Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990104

Dossier: 95-3844-GST-G

ENTRE :

LA MARITIME, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 10 et 11 décembre 1997 à Halifax (Nouvelle-Écosse) par l'honorable juge E. A. Bowie

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]            Cet appel est interjeté à l'encontre d'une nouvelle cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”), qui prévoit une taxe sur les produits et services (la “ TPS ”). La question est de savoir si certaines sommes, appelées frais d'administration de placements (les “ FAP ”), ont été reçues par l'appelante dans des circonstances qui en font des sommes taxables. La dernière des cotisations, soit une nouvelle cotisation, a été établie le 29 août 1995 et vise la période allant du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1993. Depuis, l'appelante a payé la taxe en question, en protestant, et cet appel déterminera si le montant de cette taxe peut être recouvré. Il n'y a aucun différend quant au calcul de la taxe; ou bien le montant de la taxe fixé dans la cotisation est exigible en entier ou bien il ne l'est pas du tout.

Faits

[2]            L'appelante est une compagnie d'assurance-vie. Son entreprise consiste à vendre et à gérer divers produits d'assurance-vie, y compris divers contrats de rente de retraite destinés à procurer un revenu de retraite au titulaire de la police à une date future spécifiée. Les contrats en cause dans cet appel prévoient que les primes payées par le titulaire de la police sont investies par la compagnie dans un ou plusieurs fonds réservés (les “ fonds ”). Ces fonds correspondent à des groupes spécifiés de biens que l'appelante détient dans divers moyens de placement à l'égard de polices établies par elle. Les titulaires de police achètent généralement des contrats de rente de retraite à l'égard desquels ils paient des primes pour la constitution d'un avoir dans la police d'assurance durant leur vie active. À l'échéance, cet avoir sert à leur verser une rente. Les titulaires de police peuvent faire investir leurs primes dans un ou plusieurs fonds particuliers, et la valeur de leur police, déterminée de temps à autre ainsi qu'à l'échéance, est fonction de la valeur du ou des fonds choisis. Les actifs des fonds appartiennent à l'appelante. Le titulaire de police est en droit de recevoir certaines sommes de l'appelante à partir d'une date choisie d'avance, sous la forme d'une rente, ou plus tôt, en prenant la valeur de rachat de la police.

[3]            Au cours de la période pertinente, l'appelante maintenait sept fonds distincts, dont cinq sont pertinents aux fins de cet appel. Le fonds de croissance est investi surtout dans des titres canadiens choisis pour leur potentiel de croissance. Le fonds obligataire se compose d'obligations émises par des compagnies canadiennes. Le fonds équilibré consiste en actions et en obligations. Le fonds du marché monétaire est investi dans des titres à court terme du marché monétaire. Le fonds de placement dans des biens est investi dans des prêts hypothécaires. Les titulaires de police peuvent choisir de participer à un ou plusieurs de ces fonds. Chaque fonds consiste à un moment quelconque en un certain nombre d'unités, et l'on détermine périodiquement la valeur des unités en évaluant tous les actifs du fonds et en divisant ce total par le nombre d'unités en circulation. Lorsqu'une prime d'un titulaire de police est ajoutée à un fonds, le montant de la prime est divisé par la valeur unitaire du fonds pour déterminer le nombre d'unités supplémentaires de ce fonds qui doivent être attribuées à cette police. La valeur de chaque police varie donc selon la valeur des actifs détenus par le ou les fonds dans lesquels une participation est détenue par le porteur d'unités et elle augmente évidemment à mesure que des primes sont payées et que des unités des fonds lui sont attribuées. Ces fonds fonctionnent à la manière des fonds communs de placement, avec lesquels il sont en fait en concurrence sur le marché.

[4]            Outre la participation aux fonds que j'ai décrite, les contrats de rente différée de l'appelante offrent généralement un certain nombre de ce qu'on pourrait appeler des caractéristiques d'assurance, dans le cadre des dispositions de base de la police ou comme options disponibles. Parmi ces éléments, mentionnons une valeur minimale garantie à l'échéance, quelle que soit la valeur du fonds, ce qui peut être considéré comme une assurance contre une baisse possible de la valeur des actifs du fonds, un paiement garanti au décès de l'assuré avant l'échéance, quelle que soit la valeur de la police au moment du décès, et le versement de bonis sous forme d'unités de fonds à des dates anniversaires spécifiées, soit habituellement à intervalles de cinq ans après la quinzième année.

[5]            Les décisions de placement relatives aux fonds autres que le fonds du marché monétaire sont prises de la manière suivante. L'appelante formule une description générale des principes de placement relatifs à chaque fonds. Elle retient ensuite les services de conseillers en placement pour que ces derniers gèrent les actifs du fonds dans le cadre de ces lignes directrices et pour qu'ils conseillent la compagnie en matière de placement. Chaque conseiller a des actifs particuliers à gérer et est chargé de prendre les décisions de placement et de donner les ordres d'achat et de vente pour mettre en oeuvre ces décisions. Les clauses de leur contrat stipulent qu'ils doivent fournir à l'appelante une analyse économique trimestrielle ainsi que des résumés mensuels d'opérations et des cotations mensuelles de portefeuilles. Ces gestionnaires ont une très grande latitude dans les décisions de placement qu'ils prennent. Cependant, leur contrat exige qu'ils se conforment aux instructions particulières qui leur sont données par l'appelante. Leur rétribution est versée trimestriellement, sur les fonds qu'ils gèrent. Il est bien établi que le service qu'ils fournissent est assujetti à la TPS, et cela aussi est payé sur les fonds, tout comme les frais de courtage relatifs aux opérations qu'ils effectuent.

[6]            Le fonds du marché monétaire est investi par des employés de l'appelante travaillant au service des placements de l'appelante. Ces employés prennent les décisions de placement et donnent les ordres d'achat et de vente pour mettre en oeuvre ces décisions. On leur verse un salaire et, évidemment, il n'y a pas d'assujettissement à la TPS à cet égard.

[7]            La Banque de Nouvelle-Écosse agit comme banquier pour les fonds et comme dépositaire des titres des fonds. Chaque fonds a un ou plusieurs comptes bancaires distincts, dans lesquels on dépose les primes à investir, le revenu provenant des titres du fonds et le produit des ventes de titres faites par le fonds et sur lesquels on prélève les paiements nécessaires pour acheter des titres, ainsi que tous les autres frais imputables aux fonds. Les signataires autorisés à l'égard de ces comptes sont des dirigeants de l'appelante, mais, pour qu'il y ait conformité avec les exigences réglementaires, les actifs des fonds doivent être tenus séparément des actifs de la compagnie.

[8]            Les diverses polices de l'appelante prévoient que cette dernière fait payer plusieurs frais différents. Des frais d'administration de placements (FAP), des frais annuels d'administration, des frais de transfert, des frais de retrait variables et des frais de recouvrement sont tous diversement prévus dans une police appelée Financial Fitness Builder (qu'on pourrait traduire par “ Pour une meilleure santé financière ”), dont un spécimen figure dans les pièces déposées au procès. Ce sont les FAP qui sont directement en cause dans cet appel. À cet égard, la police d'assurance dit :

[TRADUCTION]

Des frais d'administration de placement sont déduits de chaque fonds réservé avant la détermination de la valeur unitaire. Ces frais représentent actuellement 1,75 p. 100 de la valeur marchande proportionnelle du fonds réservé particulier et sont déduits chaque jour d'évaluation selon un taux de 1,75 p. 100 divisé par le nombre de jours d'évaluation d'une année civile, soit un taux de 0,03365 p. 100 par semaine actuellement. Les frais d'administration de placement ne dépasseront jamais 3 p. 100 de la valeur marchande proportionnelle d'un fonds réservé.

Les autres polices qui ont été déposées en preuve prévoient des dispositions semblables à l'égard des FAP. Les autres frais sont relativement peu élevés, et leur apport aux recettes de l'appelante peut être passé sous silence aux fins de cet appel. Les recettes de l'appelante attribuables aux contrats de rente différée proviennent principalement des FAP. L’autre principale source de recettes provient de l'écart relatif aux polices fondées sur des certificats de placements garantis, soit l'écart entre le taux d'intérêt que l'appelante peut obtenir comme prêteur sur le marché et le taux qu'elle paie aux détenteurs de ses polices fondées sur des certificats de placements garantis.

[9]            M. Moffat, directeur des services financiers de détail de l'appelante, et M. Cotnam, l'actuaire chargé de fixer les FAP à demander, ont tous les deux témoigné. M. Moffat travaille pour l'appelante depuis environ 30 ans et en connaît à fond l'entreprise. Il a déclaré dans son témoignage que les expressions “ frais d'administration de placements ” et “ frais de gestion de placements ” sont utilisées de façon interchangeable par l'appelante et qu'il s'agit de frais que l'appelante demande au client, soit le titulaire de la police, pour couvrir des choses comme les commissions versées aux agents qui lui fournissent des occasions d'affaires, le coût d'outils de commercialisation relatifs aux polices, le coût d'établissement des polices, le coût de souscription relatif aux contrats de rente de retraite et les frais des services aux clients, qui comprennent des éléments comme les rapports, les conseils ainsi que les modifications de polices demandées par les titulaires de police. Il y a également une composante “ profit ” dans les FAP.

[10]          M. Moffat a décrit comme suit le processus relatif à l'administration effective des FAP. À la fin de chaque semaine, on évalue chacun des fonds en additionnant les valeurs de tous les actifs du fonds à la date d'évaluation[1]. Les frais annuels représentent un pourcentage du fonds; dans la plupart des polices, les frais annuels sont de 1½ p. 100, mais ils peuvent être augmentés par l'appelante. Un montant, calculé selon la formule 7/365 x 1½ p. 100[2] x valeur totale du fonds, est déduit de chaque fonds et viré au compte général de l'appelante pour payer les FAP relatifs aux fonds pour la semaine. Le solde de chaque fonds est ensuite divisé par le nombre d'unités en circulation pour établir la valeur unitaire du fonds à cette date. L'appelante ne facture rien au fonds; le montant calculé est simplement transféré par des écritures de journal dans les livres de l'appelante et dans les registres de la banque.

[11]          M. Cotnam, comme actuaire, est chargé d'examiner les coûts de nouveaux produits pour la compagnie et de prendre en compte les montants devant être demandés comme frais de sorte que le produit soit rentable. Concernant la vente de polices fondée sur des certificats de placements garantis, la compagnie couvre ses coûts indirects et réalise son profit grâce à l'écart entre les taux d'intérêt qu'elle gagne et les taux d'intérêt qu'elle paie aux titulaires de police. Concernant les polices des fonds réservés, elle doit couvrir ses coûts et réaliser son profit grâce aux divers frais prévus dans les polices, mais surtout grâce aux FAP. M. Cotnam a confirmé que ces coûts comprennent les commissions versées aux agents, les frais d'établissement de polices, les frais de maintien de polices, les frais d'évaluation relatifs aux fonds, le coût relatif à la supervision des conseillers en placement, le coût des prestations d'assurance (assurance-vie ou assurance du marché) prévues dans les dispositions de la police, les bonis à payer et tous les autres coûts indirects de l'appelante. Ces éléments sont ventilés dans les documents intitulés Outline of Policy Matrix (soit des aperçus des principes fondamentaux relatifs aux polices), qui font partie de la pièce A-1.

Thèses des parties

[12]          En vertu de l'article 165, soit la disposition d'assujettissement à la taxe, ainsi que de diverses définitions figurant à l'article 123, la Loi impose de la TPS à l'égard d'une fourniture de services effectuée dans le cadre d'une entreprise. Certaines opérations sont exonérées, notamment la fourniture d'un “ service financier ”[3], soit une expression qui est définie au paragraphe 123(1) et qui englobe l'établissement d'une police d'assurance.

[13]          L'article 131 se lit comme suit :

131           Pour l'application de la présente partie, le fonds réservé d'un assureur est réputé être une fiducie qui est une personne distincte de l'assureur et qui a, avec celui-ci, un lien de dépendance. À cette fin :

                a) l'assureur est réputé être un fiduciaire de la fiducie;

                b) les activités du fonds réservé sont réputées être celles de la fiducie et non de l'assureur.

Aux fins de l'imposition de la taxe, cette disposition fait de chacun des fonds réservés une personne distincte de l'appelante, de sorte qu'une fourniture de service faite par l'appelante à l'un quelconque des fonds représente la fourniture d'un service taxable, à moins que le service en question n'entre dans la définition de “ service financier ” et qu'il soit ainsi exonéré.

[14]          Dans la cotisation portée en appel, l'intimée se fonde sur le fait que les fonds, soit des entités distinctes de l'appelante aux fins de la Loi mais n'ayant aucune existence distincte en fait et n'ayant donc aucun employé en propre, fonctionnent seulement grâce aux actions d'autres personnes, soit les gestionnaires de placements indépendants et le personnel de l'appelante. L'avocat de l'intimée arguait que, outre le service qui est fourni par les gestionnaires de placements indépendants, l'appelante fournit à chaque fonds un seul et unique service d'administration ou de gestion qui, pour reprendre les termes de l'avocat de l'intimée, consiste en ce qui suit[4] :

[TRADUCTION]

[...] tenue de livres et registres et contrôle du rendement de gestionnaires de placements indépendants [... et ...] vente de polices de fonds réservés par l'intermédiaire d'agents de vente indépendants, investissement de l'argent reçu sous forme de primes par l'intermédiaire de gestionnaires de placements indépendants, contrôle des comptes des titulaires de police individuels, évaluation des actifs de fonds réservés et établissement des valeurs unitaires, tenue de livres et registres et liquidation des comptes des titulaires de police, aux dates d'échéance ou avant, relations publiques et règlement de différends juridiques, soit toutes des activités relatives aux comptes de fonds réservés exercées par l'appelante. Bref, toute l'entreprise des fonds réservés était dirigée et gérée par l'appelante, soit toutes des activités pour lesquelles l'appelante recevait un pourcentage forfaitaire, soit les FAP.

Les FAP, soutient-il, représentent la contrepartie payée par les fonds à l'appelante pour ce service et constituent donc la base à laquelle doit s'appliquer la taxe de 7 p. 100.

[15]          La thèse de l'appelante est que les FAP sont en l'espèce un élément de la contrepartie payée par le titulaire de police pour l'établissement et le maintien, par l'appelante, d'une police d'assurance-vie — bref, il s'agit d'un élément de la prime. On ne conteste pas le fait que les primes d'assurance sont des paiements relatifs à un service financier[5] et qu'elles sont donc exonérées de taxe. L'avocat soutenait que l'appelante effectuait une seule et unique fourniture, soit la fourniture de contrats d'assurance à des titulaires de police. Il considère les FAP comme un élément du coût, pour l'appelante, de la fourniture des polices d'assurance aux titulaires de police, soit les seuls acquéreurs d'une fourniture de l'appelante.

[16]          Les deux avocats m'exhortaient à considérer les FAP comme étant la contrepartie d'une fourniture unique. Me Chambers faisait valoir que, comme l'appelante ne demandait pas aux fonds des frais distincts pour des services distincts mais plutôt un seul et unique droit en pourcentage couvrant tous les services, il s'agit d'une contrepartie unique concernant une fourniture unique et non une fourniture multiple de plusieurs services. Me Harris faisait pour sa part valoir que tous les FAP devraient être considérés comme des primes reçues des assurés de l'appelante et devraient donc être considérés comme étant exonérés. Pour les motifs qui suivent, je ne souscris ni à l'un ni à l'autre de ces points de vue.

[17]          L'avocat de l'appelante soutenait en outre que tout service rendu aux fonds par l'appelante devrait être considéré comme un service financier, nonobstant l'alinéa q) de la définition de cette expression, dans sa version modifiée rétroactivement[6]. Vu la conclusion à laquelle je suis parvenu, il est inutile de trancher cette question.

Analyse

[18]          En ce qui a trait à l'application de la Loi, il importe d'aborder la question sous l'angle du bon sens et du point de vue de la réalité des opérations en cause. Ce principe a été appliqué par le juge Rip, de notre cour, dans l'affaire O. A. Brown Ltd. v. Canada[7], où, au paragraphe 28, il citait le passage suivant du jugement rendu par lord Widgery dans l'affaire Customs and Excise Commissioners v. Scott[8] :

Lord Widgery, C.J., a déclaré “qu'il est à espérer qu'en répondant à la question de lord Denning, M.R., à l'avenir, dans ce type d'affaire, les gens abordent le problème compte tenu du fond et de la réalité”. Il a ajouté ceci :

[TRADUCTION]

[...] je crois qu'il serait fort malheureux qu'on laisse ce sujet devenir trop légaliste et trop encombré d'arrêts lorsque, à mon avis, une fois qu'on s'est posé la question, il est possible d'y répondre en faisant appel à un petit peu de sens commun et en se préoccupant de ce qui se passe en réalité [...]

La question à laquelle faisait allusion lord Widgery était simplement la suivante : “ qu'est-ce que le contribuable a fourni en contrepartie de la somme qu'il exigeait [...]? ”[9]

[19]          Il importe aussi de se rappeler que, dans la présente espèce, il n'y a aucun contrat qui a été conclu entre les fiducies réputées et l'appelante, soit leur fiduciaire réputé. Le seul marché qui a été conclu en l'espèce est un marché entre l'appelante et le titulaire de police. Du point de vue du fond et de la réalité, le titulaire de police accepte de verser une contrepartie, soit la prime d'assurance en argent comptant et le montant des FAP attribuable chaque année à la police, et de recevoir en échange tous les droits conférés par la police. Il s'agit là de l'accumulation de richesse dans un ou plusieurs fonds gérés professionnellement, ce qui peut inclure une accumulation minimale garantie à l'échéance, un montant garanti payable en cas de décès avant l'échéance, des versements de bonis à intervalles après la quinzième année et peut-être aussi d'autres prestations. Tels sont les services d'assurance fournis aux titulaires de police.

[20]          Les fonctions consistant à tenir des registres, à faire des évaluations, à retenir les services de gestionnaires de placements indépendants, à superviser ces gestionnaires et à investir le fonds du marché monétaire font en réalité également partie des activités de l'appelante, mais, dans le monde fictif de l'article 131, il s'agit de services fournis aux fonds.

[21]          J'appellerai ces deux groupes de services les “ services d'assurance ” et les “ services destinés aux fonds ”.

[22]          De prime abord, on pourrait penser que, du fait que l'ensemble des FAP, soit 1½ p. 100 par année, passe des fonds à l'appelante, ce montant total devrait être considéré comme représentant la contrepartie des services destinés aux fonds. À mon avis, tel n'est pas le cas.

[23]          L'argument de la Couronne ne tient pas compte du fait que les principaux éléments de coût des FAP sont demandés par l'appelante expressément pour payer les services d'assurance, soit des services financiers bien distincts des services destinés aux fonds. Je renvoie ici aux prestations des polices d'assurance-vie et des polices d'assurance groupe, aux bonis et aux autres prestations que certaines polices offrent aux titulaires de police. Ce sont là des services financiers au sens de la définition de cette expression. De plus, ces services sont en réalité fournis à une personne autre que les fonds. Ils ne peuvent donc être considérés simplement comme faisant partie d'un service fourni aux fonds. Les FAP, qui servent à payer ces services, ne peuvent non plus être considérés comme la contrepartie simplement d'un service fourni aux fonds.

[24]          L'avocat de la Couronne invoque la décision rendue par le juge Rip dans l'affaire O. A. Brown Ltd[10] pour étayer la proposition selon laquelle tous les éléments énumérés au paragraphe 12 des présents motifs constituent un service unique, dont les FAP sont la contrepartie. L'affaire Brown concernait l'application de la Loi à un acheteur de bétail qui, conformément aux commandes de ses clients, achetait du bétail aux enchères, puis le revendait à ses clients. Dans la revente, le contribuable facturait à ses clients le coût, pour lui, des animaux, plus ses frais d'alimentation, de transport, d'assurance, d'inoculation et de marquage, ainsi qu'une majoration de 1 $ les 100 livres de bétail. Le juge Rip avait adopté l'approche fondée sur le fond et la réalité que préconisait lord Widgery, et avait conclu que la O.A. Brown Ltd. n'effectuait qu'une fourniture, soit une fourniture de bétail. Parvenant à cette conclusion, il disait, au paragraphe 31 :

[...] L'appelante cherche à se faire rembourser ces frais et exige des honoraires pour ce service. Il est difficile de considérer ces activités d'achat comme des fournitures distinctes, indépendantes de l'activité dans son ensemble. Elles ne forment un service utile que si elles sont considérées ensemble. Au fond et en réalité, la présumée fourniture séparée, soit un service d'achat, fait partie intégrante de la fourniture globale, à savoir la fourniture de bétail. Il n'est pas possible, en réalité, d'enlever de la fourniture globale les présumées fournitures séparées car celles-ci constituent en fait l'essence de cette fourniture. Les présumées fournitures séparées sont liées à la fourniture de bétail à un point tel qu'elles font partie intégrante de l'ensemble au complet. Les services sont rendus en vertu d'un seul contrat, pour une contrepartie unique, quoique la facture soit détaillée. L'appelante effectue une fourniture unique de bétail et la commission et les débours exigés font partie intégrante de la contrepartie y afférente. Ils n'équivalent pas à des fournitures séparées. C'est simplement une question de sens commun. Aucune TPS ne peut être perçue sur la commission exigée et sur les débours.

[25]          Le juge Rip traitait d'une situation dans laquelle le contrat avait été conclu entre un acheteur et un vendeur concernant un service global fourni par l'un d'eux à l'autre. La présente espèce est sensiblement différente en ce que les FAP ne sont pas simplement la contrepartie des services destinés aux fonds. Les FAP étaient fixés compte tenu du fait qu'ils couvriraient le coût de ces services ainsi que le coût de plusieurs autres services, soit les services d'assurance, ce qui ne rapporte rien aux fonds. Les services d'assurance représentent le principal élément des FAP. Comme le fait remarquer à juste titre l'avocat de l'appelante, le fonds est réputé être une personne, mais il n'y a aucune fourniture réputée. Il s'ensuit que ce qui peut être considéré comme une fourniture faite au fonds est simplement quelque chose qui rapporte au fonds.

[26]          Contrairement à ce que soutient l'avocat de l'intimée, je conclus que la vente de polices n'est pas un service fourni aux fonds par l'appelante. L'entreprise de l'appelante consiste à vendre des polices, ce qu'elle fait à son propre bénéfice. Les contrats d'assurance sont des contrats entre l'appelante et ses titulaires de police. Que les primes soient partiellement ou totalement investies dans les fonds n'y change rien, et cela ne fait pas des efforts de vente de l'appelante un service fourni aux fonds. Sans ces ventes, l'appelante n'aurait aucune entreprise.

[27]          Une fois établi que les FAP, bien que constituant une contrepartie unique, comportent deux éléments ou groupes d'éléments distincts, dont un se rapporte aux services d'assurance et l'autre aux services destinés aux fonds, il est évident que l'issue doit être régie par les articles 123 et 139 de la Loi.

[28]          Le paragraphe 165(1) impose la taxe à l'“ acquéreur ” d'une fourniture taxable. Le paragraphe 123(1) de la Loi définit comme suit le mot “ acquéreur ” :

“acquéreur”

a) Personne qui est tenue, aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

b) personne qui est tenue, autrement qu'aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

c) si nulle contrepartie n'est payable pour une fourniture :

(i) personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou à la disposition de qui le bien est mis,

(ii) personne à qui la possession ou l'utilisation d'un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,

(iii) personne à qui un service est rendu.

Par ailleurs, la mention d'une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l'acquéreur de la fourniture.

[29]          Les FAP sont payables conformément aux modalités des polices de l'appelante, qui sont évidemment des contrats entre l'appelante et ses titulaires de police. Les contrats stipulent que les fonds doivent servir à payer les FAP, et, évidemment, cela est fondamental à la thèse de la Couronne. Les “ acquéreurs ” de toutes les fournitures dont les FAP représentent la contrepartie sont donc, aux fins de la Loi, les fonds, bien que le principal élément de coût se rapporte à la fourniture de services d'assurance aux titulaires de police.

[30]          L'article 139 de la Loi se lisait comme suit à l'origine :

139           Pour l'application de la présente partie, dans le cas où un service financier est fourni avec un bien ou un service non financier et où le total des montants dont chacun représenterait la contrepartie d'un service financier ainsi fourni, s'il était fourni séparément, compte pour plus de la moitié de la contrepartie unique, la fourniture du bien ou du service est réputée être une fourniture de service financier.

En 1993, il a été modifié pour se lire comme suit :

139           Pour l'application de la présente partie, dans le cas où au moins un service financier est fourni avec au moins un service non financier ou un bien qui n'est pas une immobilisation du fournisseur, pour une contrepartie unique, la fourniture de chacun des services et biens est réputée être une fourniture de service financier si les conditions suivantes sont réunies :

a) le service financier est lié au service non financier ou au bien;

b) le fournisseur a l'habitude de fournir ces services ou des services semblables, ou des biens et des services semblables, ensemble dans le cours normal de son entreprise;

c) le total des montants dont chacun représenterait la contrepartie d'un service financier ainsi fourni, s'il était fourni séparément, compte pour plus de la moitié du total des montants dont chacun représenterait la contrepartie d'un service ou d'un bien ainsi fourni, s'ils étaient fournis séparément.

La version modifiée est applicable aux fournitures effectuées après le 14 septembre 1992. Cependant, ses exigences sont un peu plus rigoureuses que ne l'étaient les exigences de la version initiale, de sorte que, si l'on satisfait aux exigences de la version modifiée, on satisfait à celles de la version précédente.

[31]          Le but de cet article, c'est-à-dire des deux versions de cet article, est d'établir que, lorsque des services financiers et non financiers sont fournis pour une contrepartie unique et que la contrepartie des services financiers représenterait, si les services financiers étaient fournis séparément, plus de 50 p. 100 de cette contrepartie unique, la fourniture de chacun des services doit être considérée comme une fourniture de service financier, soit une fourniture exonérée de taxe. Les services financiers fournis en l'espèce, soit les services d'assurance, sont fournis avec les services qui profitent aux fonds, et ce, pour une contrepartie unique, soit les FAP. Bien que différentes personnes bénéficient de ces frais, il n'y a qu'un “ acquéreur ”, du fait de la définition de ce terme, et une seule et unique contrepartie. Les services financiers et les autres services sont nettement liés. Ils doivent tous leur origine aux mêmes polices d'assurance. La fourniture de ces services, ensemble, s'inscrit dans le cadre normal de l'entreprise de l'appelante. Il est donc satisfait en l'espèce aux deux premières conditions de l'article 139.

[32]          Il reste à savoir si la contrepartie des services financiers représenterait plus de 50 p. 100 de la contrepartie totale relative à l'ensemble des services si les services financiers étaient fournis séparément. Les éléments de preuve dont j'ai été saisi concernant les montants qui représenteraient la contrepartie des services financiers et la contrepartie des services non financiers, s'il s'agissait de services fournis séparément, figurent dans les documents intitulés Outline of Product Matrix, soit à l’onglet 1 de la pièce A-1, comme l'ont expliqué M. Moffat et M. Cotnam, ainsi qu'à la pièce R-46. Après avoir attentivement examiné ces documents, je considère que, dans chaque cas, le coût des services destinés aux fonds est beaucoup moins élevé que le coût des services d'assurance fournis aux titulaires de police sous la forme de prestations d'assurance. La contrepartie qui serait demandée pour les services financiers dépasse donc 50 p. 100 des FAP, soit la contrepartie totale. Il est donc satisfait à l'exigence de l'alinéa c) de l'article 139, de sorte que, en vertu de cet article, la fourniture de chacun des services est réputée être une fourniture de service financier, donc une fourniture exonérée en vertu de la partie VII de l'annexe V.

[33]          L'appel est accueilli, et la cotisation est annulée. L'appelante a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de janvier 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de septembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]                Cela s'est déjà fait mensuellement, hebdomadairement et quotidiennement à diverses époques, mais, durant la période en cause dans cet appel, cela se faisait hebdomadairement.

[2]               Ou autre pourcentage applicable.

[3]               Voir l'annexe V, partie VII.

[4]               Exposé des faits et du droit de l'intimée, paragraphe 45.

[5]               Voir les définitions données au paragraphe 123(1) des termes suivants : “ effet financier ”, “ service financier ” et “ police d'assurance ”.

[6]               L.C. 1997, ch. 10, paragraphe 1(5).

[7]                [1995] G.S.T.C. 40.

[8]               [1978] S.T.C. 191.

[9]                Affaire O. A. Brown Ltd. v. Canada, précitée, paragraphe 27.

[10]             Affaire précitée, note 7.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.