Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19991027

Dossiers : 97-1460-IT-I; 97-1461-IT-I

ENTRE :

BARBARA BLIZE, HAROLD BLIZE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Edmonton (Alberta), le vendredi 24 septembre 1999)

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Les affaires dont la Cour est présentement saisie sont celles de Mme Barbara Blize, 97-1460(IT)I et de M. Harold Blize, 97-1461(IT)I contre Sa Majesté la Reine.

[2] Il reste une seule question à trancher dans chacune de ces affaires. Elle concerne la valeur des avantages, s'il en est, conférés aux appelants par Alsike General Store Ltd. (ci-après « Alsike » ). Les parties ont convenu que les avantages maximaux conférés à Mme Barbara Blize et à M. Harold Blize au cours de l'année en cause, soit 1993, s'élevaient, si avantages il y a, à 22 050,00 et 22 950,00 $ respectivement.

[3] Les avantages allégués auraient été conférés aux appelants parce qu'ils étaient actionnaires d'Alsike. Mme Barbara Blize détenait 49 % des actions d'Alsike, et M. Harold Blize en détenait 51 %. Les avantages seraient attribuables au fait que les appelants ont cédé un chalet à Slave Lake à Alsike.

[4] M. Harold Blize a témoigné dans cette affaire, et les parties ont convenu de trois autres faits.

[5] Les appelants ont cédé le chalet à Alsike au moyen d'écritures de redressement en date du 31 décembre 1993. La cession du chalet a été consignée dans les livres comptables d'Alsike et des appelants contre la somme de 45 000,00 $. Les appelants avaient consacré 27 178,53 $ à la construction du chalet avant sa cession.

[6] Des faits pertinents révélés par la preuve montrent que Alsike était une société de portefeuille qui détenait des biens immobiliers et des logements locatifs, et qu'elle tenait les livres d'une autre société dont les appelants étaient actionnaires. Les appelants ont commencé à construire le chalet au cours des années 90. Il n'était pas terminé au moment de la cession. Il avait l'électricité mais était sans eau. Il avait une charpente et était muni en partie d'un revêtement extérieur. On pouvait y habiter. Le toit était posé et le chalet était muni de radiateurs. Le chalet était près d'une marina et d'un parc de caravaning.

[7] Alsike possédait aussi un bien contigu à cet emplacement qui était un bien-fonds affecté aux loisirs. Il a été mis en valeur au cours d'une période de quatre à cinq ans. On a aussi l'intention d'y aménager un terrain de golf de neuf trous à l'avenir. On y travaille actuellement. Le bien comprend 160 acres. Les terrains de caravaning sont loués chaque année. On s'attend à ce que le terrain de golf soit terminé dans trois ans, l'aire de pratique devant, pour sa part, être complétée en 2001.

[8] Le bien a été acquis en 1995. Les appelants habitent depuis 10 à 11 ans à une distance de 15 kilomètres dans une maison de 2 400 pieds carrés située sur un terrain de 160 acres. Le témoin a déclaré que le bien a été cédé à Alsike parce que les appelants habitaient si près qu'ils ne l'utiliseraient pas. Ils croyaient qu'il constituerait un bon immeuble locatif pour Alsike. Cette dernière l'avait acquis à titre de placement, pour tirer un profit de sa vente éventuelle et, en attendant, pour toucher un loyer de sa location. Le témoin a déclaré que le bien pourrait être vendu à profit immédiatement. Il n'a pas encore été vendu parce que la région a commencé à être exploitée et qu'au cours des prochaines années, le bien prendra de la valeur. De plus, il s'accorderait bien avec la mise en valeur du terrain de camping et du terrain de golf, éloignés d'un quart de mille. Le chalet est situé tout près de la marina.

[9] Jusqu'à maintenant, le chalet n'a jamais été loué et il n'est pas encore terminé. Les appelants l'ont rarement utilisé. Cette année, ils y sont restés trois nuits, et l'an dernier deux ou trois nuits lorsqu'ils travaillaient au revêtement du chalet ou à d'autres biens de Alsike. Depuis la cession, ils y sont restés de sept à quatorze jours. Il pourrait être possible de louer le chalet entre 350 $ et 500 $ lorsque son aménagement sera terminé, au cours de l'été seulement. Il pourrait être loué l'hiver, mais pas pour ce loyer. Le témoin a convenu que la valeur actuelle du chalet se chiffrait à 45 000 $, valeur qui augmentera à l'avenir.

[10] Lors de son contre-interrogatoire, le témoin a admis que son fils était resté deux nuits seul dans le chalet, et que sa nièce y était restée une nuit cette année. Le chalet est muni de lits et d'un peu de vaisselle. En 1997 et 1998, un arpenteur y est demeuré trois semaines lorsqu'il travaillait pour Alsike. Le témoin a reconnu que la cession n'était qu'une écriture comptable. Les appelants avaient déjà reçu de l'argent de Alsike, et la cession reflétait cela. Le témoin ne savait pas comment il en était rendu compte dans les registres de la société. Au moment de la cession, Alsike n'était propriétaire d'aucun autre terrain donnant sur le lac. Le témoin a reconnu que le chalet avait été construit pour son usage personnel, bien qu'il pouvait envisager la possibilité d'en tirer un revenu de location. Alsike n'entretenait à l'égard du chalet aucun projet de nature commerciale au moment de la cession. Elle n'avait fixé aucun calendrier de travail. Le chalet est en construction depuis neuf ans. Ce n'est pas un emplacement dont la société pousse la mise en valeur pour en tirer des bénéfices. Sauf un terrain à Swan Hill, Alsike ne tire aucun autre revenu de location des terrains à cet endroit. Les appelants font le commerce locatif depuis quelque temps. À l'époque de la cession, le témoin surveillait de près la valeur des propriétés. Il fait la majorité des travaux sur sa propriété.

[11] Lorsque la construction du chalet a débuté, il existait 106 emplacements aménagés dans la région et ils étaient utilisés. Ce printemps-ci, 50 autres ont été ajoutés et aménagés. Le témoin a dit qu'une fois le chalet terminé, ils ne s'en serviront pas personnellement, ni sa famille. Il a habité le chalet lorsqu'il y travaillait après la cession parce qu'il travaillait tard et que c'était plus commode pour lui d'y rester plutôt que de rentrer chez lui, bien qu'il demeurait tout près de là. Selon le témoin, ce genre de bien locatif est en demande, car Edmonton n'est qu'à une distance de trois heures et la popularité de la région augmente chaque année. Lorsqu'il a commencé à construire le chalet, 150 personnes étaient inscrites sur la liste d'attente des terrains de l'endroit qui n'avaient pas encore été mis en valeur. Maintenant, il n'y a plus d'emplacement disponible. Il croyait qu'il valait la peine de conserver le chalet jusqu'à l'aménagement du terrain de golf. Il sera prêt à être loué au printemps prochain.

Plaidoirie de l'appelant

[12] L'avocat de l'appelant a déclaré que le ministre avait fondé sa cotisation sur la thèse selon laquelle l'acquisition du chalet par Alsike ne répondait à aucun objet commercial et que, par conséquent, elle avait donné aux appelants conjointement un avantage de 45 000,00 $ devant être partagé proportionnellement à leur participation. Il a soutenu que l'opération avait un objet commercial, soit un revenu de location. L'entreprise de Alsike consistait dans les placements, les logements locatifs et la mise en valeur à long terme. Le témoin a déclaré que le chalet se prêtait à la production d'un revenu de location et à une vente profitable. Cette preuve était fiable et crédible. L'absence de profit ne signifie pas que l'acquisition du chalet était dénué de tout objet commercial.

[13] L'avocat de l'appelant a renvoyé à la décision Meeuse v. The Minister of National Revenue 92 D.T.C. 1551 à l'appui de la position selon laquelle la société avait acquis le bien pour en faire un usage commercial et le seul usage qu'en avaient fait les contribuables était accessoire ou secondaire à l'objet commercial. Il était d'avis que cela ressort de l'emploi restreint du chalet par les appelants et leur famille. S'il y a eu avantage, il devrait être calculé sur la base hebdomadaire de 350,00 $ à 500,00 $ pendant trois semaines, soit la période durant laquelle les appelants ont utilisé le chalet.

Plaidoirie de l'intimée

[14] L'avocate de l'intimée a fait valoir qu'en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, un avantage de 45 000,00 $ avait été conféré aux appelants. Si tel n'est pas le cas, l'avantage correspondait à au moins ce montant moins 27 178,53 $, qui représentent la somme que les appelants ont consacrée à la construction du chalet, et l'avantage devrait être calculé proportionnellement à leur participation.

[15] L'avocate de l'intimée a établi une distinction entre l'espèce et l'affaire Meeuse, précitée, arguant que dans cette affaire la situation avait changé sur une courte période et qu'on avait démontré un objet commercial à l'égard de l'achat. En l'espèce, il n'y avait aucun objet commercial et le chalet était disponible aux appelants pendant toute l'année. Rien n'avait interrompu ce droit. Il n'y avait aucune chance de tirer un revenu de location du bien pendant encore quelque temps. En dépit de leur expérience en matière de location, les appelants n'ont rien fait pour transformer le chalet en un bien locatif. Le chalet n'a pas donné une seule semaine de revenu de location; par conséquent la valeur de l'avantage correspondant à la période pendant laquelle les appelants l'ont réellement utilisé n'a pas à être calculée.

[16] Conclure à la présence d'un objet commercial dans l'acquisition du chalet par Alsike « forcerait les limites de la crédibilité » . Il n'y avait aucun projet visant à tirer de l'habitation un revenu de location. Il n'y avait aucun calendrier de travail. Les appelants effectuaient des travaux à leur chalet pour le conserver disponible à leur propre usage. Ils n'auraient pu s'en servir s'ils n'avaient pas été actionnaires d'Alsike.

[17] En contre-preuve, l'avocat de l'appelant a déclaré que la preuve indiquait que l'objet de l'achat était la location et une vente profitable éventuelle.

Analyse et décision

[18] Les parties en l'espèce semblent reconnaître, comme l'ont fait les parties dans l'affaire Meeuse, précitée, qu'il faut établir un objet commercial à l'égard de l'acquisition du chalet par Alsike, à défaut de quoi la totalité de la somme de 45 000,00 $ constitue la base de l'avantage conféré. Dans l'affaire Meeuse, précitée, le juge de première instance a indiqué, à la page 1552, que les parties avaient reconnu que sauf si, comme une question de fait, l'appelante établissait que le bien en cause avait été acquis pour des raisons commerciales, il fallait rejeter les appels. La Cour a ensuite conclu que l'appelant avait démontré, suivant la prépondérance des probabilités, que la compagnie avait acquis le bien pour des raisons commerciales, et qu'il s'agissait simplement de déterminer si la somme de 18 000,00 $, versée annuellement à titre de loyer, était raisonnable. La Cour a conclu que c'était le cas.

[19] En l'espèce, la question principale consiste à savoir si l'appelant avait établi, suivant la prépondérance des probabilités, que le chalet avait été acquis pour un objet commercial. Ce n'est pas la question qui se posait dans l'affaire Lloyd Youngman v. Her Majexty The Queen [1990] 2 C.T.C. 10. La question à trancher était de savoir quelle était la valeur de l'avantage conféré. En l'espèce, bien que la Cour conclut que M. Harold Blize a témoigné avec franchise et que sa déposition est digne de foi, cette dernière n'est cependant pas suffisante pour établir, suivant la prépondérance des probabilités, que Alsike a acquis le bien en cause pour un objet commercial.

[20] Il est vrai que ce témoin a déclaré que Alsike avait acquis le bien à titre de placement pour en tirer un profit, mais la Cour n'est pas convaincue que c'était là l'objet réel de son acquisition. Si c'était le cas, une société exploitant une entreprise dans le but de tirer un profit d'un tel bien aurait assurément dressé un plan et établi un calendrier de travail qui lui auraient permis de déterminer la façon dont un profit pouvait être réalisé, son montant et le temps requis pour l'obtenir. Autrement, pourquoi la société aurait-elle acheté le bien? M. Blize a reconnu qu'il n'y avait ni plan ni calendrier de travail de ce genre et que le chalet était demeuré des années sans être terminé, les travaux y étant exécutés seulement de façon occasionnelle, alors que tout autour des propriétés semblables étaient mises en valeur, complétées et louées et que la demande croissait. Il doit y avoir eu une raison pour laquelle la société n'a pas mis cette habitation en valeur, et la seule raison doit avoir été de lui permettre d'être disponible pour l'usage des appelants.

[21] Comme l'a soutenu l'avocat de l'intimée, le droit des appelants de faire usage du bien a été continu, ininterrompu, et les clés du chalet étaient toujours en leur possession. Il était loisible aux appelants de démontrer, avec des éléments de preuve acceptables, que la société avait un réel objet commercial en acquérant d'eux le bien en cause, et qu'il existait des raisons légitimes pour lesquelles la mise en valeur du chalet n'était pas suffisamment avancée pour lui permettre de produire un réel revenu. Cependant, la preuve n'a démontré aucune raison valable à cet égard.

[22] Dans les circonstances de l'espèce, il ne suffit pas de dire simplement que l'acquisition du bien concerné était dictée par un objet commercial. La Cour conclut que la valeur de l'avantage conféré à l'appelante, Mme Barbara Blize, au cours de l'année d'imposition 1993, s'élevait à 22 050,00 $, et que la valeur de l'avantage conféré à l'appelant, M. Harold Blize, au cours de l'année d'imposition 1993, s'élevait à 22 950,00 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d'octobre 1999.

« T.E. Margeson »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de juillet 2000.

Benoît Charron, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.