Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19981007

Dossier: 97-3813-IT-I

ENTRE :

CLAUDE BASQUE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel pour l'année d'imposition 1995. Le 2 juillet 1981, l'appelant a fait l'objet d'un congédiement alors qu'il était à l'emploi de la compagnie « Alcan » . À la suite de négociations et de procédures en vertu de la Loi sur les normes du travail, il a obtenu une indemnité de séparation « équivalente à neuf mois de salaire » . Cette indemnité lui fut accordée par une sentence arbitrale. La compagnie Alcan s'est conformée à ladite sentence arbitrale en date du 30 juin 1982 qui lui ordonnait de payer la somme de 26 146,42 à l'appelant.

[2] La compagnie Alcan a donc émis, à l'ordre de l'appelant, un chèque au montant de 16 995,18 $, après avoir retenu la somme de 9 151,24 $ pour valoir comme dus fiscaux, soit 3 921,96 $ pour le fédéral et 5 229,28 $ pour le provincial.

[3] Conséquemment, en 1982, l'appelant fut cotisé sur ce montant de 26 146,42 $. Ce dernier n'accepta pas le règlement et poursuivit les procédures judiciaires dont l'objectif était la réintégration à son travail.

[4] Dans un premier temps, il a obtenu un bref d'évocation à la suite de la sentence arbitrale. Des suites de l'émission du bref d'évocation, l'appelant a cependant échoué au fond devant l’honorable juge Robert Lafrenière de la Cour supérieure dans le dossier numéro 150-05-000991-820, district judiciaire de Chicoutimi. Il a alors décidé d'en appeler du jugement. La Cour d'appel a refusé d'intervenir par le biais d'un jugement en date du 25 avril 1995 signé par les honorables juges Gendron, Brossard et Moisan.

[5] À la suite de toutes ces procédures judiciaires et après avoir épuisé tous les recours raisonnables possibles, l'appelant a dû s'en remettre à la sentence arbitrale; des suites de toutes ces procédures, il a reçu et dû assumer un montant de 6 000 $ d'honoraires professionnels pour son avocat.

[6] À sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1995, il a réclamé par erreur, un montant de 3 435 $ comme déduction à ce titre, sur la base qu'il s'agissait là d'un déboursé effectué dans le but de gagner un revenu. Après avoir découvert l'erreur, l'appelant a produit une déclaration modifiée pour y réclamer 6 000 $, montant qu’il avait dû, de fait, débourser à titre d’honoraires professionnels à ses procureurs.

[7] L'intimée a refusé d'accorder à l'appelant tant la déduction originalement réclamée que celle corrigée au montant de 6 000 $.

[8] L'intimée a exprimé les motifs de son refus, à la Réponse à l'avis d'appel, comme suit :

7a) lors de la production de sa déclaration de l'année d'imposition 1995, l'appelant a réclamé des frais juridiques au montant de 3 435,41 $, à titre de déduction;

b) le ministre a refusé à l'appelant la déduction des frais juridiques réclamés au montant de 3 435,41 $, car ils n'étaient pas justifiés.

8 Au stade des oppositions, le ministre a obtenu les faits supplémentaires suivants :

a) pour l'année d'imposition 1982, l'appelant a déclaré à titre d'autres revenus, une somme de 26 146 $;

b) ce montant représentait une prime de séparation reçue de la Compagnie Alcan au cours de l'année d'imposition 1982;

c) lors d'une conversation téléphonique en date du 9 octobre 1996, l'appelant a demandé au ministre de corriger à 6 000 $ les frais juridiques réclamés à titre de déduction, pour l'année d'imposition 1995;

d) en date du 18 octobre 1996, la représentante de l'appelant, Madame Angèle Poulin c.a., a soumis au ministre copie d'une lettre de l'avocat, Sylvain Lepage, datée du 3 octobre 1996, confirmant les honoraires payés par l'appelant en 1995, au montant de 6 000 $, en vue d'obtenir le paiement par Alcan d'une indemnité de départ;

e) l'appelant n'a pas prouvé qu'un montant supplémentaire à la prime de séparation reçue de la Compagnie Alcan de 26 146 $ en 1982, lui était dû par la Compagnie Alcan ni qu'il avait droit à un salaire.

[9] De son côté, l'appelant a plaidé qu'il s'agissait là essentiellement d'honoraires payés dans le but ultime de ré-obtenir son emploi et par voie de conséquence, obtenir une sensible amélioration de sa situation financière.

[10] Si le déboursé doit être qualifié et évalué en fonction du résultat obtenu, il est exact que le déboursé n'a produit ou généré aucun effet ou avantage concret à l'appelant. Est-ce la bonne et seule façon de s'y prendre pour apprécier la nature de ce déboursé?

[11] Il y a lieu tout d'abord de reproduire l'alinéa 8.(1)b) de la Loi ;

8.(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

b) les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci.

[12] La jurisprudence consultée, notamment la décision du juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Gregory A. MacDonald c. M.R.N., 90 DTC 1751, précise l'étendue et la partie des dispositions applicables comme suit :

...La somme qui a été accordée à l'appelant par le tribunal s'apparente à des dommages pour contravention à une obligation contractuelle de la part de son ancien employeur. Dans le calcul de cette somme, le tribunal a pris en compte le traitement de l'appelant et l'a appliqué à une période fictive d'emploi qui, à mon avis, aurait dû lui être accordée avant la cessation de son emploi. Tout justifié qu'il soit, cet exercice ne transforme pas les dommages accordés en traitement ou salaire.

Le montant en litige se rapporte à mon avis à la perte d'emploi de l'appelant et a été reçu à titre ou au titre de dommages sur jugement d'un tribunal compétent comme le prévoit le paragraphe 248(1) et, de ce fait, constitue une allocation de retraite selon la définition qui en est donnée au paragraphe 248(1). En outre, la définition de « salaire » dans le dictionnaire ne comprend pas une somme du type que l'appelant a reçue. Le Petit Robert définit ainsi le mot « salaire » : n. somme d'argent payable régulièrement par l'employeur à celui qu'il emploie (opposé à émolument, honoraire, indemnité).

Dans l'action intentée contre son ancien employeur, l'appelant cherchait à mon avis à faire valoir son droit à des dommages pour un renvoi injustifié et non à obtenir un traitement ou un salaire, étant donné qu'il n'a jamais rendu, pour son ancien employeur, les services qui lui auraient donné droit à ce traitement ou à ce salaire.

À mon avis, l'alinéa 8(1)b) vise la situation dans laquelle un contribuable, après avoir rempli les fonctions de son emploi, se voit refuser son salaire par son employeur, pour une raison ou pour une autre. Autrement dit, l'employé a gagné le traitement ou le salaire en question, mais son employeur ne l'a pas rémunéré et il a dû engager des frais judiciaires pour recouvrer ce qui lui était dû.

[13] En vertu de cette décision, seuls les honoraires payés pour le recouvrement de montants gagnés et dus sont admissibles. Conséquemment, les honoraires payés pour le recouvrement d'une possible créance non définie ni déterminée ne sont pas déductibles.

[14] En l'espèce, la créance de l'appelant à l'origine des procédures était d'une part, incertaine et, d'autre part non précise quant au quantum lequel était assujetti à l'appréciation de multiples facteurs.

[15] Plus récemment, une autre décision a été rendue, laquelle fut d'ailleurs confirmée par la Cour d'appel fédérale. Il s'agit d'une décision de l'honorable juge Margeson de cette Cour dans l'affaire Turner-Lienaux c. Canada (95-4024(IT)I, 95-1978(IT)I), [1996] A.C.I. No. 943.

[16] Dans cette décision, notre collègue s'exprimait comme suit :

Notre cour a quelque difficulté à conclure qu'un traitement ou "salaire" est "dû" à une personne si cette dernière n'a pas accompli le travail ou n'a pas occupé le poste exigeant le versement du traitement ou salaire. Elle a en outre de la difficulté à conclure qu'il pourrait être statué qu'une personne a engagé des frais judiciaires pour établir un droit à un traitement ou salaire quand deux tribunaux compétents ont en fait jugé que l'appelante n'avait pas le "droit" qu'elle cherchait à faire appliquer par son action en justice.

Il ne saurait faire de doute que l'appelante ne cherchait pas à recouvrer un salaire dû.

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a en fait aucune différence entre la version modifiée et la version antérieure à la modification de l'alinéa 8(1)b). Notre cour peut entrevoir le cas d'une personne qui pourrait ne pas avoir gain de cause dans une action en justice – à cause d'une preuve inappropriée, d'une preuve insuffisante concernant les dommages-intérêts ou pour quelque autre raison – et qui pourrait quand même avoir engagé les frais pour établir "un droit à [un traitement ou salaire]".

Toutefois, dans l'affaire en instance, l'action en justice s'est soldée par une déclaration à l'effet qu'un tel droit n'existait pas et non qu'un tel droit n'avait pas été établi, et la cause a donc été rejetée.

Notre cour ne peut conclure que le fait de croire quelque chose, si absurde que ce soit ou si lointaines que soient les chances d'avoir gain de cause, donnerait au contribuable le droit de déduire les frais judiciaires, pourvu que le contribuable ait cru que le droit existait. Cela pourrait donner lieu à des abus absurdes relativement à l'alinéa en question. (Je souligne)

...

La Cour n'est pas convaincue que les frais judiciaires ont été engagés par la contribuable "pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui [était] dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci durant les années en question". Les frais ne sont donc pas déductibles de revenus d'autres sources pour ces années-là.

[17] Dans le présent dossier, la preuve est à l'effet que l'appelant réclamait à son ex-employeur « Alcan » une compensation plus élevée que celle que lui avait accordée l'arbitre et, idéalement, la réintégration de son emploi. Dans un cas comme dans l'autre, le résultat était hypothétique et incertain quoique l'appelant ait pu en penser. La première étape consistait à définir si l'appelant avait d'abord un droit de manière à ce que, dans une deuxième étape, il soit décidé comment ce droit devait être évalué, soit par une indemnité soit par la réintégration et possiblement par les deux. Encore là, il s'agissait d'une question très litigieuse.

[18] Les procédures judiciaires initiées par l'appelant n'étaient peut-être pas frivoles et futiles; ce dernier croyait profondément en ses chances d'obtenir un règlement beaucoup plus intéressant financièrement que celui que lui avait accordé la sentence arbitrale. Aux termes de la jurisprudence à laquelle je souscris, cela n'était en soi pas suffisant.

[19] L'appelant a été déterminé et tenace dans la poursuite d'efforts pour obtenir ce qu'il croyait lui être dû. En dépit de tous ces faits sympathiques, il n'en demeure pas moins que les recours judiciaires initiés par ce dernier ne réclamaient pas une créance due et exigible. Il s'agissait essentiellement d'une créance litigieuse ou d'un droit litigieux dont le résultat était assujetti à plusieurs faits et conditions susceptibles de contestations.

[20] Dans les circonstances, eu égard à la preuve quant à la nature des déboursés et à l'état de la jurisprudence pertinente sur cette question, je ne peux faire droit à l'appel.

[21] Pour ces motifs, je dois rejeter l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d'octobre 1998.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.