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Date: 19980611

Dossier: 97-1767-UI

ENTRE :

DIANE VOYER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SERVICES SANITAIRES GRÉGOIRE LAVOIE INC.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Matane (Québec), le 15 mai 1998.

[2] Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le “Ministre”), en date du 26 septembre 1997, déterminant que l'emploi de l'appelante chez l'intervenante du 30 mai 1993 au 7 mai 1994, du 29 mai 1994 au 6 mai 1995, du 28 mai 1995 au 2 mars 1996 et du 1er avril 1996 au 4 avril 1997, n'était pas assurable parce qu'il s'agissait d'un emploi où l'employée et l'employeur avaient entre eux un lien de dépendance.

[3] Le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi :

“5. En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national, s'est basé, notamment, sur les faits suivants :

a) le payeur exploite une entreprise de vente et location de bacs à ordures ménagères; il a fait aussi, jusqu'en décembre 1993, la cueillette des ordures ménagères; (A)

b) Grégoire Lavoie, époux de l'appelante depuis 1974, est l'unique actionnaire du payeur; (A)

c) le bureau du payeur est situé dans la résidence du couple; (A)

d) les bacs étaient livrés par Grégoire Lavoie jusqu'en 1995, et par la suite, par Nadine Lavoie, la fille du couple; (A)

e) Nadine Lavoie aide aussi à la tenue de livres; (A)

f) l'appelante prépare les rapports trimestriels de la TPS et de la TVQ, prépare et signe les chèques, fait les entrées aux livres comptables (informatisées), s'occupe du recouvrement des comptes et, occasionnellement, aide à la livraison de bacs; (A)

g) l'appelante n'avait pas d'horaire de travail pré-déterminé; elle travaillait le soir autant que le jour pour le recouvrement des comptes; (N)

h) l'appelante était rémunérée 640 $ brut par semaine, basé sur 40 heures de travail par semaine; (A)

i) l'appelante était rémunérée habituellement une semaine par mois; (A)

j) durant ses semaines non rémunérées, l'appelante continuait de rendre certains services au payeur; (N)

k) durant les mois beaucoup plus achalandés du payeur, de mai à octobre, l'appelante ne recevait pas plus de rémunération que pour le reste de l'année; (N)

l) les périodes prétendues de travail de l'appelante ne coïncident pas avec les périodes d'activités de l'entreprise, ni avec les périodes réellement travaillées par l'appelante; (N)

m) le salaire hebdomadaire de l'appelante était trop élevé pour les tâches qu'elle avait à accomplir; (N)”

[4] La Réponse à l'avis d'intervention est au même effet.

[5] Dans le texte qui précède de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué, ainsi entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe, les commentaires de l'appelante et du représentant de l'intervenante, Grégoire Lavoie, à l'ouverture de l'audience :

(A) = admis

(N)= nié

La preuve de l'appelante et de l'intervenante

Selon l'appelante :

[6] Eu égard au sous-paragraphe g) précité, au début de la semaine son mari lui donnait ses instructions et il vérifiait ensuite son travail à tous les jours.

[7] Elle travaillait ainsi de 8 h à 20 h et elle faisait aussi ce que son mari n'arrivait pas à faire.

[8] Le téléphone l'occupait : elle réglait ainsi ce qu'elle pouvait et prenait les messages pour le surplus.

[9] En ce qui concerne le sous-paragraphe j), elle répondait, il est vrai, au téléphone car il y a une seule ligne pour la maison et le bureau, mais elle ne faisait que prendre les messages lorsque son mari n'était pas là.

[10] Elle ramassait le courrier quand ça lui adonnait et faisait les dépôts ainsi que quelques chèques, mais rien de plus.

[11] Alors, elle ne s'occupait pas des soumissions non plus que de la correspondance et du travail général de bureau.

[12] Pour ce qui est du sous-paragraphe k), il est vrai que de mai à octobre elle ne recevait pas plus de rémunération que pour le reste de l'année, mais au cours de cette période son travail à elle était le même.

[13] Eu égard au sous-paragraphe l), son travail n'avait pas à coïncider avec les périodes de grande activité de l'intervenante.

[14] Elle était toujours payée pour les semaines qu'elle travaillait.

[15] En ce qui concerne le sous-paragraphe m), son mari lui a offert de travailler à ce salaire et elle a accepté : au surplus, il s'agit d'un salaire normal pour le travail qu'elle exécute.

Selon Grégoire Lavoie

[16] Eu égard au sous-paragraphe g), il donnait bien ses instructions précises à l'appelante en début de semaine et à tous les jours elle lui faisait rapport de ses activités.

[17] Elle était à sa disposition de 8 h à 20 h et elle devait faire ce qu'il lui disait.

[18] Pour assurer le recouvrement des comptes, elle devait travailler le soir pour rejoindre les clients qui étaient absents pendant le jour.

[19] En ce qui concerne le sous-paragraphe j), elle lui faisait alors son chèque de paie et peut-être un ou quelques autres chèques quand “ça pressait”; elle faisait aussi les dépôts et répondait au téléphone qui sonnait à la maison pour seulement prendre les messages lorsqu'il était absent.

[20] Pour ce qui est du sous-paragraphe k), lorsque l'intervenante était plus occupée, cela ne donnait pas plus de travail de bureau à l'appelante.

[21] Lorsqu'elle avait peu de travail au bureau, il l'envoyait faire des livraisons.

[22] Eu égard au sous-paragraphe l), dans les semaines où elle était rémunérée, elle s'occupait de la facturation, du recouvrement des comptes et du travail de bureau en général.

[23] L'appelante était toujours rémunérée pour ses semaines travaillées.

[24] Lorsqu'elle n'était pas sur la liste de paie son principal travail consistait à lui faire son chèque de paie à chaque semaine.

[25] Bien souvent les dépôts pouvaient être faits seulement dans sa semaine rémunérée.

[26] En ce qui concerne le sous-paragraphe m), c'est son comptable agréé qui lui a suggéré le salaire de 640 $ brut par semaine et il a accepté volontiers cette suggestion d'autant plus que sa belle-soeur travaille dans la comptabilité ailleurs et qu'elle est ainsi rémunérée.

[27] L'appelante est fiable, elle “va chercher l'argent” chez les clients et la “collection” c'est aussi important que difficile.

[28] Il a “parti” une autre entreprise et sa femme y oeuvre également une semaine par mois au même salaire hebdomadaire avec ce résultat qu'elle est maintenant payée deux semaines par mois, ce qui réduit d'autant ses prestations d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi.

[29] L'intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon Grégoire Lavoie tant au nom de l'appelante que de l'intervenante :

[30] Si l'appelante n'avait pas été là, l'intervenante aurait dû engager une autre personne pour faire son travail.

[31] L'intervenante n'accumulait pas de travail pour l'appelante si ce n'est qu'elle pouvait attendre à l'occasion son retour au travail pour encaisser un ou quelques chèques.

Selon la procureure de l'intimé

[32] Dans Procureur général du Canada et Jencan Ltd. (A-599-96), l'honorable juge en chef de la Cour d'appel fédérale écrit pour celle-ci à la page 13 :

“...Cette disposition confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de réputer que des “personnes liées” n'ont pas de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage si le ministre est d'avis que ces personnes liées auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. En l'espèce, le requérant soutient que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur en infirmant la décision discrétionnaire par laquelle le ministre avait conclu que le salarié et l'intimée n'auraient pas dû être réputés ne pas avoir de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage.”

et à la page 17 :

“...La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.”

[33] Comme dans cette affaire, la Cour est justifiée d'intervenir seulement dans ce cadre et la preuve offerte par l'appelante et l'intervenante ne donnent pas ouverture à une telle intervention.

Le délibéré

[34] L'intimé n'a fait entendre aucun témoin et les époux Lavoie ont témoigné très honnêtement. Ils ont paru à la Cour de braves gens très soucieux de dire la vérité et la Cour les croit parfaitement.

[35] Le Ministre n'a pas agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites.

[36] Il reste à décider s'il a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et s'il a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[37] Le Ministre a considéré que l'appelante n'avait pas d'horaire de travail pré-déterminé alors que la preuve non contredite est à l'effet qu'elle travaillait de 8 h à 20 h sur une base de 40 heures par semaine en se conformant aux instructions de son mari qui vérifiait d'ailleurs son travail à tous les jours.

[38] Il est normal qu'elle eut à travailler le soir pour assurer le recouvrement des comptes.

[39] Il n'est pas défendu de travailler seulement une semaine par mois lorsque cela est suffisant pour le secrétariat d'une entreprise.

[40] L'appelante ne travaillait à peu près pas dans ses semaines non rémunérées et elle ne rendait, en somme, que de petits services, ce qui est normal entre époux lorsqu'une entreprise est exploitée à partir de la maison.

[41] La Cour est satisfaite de la preuve à l'effet que de mai à octobre, le travail de l'appelante était à peu près le même qu'au cours du reste de l'année alors qu'elle faisait en plus des livraisons.

[42] Elle est aussi satisfaite de la preuve à l'effet que l'appelante a été rémunérée pour les semaines au cours desquelles elle a véritablement travaillé.

[43] Le témoignage de Grégoire Lavoie établit bien que le salaire de l'appelante est raisonnable et que l'intimé a tenu compte d'un facteur non pertinent au sous-paragraphe m) précité.

[44] L'embauche de l'appelante par une autre entreprise contrôlée par Grégoire Lavoie démontre bien que celui-ci l'engage lorsqu'il en a besoin et non pas dans le but de lui faire retirer des prestations.

[45] En l'instance, il n'existe pas suffisamment d'éléments pour justifier la décision du Ministre.

[46] Celle-ci a donc été prise d'une façon contraire à la Loi et la preuve offerte est à l'effet qu'il y a lieu d'intervenir.

[47] L'appel est donc accueilli et la décision entreprise annulée.

Signé à Laval (Québec), ce 11e jour de juin 1998.

“ A. Prévost ”

J.S.C.C.I.

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