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Date: 20000418

Dossiers: 98-1432-IT-I; 98-1437-IT-I

ENTRE :

RÉAL BERNIER, AGENCE J.W.E.R. BERNIER LTÉE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

(Prononcés oralement sur le banc le 17 août 1999 à Montréal (Québec) et modifiés à Ottawa (Ontario) le 18 avril 2000)

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels, entendus selon la procédure informelle, de cotisations établies par le ministre du Revenu national (“ Ministre ”) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (“ Loi ”) pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995. Les appels de Réal Bernier et de l'Agence J.W.E.R. Bernier Ltée (“ Agence ”) ont été entendus sur preuve commune.

[2] Par ces cotisations, le Ministre a refusé à l'Agence des dépenses de l'ordre de 72 570 $ en 1993, 51 672 $ en 1994 et 47 285 $ en 1995, qu'elle avait réclamées à l'encontre de ses revenus de commissions, sur la base que ces dépenses étaient soit des dépenses personnelles de monsieur Réal Bernier, l'actionnaire majoritaire de l'Agence, soit des dépenses jugées déraisonnables compte tenu des revenus générés par l'Agence. Le Ministre a également refusé toutes les dépenses reliées à l'exploitation d'un autobus au motif que celui-ci n'aurait servi qu'aux déplacements de monsieur Bernier aux États-Unis et que l'Agence n'avait pu prouver qu'elle avait des clients aux États-Unis. Un gain en capital imposable de 118 278 $ (75 pour cent x 157 704 $) a aussi été ajouté aux revenus de l'Agence, au cours de l'année d'imposition 1995, suite à un jugement rendu par la Cour d'appel du Québec en avril 1995 par lequel l'Agence se faisait octroyer une compensation payable par la compagnie Ultramar Canada Inc. (“ Ultramar ”) pour perte de loyers, réparations et perte de profits, relativement à un immeuble dont l'Agence était propriétaire au début des années 1980 et dont elle a dû se départir pour la somme de 1 $ en 1984.

[3] L'Agence conteste ces cotisations au motif que les dépenses refusées ont été engagées en majorité pour produire un revenu d'entreprise. Elle reconnaît l'existence d'un gain en capital de l'ordre de 157 704 $ mais soutient que même si elle a reçu cette somme en 1995, ce gain est imposable en 1997 puisque ce n'est qu'en 1997 que tous ses recours devant les tribunaux ont été épuisés. L'Agence soutient également que le gain en capital résulte d'une compensation sur un profit qu'elle aurait dû réaliser lors de la vente de l'immeuble qui devait avoir lieu en 1981, mais qui a été annulée par suite de problèmes causés par une fuite dans le réservoir d'huile de l'immeuble, laquelle a ultérieurement entraîné la responsabilité d'Ultramar. Selon l'Agence, la somme reçue d'Ultramar en 1995, par suite du jugement de la Cour d'appel du Québec, devrait être imposée à 50 pour cent seulement, selon le taux imposable applicable en 1981 sur les gains en capital et non à un taux de 75 pour cent correspondant au taux imposable en 1995 sur les gains en capital.

[4] Pour ce qui est de Réal Bernier, le Ministre a refusé des dépenses de 19 979 $ en 1993, 17 258 $ en 1994 et 7 591 $ en 1995 que celui-ci avait réclamées à l'encontre de ses revenus de commissions, sur la base que ces dépenses étaient des dépenses personnelles de monsieur Bernier ou qu'elles étaient déraisonnables. Le Ministre a également ajouté aux revenus de monsieur Bernier à titre d'avantages conférés à un actionnaire aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi, les dépenses réclamées par l'Agence pour l'usage de l'autobus de même que certaines dépenses payées par l'Agence que le Ministre a considérées comme des dépenses personnelles de monsieur Bernier. Le total des sommes ainsi rajoutées au titre d'un avantage conféré à un actionnaire sont de 37 902 $ en 1993, 38 350 $ en 1994 et 31 781 $ en 1995. Monsieur Bernier conteste le refus des dépenses au motif qu'elles ont été engagées dans le but de gagner un revenu d'affaires et soutient que l'autobus ne lui servait que pour fins d'affaires. Il conteste donc l'imposition de l'avantage conféré à un actionnaire.

[5] J'ai entendu les témoignages de monsieur Réal Bernier et de madame Sonia Borin, alors agent des appels à Revenu Canada. Monsieur Bernier est un planificateur financier qui contracte des contrats d'assurance avec différents clients dans la province de Québec, et à l'extérieur de la province de Québec au nom de la compagnie d'assurances Great-West. Il reçoit des commissions et des bonis de celle-ci.

[6] Monsieur Bernier a également travaillé pour l'Agence qui agit comme courtier en assurances. Selon monsieur Bernier, l'Agence contracte avec différents clients au Canada et aux États-Unis. Il n'a pas voulu fournir la liste de ses clients aux États-Unis au motif qu'il s'agissait d'une liste confidentielle. Selon monsieur Bernier, tous ses déplacements pour l'Agence se font avec l'autobus. L'autobus était muni d'un ordinateur et d'installations qui permettaient à monsieur Bernier de se déplacer en dehors de Montréal où il habite, sans devoir se loger ailleurs.

[7] L'Agence a déclaré des revenus bruts de commissions de 132 007 $ en 1993, 78 256 $ en 1994 et 46 632 $ en 1995. Monsieur Bernier a déclaré des revenus bruts de commissions de 47 693 $ en 1993, 41 719 $ en 1994 et 51 967 $ en 1995.

[8] Les dépenses réclamées par l'Agence relativement à l'autobus, étaient de l'ordre de 38 969 $ en 1993, de 38 960 $ en 1994 et de 33 771 $ en 1995. L'intimée a refusé les dépenses totales de l'autobus au motif que monsieur Bernier n'a pas pu prouver l'existence de clients aux États-Unis. Toutefois, monsieur Bernier a dit dans son témoignage, qu'il faisait pratiquement tous ses déplacements à plus de 75 milles (120 km) de distance de Montréal en autobus. Il a déposé une liste de pièces démontrant qu'il avait plusieurs clients au Canada à l'extérieur de Montréal. La preuve a également révélé que l'appelant s'était déplacé à plusieurs reprises aux États-Unis. Toutefois, ce dernier n'a pas voulu dévoiler le nom d'aucun client aux États-Unis. La preuve est nettement insuffisante pour me permettre de conclure que monsieur Bernier y allait pour fins d'affaires.

[9] J'accepte du témoignage de monsieur Bernier qu'il utilisait l'autobus en partie pour fins d'affaires au Canada. L'intimée a déjà proposé à monsieur Bernier, au stade de l'opposition, d'accorder à l'Agence 50 pour cent des dépenses reliées à l'autobus, ce que je juge raisonnable dans les circonstances. J'accorde donc 50 pour cent des dépenses réclamées par l'Agence pour l'autobus. En ce qui concerne l'avantage conféré à l'actionnaire pour l'utilisation de l'autobus, je considère que monsieur Bernier a utilisé l'autobus pour ses fins personnelles dans une proportion de 50 pour cent et je réduis l'avantage conféré à l'actionnaire tel que calculé par le Ministre de moitié.

[10] En ce qui concerne les autres dépenses, je suis d'avis que les dépenses faites par monsieur Bernier ou l'Agence en remboursement de primes à certains clients pour maintenir les bonis avec la Great-West sont des dépenses faites dans le but de gagner un revenu, lesquelles sont déductibles. Celles-ci concernent les dépenses attribuées à Ghislaine Duval et Roland Gagnon.

[11] Sont également déductibles dans une proportion de 50 pour cent toutes les dépenses supplémentaires qui avaient été refusées relativement à l'exploitation de l'autobus qui ne sont pas de nature capitale et qui sont appuyées de pièces justificatives.

[12] En conclusion, je suis d'avis de permettre à l'Agence de déduire à l'encontre de ses revenus, les dépenses supplémentaires suivantes :

Pour l'autobus Autres dépenses acceptables

1993 20 000 $ 2 000 $

1994 20 000 $ 3 000 $

1995 15 000 $ 1 500 $

[13] En d'autres termes, le total des dépenses refusées pour l'Agence sera réduit de 72 570 $ à 50 570 $ en 1993, de 51 671 $ à 28 671 $ en 1994 et de 47 284 $ à 30 784 $ en 1995.

[14] Pour monsieur Bernier, je considère qu'il a reçu un avantage imposable pour l'utilisation de l'autobus de 17 500 $ au lieu de 37 902 $ tel que cotisé en 1993, 17 500 $ au lieu de 38 350 $ tel que cotisé en 1994 et 14 500 $ au lieu de 31 781 $ tel que cotisé en 1995. Cette réduction, de plus de 50 pour cent de l'avantage conféré à l'actionnaire tel que calculé par le Ministre, tient compte de la moitié des dépenses reliées à l'usage de l'autobus que je considère déductibles et des autres dépenses jugées acceptables.

[15] Pour ce qui est de la question du gain en capital, je note que l'immeuble a été vendu en 1984 pour 1 $. C'est en 1984 que l'Agence a disposé de cet immeuble pour la somme de 1 $. L'Agence a intenté des poursuites en 1981 contre Ultramar, la tenant responsable de l'annulation de la vente qu'elle devait exécuter en 1981. La vente ne fut pas exécutée à cause de dommages causés par un réservoir d'huile qui était la propriété d'Ultramar. L'Agence tenait Ultramar responsable de la perte de profit sur cet immeuble, qu'elle évaluait à 124 000 $. Après avoir intenté la poursuite, l'immeuble a été cédé aux créanciers hypothécaires de l'Agence pour 1 $. La Cour supérieure du Québec devait accorder des dommages à l'Agence pour perte de loyer et réparations pour une somme d'environ 20 000 $. La Cour d'appel du Québec a accordé une compensation supplémentaire de 124 000 $ pour la perte de profit sur l'immeuble. Le jugement de la Cour d'appel a été rendu en avril 1995. Suite à ce jugement, Ultramar a mis à la disposition de l'Agence la somme de 366 864 $ à titre d'offres réelles et consignation. Ce montant était réparti comme suit :

137 746 $ capital

91 988 $ intérêts

137 130 $ indemnité additionnelle aux termes de 366 864 $ l'article 1078.1 du Code civil du Bas Canada

[16] L'Agence à voulu faire augmenter le montant de l'indemnité additionnelle d'un montant additionnel d'intérêts devant la Cour supérieure du Québec. Son pourvoi a été rejeté le 6 septembre 1996 et la Cour d'appel a confirmé cette décision le 20 novembre 1996. La Cour suprême du Canada a refusé la permission d'en appeler le 29 mai 1997 et les avocats de monsieur Bernier ont été avisés de ceci le 16 juillet 1997.

[17] Le Ministre a établi que l'Agence avait réalisé un gain en capital imposable pour l'année terminée le 31 juillet 1995. Il a calculé ce gain en capital imposable de la façon suivante :

i) Montant de l'indemnité 366 864 $

ii) Moins : partie applicable comme intérêts 91 988 $

iii) Gain en capital 274 876 $

iv) Moins : provisions antérieures et excédent 117 172 $

(ce qui a déjà été déclaré par l'appelante)

v) Gain en capital révisé 157 704 $

vi) Gain en capital imposable 75% de ce montant 118 278 $

[18] Selon moi, pour cotiser la somme reçue comme un gain en capital, le Ministre ne pouvait s'appuyer que sur la définition de “ disposition de biens ” que l'on retrouve à l'article 54b)(ii) de la Loi qui se lit comme suit :

“ disposition de biens ” Sont compris dans la disposition de biens, sauf dispositions contraires expresses :

b) toute opération ou tout événement par lequel, selon le cas :

[ ... ]

(ii) une créance d'un contribuable ou un autre droit qu'a un contribuable de recevoir une somme sont réglés ou annulés.

(Voir Wise et al. v. Queen, 86 DTC 6023 (F.C.A.).)

[19] Le gain en capital résulterait de l'exécution par Ultramar de la créance détenue par l'Agence à son endroit. Le gain en capital ne peut résulter du transfert de l'immeuble puisque celui-ci a été vendu en 1984 pour 1 $.

[20] Le paiement par Ultramar de la somme de 366 864 $ correspondrait dans ce cas à une disposition. Pour établir le gain en capital, l'Agence devait démontrer quel était le produit de base rajusté du bien ainsi disposé. De toute évidence, le Ministre a établi le produit de base rajusté de ce bien à nil. La preuve ne me permet pas de conclure que le produit de base rajusté du bien serait autre. Monsieur Bernier ne semble pas le contester non plus puisqu'il reconnaît l'existence d'un gain en capital au montant de 157 704 $. J'en conclus donc que le gain en capital, résultant du paiement de la créance, doit s'établir à 157 704 $. Aux termes de la définition de “ disposition de biens ” que l'on retrouve à l'alinéa 54b)(ii) de la Loi, la disposition a lieu au moment où la créance est réglée ou annulée. Or, selon l'avis de déclaration d'offres réelles, cette somme a été mise à la disposition de l'Agence le 26 avril 1995. Je considère donc que la disposition a eu lieu dans l'année d'imposition 1995 et que le gain en capital a été réalisé au cours de cette même année. Ce gain ne devait pas être inclus dans l'année d'imposition 1997 tel que déclaré par l'Agence. Le Ministre devra faire en sorte d'annuler ce gain en 1997. Le gain en capital imposable est donc de 118 278 $ soit, 75 pour cent du gain en capital tel que déterminé par le Ministre puisque ce sont les taux de l'année de la disposition qui s'appliquent, soit l'année d'imposition 1995.

[21] Les appels sont donc admis uniquement pour la portion des dépenses que j'ai acceptées et pour la portion de l'avantage conféré à l'actionnaire que j'ai annulée. En tout autre aspect, les cotisations sont maintenues. Les appels ayant été déposés selon la procédure informelle sans que les appelants ne limitent les montants d'impôt en cause dans leurs appels à 12 000 $, j'estime que si la diminution du montant d'impôt résultant des montants que j'ai octroyés aux appelants dépasse 12 000 $ par année, cet excédent ne justifie pas une nouvelle audition en conformité avec la procédure générale, compte tenu des inconvénients et des frais qui en résulteraient pour les parties ainsi que de l'intérêt de la justice et de l'équité, le tout tel que prévu à l'article 18.13 de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'avril 2000.

"Lucie Lamarre"

J.C.C.I.

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