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Date: 19980422

Dossier: 97-1402-IT-I

ENTRE :

FERNAND McMASTER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le “Ministre”) pour l’année d’imposition 1995.

[2] La question en litige est de savoir si l’appelant a droit au crédit d’impôt pour déficience physique prévu à l’article 118.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “Loi”), en raison d’une entéropathie au gluten, ou communément appelée, maladie coeliaque.

[3] Les faits sur lesquels le Ministre s’est fondé pour refuser le crédit d’impôt ci-dessus mentionné sont décrits au paragraphe 10 de la Réponse à l’avis d’appel (la “Réponse”) comme suit :

a) l'appelant annexa avec la déclaration de revenus de l'année d'imposition 1995, un formulaire T2201 dûment rempli et intitulé “Certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées”;

b) le certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées était signé par un médecin autorisé, le docteur Michel Lemoyne, qui diagnostiquait chez son patient une entéropathie au gluten, mais estimait, à la condition de suivre une rigoureuse diète stricte sans gluten, que l'appelant maintenait la maladie en rémission;

c) le ministre a déterminé que l'appelant ne se trouve pas limité de façon marquée dans ses activités courantes de la vie quotidienne;

d) au cours de l'année d'imposition 1995, l'appelant ne s'est pas trouvé manifestement limité dans ses activités de vie quotidienne en raison d'une déficience mentale ou physique, grave et prolongée.

[4] L’appelant est un retraité. Il a produit comme pièce A-1, le certificat du médecin dont il est mention à l’alinéa 10 a) de la Réponse. À la question de la case 717 de ce certificat : “Veuillez indiquer quelle activité essentielle de la vie quotidienne est limitée de façon marquée”, le médecin a coché la réponse : “Se nourrir et s’habiller”. À la partie B, le médecin a ainsi décrit le diagnostic médical : “Entéropathie au gluten. Cette maladie nécessite le suivi rigoureux d’une diète stricte sans gluten de façon à maintenir la maladie en rémission. Ces aliments sont beaucoup plus coûteux que les aliments comparables avec gluten.” Dans la même partie B, à la question 6 : “Votre patient peut-il se nourrir lui-même, à l’aide d’un appareil si nécessaire”, le médecin a coché la case “oui”, mais a ajouté : “mais suivi strict de la diète est nécessaire”.

[5] Le médecin a répondu “oui” à la question 8 : “La déficience a-t'elle duré ou devrait-elle durer au moins 12 mois consécutifs”, et il a ajouté “diète doit être suivie à vie”. À la question 9 : “La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l’activité essentielle de la vie quotidienne même en utilisant des ... médicaments ou en suivant une thérapie”, le médecin a répondu : “Oui, si le patient ne suit pas sa diète”.

[6] L’appelant a produit comme pièce A-2 un dépliant intitulé : La maladie coeliaque, mythes versus réalité, publié par l’Association canadienne de la maladie coeliaque. On y lit notamment :

La maladie coeliaque est une condition à VIE!

...

Il est facile de passer outre! Cette maladie est trompeuse. Elle peut se présenter sous forme de constipation, de douleurs abdominales, de vomissements ou encore sous forme d'anémie plutôt qu'avec les symptômes classiques décrits dans les livres tels que diarrhée, perte de poids (ou retard de croissance) et stéatorrhée (présence de matières grasses dans les selles).

...

Le seul examen fiable pour diagnostiquer la maladie coeliaque est une biopsie intestinale avant que le patient n'élimine le gluten de sa diète.

...

Pour qu'un traitement contre la maladie coeliaque soit efficace, il doit strictement exclure le gluten du régime alimentaire et ce, POUR LA VIE! Plusieurs aliments contiennent du gluten de façon inattendue. Des informations justes, expertes et pertinentes sur le régime alimentaire sont essentielles si le patient veut éviter toute source de gluten tout en maintenant un apport nutritif bien équilibré.

...

La maladie coeliaque est une affection médicale dans laquelle la surface absorbante du petit intestin est endommagée par une substance appelée le “gluten”. Il en résulte une diminution de la capacité de l'organisme à absorber les éléments nutritifs nécessaires à une bonne santé tels que protéines, matières grasses, glucides (sucres), vitamines et minéraux.

...

Le gluten est une protéine que l'on retrouve principalement dans le blé, l'orge, le triticale, le seigle et l'avoine. En ce qui concerne le blé, on a découvert que la gliadine était la partie toxique responsable de l'intolérance au blé chez les personnes atteintes.

Le gluten contenu dans la farine permet aux ingrédients du pain ou d'autres produits de boulangerie de se lier ensemble et empêche ainsi ces produits de s'émietter. Grâce à cette caractéristique, le gluten est employé sur une grande échelle dans le domaine de l'alimentation.

[7] L’appelant indique à la Cour que les aliments qui peuvent êtres consommés sont ceux à base de riz, farine de maïs et farine de patates. Il doit se déplacer loin, à une vingtaine de kilomètres, pour aller chercher les pâtes alimentaires sans gluten qui sont chères, approximativement quatre fois plus chères que celles comprenant du gluten. Il ne peut se servir d’aliments surgelés car il y a presque toujours des agents de conservation qui sont des dérivés du gluten. Il ne va presque pas au restaurant et s’il y va, il doit y apporter son propre pain, pain qui doit être conservé au congélateur vu l’absence d’agents de conservation. Le pain est fabriqué localement, alors que les pâtes sont importées. De plus dans les épiceries ordinaires il doit prendre beaucoup de temps à lire chaque étiquette des aliments qu’il désire se procurer.

Arguments et conclusions

[8] L’appelant fait valoir que les grandes difficultés qu’il a à se procurer les

aliments appropriés font qu’il consacre un temps excessif à l’activité essentielle de la vie quotidienne qui est le fait de s’alimenter.

[9] La représentante de l’intimée fait valoir que la recherche d’aliments appropriés n’est pas comprise dans l’activité de s’alimenter. Elle se réfère à cet égard à la décision du juge Bonner de cette Cour dans Hagen c. La Reine et plus particulièrement au passage suivant :

Je crois certainement que la maladie coeliaque a causé à l'appelante des désagréments considérables. Toutefois, elle peut conserver une bonne santé en respectant soigneusement son régime. Je ne peux conclure qu'elle ait été incapable de se nourrir en 1993 et en 1994. De fait, la preuve est claire qu'elle était fort capable de le faire. L'appelante doit être vigilante lorsqu'elle magasine et elle doit se donner la peine de trouver une nourriture qui convient à son régime; toutefois, cet inconvénient n'équivaut pas à une incapacité de se nourrir ni ne corrobore la conclusion selon laquelle l'appelante doit consacrer un temps excessif à se nourrir. Je ne trouve rien dans le libellé de la loi ni dans le but de la loi qui laisse suggérer l'intention d'inclure dans les mots “se nourrir” des activités telles que les achats pour se procurer la nourriture appropriée, la cuisson de pain et de pains mollets et l'appel préalable à des restaurants afin de s'assurer qu'il est possible de respecter son régime. Il existe une grande marge entre respecter un régime sévère et être incapable de se nourrir. (Le souligné est de moi)

[10] Le paragraphe 118.4(1) de la Loi se lit comme suit :

Pour l’application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée;

b) la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ouincapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s’alimenter et de s’habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d’entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d’évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d) il est entendu qu’aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n’est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne. (Le souligné est de moi).

[11] Depuis la décision du juge Bonner ci-haut citée, il y a eu la décision de la Cour d’appel fédérale dans Johnston c. La Reine, [1998] A.C.F. No. 169 (Q.L.) (C.A.F.), qui a porté son attention sur ce qui peut constituer un temps excessif, notamment en regard de l’activité essentielle à la vie quotidienne qu’est l’alimentation. Je cite les paragraphes 16 à 18 et 31 à 35 :

[16] Pour avoir droit au crédit d'impôt prévu à l'art.118.3, le contribuable atteint d'une déficience physique grave et prolongée doit établir que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limité de façon marquée.

[17] Il a déjà été défini que l'expression “limitée de façon marquée” renvoyait à l'incapacité d'une personne, en tout temps ou presque, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne. En outre, on considère que la capacité d'une personne est limitée de façon marquée si cette dernière doit consacrer un temps excessif pour accomplir une telle activité.

[18] On n'a pas défini ce qui constitue un temps excessif pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. À mon avis, l'expression “temps excessif” renvoie à un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer à ces activités des personnes en santé. Il implique une différence marquée d'avec ce que l'on considère normal.

...

[31] L'avocate de l'intimée nous a présenté un point de vue auquel le juge de la Cour de l'impôt a souscrit selon lequel la notion de "s'alimenter" renvoyait à la capacité d'une personne de prendre des aliments d'une assiette et de les porter à sa bouche. Je suis fortement en désaccord. Il ne fait aucun doute qu'un enfant de deux ans peut prendre des aliments d'une assiette et les porter à sa bouche, mais il ne fait aucun doute non plus que personne n'affirmerait que cet enfant est capable de s'alimenter. Je souscris à l'opinion exprimée par le juge Bonner dans la décision M.R. Hodgin v. The Queen ([1995] E.T.C. 515.) :

[TRADUCTION] J'aborde maintenant le fait de s'alimenter. Cela signifie, à mon avis, davantage que le simple fait de prendre un repas apprêté par une autre personne. On ne peut pas dire que la personne est capable de s'alimenter si elle ne peut se servir d'ingrédients de base, tels ceux que l'on trouve habituellement dans une épicerie, pour faire la cuisine ou autrement apprêter un repas. Pour satisfaire au critère, la personne doit pouvoir s'alimenter et non seulement prendre un repas. La loi est claire à cet égard. La capacité requise de s'alimenter comprend la capacité d'apprêter un nombre raisonnable de repas variés, et non seulement celle de préparer des collations, des friandises ou des plats congelés. En l'espèce, l'appelante, en raison des difficultés qu'elle éprouvait à se servir de ses mains, avait tellement besoin de l'aide de son époux pour apprêter les repas que l'on pouvait conclure, à bon droit, qu'elle était incapable de s'alimenter. [Non souligné dans l'original.]

[32] La notion de s'alimenter implique également, à mon avis, la capacité d'apprêter un repas conforme à un régime alimentaire imposé à des fins médicales, régime qui, de concert avec des médicaments, vise à maintenir l'état de santé d'une personne ou, du moins, à en empêcher la détérioration.

[33] En limitant la notion de s'alimenter à la capacité de prendre un repas, on néglige le fait que la Loi a pour objectif, faut-il le répéter, d'apporter une aide financière aux personnes qui, parce qu'elles sont atteintes d'une déficience, ont besoin de cette aide pour accomplir une activité courante de la vie quotidienne comme celle-là . Le fait d'inclure la préparation d'un repas acceptable dans la notion de s'alimenter est, au contraire, entièrement compatible avec un tel objectif et l'esprit dans lequel le législateur a établi le crédit pour déficience. [Le souligné est de moi.]

[34] En l'espèce, une preuve abondante établit qu'à part le fait de pouvoir se servir d'un four à micro-ondes pour faire cuire une pomme de terre ou préparer une tasse de thé et celui de pouvoir se faire un sandwich à l'occasion, le requérant ne peut, de façon générale, préparer de la nourriture, à plus forte raison la nourriture que requiert son état de santé et les médicaments qu'il prend, qu'il a besoin d'aide pour apprêter ses repas chaque jour, et que son état l'empêche, de 10 à 12 jours par mois, de sortir de son lit ou de descendre l'escalier.

[35] À mon avis, le requérant est incapable de s'alimenter, au sens de la Loi ou, au mieux, il doit consacrer un temps excessif à l'accomplissement de cette activité.

[12] Le juge Bonner, dans l’affaire Hagen c. La Reine ci-dessus mentionnée, a exprimé l’idée que la difficulté de se procurer les aliments appropriés est distincte de l’activité qu’est l’alimentation. Dans l’affaire Hodgin c. La Reine, à laquelle s’est référée affirmativement la Cour d’appel fédérale dans la décision Johnston c. La Reine ci-dessus, le juge Bonner exprime l’idée que l’activité de s’alimenter n’est pas seulement celle de porter les aliments à sa bouche mais inclut une capacité physique à préparer les mets. Quoique le juge Bonner ait dit dans la décision Hagen que la recherche des aliments soit une activité distincte de celle de s’alimenter, je crois qu’il a fait cet énoncé dans le contexte où c'est le respect d‘un régime sévère qui prime et non la difficulté de se trouver les aliments appropriés. D’ailleurs, il conclut le passage cité plus haut en disant qu’il existe une grande marge entre respecter un régime sévère et être incapable de se nourrir.

[13] En me référant à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Johnston c. La Reine, je vois que le critère objectif qui doit aider à trancher ces affaires est de savoir si la difficulté rencontrée par le particulier est telle que ce dernier requiert habituellement l’aide d’une autre personne pour accomplir l’activité essentielle ou qu’il prend, en comparaison avec une personne ne souffrant pas de la même incapacité, un temps excessif dans l’accomplissement de cette activité.

[14] Selon ce raisonnement, il me semble que si les aliments dont pouvait se nourrir une personne étaient si rares que la personne devrait consacrer à leur recherche un temps excessif, il faudrait penser que la recherche des aliments n’est pas distincte de l’activité de s’alimenter. Toutefois, ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Les aliments appropriés ne sont pas si rares que l’appelant puisse à peine trouver de quoi se nourrir. Ce dernier trouve ses aliments dans une très grande mesure dans les supermarchés comme les autres personnes, sauf qu’il doit faire attention à la composition des aliments préparés. En ce qui concerne certains aliments comme les pâtes, il doit aller les chercher plus loin. En ceci et dans l’attention qu’il doit mettre à l’achat de produits préparés, il soutient qu’il est différent des autres personnes. Mais dans quelle mesure? Dans une mesure qui me paraît minime. Il me semble que bien des particuliers se préoccupent de ce que contiennent les produits préparés et font quelques kilomètres pour se procurer les produits qu’ils aiment soit pour leur fraîcheur, leur goût ou leur prix. Il est vrai que la fréquentation des restaurants est difficile mais c’est le cas de toute personne qui souffre d’allergie alimentaire. En ce qui concerne l’activité même de s’alimenter, l’appelant n’a pas prétendu prendre plus de temps qu’un autre à manger. Je conclus donc que l’appelant ne souffre pas d'une déficience physique telle qu'il soit incapable d'accomplir l'activité de s'alimenter sans y consacrer un temps excessif.

[15] L’appel est en conséquence rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'avril 1998.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

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