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Date: 20000708

Dossier: 1999-4957-IT-I; 1999-4958-IT-I

ENTRE :

CONSTANCE MAITLAND, DARLENE KONDUC,

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Du consentement des parties, ces appels ont été entendus sur preuve commune suivant la procédure informelle, à Edmonton (Alberta) le 5 juin 2000.

[2] Les appels en l'instance ont trait à l'exploitation de l'entreprise “ This Is It Bed and Breakfast ” par les appelantes au cours des années d'imposition 1995, 1996 et 1997 dans un bâtiment qu'elles ont acquis à cette fin. L'entreprise consistait à fournir des services d'hébergement à des personnes de l'extérieur de la ville en visite à l'Université d'Alberta, à Edmonton, qui est située tout près. Les appelantes et d'autres membres de leur famille résidaient également dans le bâtiment.

[3] Dans le cas de Darlene Konduc, le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a rejeté la déduction de dépenses de 4 946,32 $ et de 7 463,67 $ pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, et il a soustrait 409,23 $ du crédit pour report d'impôt minimum pour l'année d'imposition 1997. Dans la nouvelle cotisation établie à l'égard de Constance Maitland, le Ministre a rejeté la déduction de dépenses de 16 377,77 $ et de 10 462,10 $, respectivement. Il a fondé ces décisions sur le paragraphe 18(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après, la “ LIR ”). Dans les appels en l'instance, les appelantes soutiennent que le paragraphe 18(12) ne s'applique pas à leur situation. Voilà la question à trancher.

[4] La question comporte un volet juridique, c'est-à-dire l'interprétation qu'il convient de donner à l'expression “ établissement domestique autonome ” au paragraphe 18(12) de la LIR, et un volet factuel, soit les circonstances dans lesquelles les appelantes exploitaient leur entreprise. Le litige ne porte pas sur les calculs eux-mêmes, mais seulement sur le fait de savoir si le paragraphe 18(12) de la LIR s'applique ou non.

Loi

[5] Voici le libellé du paragraphe 18(12) de la LIR :

18(12) Travail à domicile. – Malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'un particulier tiré d'une entreprise pour une année d'imposition :

a) un montant n'est déductible pour la partie d'un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie d'établissement :

(i) soit est son principal lieu d'affaires,

(ii) soit lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise;

b) si une partie de l'établissement domestique autonome où le particulier réside est son principal lieu d'affaires ou lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise, le montant déductible pour cette partie d'établissement ne peut dépasser le revenu du particulier tiré de cette entreprise pour l'année, calculé compte non tenu de ce montant et des articles 34.1 et 34.2; [...]

c) tout montant qui, par le seul effet de l'alinéa b), n'est pas déductible pour une partie d'établissement domestique autonome dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année d'imposition précédente est déductible dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année, sous réserve des alinéas a) et b).

[6] Voici la définition de l'expression “ établissement domestique autonome ” au paragraphe 248(1) de la LIR :

“ établissement domestique autonome ” Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

[7] J'aimerais dire dès le départ que le nom donné à l'entreprise par les appelantes ne saurait être déterminant. Aux fins d'établir si le bâtiment en question est compris dans la définition d' “ établissement domestique autonome ”, peu importe qu'elles aient qualifié leur entreprise de “ bed and breakfast ” (chambres d'hôte) — expression qui implique habituellement qu'on se trouve dans la résidence d'une personne — ou d' “ hôtel ” — terme qui n'a pas cette connotation. La Cour doit se pencher sur la substance et la nature de l'entreprise, non sur le nom que les appelantes lui ont donné.

[8] Le juge Bowie de la Cour canadienne de l'impôt, qui s'est penché sur l'application du paragraphe 18(12) de la LIR dans l'affaire Lott c. Sa Majesté La Reine, 1997 CarsewellNat 2064, C.C.I., no 96-2865 (IT)I, 27 novembre 1997 ([1998] 1 C.T.C. 2869), déclarait :

[...] Il ressort très clairement du libellé du paragraphe (12) que celui-ci vise à restreindre la mesure dans laquelle les particuliers qui utilisent leurs maisons à des fins commerciales peuvent déduire une partie des frais d'entretien de la maison de leur revenu d'entreprise. La disposition en question établit la règle selon laquelle les frais d'entretien de la maison où l'entreprise est exploitée ne peuvent être déduits que s'il est satisfait aux sous-alinéas (i) ou (ii), et alors seulement dans la mesure où cela n'a pas pour effet de créer une perte d'entreprise ou de contribuer à créer une perte d'entreprise. Selon le libellé, la disposition s'applique à “une entreprise”, et rien dans les termes du paragraphe ne peut raisonnablement être interprété comme limitant l'effet de la disposition à un genre donné d'entreprise ou comme soustrayant de l'application de celle-ci un genre donné d'entreprise.

[9] Il a également déclaré, en ce qui concerne l'interprétation à donner à la définition d' “ établissement domestique autonome ” au paragraphe 248(1) de la LIR :

On soutient premièrement que cette définition ne s'applique pas à la maison des appelants parce que M. Lott prenait la plupart de ses repas à l'extérieur de la maison, que les deux dernières années, Mme Lott dînait à l'endroit où elle travaillait le soir et que, lorsqu'elle prenait le petit déjeuner et le déjeuner à la maison, ce n'était alors pas une résidence mais une garderie puisque les enfants y étaient. Alors, soutient-on, on ne peut dire qu'en règle générale, les appelants dormaient et mangeaient dans leur maison. Cet argument n'est pas fondé. La preuve a révélé que les appelants dormaient toujours dans la maison et qu'ils y prenaient leur repas, sauf lorsqu'ils les prenaient au restaurant, au travail ou ailleurs, à titre d'invités. Le bon sens n'a pas encore été écarté comme outil d'interprétation. Dans la présente affaire, le bon sens nous dit que la maison des Lott, même si ces derniers l'ont choisie parce qu'elle convenait à l'établissement d'une garderie, est leur résidence, et un établissement domestique autonome.

[10] Je souscris aux propos du juge Bowie concernant la manière d'interpréter le libellé en question.

Faits

[11] Les faits sur lesquels s'est fondé le Ministre, qui sont semblables pour les deux appels, sont énoncés dans les réponses aux avis d'appel signées au nom du sous-procureur général du Canada. Les voici :

[TRADUCTION]

[...]

b) l'appelante possède les deux tiers de l'entreprise;

c) l'associée de l'appelante possède l'autre tiers de l'entreprise;

d) l'entreprise est exploitée dans une maison comptant deux étages et 3 500 pieds carrés;

e) le deuxième étage fait environ 1 000 pieds carrés et compte trois chambres à coucher;

f) le deuxième étage est utilisé exclusivement à des fins personnelles, une chambre étant occupée par une associée, une autre par son fils, tandis que la troisième sert de bureau;

g) le premier étage s'étend sur environ 1 250 pieds carrés, et on y trouve cinq chambres à coucher;

h) il y a au premier étage trois chambres à coucher pouvant être louées et deux chambres à coucher constituant l'appartement de l'autre associée;

i) le rez-de-chaussée fait environ 1 250 pieds carrés et est utilisé dans le cadre de l'entreprise;

j) outre cette entreprise, l'appelante et son associée exercent d'autres activités;

k) 60 % de la maison est consacrée à l'entreprise;

l) l'appelante et son associée exploitent l'entreprise dans un établissement domestique autonome où elles résident;

[...]

[12] La preuve a montré que les faits ne sont pas vraiment contestés, à part le point 12l), qui est au coeur du litige. La preuve a été fournie par les deux appelantes ainsi que par M. Lloyd Steier, un titulaire de doctorat. Je n'ai pas trouvé le témoignage de ce dernier particulièrement utile, étant donné qu'il reposait sur des rapports préparés par ses étudiants, qui ont étudié l'entreprise en question, et que lui-même ne connaissait pas personnellement l'entreprise.

[13] Il est clairement ressorti du témoignage des appelantes qu'elles ont acheté ce bien en 1994 dans le but de mettre sur pied l'entreprise en question. Le bâtiment avait servi auparavant de club à une confrérie d'étudiants. D'importantes rénovations étaient requises pour y exploiter le genre d'entreprise que les appelantes envisageaient. Elles ont entamé ces travaux et se sont installées elles-mêmes dans le bâtiment.

[14] Le plan des appelantes était de fournir un hébergement aux professeurs invités de l'université locale et aux autres personnes fréquentant cette dernière. Elles voulaient que les hôtes se sentent autant que possible dans un second chez-soi, par opposition à une chambre d'hôtel conventionnelle. Les hôtes pouvaient même tenir des séances de travail dans la maison s'ils le désiraient. Ils disposaient chacun de leur chambre et pouvaient également utiliser les aires communes où s'asseoir, être reçus ou manger. La cuisine, située au rez-de-chaussée, était utilisée à la fois par les appelantes et par les hôtes.

[15] L'appelante Konduc utilisait deux des cinq pièces du premier étage en guise de chambre à coucher et de salle de séjour. Les autres pièces étaient des chambres réservées aux hôtes. Il y en avait trois. Les deux pièces qu'elle occupait auraient pu être aménagées afin d'être mises à la disposition d'hôtes si elle les avait quittées.

[16] Le deuxième étage était utilisé par l'appelante Maitland et par son fils, et aucun hôte ne l'occupait. On y trouvait également un bureau.

[17] Le rez-de-chaussée se composait d'aires communes utilisées par les hôtes et par les appelantes.

[18] Il est clair que les appelantes louaient trois des huit chambres et partageaient avec les hôtes les aires communes du rez-de-chaussée. Il y avait cinq pièces aux premier et deuxième étages qui étaient réservées à leur usage personnel.

[19] Différents chiffres ont été mentionnés dans la preuve, mais il me semble que, en bout de ligne, les chambres à louer étaient occupées entre 30 et 40 % du temps où l'entreprise était en exploitation.

[20] Les appelantes travaillaient chacune 180 jours par année. Elles avaient toutes deux d'autres emplois et d'autres intérêts. Elles devaient assurer une présence constante pour accomplir l'ensemble de leurs tâches, comme prendre les réservations, répondre aux besoins des hôtes, préparer et servir le petit déjeuner, et accomplir d'autres tâches de nature générale. Il ressort clairement de la preuve qu'elles s'étaient fixé des normes élevées, qu'elles les observaient et qu'elles s'étaient bâti une très bonne réputation. Les photographies déposées en preuve révèlent un environnement gai et chaleureux. Elles montrent également que le bâtiment a été construit à l'origine en vue de servir de résidence, par opposition à un hôtel ou à un bâtiment commercial.

[21] Même si l'appelante Konduc en particulier disposait d'un autre logement où elle résidait parfois, il est manifeste que, la plupart du temps au cours des années en cause, les deux appelantes utilisaient les pièces du bâtiment comme lieu principal de résidence. C'est là, plus que nulle part ailleurs, qu'elles prenaient leurs repas et couchaient.

[22] Un certain nombre de documents ont été déposés en preuve concernant les permis et licences reçus par les appelantes de différents organismes publics. Je ne les ai pas trouvé particulièrement utiles puisque, ici encore, ils ne font qu'associer un nom aux activités exercées dans le bâtiment, sans rien révéler de fondamental sur la nature réelle de l'entreprise qui y était exploitée.

Conclusion

[23] L'avocat des appelantes a soutenu que le paragraphe 18(12) de la LIR ne s'appliquait pas au bâtiment en l'instance, alléguant que ce dernier ne constituait pas un “ établissement domestique autonome ”. Il a prétendu que la seule raison pour laquelle les appelantes y résidaient tenait à la nature de l'entreprise, et que cela se comparait assez à la situation d'un gérant de motel ou de petit hôtel qui dort dans son propre appartement sur place. En guise d'analogie, il a fait valoir que, d'après le sens véhiculé par les mots “ principal ” et “ primary ” (en français, “ principal ”), il fallait que le bien soit utilisé par le contribuable dans une proportion supérieure à 50 %. Il a déclaré au nom de ses clientes que 60 % de l'espace était consacré à l'entreprise, et que par conséquent le bâtiment était utilisé principalement pour l'exploitation de l'entreprise.

[24] Le Ministre a soutenu pour sa part qu'il ne s'agissait absolument pas d'un hôtel au sens commercial du terme. L'entreprise n'était pas dirigée comme un hôtel, et elle était conçue de façon à offrir un second chez-soi. Une portion importante du bâtiment était réservée à l'usage exclusif des appelantes et des membres de leur famille, qui partageaient les aires communes avec les hôtes présents, ceux-ci disposant par ailleurs d'un certain degré de vie privée.

[25] Le Ministre a reconnu qu'une entreprise était exploitée dans le bâtiment et que des dépenses d'entreprise légitimes avaient été engagées. Toutefois, il soutient que, par l'application du paragraphe 18(12) de la LIR, les pertes d'entreprise, calculées en tenant compte de ces dépenses, ne pouvaient être portées en réduction d'autres revenus pour une même année. Ces pertes auraient pu faire l'objet d'un report prospectif et être portées en réduction des bénéfices d'années subséquentes. Toutefois, l'entreprise a interrompu ses activités avant d'être en mesure de le faire.

[26] Après avoir étudié l'ensemble de la preuve, je conclus qu'il ne s'agissait pas d'une entreprise “ hôtelière ” mais bien d'un service de “ chambres d'hôte ”, au sens habituel de ce terme; autrement dit, les hôtes venaient résider au domicile des appelantes. Il est vrai que l'entreprise avait une dimension commerciale plus prononcée que ce n'est bien souvent le cas. Néanmoins, les appelantes, ainsi que des membres de leur famille, occupaient de façon exclusive une fraction importante du bâtiment et partageaient les aires communes avec les hôtes. Il s'agissait de toute évidence au départ d'une habitation. Elle a été utilisée à d'autres fins mais, durant la période en question, elle a servi de résidence aux appelantes. Lorsque personne d'autre n'y séjournait, elles continuaient de l'utiliser comme résidence. Même si elles avaient d'autres lieux où résider à l'occasion, c'est là que, en règle générale, elles prenaient leurs repas et couchaient. Il s'agissait d'une habitation ou d'un logement de ce genre. Ce n'était pas un immeuble à bureaux ni un motel ou un hôtel tels qu'ils sont construits habituellement. Selon moi, la définition d' “ établissement domestique autonome ” énoncée dans la LIR s'applique manifestement à ce bâtiment. À mon avis, il n'est pas réaliste de faire une analogie entre cette situation et celle d'un gérant qui occupe un appartement dans un motel ou un hôtel ordinaire. Dans ce dernier cas, il s'agit sans le moindre doute d'un hôtel ou d'un motel, dont le gérant occupe une petite partie. Dans le cas présent, il s'agissait clairement de leur résidence, où elles recevaient des hôtes, et cette situation n'est pas modifiée du fait de la grande qualité de leur entreprise, de tout le travail qu'elles y ont consacré et de leur plan d'origine, qui était d'exploiter une entreprise de chambres d'hôte.

[27] Tout bien considéré, les deux appels sont rejetés.

Signé à Calgary (Alberta), ce 8e jour de juillet 2000.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de janvier 2001.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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