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Date: 19991207

Dossier: 98-145-GST-G

ENTRE :

JOHN MacDONALD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Avocat de l'appelant : Me Donald F. Gurney

Avocate de l'intimée : Me Heather J. Konrad

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er novembre 1999.)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]            L'appelant était, pendant les périodes pertinentes, l'un des administrateurs de Nasty Jack’s Restaurants Inc. Cette compagnie avait, le 31 août 1994, fait cession de ses biens dans le cadre d'une faillite alors qu'elle devait environ 30 000 $ au titre de la TPS impayée ainsi que des intérêts et pénalités y afférents. Une cotisation a été établie à l'égard de l'appelant en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise, lequel impute la responsabilité du paiement des taxes impayées par une personne morale aux administrateurs de celle-ci. Le paragraphe 323(1) se lit comme suit :

                Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

[2]            L'appelant s'appuie sur la défense basée sur la diligence raisonnable qui est prévue au paragraphe 323(3), qui se lit comme suit :

                L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[3]            L'appelant a fait des études postsecondaires; il a fréquenté l'Université Simon Fraser pendant deux trimestres et a par la suite suivi quelques cours de recyclage à l'Université de la Colombie-Britannique. Il n'a aucun titre officiel (il détient toutefois un diplôme d'études secondaires) ni aucune formation officielle en administration des affaires ou en finance. Au fil des ans, il a occupé divers emplois, dont le poste de dirigeant d'une chambre de commerce ainsi qu'un ou deux postes dans le domaine de la commercialisation et des relations publiques.    

[4]            Il a obtenu le grade de capitaine dans les forces armées. De 1988 à 1995, il a travaillé comme chauffeur pour la société Greyhound Lines of Canada Ltd. Il a jadis été membre de deux autres conseils d'administration de compagnies inscrites auprès de la Bourse de Vancouver, pendant une période d'environ un an dans chaque cas. Il semble qu'il ait été invité à siéger à ces conseils parce qu'il avait investi des sommes d'argent dans ces compagnies en prévision de sa retraite. L'appelant a témoigné qu'il n'avait ni dans un cas ni dans l'autre joué un rôle actif en sa qualité d'administrateur, bien qu'il ait assisté à certaines des réunions des conseils. Il prétend être incapable de lire et comprendre des états financiers.


[5]            En 1981, l'appelant rencontrait un certain Michael Riley; les deux hommes se sont liés d'amitié. À l'été 1993, ils ont décidé de se lancer dans la restauration ensemble. L'appelant n'avait aucune expérience le prédisposant à exploiter un restaurant. Il savait cependant que son ami avait dans le passé été propriétaire de deux restaurants qui, selon ce qu'il savait, avaient été prospères, et avait exploité une entreprise de vente de tapis. L'appelant croyait que M. Riley était un homme rompu en affaires qui avait eu un certain succès en tant que restaurateur.

[6]            En septembre 1993, l'appelant et M. Riley ont acquis un restaurant, qui s'appelait alors P. J. All Stars, et ont décidé qu'ils l'exploiteraient sous le nom de Nasty Jack’s.

[7]            Nasty Jack’s Restaurants Inc. a été constituée en société le 1er septembre 1993 et a ouvert ses portes environ deux semaines plus tard. L'appelant et M. Riley détenaient respectivement 49 et 51 pour 100 des actions, et ils étaient tous deux administrateurs de la société.

[8]            Dans les premiers temps de l'exploitation du restaurant, M. Riley et l'appelant avaient convenu de partager entre eux les tâches de gestion. L'appelant devait s'occuper de la commercialisation et de la publicité, des services d'alimentation, de la musique et de la décoration, de l'entretien ainsi que du système informatique, dont il sera question un peu plus loin dans les présents motifs. M. Riley devait pour sa part s'occuper de l'embauchage, de la formation, des horaires de travail et de la supervision des employés et de la cuisine, ainsi que de la comptabilité, des opérations bancaires, des finances, des comptes fournisseurs, du livre de paie, des achats et des questions d'ordre juridique. De toute évidence, l'appelant et M. Riley n'ont pas appliqué à la lettre cette répartition des tâches, puisque l'appelant a fini par s'occuper du livre de paie et que les registres comptables étaient tenus par ordinateur.

[9]            Ils ont acheté le restaurant 175 000 $, dont 75 000 $ payés en espèces, le reste devant être payé par versements. La Banque Royale leur a accordé une marge de crédit d'exploitation. L'appelant a versé 10 000 $ à M. Riley, somme qui représentait selon ses dires une commission de prospection; la banque a par ailleurs exigé qu'il dépose une somme de 30 000 $ comme garantie additionnelle du remboursement de la marge de crédit. Le restaurant comptait environ 70 employés, dont une bonne partie travaillaient à temps partiel.

[10]          Comme je l'ai indiqué un peu plus haut, l'appelant s'occupait entre autres du système informatique. Il a témoigné qu'il n'avait jusqu'alors aucune connaissance ou expérience en matière d'ordinateurs; il semble toutefois qu'il avait acquis une connaissance pratique suffisante des opérations sur ordinateur ainsi que du logiciel comptable appelé “ AccPac ” pour pouvoir procéder à la saisie de base des données, notamment en ce qui a trait aux factures touchant les approvisionnements ainsi que les données permettant d'établir l'état de la paie (données fournies par la Banque Royale, qui émettait les chèques de paie des employés). L'appelant s'est cependant rapidement rendu compte que la saisie de toutes ces données prenait presque tout son temps. Il travaillait au restaurant six jours par semaine, à raison de dix heures par jour environ, mais il a déclaré qu'il n'avait jamais réussi à mettre les données à jour. Au printemps 1994, il était d'ailleurs en retard de huit à 12 semaines, et il avait constaté qu'il consacrait presque tout son temps de travail à essayer de rattraper ce retard. C'est à ce moment-là que l'appelant a conclu qu'il n'était pas satisfait de sa nouvelle vie, et il a avisé M. Riley qu'il souhaitait se retirer de l'affaire.   

[11]          Au début du mois de mars, l'appelant a cessé de retirer son salaire mensuel de 3 000 $; il a toutefois quelque peu continué à faire de la saisie de données pour aider M. Riley jusqu'à ce qu'on trouve un remplaçant pour effectuer cette tâche. Les deux hommes avaient convenu que l'appelant demeurerait administrateur et actionnaire jusqu'à la fin de l'année 1994, mais qu'il consacrerait peu d'heures au restaurant; au printemps, il a repris son poste de chauffeur pour la Greyhound Lines of Canada Ltd.

[12]          En août 1994, M. Riley téléphonait à l'appelant pour l'informer qu'il avait définitivement fermé le restaurant et remis les clefs à l'ancien propriétaire. L'entreprise était insolvable; les arriérés de TPS qui font l'objet du présent appel figuraient parmi les dettes que la société n'avait toujours pas payées. Le 12 août 1996, on avait établi à l'égard de l'appelant une cotisation réclamant un montant total de 30 354,48 $ au titre de la TPS impayée ainsi que des intérêts et pénalités y afférents.

[13]          Il semble que les administrateurs de Nasty Jack n'aient jamais tenu de réunion du conseil; en tout cas, on n'a produit aucun élément de preuve en ce sens. L'appelant a affirmé au cours de son témoignage qu'il laissait M. Riley s'occuper de toutes les questions financières. Il a déclaré n'avoir jamais regardé quelque état financier que ce soit au cours de la période allant de la mi-septembre 1993 au début de mars 1994, ou, quant à cela, à quelque époque que ce soit. Il remettait simplement à M. Riley les données générées par l'ordinateur, sans y jeter un coup d'oeil. Il n'a demandé à ce dernier des renseignements sur la TPS qu'une seule fois, lors d'une conversation ayant eu lieu en janvier 1994 : il lui avait demandé comment étaient effectués les versements de TPS. M. Riley lui avait alors répondu que la TPS devait être versée dans les 90 jours suivant la fin de chaque trimestre, et que ce serait fait. Au cours du contre-interrogatoire, l'appelant a déclaré que cette conversation avait duré environ une minute. L'appelant n'avait par la suite plus posé de questions, et n'avait rien su d'autre sur cette question, jusqu'à ce qu'il apprenne, au cours d'une réunion qui avait eu lieu en août et où étaient également présents M. Riley, l'ancien propriétaire et le syndic de faillite, que la TPS n'avait pas été versée. À ce moment-là, et à plusieurs reprises par la suite, l'appelant a demandé avec instance à M. Riley de produire une déclaration et de remettre les taxes, ce qui a en bout de ligne été fait, mais il était alors évidemment beaucoup trop tard.

[14]          L'avocat de l'appelant a soutenu que son client s'était convenablement acquitté de l'obligation qui lui incombait aux termes de l'article 323 de la Loi, en sa qualité d'administrateur, lorsqu'il avait, à la mi-janvier 1994, demandé comment la compagnie versait la TPS. L'avocat prétendait par ailleurs que la réponse fournie par M. Riley, à savoir qu'une déclaration devait être produite, et la TPS remise, dans les 90 jours suivant la fin de chaque trimestre et qu'il veillerait à ce que cela soit fait, avait induit l'appelant en erreur. L'avocat s'appuie fortement sur le passage suivant tiré du jugement rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Soper v. The Queen, 97 DTC 5407, à la p. 5417 :

                  Ce ne sont évidemment pas tous les administrateurs internes qui ont été tenus responsables. La Cour de l'impôt a refusé de retenir la responsabilité d'un administrateur interne dans des affaires où il était une partie innocente qui a été induite en erreur ou trompée par d'autres administrateurs : voir Bianco c. M.R.N., 91 DTC 1370 (C.C.I.); Edmondson c. M.R.N., 88 DTC 1542 (C.C.I.); Shindle c. M.R.N., 95 DTC 5502 (C.F. 1re inst.); et Snow c. M.R.N., 91 DTC 832 (C.C.I.).

Dans chacune de ces affaires, l'appelant avait dans une certaine mesure été victime de la fraude ou de la tromperie de la part d'un co-administrateur. Lorsqu'il avait indiqué à l'appelant que le délai applicable à la remise de la TPS était de 90 jours, M. Riley faisait erreur : le délai était en réalité de 30 jours (voir les articles 228, 238 et 245 de la Loi sur la taxe d'accise). Toutefois, le premier trimestre de la société venait alors tout juste de se terminer, et la société pouvait encore produire une déclaration sans être en retard. Je ne crois pas qu'on puisse affirmer que M. Riley, en disant qu'il allait s'occuper de la TPS alors que le délai de production de la déclaration n'était pas expiré, commettait ainsi une tromperie. Il ne s'agissait en tout cas certainement pas d'une tromperie de l'ampleur de celles des affaires mentionnées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Soper.

[15]          On ne peut par ailleurs conclure que l'appelant ait été tout à fait relevé de l'obligation prévue à l'article 323 simplement parce qu'il a convenu avec M. Riley que ce dernier assumerait la responsabilité des questions touchant la TPS. À mon avis, le principe applicable en l'espèce est celui que le juge Bonner, de cette cour, a énoncé dans le jugement Black v. The Queen, 93 DTC 1213. Le juge Bonner déclarait ce qui suit à la page 1215 :

                L'appelant ne peut se retrancher derrière le paragraphe 227.1(3) en prétendant qu'il a agi conformément à la norme d'une personne raisonnablement prudente qui était mal renseignée au sujet des exigences de la Loi. Une personne raisonnablement prudente qui est consciente d'être un administrateur mais qui n'est pas certaine de l'étendue de ses responsabilités à ce titre a l'obligation au moins de chercher à savoir ce qu'on attend d'elle et de s'acquitter de cette tâche. L'affaire Cybulski n'est d'aucune utilité à l'appelant. Dans cette affaire, l'appelant avait des motifs raisonnables de croire qu'il n'était pas un administrateur et, partant, qu'il n'avait aucune des obligations d'un administrateur.

                La décision rendue par la présente Cour dans l'affaire Pidskalny semble indiquer que le paragraphe 227.1(3) protège un administrateur qui n'a pas tenté de prévenir un manquement de faire remise des montants retenus parce qu'il n'était pas au courant des droits, des responsabilités et des obligations du titulaire d'un poste d'administrateur et ne participait pas à la gestion de la compagnie. Si c'était le motif principal de cette décision, il serait très difficile de le concilier avec les termes employés à l'article 227.1 Il n'y a rien dans le libellé de cette disposition qui donne à entendre que le législateur avait l'intention de prêter secours à un administrateur qui omet d'agir parce qu'il ignore ses responsabilités et celles de sa compagnie, et qu'il y est indifférent. Par exemple, il est illogique de laisser entendre qu'une personne qui conduit son véhicule les yeux fermés pendant que la circulation est dense ne peut faire preuve de négligence parce qu'elle n'est pas au courant de l'obligation qu'elle a envers les personnes qu'elle est sur le point de blesser. Il est tout aussi illogique de donner à entendre qu'un administrateur qui ignore ses responsabilités et qui ne cherche pas à les découvrir et à les assumer peut respecter la norme prévue au paragraphe 227.1(3). Il ressort toutefois d'une lecture attentive des motifs prononcés dans l'affaire Pidskalny, en particulier à la page 1049, que l'application de la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Robitaille à la constatation que M. Pidskalny a été impuissant à prévenir le manquement a été déterminante dans cette affaire.

                On ne peut faire abstraction de l'objet de l'article 227.1. En termes clairs, le paragraphe (1) impose une responsabilité à tous les administrateurs, pas seulement à ceux qui sont au courant des dispositions pertinentes de la Loi. Le paragraphe 227.1(3) protège les administrateurs qui agissent avec le degré de diligence qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Il est illogique et incompatible avec l'objet manifeste de cet article de donner à entendre que le législateur s'attendait à ce que des administrateurs qui ne font aucun effort pour découvrir ce que la loi exige d'eux et pour s'y conformer respectent la norme d'une personne raisonnablement prudente.

[16]          Ce passage du jugement se rapporte à l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont le libellé a été sur le fond suivi de près par l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise. Je ne crois pas que le jugement rendu par la Cour d'appel fédérale dans Soper diminue la portée de ce que le juge Bonner déclarait dans l'arrêt Black, à tout le moins à l'égard des affaires dans lesquelles l'appelant est un administrateur interne, ce qui est évidemment le cas de l'appelant en l'espèce.

[17]          Je conviens que l'appelant en l'espèce n'avait pas d'expérience en ce qui a trait aux questions d'ordre financier. Toutefois, il savait certainement que la TPS devait être remise, et il avait à tout le moins acquis une certaine expérience lorsqu'il avait antérieurement occupé le poste de dirigeant d'une chambre de commerce, pour ce qui est du contrôle d'un budget. Il passait par ailleurs une bonne partie des 10 heures qu'il consacrait quotidiennement au restaurant à entrer les données comptables dans l'ordinateur. Il avait aisément accès à ces données, s'il désirait les regarder. D'après sa propre version des faits, sa conduite s'apparentait beaucoup plus à de l'ignorance volontaire qu'à la norme de soin, de diligence et de compétence.

[18]          L'appel est rejeté, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7 e jour de décembre 1999.

“ E.A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conformece 14e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur

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