima. Il a choisi de ne pas témoigner et il est disposé à fonder son appel sur le témoignage de M. Strawson. Il est néanmoins le contribuable / l'appelant et je dois décider s'il a fait preuve de soin raisonnable dans la préparation et la production de ses déclarations. Dans ce cas, c'est lui qui a soulevé la question de la prise en compte du TEC peu après s'être joint à la société. Ceci, pour le moins, dénote qu'il comprenait qu'ils exerçaient une profession libérale au sens de l'article 34 de la Loi et qu'il devrait y avoir une compatibilité entre la tenue de leurs livres pour l'enregistrement et la présentation aussi bien des données financières que fiscales. La seule déduction que l'on puisse faire, c'est que dès le départ M. Fukushima a choisi de se fier à M. Strawson et qu'il s'en est remis à son calcul des revenus de la société aux fins de l'impôt sans poser de questions. Si c'est le cas, et qu'il n'y a aucune preuve contraire, en ce qui concerne les présentations erronées des faits c'est en soi un indice de négligence et d'inattention. Comme l'a remarqué le juge Rouleau dans l'arrêt Can-Am Realty[13] :

De plus, ainsi que le relève le jugement rendu dans l'affaire Venne, c'est, en dernière analyse, au contribuable qu'incombe la responsabilité de veiller à l'exactitude des données consignées dans sa déclaration d'impôt. Cette obligation n'est en rien modifiée par le fait que le contribuable a confié la préparation de ses déclarations d'impôt à un comptable professionnel. [...]

Ce principe s'applique aussi au présent appel. Rien ne prouve que M. Fukushima a fait l'examen, dans ses déclarations, du revenu provenant de sa société en se reportant expressément au calcul de son revenu au moyen de la méthode du report d'impôt modifiée. Son omission de le faire démontre qu'il n'a pas déployé d'efforts raisonnables dans les circonstances et compte tenu de ses connaissances et compétences particulières.

[25] Je suis convaincu que l'intimée a établi que les appelants n'ont pas fait preuve de diligence raisonnable dans la préparation et la production de leurs déclarations respectives, et qu'il en est résulté des présentations erronées des faits. Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 3e jour de février 1999.

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour d’octobre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           M. Doug Enstrom s'est joint à la société en 1990. Il n'est pas partie à ces appels.

[2]           M. Strawson a déclaré dans son témoignage que cette pratique était suivie depuis au moins 1982 ou 1983.

[3]           M. Strawson a reconnu qu'aucune nouvelle cotisation n'a été établie pour les années antérieures à 1987 conformément à la politique administrative de Revenu Canada. Il a toutefois concédé que les revenus relatifs à ces années auraient également été déclarés en moins. En outre, en ce qui concerne les années d'imposition 1991 à 1993, les cotisations étaient prescrites et ne faisaient pas l'objet d'appels.

[4]           La formule T2130 exige la conciliation du revenu net par état financier avec le revenu net aux fins d'impôt.

[5]           La formule T2032 est un état des revenus et des dépenses d'une pratique professionnelle.

[6]           Regina Shoppers Mall Ltd. v. Canada, [1991] 1 C.T.C. 297 (C.A.F.) aux pp. 299 et 300.

[7]           Lucien Venne v. The Queen, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst.) à la p. 6251; M.D. Glazier Ltd. v. M.N.R. 83 DTC 48 (C.R.I.) à la p. 50.

[8]           Venne, précité, et Can-Am Realty Limited et al. v. The Queen, 94 DTC 6293 (C.F. 1re inst.)

[9]           Précité, p. 300. Dans la même veine, l'avocat a aussi renvoyé à l'arrêt Kwong and Gokavi v. The Queen, [1955] 2 C.T.C. 2928 (C.C.I.).

[10]          96 DTC 6588 à la p. 6589.

[11]          Voir par exemple les arrêts Venne, précité, Can-Am Realty Limited et al précité, et Chalupiak v. R., [1997] 1 C.T.C. 2066.

[12]          Si le manque de clarté de la formule remise à M. Strawson en 1983 constitue l'une des causes de sa présentation erronée des faits, elle aurait dû être soumise en preuve. De même, au cours du témoignage de M. Strawson (et dans les observations), il aurait dû être fait mention du bulletin d'interprétation IT-457, qui était applicable à l'époque.

[13]          Précité, à la p. 6300.

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