Date: 19990203
Dossier: 97-2350-IT-G
ENTRE :
ART PRIME,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
Le juge Beaubier, C.C.I.
[1] Les appels en l'instance, interjetés sous le régime de la procédure générale, ont été entendus à Yarmouth (Nouvelle-Écosse) les 28 et 29 janvier 1999. L'appelant et son épouse, Elizabeth, ont témoigné. L'intimée a appelé à témoigner Susan Hines, qui a effectué la vérification dans le dossier.
[2] L'appelant interjette appel d'une nouvelle cotisation établie à son égard pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993. À l'ouverture de l'audience, son avocat a indiqué que l'ajout au revenu de son client du montant net de 16 623 $ en 1992 et de 1 067 $ en 1993 était accepté. Par conséquent, les montants suivants sont encore en litige :
Déductions refusées
1991 8 311 $
1992 38 779 $
1993 7 227 $
[3] Pour ce qui est de ces déductions, la question est de savoir si, pendant les années en question, l'appelant exploitait une entreprise d'achat, de réparation ou d'amélioration et de vente d'aéronefs Piper entoilés, fabriqués dans les années 1940. Cette question sera donc analysée d'abord afin de dégager le principe qui s'applique aux déductions en litige. Il s'agit de déterminer si ces dernières correspondaient à des dépenses personnelles ou non. En d'autres termes, l'achat, la réparation et le pilotage des aéronefs représentaient-ils seulement un passe-temps pour M. Prime?
[4] L'appelant a 41 ans. Il réside à Deerfield, près de Yarmouth. Il a fréquenté l'école secondaire jusqu'à la dixième année inclusivement, puis est devenu compagnon mécanicien de moteurs à essence et a travaillé pour un concessionnaire GM à Yarmouth. En 1981, il a lancé sa propre entreprise de réparation d'autos, qu'il exploite encore aujourd'hui et qui effectue surtout la réparation des transmissions.
[5] En novembre 1986, M. Prime a acheté un Piper ( « PA 11 » ) qu'il a payé 8 500 $ (pièce A-1). Il a alors appris à piloter. Son voisin, Steve Gray, est mécanicien agréé en entretien d'aéronefs. Tous deux ont effectué des travaux sur le PA 11; l'appelant a accru la puissance du moteur. Le 10 novembre 1987, il a revendu cet aéronef 14 000 $. Il a déclaré dans son témoignage qu'il avait récupéré son coût, mais il a aussi déclaré qu'il avait peut-être perdu 2 000 $ sur cet aéronef.
[6] Le 14 novembre 1987, Art Prime a acheté un autre PA 11, le CF-ZIM, qu'il a payé 23 000 $ (pièce A-3) et qu'il a fait venir de Montréal à Yarmouth par la voie des airs. Cet avion était doté de flotteurs. M. Prime et son voisin, Steve Gray, ont recousu l'intérieur des ailes entoilées. Ils ont rendu l'aéronef navigable immédiatement. M. Prime a emprunté à la Banque Royale du Canada l'argent requis pour acheter le CF-ZIM.
[7] Le 3 octobre 1990, M. Prime a acheté à Calgary un CF-VWW qu'il a payé 17 000 $ (pièce AR-14). Il s'agissait d'un Piper PA 12. Lui et un ami l'ont ramené à Yarmouth par la voie des airs. Ils sont arrivés le 8 novembre 1990 (voir le carnet de vol, pièce AR-15). Comme il y avait des problèmes de moteur, l'aéronef est resté au sol du mois de novembre 1990 au 30 août 1992.
[8] M. Prime a déclaré qu'il avait essayé de vendre le CF-ZIM et qu'un homme de la Colombie-Britannique qu’il n’a pas nommé avait appelé à quelques reprises et offert 30 000 $ pour l'aéronef, mais qu'il voulait en avoir 35 000 $. Cependant, aucun certificat de navigabilité n’avait été délivré pour l’aéronef pour la période allant du 20 décembre 1990 à la date à laquelle M. Prime s'est écrasé, soit pendant la fin de semaine de la fête du Travail en 1991, à Stanley (Nouvelle-Écosse) (pièce AR-32). Il s'est écrasé en tentant de décoller d'un lac situé près de là après avoir assisté à une fête aérienne à Stanley. Le CF-ZIM n'était pas assuré à ce moment-là. M. Prime a déclaré que les primes d'assurance s'élevaient à 6 000 $ ou 7 000 $ environ par année. Heureusement, M. Prime n'a pas été blessé dans l'écrasement, et lui et certains de ses amis ont récupéré l'épave dans le lac. Celle-ci est entreposée et n'a pas été réparée. Les registres du ministère des Transports indiquent que M. Prime a utilisé le CF-ZIM à 32 reprises entre le 25 décembre 1990 et le 30 août 1991, sans certificat de navigabilité. M. Prime a déclaré qu'il n'avait pas le certificat en question parce qu'il avait oublié d'en faire la demande après avoir lui-même installé des flotteurs sur le CF-ZIM. Cette déclaration n'a pas été corroborée.
[9] M. Prime est encore propriétaire du CF-VWW, qu'il a doté de flotteurs. Il a déclaré dans le cadre de son témoignage que, grâce aux flotteurs et à l'augmentation de la puissance du moteur, portée de 135 à 150 hp, l'aéronef vaudrait de 70 000 $ à 95 000 $. Cette preuve de la valeur n'est pas retenue. Il n'y a aucune preuve acceptable de la juste valeur marchande de l'aéronef, si ce ne sont les achats faits par l'appelant et une vente qui a été effectuée en 1987.
[10] Les deux aéronefs sont des Piper biplaces entoilés. Le CF-ZIM a été fabriqué en 1948 et le CF-VWW, en 1947. M. Prime a déclaré que le seul marché pour ces aéronefs était celui des avions anciens. Lorsque lui et son épouse voulaient divertir d'autres couples en leur offrant un tour en avion, ils louaient un aéronef quadriplace. Donc, l'usage et le marché de ces aéronefs sont restreints.
[11] Les noms des entreprises de réparation d'automobiles de M. Prime et les exercices au cours desquels il en a été personnellement propriétaire sont les suivants :
Prime's Auto Repairs
31 mars 1991
Prime's Auto Repairs
31 mars 1992
Prime's Auto Repairs
1er avril au 31 décembre 1992
Prime's Transmissions
28 février 1993 (voir la pièce AR-60)
(voir la pièce AR-65)
La cotisation établie à l'égard de M. Prime incluait aussi un revenu non déclaré tiré de ventes de billes de bois en 1993.
[12] La première inscription manuscrite qui concerne un aéronef ou un poste se rapportant à un aéronef dans les registres commerciaux de M. Prime est une écriture de journal passée par son comptable, M. Surette. Elle figure dans « Écritures de journal de Prime Transmission & Parts, 28 février 1993 » , sur une feuille datée du 25 janvier 1994, et elle se lit ainsi :
[TRADUCTION]
² Aéronef
Personnel 18 017 $
Pour établir stock d'aéronefs à des
fins de revente 18 017 $
(Pièce AR-55, page 2)
Cette écriture paraît se rapporter au CF-VWW.
[13] La première déclaration de revenus de M. Prime qui fait mention d'un aéronef est celle de 1991, qu'il a signée le 30 avril 1992. L'état de l'actif de Prime's Auto au 31 mars 1991 indique ce qui suit :
1991 1990
Aéronef 20 252 $ 22 270 $
(Pièce AR-50)
L'état de l'actif de Prime's Auto au 31 mars 1990 (pièce AR-28) ne mentionne aucun aéronef.
[14] Le CF-ZIM s'est écrasé au cours de la fin de semaine de la fête du Travail en septembre 1991, avant la clôture de l'exercice financier au 31 mars 1992 de Prime's Auto Repairs. Au cours de l'année d'imposition 1992 de M. Prime, Prime's Auto Repairs a eu deux clôtures d'exercice. Son état de l'actif au 31 mars 1992 indique ceci :
1992 1991
Aéronef 18 017 $ 41 017 $
Ainsi, aucun de ces états de l'actif se rapportant à un « aéronef » ne correspond à l'état de l'exercice précédent.
[15] En outre, M. Prime a déclaré qu'il avait acheté le CF-ZIM et le CF-VWW pour les réparer et les revendre à profit. Il n'a toutefois fourni aucune copie datée d'annonces qu'il aurait placées pendant les années menant jusqu'à 1993 inclusivement. Il a aussi déclaré qu'il se fiait au bouche à oreille pour vendre l'aéronef et qu'il assistait à des fêtes aériennes en vue de vendre le CF-ZIM. M. et Mme Prime ont témoigné au sujet de trois de ces fêtes aériennes, dont celle de Stanley. M. Prime a déclaré qu'il avait placé une affiche « À vendre » sur le CF-ZIM pendant que celui-ci mouillait à trois milles de la fête aérienne de Stanley, et que lui et son épouse avaient campé à la fête aérienne et montré l'aéronef à deux ou trois personnes pendant qu'ils étaient à Stanley.
[16] Le carnet de vol du CF-ZIM se trouvait dans l'avion lorsque celui-ci s'est écrasé. Bien qu'il ait été récupéré, il n'a pas été produit en preuve. Des copies du carnet de vol du CF-VWW ont été produites sous la cote AR-15. La première de ces feuilles indique 1 256,1 heures au 2 novembre 1990, date à laquelle M. Prime a acheté l'aéronef à Calgary, et la dernière indique 1 346,5 heures au 8 janvier 1995. M. Prime n'a pas indiqué que les vols consignés ou certains d'entre eux étaient des démonstrations à des fins de vente. Mis à part certains vols d'essai de courte durée effectués après des réparations, les autres vols étaient effectués à des fins personnelles, en dépit d'une inscription contraire, de nature inhabituelle, que l'appelant paraît avoir faite dans le carnet de vol. M. Prime a mentionné les offres d'achat que M. Gray, Eddie Peck, un concessionnaire ayant une entreprise à Digby, et une troisième personne travaillant dans le même secteur d'activité, lui ont faites pour l'épave du CF-ZIM et qu'il a jugé inacceptables. Il n'a nommé personne d'autre avec qui il a traité concernant l'un ou l'autre aéronef.
[17] M. Prime a indiqué dans son témoignage qu'il venait à peine de lancer son entreprise d'aéronefs et que son plan consistait à réparer ou à améliorer des aéronefs Piper des années 1940 et à les revendre. Il s'attendait à en tirer un profit. Il est mécanicien diplômé de moteurs à essence et il est devenu pilote qualifié à la fin des années 1980, bien qu'aucune description de son permis de pilote n'ait été donnée. Il doit encore aujourd'hui payer quelqu'un pour superviser et certifier le travail qu'il fait sur les aéronefs. Depuis qu'il a acheté le CF-ZIM en 1990, il n'a fait état d'aucun profit ni vendu aucun aéronef. Bien que son entreprise de réparation d'automobiles soit rentable, il n'a pas réparé ni vendu l'épave du CF-ZIM depuis qu'il s'est écrasé en 1991. La preuve corroborant les tentatives de M. Prime de vendre le CF-VWW consiste en quelques annonces faites à compter de 1994. La preuve concernant une mention de l'aéronef dans les registres commerciaux de M. Prime est clairement postérieure à l'écrasement du CF-ZIM, survenu en 1991. La Cour conclut que l'on a antidaté les documents à partir du 30 avril 1992, date à laquelle M. Prime a signé sa déclaration de revenus de 1991 et inclus l'état de l'actif de Prime's Auto qui mentionne un aéronef en 1990. Il s'agit manifestement d'une tentative de déduire après coup, dans le calcul du revenu, la perte découlant de l'écrasement du CF-ZIM.
[18] Cette conclusion est appuyée par l'aveu de l'appelant selon lequel nombre des dépenses dont la déduction a été demandée dans le cadre de l'entreprise au cours des années en question étaient en fait personnelles. De plus, la vérification a révélé l'existence d'un revenu tiré de la vente de billes de bois. M. Prime n'a jamais fait état de l'achat du CF-ZIM ou du CF-VWW dans ses états financiers au moment de leur achat. Les pièces qu'il a achetées pour ces aéronefs ont été passées en charge par Prime's Auto et déduites sans aucune mention qu'elles se rapportaient aux aéronefs.
[19] Il n'y a aucune preuve relative au temps que M. Prime consacrait aux aéronefs par rapport à celui qu'il consacrait à son entreprise de réparation d'automobiles ou à toute autre entreprise. Son avocat soutient que la perte « catastrophique » du CF-ZIM dans l'écrasement de 1991 a constitué un recul pour la prétendue entreprise d'aéronefs. Cependant, la Banque Royale du Canada n'a demandé le remboursement d'aucun prêt. Qui plus est, l'écrasement n'explique pas pourquoi M. Prime n'a pas vendu le CF-VWW ni n'en a tiré de revenu de 1991 à 1999. L'écrasement n'a pas retardé la vente possible du CF-VWW, avec ou sans flotteur.
[20] L'arrêt qui fait autorité sur la question de savoir si une activité est un passe-temps ou constitue une entreprise est Enno Tonn et al v. The Queen, 96 DTC 6001 (C.A.F.). Compte tenu des critères énoncés dans cette affaire à partir de la page 6013, l'activité en l'espèce a été dès le début un passe-temps, et elle n'est jamais devenue commerciale dans les années visées par l'appel. Elle était sans importance et non organisée. Elle n'a jamais rapporté d'argent et, surtout, il n'existe aucune preuve satisfaisante qu'au cours des années en question M. Prime a tenté de gagner de l'argent avec les aéronefs. Compte tenu de l'absence d'une preuve corroborante et de la preuve montrant clairement et de façon répétée que l'on a eu recours à une écriture rétroactive et que l'on a déduit des dépenses personnelles en tant que dépenses d'entreprise, la Cour ne peut accepter le témoignage de M. Prime au sujet des déductions sans aucune corroboration écrite datée. Aucune estimation n'a été faite de la période qui serait nécessaire pour rendre la prétendue entreprise d'aéronefs rentable et, jusqu'au mois de janvier 1999, il n'y a aucune preuve d'une vente ou d'un profit. Il n'y a aucune preuve non plus qu'un revenu pourrait provenir de l'aéronef, si ce n'est du fait d'une vente.
[21] La Cour ne croit pas que M. Prime ait eu à quelque moment que ce soit une attente raisonnable de tirer un profit de l'entreprise d'aéronefs car il n'est pas un témoin crédible et il n'a produit aucune preuve acceptable qu'il ait à un moment ou un autre exploité une entreprise d'aéronefs ou qu'il en ait eu l'intention. Il n'y a aucune preuve acceptable que le CF-ZIM ou le CF-VWW pouvaient être vendus à profit avec ou sans le calcul des dépenses cachées, ni aucune preuve du prix du marché que l'appelant pourrait obtenir pour l'un ou l'autre.
[22] Pour ces motifs, la Cour conclut que l'appelant n'exploitait pas une entreprise. Les cotisations sont confirmées.
[23] Les appels sont rejetés.
[24] Les frais entre parties sont adjugés à l'intimée.
Signé à Saskatoon (Saskatchewan), ce 3e jour de février 1999.
« D. W. Beaubier »
J.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 25e jour d’octobre 1999.
Mario Lagacé, réviseur