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Date: 19980910

Dossiers: 97-684-UI; 97-685-UI

ENTRE :

GERTRUDE MADORE, SYLVIE MADORE,

appelantes,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge G. Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Il s’agit de savoir si, durant la période du 9 juin 1996 au 7 septembre 1996, Sylvie Madore détenait un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-chômage (la Loi) auprès de l’appelante Gertrude Madore faisant affaires sous le nom de Les Agrès de pêche du Kamouraska Enr. Elle s’adonnait à la pêche à l’anguille et possédait aussi un Site d’interprétation de l’anguille.

[2] L’appelante employait ses deux filles Sylvie et Katy Madore dont le travail consistait à accueillir les visiteurs, à préparer un goûter pour ceux-ci et à faire le ménage du site. Les heures d’ouverture étaient de 9 h 00 à 18 h 00 tous les jours de la semaine. La rémunération hebdomadaire pour chaque travailleuse était de 332,80 $, soit 8 $ l’heure. Le revenu brut généré par le Site d’interprétation de l’anguille est d’environ 5 800 $ par année.

[3] L’intimé soutient que la payeuse appelante n’aurait pas accordé les mêmes conditions de travail s’il n’y avait pas eu les liens de dépendance. L’appelante soutient le contraire.

Fardeau de la preuve

[4] Les appelantes ont le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimé sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national[1].

[5] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimé sont décrits aux alinéas a) à v) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

5. En rendant sa décision, l’intimé, le ministre du Revenu national, s’est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a) l’appelante se livre à la pêche au hareng et à l’anguille depuis 1965 et exploite un centre d’interprétation de la pêche à l’anguille depuis 1989; [admis]

b) l’appelante s’adonne à la pêche à l’anguille en septembre et octobre de chaque année; [admis]

c) le centre d’interprétation est ouvert à chaque année du 15 mai à la fin du mois d’octobre; [nié tel que rédigé]

d) les heures d’ouverture sont de 9:00 à 18:00 tous les jours de la semaine; [admis]

e) la visite du centre d’interprétation dure généralement entre une demi-heure et une heure; [nié tel que rédigé]

f) le revenu brut généré par le centre d’interprétation est d’environ 5 800,00 $ par année; [nié]

g) la travailleuse est la fille de l’appelante; [admis]

h) les tâches de la travailleuse consistaient à accueillir les visiteurs, à préparer un goûter pour ceux-ci et faire le ménage du site; [admis, quitte à compléter]

i) outre son travail au centre d’interprétation, la travailleuse ramendait des filets pour l’appelante; [admis]

j) la travailleuse effectuait le ramendage de filets à sa propre résidence; [admis sous réserve]

k) le ramendage des filets comptait pour seulement 20 % du volume de travail de la travailleuse; [nié]

l) outre la travailleuse [Sylvie Madore], le centre compte une seule autre employée, Mme Katy Madore; [admis]

m) Mme Katy Madore occupait les mêmes fonctions que la travailleuse; [admis sous réserve]

n) Mme Katy Madore est la soeur de la travailleuse et la fille de l’appelante; [admis]

o) au cours de la période en litige, la rémunération hebdomadaire de la travailleuse était de 332,80 $; [nié]

p) bien que le centre d’interprétation soit ouvert environ 22 semaines par année, la travailleuse n’a travaillé que 12 semaines en 1994 et que 14 semaines en 1995 [admis en partie], soit à peu près le minimum pour se qualifier aux prestations d’assurance-chômage; [nié]

q) l’appelante a mis fin à l’emploi de ses deux employées la même journée 7 semaines avant la fermeture du centre d’interprétation; [nié tel que rédigé]

r) au cours de ces sept semaines, aucun employé n’était affecté aux opérations du centre d’interprétation; [nié]

s) la période d’emploi de la travailleuse a été déterminée afin de qualifier celle-ci aux prestations d’assurance-chômage et non pas en fonction des besoins réels de l’entreprise; [nié]

t) l’appelante et la travailleuse ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu; [admis]

u) n’eut été du lien unissant l’appelante à la travailleuse, celle-ci n’aurait pas été engagée pour effectuer un tel travail; [nié]

v) d’ailleurs, l’appelante n’aurait jamais engagé une personne sans lien de dépendance aux mêmes conditions que celles offertes à la travailleuse, encore moins pour une telle période. [nié]

[6] Les admissions de faits ci-dessus s’appliquent aussi au dossier portant le numéro 97-684(UI).

[7] Suite aux admissions ci-dessus, la preuve a été complétée par les témoignages de mesdames Gertrude et Sylvie Madore et par le dépôt des pièces A-1 à A-6 par les appelantes et I-1 à I-6 par l’intimé.

Témoignage de madame Gertrude Madore

[8] Le témoin explique qu’elle exploite l’entreprise en question depuis 1976. Une brochure de 54 pages relative à son entreprise publiée en 1994 a été produite sous la pièce A-1. Elle est intitulée “ Le Site d’interprétation de l’anguille de Kamouraska ”. L’auteure est Françoise Michaud Dufresne et l’éditrice est madame Gertrude Madore.

[9] Le témoin explique que concernant la pêche, les opérations de son entreprise se divisent en deux périodes : la première de mai et juin pour la pêche au hareng et la seconde à partir d’octobre pour la pêche à l’anguille.

[10] La pêche à l’anguille toutefois, même si elle se fait à l’automne, se prépare dès le printemps.

De la pièce A-1, aux pages 27 à 32, voici un extrait qui explique les actifs requis et le travail à faire pour les installations de la pêche à l’anguille :

On ne s’improvise pas "pêcheur d’anguilles" seulement avec un permis en poche. On doit se procurer du matériel pour l’installation de la pêche et pour la capture de l’anguille.

Aujourd’hui on doit posséder un tracteur aux multiples usages : tirer le tombereau quand on va cueillir les anguilles dans les coffres, ou enfoncer avec la tarière hydraulique, les piquets pour tendre les haubans.

Gertrude et Philippe Madore installent deux types de pêche; l’une dite "pêche fixe" et l’autre appelée "pêche flottante". On doit s’approvisionner de poteaux de 20 pi (6 m) de longueur, en épinette noire, et deux sortes de piquets de 7 pi (2,1 m) et de 3 pi (0,9 m), en érable. On a besoin de 3 200 pi (960 m) de filets pour une seule pêche (12 à 15 pi - 3,6 m à 4,5 m de hauteur), et autant de pieds de chaînes. Chaque pêche de 1 500 pi (450 m) de profondeur aura trois coffres où s’emprisonneront les anguilles; si la pêche s’étend à 2 000 pi (600 m) du rivage, elle sera équipée de quatre coffres. Pas moins de 750 flotteurs devront être installés à dix pouces de distance pour la pêche flottante. Un triangle jaune, signe de circulation interdite aux embarcations fluviales, doit être placé en évidence sur les poteaux suite à la demande de la garde-côtière.

À tous les printemps, à la disparition des glaces, toute la famille s’empresse de construire sur le fond marin, ce qui caractérise notre région : "les pêches à anguilles". Que de touristes s’informent à chaque été de l’utilité de ces filets tendus! Cette opération ne peut se faire qu’à marée basse. C’est donc dire qu’il faut profiter de deux intervalles d’assèchement en 24 heures.

En premier lieu on doit procéder à l’arpentage des lieux, savoir où placer les coffres.

D’une année à l’autre il faut repérer cet emplacement. Comme il est entendu que chaque coffre devra se situer à environ 500 pi (150 m) de distance, on place à 25 pi (7,5 m) en amont de la position du coffre, les longs poteaux de 20 pi (6 m) de hauteur par 3 à 4 po (7,8 cm à 10,4 cm) de diamètre. Ces deux rangées de poteaux perpendiculaires au rivage sont distancées de 35 pi (10,5 m). Pour maintenir ces poteaux ballottés par le vent et la mer, on enfonce des piquets de 7 pi (2,1 m) de longueur par 4 à 5 po (10,4 cm à 13 cm) de diamètre dans la vase. Seul 1 pi (30 cm) émergera à la surface où seront attachés les haubans.

Entre les deux rangées de poteaux on pose le câble d’acier de 3/8 de po (0,975 cm) de grosseur. Pour tendre ce câble à l’aide du tracteur, on laisse pencher les longs poteaux à 20 ° d’un côté. Au fur et à mesure que le câble se raidit, les poteaux redeviennent droits.

Les poteaux redressés, c’est le temps de fixer le long câble de 500 à 600 pi (150 à 180 m) qui supportera le filet. Les câbles qui se croisent seront attachés par un "clip" pour que le filet qui reste à poser ne glisse pas vers les poteaux.

Une marée basse permet l’installation d’un seul coffre et de son entonnoir. Comme on le constate, le travail nécessite plusieurs heures et il devra s’ajuster selon la descente et la remontée de l’eau.

Les lourds filets sont donc prêts à être étendus sur la grève avant d’être relevés et attachés aux câbles. Ces filets de 500 à 600 pi (150 à 180 m) de longueur ont déjà été ramendés, c’est-à-dire fixés à un cordage d’un ½ po (1,3 cm), de chaque côté de leur largeur. Gertrude calcule 8 mailles de filet au pied linéaire. Bien entendu ce travail ardu a été effectué durant les mois précédents. C’est ce cordage qui sera attaché au câble déjà en place. Les ailes de côté en forme de zigzag et longues de 100 à 150 pi (30 à 45 m), sont retenues comme tous les filets par une chaîne de ½ po (1,3 cm) de grosseur cousue au bas du filet. Cette lourde chaîne maintient les filets sur le fond de la mer. Le haut du filet sera fixé au grand câble d’acier déjà en place, par un cordage long de 5 pi (1,5 m) attaché à tous les 2 pi (0,6 m).

La technique de l’installation de "la pêche flottante" est la même que celle de "la pêche fixe" en ce qui concerne l’entonnoir et le coffre. Le haut du filet, quant à lui, au lieu d’être fixé à un câble est maintenu à la surface de l’eau par des flotteurs solidement attachés à tous les 10 po (26 cm). On doit retenir la chaîne solidement ancrée dans la vase. Ce sont les petits piquets de 3 pi (0,9 m) de longueur par 2 à 3 po (5,2 à 7,8 cm) de diamètre qui, enfoncés à tous les 50 pi (15 m) en amont du coffre, assureront une certaine rigidité au filet. Ainsi les anguilles emprisonnées au pied des filets ne pourront plus s’échapper. Il y a beaucoup moins de travail à installer une pêche flottante. Ce sont les courants marins qui orienteront le pêcheur dans sa décision d’opter pour l’une ou pour l’autre méthode.

L’anguille se dirigeant vers son aire de reproduction vers l’est, rencontre dans sa course un obstacle qui est le filet. Elle veut le contourner mais n’a d’autre issue que l’entonnoir qui la conduit au coffre, à l’extrémité du filet. Lorsque la marée se retire, l’anguille est emprisonnée et ne peut s’échapper.

Gertrude et sa famille sont aussi intéressées à la pêche au hareng durant les mois de mai et de juin, en attendant celle de l’anguille de l’automne.

Si l’on veut évaluer, à la fin d’une année, l’occupation continue de la famille de Gertrude et de Philippe Madore, depuis 1989, on doit se rappeler qu’elle participe aux travaux de l’entreprise touristique "Le Site d’interprétation de l’anguille" du 15 mai à la fin d’octobre. Elle doit aussi ramender les filets avant de construire les pêches, entretenir cette pêche, vider les coffres le jour et la nuit selon le reflux, démonter en novembre l’installation si rigoureusement érigée au printemps, nettoyer et réparer tous les accessoires indispensables au succès de toute pêche.

[11] Le témoin explique que le ramendage des filets et la confection de ces derniers se font au printemps. Les deux filles du témoin effectuent ce travail. Elles s’occupent aussi de recevoir les visiteurs au Site d’interprétation de l’anguille, de faire visiter le site, leur faire la dégustation. Depuis 1986, elles font ce travail, elles le connaissent bien et elles ont toujours touché des prestations d’assurance-chômage.

[12] Concernant le ramendage des filets, l’entreprise de l’appelante ne se restreint pas à confectionner des filets de pêche. À la page 9 de la pièce A-1, on peut lire ce qui suit à ce sujet :

... Le 11 novembre 1986 Gertrude et Philippe inaugurent leur entreprise commerciale "Les Agrès de pêche du Kamouraska Enr." On veut offrir des services aux pêcheurs du Bas-Saint-Laurent en faisant le "ramendage" et la réparation des filets. Le ramendage consiste à fixer un cordage au filet. Gertrude avoue qu’au début elle prenait trois mois pour monter le filet de l’entonnoir fixé au coffre qui sert de piège. Aujourd’hui elle exécute ce montage en quatre ou cinq jours. Très tôt on vendra des filets pour les terrains de balle-molle, de tennis et autres clôtures. Dès 1987 on invite Steven Grant, de Matane, ancien pêcheur de crevettes, à venir donner des cours de ramendage; monsieur Grant possédait une longue expérience dans la fabrication des filets. Gertrude et Philippe mettent leurs locaux à la disposition des étudiants. On veut créer des emplois et ainsi développer l’activité de la pêche à l’esturgeon (de la mi-juin à la mi-juillet), ou à celle de l’anguille (en automne).

[13] Les deux filles du témoin ne participent pas directement en octobre et en novembre à la pêche à l’anguille. Les anguilles sont recueillies dans les filets et le coffre. Ce travail est effectué par le commerçant, entre autres Les Pêcheries Gingras, qui a acheté les anguilles. Elles sont transférées dans des camions à transport congélateurs qui sont souvent directement embarqués sur des bateaux en partance pour l’Europe. De toute façon, pour la cueillette des anguilles, l’entreprise Les Agrès de pêche du Kamouraska Enr. n’a qu’à vérifier la pesanteur du produit vendu en vue du paiement.

[14] En plus des pêches aux harengs et à l’anguille, l’entreprise offre aussi aux touristes des visites guidées :

Cette entreprise familiale, créée le 11 novembre 1986, offre des visites guidées instructives, des excursions de pêche à marée basse (les groupes doivent réserver), et une démonstration de ramendage. Une surprise attend les visiteurs à la toute fin de la visite : l’hôtesse se fait un plaisir de gâter ses invités en leur offrant des canapés d’anguilles fumées (un pur délice) et de harengs marinés s’ils sont disponibles. [pièce A-1, p. 35]

On peut visiter les lieux de la mi-mai au début septembre. Toutefois, sur demande ou information à l’avance, des groupes organisés (entre autres, des écoliers) peuvent faire une visite guidée. Un adulte paie 4 $ (pour les groupes, le tarif est de 3,50 $), les élèves des écoles, 2,50 $ et un enfant de moins de 6 ans ne paie pas. Les visiteurs peuvent aussi acheter des contenants de harengs marinés. Il s’en est vendus 400 en 1996.

[15] En 1994, les revenus bruts de l’entreprise ont été ainsi :

Revenus de pêche 29 510 $

Autres revenus (visiteurs) 3 086 $

32 596 $

Dépenses 30 678 $

Revenu net avant allocation

du coût en capital 1 918 $

[16] En 1995, les revenus bruts ont été de 29 874,27 $, à part l’attrait touristique, et les dépenses de 27 141,64 $ (pièce I-2).

[17] En 1996, soit l’année en litige, la vente de harengs et les revenus touristiques ont rapporté 9 614 $ et la vente d’anguilles, 49 500 $.

[18] Selon la pièce A-2, la semaine finissant le 25 mai 1996, la vente de harengs a rapporté 979,12 $ et la semaine finissant le 1er juin 1996, 995,32 $. Relativement à l’année 1996, la pièce I-4 nous montre 15 factures de ventes concernant soit 2 filets à réparer : 105 $, un filet monté pour le ministère des Transports : 55 $, la vente de deux anguilles à 38 $ l’unité, etc.

[19] Sous la pièce I-5, on trouve 18 pages sur lesquelles les touristes ont écrit leur appréciation toujours élogieuse du 27 mai 1996 au 8 octobre 1996. Le nombre de visiteurs est réparti comme suit :

mai 9 visiteurs

juin 94

juillet 158

août 141

septembre 84

octobre 70

Total : 556 visiteurs

[20] Les feuilles de salaires des employées pour les années 1990 à 1996 sont déposées sous la pièce I-1. Il appert qu’une employée, Aline Lavoie, a travaillé en 1991 comme aide-pêcheur et gagnait 8 $ l’heure comme les deux appelantes qui, elles aussi, étaient aide-pêcheurs en plus d’être animatrices et de faire le ramendage des filets.

[21] Madame Sylvie Madore a témoigné que depuis 10 ans, elle travaille pour cet employeur. Elle s’occupe de faire le ramendage des filets, de mettre les harengs en pots, de recevoir les visiteurs. Elle explique à l’aide de maquettes comment on pêche l’anguille à partir des installations sur place.

[22] Sous la pièce A-6, la partie appelante a produit une lettre adressée à l’intimé le 10 juin 1997 pour obtenir “ les documents et renseignements versés aux dossiers de nos clientes ”. Parmi les documents reçus, il y a une opinion relative à Sylvie Madore, écrite par M. Jaco Ouellet, agent des appels. La conclusion se lit ainsi à la page 6 :

...

En conséquence, l’emploi de l’appelante est un emploi assurable car il y a une véritable relation employé-employeur et l’emploi rencontre les exigences du contrat de louage de services en vertu de l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage et de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

Précédents

Bellemare c. M.R.N., C.C. 186-45, le 13 février 1987, juge Potvin.

Montréal c. Montréal Locomotive Works Ltd., 1 D.L.R. 161

Recommandation

Nous recommandons que les notifications ministérielles soient émises à l’effet que Sylvie Madore lorsque au service de Gertrude Madore opérant “ Les Agrès de pêche du Kamouraska Enr. ” pour la période du 9 juin 1996 au 7 septembre 1996, occupait un emploi assurable en vertu de l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage et de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

La procureure de l’intimé ne nie pas que les emplois des appelantes sont assurables en vertu de l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage mais soutient qu’ils sont exclus en vertu de l’alinéa 3(2)c) à cause de la relation avec l’employeur.

[23] Le procureur de l’appelante répond à la procureure de l’intimé relativement à la conclusion de M. Jaco Ouellet qu’elle ne porte pas seulement sur l’alinéa 3(1)a), mais aussi sur l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage. En effet, il se réfère aux paragraphes intitulés “ Nature de la question ” et “ Dispositions de la loi ” à la page 2 de la pièce A-6 :

Nature de la question

Il s’agit de déterminer si l’appelante Sylvie Madore lorsque au service de Gertrude Madore opérant “ Les Agrès de pêche du Kamouraska Enr. ” pour la période du 9 juin 1996 au 7 septembre 1996, occupait un emploi exclu en vertu de l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage et/ou 5(2)i) de la Loi sur l’assurance-emploi. Nous examinerons également si cet emploi était exercé en vertu d’un contrat de louage de services tel que le requiert l’alinéa 3(1)a) de ladite loi et de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

La décision du bureau de district de Trois-Rivières était à l’effet que cet emploi était exclu des emplois assurables en vertu de l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance-emploi.

Dispositions de la loi

Alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage.

Alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage.

Alinéa 61(3)a) de la Loi sur l’assurance-chômage.

Alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

Alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance-emploi.

Article 91 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[24] Il est vrai que M. Jaco Ouellet semble n’avoir touché que l’alinéa 3(1)a) mais le commentaire du dernier paragraphe intitulé “ Nature de la question ”, soit que la décision du bureau de district de Trois-Rivières était à l’effet que cet emploi était exclu des emplois assurables en vertu de l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance-emploi, laisse la Cour perplexe à savoir si la décision de M. Ouellet ne voulait pas mettre un point final à la discussion mais sans l’exprimer.

[25] Concernant l’application de l’alinéa 3(2)c) de la Loi, plusieurs décisions ont été rendues par la Cour d’appel fédérale, dont celles rendues dans Tignish Auto Parts Inc. c. Le ministre du Revenu national[2] et Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Le ministre du Revenu national et le Sous-procureur général du Canada[3].

[26] Dans la première décision Tignish Auto Parts Inc. (A-555-93 C.A.F.) du 25 juillet 1994, la Cour cite le procureur de l'intimé dont elle partage l'opinion :

Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que ces faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

[27] Il se dégage donc quatre critères que la Cour canadienne de l'impôt peut appliquer pour décider si elle a droit d'intervenir :

le ministre

1) n'aurait pas tenu compte de toutes les circonstances;

2) aurait pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt;

3) aurait violé un principe de droit;

4) aurait appuyé sa décision sur des faits insuffisants.

[28] La Cour continue comme suit :

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit, sauf qu'elle n'indique pas les pouvoirs que la Cour peut exercer une fois que son intervention est réputée justifiée.

Après certaines considérations, la Cour ajoute plus loin :

Il est donc approprié, en l'espèce, d'analyser les dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage en vertu desquelles la Cour de l'impôt exerce sa compétence afin de déterminer le type de décision qu'elle peut rendre.

La Cour de l'impôt, n'étant pas une cour supérieure d'archives, n'a pas la compétence inhérente de renvoyer la question au ministre. Toutefois, elle dispose de pouvoirs implicites qu'elle pourrait peut-être invoquer à cette fin comme le prétend l'intimé. Mais la difficulté en l'espèce vient du fait que le législateur s'est déjà prononcé sur le pouvoir de renvoi de la Cour de l'impôt. Le paragraphe 70(2) de la Loi, précité, est de nouveau reproduit ci-dessous :

70. (2) Sur appel interjeté en vertu du présent article, la Cour canadienne de l'impôt peut infirmer, confirmer ou modifier le règlement de la question, peut annuler, confirmer ou modifier l'évaluation ou peut renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il l'étudie de nouveau et fasse une nouvelle évaluation; dès lors, elle est tenue de notifier par écrit sa décision et ses motifs aux parties à l'appel.

[29] La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc., a résumé ainsi l'affaire Tignish Auto Parts Inc. :

... Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans TIGNISH AUTO PARTS INC. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL, (25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que si la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[30] Il s'agit maintenant de se demander si dans la présente affaire, la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire.

[31] Le principal argument de l’intimé est que les appelantes ne travaillaient pas durant la période de la pêche à l’anguille, soit celle qui rapportait le plus de revenus.

[32] Le paragraphe 9 de la réponse à l’avis d’appel se lit comme suit :

9. L’intimé soutient que les conditions de travail n’auraient pas été semblables si l’appelante et le payeur n’avaient pas eu, entre eux, de lien de dépendance.

[33] Durant cette période, c’est madame Gertrude Madore elle-même qui s’est occupée de recevoir les visiteurs. Il n’y a rien dans la preuve démontrant que la période d’emploi de la travailleuse a été déterminée afin de qualifier celle-ci aux prestations d’assurance-chômage.

[34] L’affirmation contenue à l’alinéa 5. v) de la réponse à l’avis d’appel est la seule qui pourrait inciter la Cour à la conclusion désirée :

v) d’ailleurs, l’appelante n’aurait jamais engagé une personne sans lien de dépendance aux mêmes conditions que celles offerte à la travailleuse, encore moins pour une telle période. [nié]

Cette affirmation est plutôt une conclusion mais elle n’a pas de faits pour l’appuyer.

[35] Relisons le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l’assurance-chômage :

Emplois exclus.

3.(2) Les emplois exclus sont les suivants :

...

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[36] La rétribution versée de 8 $ l’heure n’est pas excessive, les modalités d’emploi, la durée, la nature et l’importance du travail accompli étaient les mêmes pour Aline Lavoie qui était aussi aide-pêcheur, recevait le même salaire dans des conditions similaires.

Conclusion

[37] L’appel est accueilli.

Signé à Québec (Québec) ce 10e jour de septembre 1998.

“ Guy Tremblay ”

J.C.C.I.



[1][1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

[2] C.A.F., A-555-93, 25/07/94

[3] C.A.F., A-172-94, 01/12/94

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