Date: 19990324
Dossier: 97-1470-IT-I
ENTRE :
RICK GREENSTREET,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
Le juge Sarchuk, C.C.I.
[1] L'appel en l'instance est interjeté par Rick Greenstreet ( « appelant » ) à l'encontre d'une cotisation d'impôt établie à son égard pour l'année d'imposition 1995.
[2] Dans le calcul de son revenu, l'appelant a déduit un montant de 32 159 $ à titre de perte déductible au titre d'un placement d'entreprise ( « PDTPE » ). Lorsqu'il a établi la cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre du Revenu national ( « ministre » ) a refusé cette déduction, mais il a admis une perte en capital nette de 5 794 $ pour l'année d'imposition 1995. Pour établir cette cotisation, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :
[TRADUCTION]
l'appelant a subi des pertes au titre d'un placement d'entreprise de 12 441 $ en 1989 et de 31 822 $ en 1990;
une déduction pour gains en capital de 24 879 $ avait été accordée à l'appelant en 1986;
pour déterminer le montant de la réduction de la perte au titre d'un placement d'entreprise de l'appelant pour chacune des années 1989 et 1990, le ministre a dû déduire de cette perte, en vertu du paragraphe 39(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le double du montant des gains en capital déduits en application de l'article 110.6 de la Loi pour une année d'imposition antérieure, dans la mesure où ce montant n'avait pas été antérieurement utilisé de cette façon relativement à d'autres dispositions;
du fait de l'application du paragraphe 39(9) de la Loi et conformément au sous-alinéa 39(1)c)(viii) de la Loi, les pertes au titre d'un placement d'entreprise subies par l'appelant en 1989 et 1990 ont été réduites à néant, ainsi qu'il est indiqué à l'annexe A ci-jointe;
du fait de l'application du paragraphe 39(9) de la Loi, l'appelant n'avait aucune perte déductible au titre d'un placement d'entreprise pour l'année d'imposition 1995;
du fait de l'application du paragraphe 39(9) de la Loi, la perte en capital nette que l'appelant pouvait reporter sur l'année d'imposition 1995 était de 32 159 $;
l'appelant a déclaré un gain en capital imposable de 5 794 $ dans l'année d'imposition 1995;
l'appelant avait le droit de déduire une perte en capital nette de 5 794 $ en 1995.
[3] Deux opérations ont donné lieu aux déductions faites par l'appelant. En ce qui concerne la première opération, personne ne conteste que l'appelant était, pendant toutes les périodes pertinentes, l'actionnaire majoritaire de Echo Kinetics Inc. ( « Echo » ), une société privée sous contrôle canadien qui avait exploité un garage pendant plusieurs années, y compris en 1989 et 1990, et qui a subséquemment été vendue. Lors de la disposition, le montant de 32 190 $ approximativement avait été consigné, dans les livres de Echo, sous le poste « compte de l'actionnaire » . Ce montant non recouvré représentait les salaires non payés à l'appelant remis à la société à titre de prêt. L'appelant a déclaré ces salaires dans ses déclarations de revenus annuelles et payé un impôt à cet égard[1].
[4] En ce qui concerne la deuxième opération, en 1989, l'appelant a investi le montant de 20 000 $ dans une hypothèque garantie auprès de Coulter Corporation ( « Coulter » ) d'Ottawa, un syndicat de placements hypothécaires. La société a fait faillite et l'appelant a subi une perte de 12 441 $.
[5] L'appelant soutient que, bien qu'elles soient traitées comme des PDTPE dans ses déclarations de revenus pour les années en question, les pertes qu'il a subies dans les années d'imposition 1989 et 1990 étaient en fait des pertes autres que des pertes en capital. Dans ses observations, l'appelant a comparé les salaires perdus que Echo lui devait en 1989 au revenu gagné dans l'année d'imposition 1995. Il a résumé sa thèse dans les termes suivants : [TRADUCTION] « Le salaire que j'ai gagné étant pleinement imposé, j'ai choisi de traiter le salaire perdu comme un salaire gagné dont le montant est négatif et donc de le porter en réduction de tout autre revenu gagné pour ainsi jouir d'une réduction fiscale égale à l'obligation fiscale qui en découlait » . Si j'ai bien compris, il soutient que, parce que le revenu tiré de la « coentreprise » (c.-à-d. Echo) était traité comme un revenu d'entreprise aux fins de l'impôt sur le revenu, le salaire perdu que Echo devait lui payer devait être traité comme une perte autre qu'une perte en capital et non comme une PDTPE, car chaque source de revenu était semblable.
[6] En ce qui concerne l'argent investi auprès de Coulter, l'appelant a d'abord tenté d'établir que ce montant était un prêt qu'il avait consenti à un particulier. Il a produit une copie d'un billet à ordre indiquant que le montant de 10 000 $, au taux d'intérêt annuel de 14 p. 100, lui était payable, et il a témoigné qu'il avait reçu un document semblable relativement au solde de 10 000 $. À l'audience, la Cour a indiqué que la preuve n'établissait pas que le montant était un prêt. Cependant, ainsi que l'avocate de l'intimée l'a fait remarquer, que le montant fût un prêt ou un autre type de placement n'est pas déterminant puisque, dans les deux cas, la perte en résultant était une perte en capital. L'appelant a ensuite fait valoir que l'argent que lui devait Coulter ne constituait pas un gain en capital, mais plutôt un revenu d'entreprise car il était structuré comme un prêt produisant de l'intérêt.
[7] En ce qui concerne les pertes subies en 1990 (le salaire non payé), la Loi prévoit que l'impôt sur le revenu tiré d'un emploi est payé lorsque le revenu est reçu par le contribuable au cours de l'année[2]. Ainsi que l'a indiqué l'avocate de l'intimée, le fait que l'appelant a payé de l'impôt sur ce salaire indique qu'il l'a reçu même si les paiements ont pu être purement fictifs à certaines occasions. Aux fins de la Loi, le salaire a été reçu et ensuite prêté à Echo. Le témoignage de l'appelant indique clairement que les montants en litige ont figuré dans les registres financiers de la société à titre de montants dus à l'actionnaire.
[8] Dans l'affaire Easton et al. v. The Queen et al.[3], la Cour s'est prononcée dans les termes suivants :
En guise d'énoncé général, il est raisonnable de conclure qu'une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société. Dans le cas où le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Le contribuable a consenti le prêt soit pour en retirer un revenu continu, ce qui est typique d'un investissement, soit pour permettre à la société d'exploiter son entreprise de manière à procurer à l'actionnaire un avantage durable sous forme de dividendes ou grâce à une augmentation de la valeur des actions. Comme la loi présume que l'acquisition a été faite dans le but de faire un placement, il ne semble que trop raisonnable de supposer que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital.
[9] Je suis convaincu que le prêt de l'appelant à la société visait à fournir à celle-ci un fonds de roulement. Par conséquent, c'était un prêt de capital et les pertes qui en résultent sont des pertes en capital.
[10] En ce qui concerne le placement chez Coulter, je suis convaincu que l'intention de l'appelant, lorsqu'il a avancé ces fonds, était d'investir dans la société de prêts hypothécaires pour en tirer un revenu. Il n'avait aucune intention de faire du commerce ou de réaliser un profit et, par conséquent, le placement était un placement de capital, et la perte est une perte en capital. De façon générale, le prêt consenti par une personne dont l'occupation ne consiste pas à prêter de l'argent sera considéré comme un placement. Cependant, dans des circonstances exceptionnelles ou inhabituelles, le fait de consentir un prêt peut être qualifié de commerce. L'appelant n'exploitait pas une entreprise de prêt et il n'a produit aucune preuve établissant l'existence de circonstances exceptionnelles. En outre, les faits ne sont pas tels qu'il faille prendre en considération les deux exceptions reconnues à la proposition générale selon laquelle les prêts sont des prêts de capital, qui ont été énoncées dans l'affaire Easton et al. v. The Queen et al.[4]. Puisque j'ai conclu que le montant avancé à Coulter était un prêt de capital, les pertes subies par suite de la faillite sont donc des pertes en capital[5].
[11] Les pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise sont des types de pertes en capital qui jouissent d'un traitement préférentiel en vertu de la Loi. Elles peuvent être portées en réduction de tout revenu, contrairement aux pertes en capital, qui ne peuvent être portées en réduction que des gains en capital; en outre, elles peuvent être reportées sur des années d'imposition subséquentes. La règle a pour objet d'encourager les placements dans les société exploitant de petites entreprises. À mon avis, l'appelant a été incapable de saisir cette distinction, comme en font foi ses arguments, qui reposaient pour l'essentiel sur l'hypothèse selon laquelle les pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise sont des pertes autres que des pertes en capital. Elles ne le sont pas. Le paragraphe 39(9) de la Loi permet la réduction d'une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise jusqu'à ce que le contribuable ait subi des pertes au titre d'un placement d'entreprise égales aux gains en capital des années précédentes qui sont admissibles à l'exemption pour gains en capital en application de l'article 110.6. Dans ces dispositions, le législateur semble avoir jugé opportun de limiter l'avantage que le contribuable peut tirer des dispositions relatives à la PDTPE lorsqu'il a déjà bénéficié d'une exemption pour gains en capital. Si un particulier a réalisé un gain en capital et qu'il a demandé l'exemption pour gains en capital, il ne peut demander une PDTPE que lorsque ses pertes au titre d'un placement d'entreprise sont plus élevées que l'exemption pour gains en capital qu'il a demandée.
[12] Je suis convaincu que le ministre a correctement déterminé que ces pertes étaient des pertes en capital. Il a ensuite déterminé que les pertes étaient des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise. Le paragraphe 39(9) de la Loi a pour effet de réduire la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise à néant en raison de l'exemption pour gains en capital antérieurement demandée par l'appelant. Il en résulte que l'appelant a une perte en capital nette qu'il peut porter en réduction des gains en capital d'autres années. Les calculs du ministre concernant le droit de l'appelant en vertu du paragraphe 39(9) se trouvent à l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel :
Calcul de la réduction de la perte au titre d'un placement d'entreprise pour 1989
Le moindre de (A) et de (B)
Placement d'entreprise pour 1989 – 39(9)a)(i) 12 441 $ (A)
Déduction pour gains en capital en 1986 24 879 $
Le double du montant de 24 879 $ – 39(9)b)(i) 49 758 $ (B)
Réduction de la perte au titre d'un placement d'entreprise pour
1989 – le moindre de (A) et de (B) 12 441 $
Calcul de la réduction de la perte au titre d'un placement d'entreprise pour 1990
Le moindre de (A) et de (B)
Placement d'entreprise pour 1990 – 39(9)a)(i) 31 822 $ (A)
Total de la déduction pour gains en capital en 1986 24 879 $
Le double du montant de 24 879 $ – 39(9)b)(i) 49 758 $
Moins : le montant déterminé en vertu de 39(9)b)(ii) 12 441 $
37 317 $ (B)
Réduction de la perte au titre d'un placement d'entreprise pour
1990 – le moindre de (A) et de (B) 31 822 $
[13] L'appelant n'a produit aucune preuve pour réfuter l'hypothèse du ministre selon laquelle il a demandé et obtenu une déduction pour gains en capital de 24 879 $ dans l'année d'imposition 1986. À mon avis, donc, le ministre a correctement appliqué le paragraphe 39(9) de la Loi et réduit la perte au titre d'un placement de l'entreprise de l'appelant à néant. Bien que l'appelant n'ait droit à aucun avantage aux termes des dispositions relatives à la PDTPE, il peut quand même appliquer la perte en capital existante en réduction des gains en capital dans l'année. De fait, le ministre, dans la cotisation qu'il a établie à l'égard de l'appelant, a appliqué une perte en capital nette en réduction des gains en capital dans cette année-là, et le droit de l'appelant à cette réduction n'est pas contesté.
[14] En conséquence, l'appel est rejeté.
Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 1999.
« A. A. Sarchuk »
J.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 13e jour de janvier 2000.
Benoît Charron, réviseur
[1] Les parties ne sont pas d'accord sur la question de savoir si ce montant se rapportait à l'année d'imposition 1989 ou 1990, mais, comme ce montant peut être reporté sur une année postérieure à l'une ou l'autre des années en cause, la question n'est pas pertinente pour les fins de l'appel en l'instance.
[2] Paragraphe 5(1).
[3] 97 DTC 5464, à la page 5468.
[4] 92 DTC 6218, à la page 6221 (C.F. 1re inst.), conf. par 97 DTC 5464 (C.A.F.). Voir aussi M.N.R. v. Henry J. Freud, 68 DTC 5279 (C.S.C.), et M.N.R. v. Foreign Power Securities Corp. Ltd., 67 DTC 5084 (C.S.C.).
[5] Il y a lieu de signaler que le ministre a conclu que ces pertes en capital étaient visées par la définition énoncée au paragraphe 39(1)c) et qu'il a déterminé qu'elles étaient des pertes au titre d'un placement d'entreprise. Cette décision n'est pas en cause.