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Date: 19990514

Dossier: 97-3402-IT-G

ENTRE :

LYMAN KEEPING,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel interjeté conformément à la procédure générale a été entendu à St. John’s, Terre-Neuve, les 10 et 11 mai 1999. L’appelant a témoigné et a cité Lou Collins. L’intimée a cité Ronald Kenny, le vérificateur qui a examiné le dossier.

[2] Dans les nouvelles cotisations établies à l’égard de l’appelant pour ses années d’imposition 1993 et 1994, les pertes qu’il avait demandé de déduire à l’égard de son occupation comme distributeur Amway n’ont pas été autorisées. Il a interjeté appel.

[3] Les paragraphes 8 à 10 et 12 inclusivement de la Réponse à l’avis d’appel, tels que modifiés, sont ainsi libellés :

[TRADUCTION]

8. En établissant les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant, le ministre s’est appuyé, entre autres, sur les faits admis ci-dessus et les hypothèses suivantes :

l’appelant a commencé à exercer l’occupation en mars 1990;

(b) l’appelant ne prévoit pas apporter bientôt de changements importants à la façon dont il exerce l’occupation;

(c) quand il a commencé à exercer cette occupation, l'appelant n’avait suivi aucune formation et ne possédait aucune expérience dans le domaine;

en tout temps pertinent, l’appelant travaillait comme professeur à plein temps;

(e) avant de commencer à exercer l'occupation, l’appelant n’a pas préparé de plan d’affaires pour déterminer si elle serait profitable;

(f) il n’est pas nécessaire d’engager d’importants frais d’établissement avant de se lancer dans cette occupation;

(g) il n’est pas nécessaire de conclure de conventions de bail ou d’engager d’importantes dépenses en capital relativement à cette occupation;

(h) de 1990 à 1995, l’appelant a déclaré avoir subi les pertes d’entreprise suivantes à l’égard de son occupation :

Année d’impositionRevenu brut Perte nette

1990 325 $ (4 649 $)

1991 109 166 $ (8 558 $)

1992 261 637 $ (5 312 $)

1993 168 130 $ (12 205 $)

1994 145 174 $ (14 358 $)

1995 148 337 $ (16 830 $)

(i) les montants de revenu brut qui figurent à l'alinéa 8(h) ci-dessus comprennent les primes relatives aux ventes et au rendement et les rabais sur le matériel de promotion, une partie des primes et des rabais étant versée à d’autres personnes;

une fois révisés pour tenir compte des primes et des rabais versés, les états des résultats relatifs à l’occupation et le profit brut rajusté pour 1993 et 1994 se résument ainsi :

1993 1994

Ventes 142 294,23 $ 108 648,58 $

Primes au rendement 25 836,74 36 526,29

Revenu brut 168 130,97 147 174,87

Moins :

Coût des marchandises

vendues     143 463,04 $ 112 015,58 $

Primes versées    9 586,29 $ 21 670,77 $




PROFIT BRUT : 15 081,64 $ 11 488,52$

Dépenses d’exploitation : 27 286,69 25 847,26

Perte nette     (12 205,05) $ (14 358,74) $

(k) l’appelant n’avait pas d’expectative raisonnable de profit à l’égard de l’occupation durant les années d’imposition 1993 et 1994;

(l) les dépenses que l’appelant a engagées à l’égard de l'occupation ne l’ont pas été dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d'un bien;

(m) les dépenses dont l’appelant demande la déduction à l’égard de l’occupation étaient des dépenses personnelles et de subsistance.

9. En 1996, l’appelant a déclaré avoir subi la perte d’entreprise suivante à l’égard de l’occupation :

Année d’impositionRevenu brut Perte nette

1996 104 911 $ (18 731 $)

10. Dans le calcul des pertes découlant de l’occupation pour les années d’imposition 1993 et 1994, l’appelant a déduit des mises de fonds non déductibles et des dépenses de consommation personnelles s’élevant à 6 939,53 $ en 1993 et à 6 141,11 $ en 1994 tel qu’établi dans l’annexe « A » (faisant partie de la Réponse à l’avis d’appel);

[...]

12. Les questions à trancher sont les suivantes :

l’appelant avait-il une expectative raisonnable de profit à l’égard de l’occupation durant les années d’imposition 1993 et 1994?

Dans l’affirmative :

les dépenses dont l’appelant a demandé la déduction étaient-elles déductibles;

les pertes devraient-elles être réduites pour tenir compte du fait qu’il y avait une société.

[4] Les hypothèses 8(a), (b), (c), (d), (f), (g), (h), (i) et (j) sont fondées. L’appelant a adopté le programme d’Amway et ce programme est devenu son plan d’affaires.

[5] M. Keeping est dans la quarantaine. En 1990, lui, son épouse et leurs deux jeunes enfants résidaient sur la péninsule Burin à Garnish, Terre-Neuve. Ils y demeurent encore et c’est là que M. Keeping enseigne. Il détient un baccalauréat ès arts et une maîtrise en éducation. Il enseignait aussi en 1990, quand M. Noseworthy l’a recruté comme distributeur Amway. M. Noseworthy est lui aussi un professeur. M. Keeping a témoigné que le programme Amway l’avait intéressé parce qu’il avait prévu que sa pension de professeur ne lui permettrait pas de subvenir à ses besoins à la retraite et qu’une façon d’arrondir son revenu de retraite et d’assurer le bien-être de sa famille serait de tirer un revenu résiduel comme distributeur « Émeraude » de produits Amway.

[6] M. Keeping était en outre en mesure d’acheter d’Amway au prix de gros environ 80 % des produits dont sa famille avait besoin, il a aussi assisté à des conventions Amway à l’extérieur de Terre-Neuve à Niagara Falls et à Atlanta dans l’État de Georgie aux Etats-Unis et a déduit ses dépenses. Ainsi, le fait d’être distributeur Amway lui procurait certains avantages personnels immédiats.

[7] Tel que mentionné dans les hypothèses, M. Keeping a progressé rapidement. Pour atteindre le degré « Émeraude » , il devait organiser trois groupes de distributeurs qui réalisaient suffisamment de ventes pour devenir des « distributeurs directs » . En 1992, M. Keeping avait organisé un groupe. À partir de cette date, il a cessé de recevoir un pourcentage direct sur les ventes de ce groupe et a commencé à avoir le droit de percevoir un revenu résiduel à son égard. Il a alors décidé qu’il était temps d’arrêter de dédier son temps à ce groupe et de se consacrer au recrutement d’un deuxième. Son parrain, M. Noseworthy était tout à fait d’accord avec cette approche.

[8] Cette décision était importante parce que M. Keeping continuait à enseigner à plein temps à Garnish et il ne pouvait consacrer que 10 ou 15 heures environ par semaine (mis à part le temps requis pour ses déplacements) à ses activités dans Amway. Garnish est une petite ville de la péninsule Burin, un endroit peu peuplé. Le trajet en voiture pour se rendre à St.-John’s, une ville de plus de 100 000 habitants, et à Gander, une ville plus petite que St.-John’s, située au centre de Terre-Neuve dure environ quatre heures. Ainsi, M. Keeping devait conduire huit heures pour faire la navette entre Garnish et les centres urbains suffisamment peuplés pour y recruter des groupes de distributeurs. Pour cela, il fallait du temps et de l’argent. Puisqu’il enseignait à plein temps, il disposait de peu de temps libre. Il se servait de son revenu comme professeur pour éponger les pertes subies comme distributeur de produits Amway.

[9] Quand M. Keeping a entrepris de recruter un nouveau groupe de distributeurs en 1993, son premier groupe de distributeurs a presque aussitôt commencé à se désintégrer. Le premier groupe n’a jamais été en mesure de fonctionner comme il le faisait auparavant et M. Keeping n’a jamais réussi à organiser un deuxième groupe.

[10] La principale question en litige est de déterminer si l’appelant avait une expectative raisonnable de profit à l’égard de l’occupation durant les années en l’espèce. Dans l’arrêt William Moldowan v. The Queen, 77 DTC, 5213, le juge Dickson a statué ce qui suit aux pages 5215 et 5216 :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l’expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s’en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s’appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l’état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s’engager, la capacité de l’entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l’allocation à l’égard du coût en capital. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l’importance de l’entreprise : La Reine c. Matthews (1974), 28 DTC 6193. Personne ne peut s’attendre à ce qu’un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

[11] Depuis que l’appelant est distributeur Amway, il subit des pertes. Quand il a commencé, l’appelant n’avait pas de formation ni d’expérience en comptabilité ou en affaires. Il est un homme d’âge moyen. M. Keeping enseignait à Garnish, Terre-Neuve, et c’est ce qu’il continue de faire. Il a reçu sa formation en affaires des représentants d’Amway qui avaient des motifs personnels de convaincre les distributeurs de poursuivre leurs activités, que ces cerniers aient subi des pertes ou non, puisqu’ils étaient eux-mêmes des entrepreneurs Amway jouissant du droit de recevoir des revenus résiduels. L'appelant a continué à subir des pertes jusqu’à aujourd’hui.

[12] Selon M. Keeping, son premier groupe de distributeurs a commencé à se désintégrer en 1993 parce qu’un bon nombre d’entre eux n’ont pas respecté le plan Amway. D’après lui, les conflits de personnalité qui se produisent immanquablement lorsqu’un certain nombre de personnes sont réunies en groupe sont à l’origine de cet échec. Pour remédier à la situation, il s’est contenté de tenter de persuader les distributeurs de poursuivre leurs activités, ce qui n’a pas eu de résultat, ou d’essayer de recruter un autre ou d’autres groupes de distributeurs ce que, d’après son témoignage, il a essayé et essaie encore de faire.

[13] À l’examen des résultats obtenus par l’appelant, il convient de constater qu’il n’y avait aucune expectative raisonnable de profit à l’égard de l’occupation une fois que la déduction pour amortissement avait été calculée. Toutefois, cette déduction ne représente qu’une petite partie de ses dépenses.

[14] La péninsule Burin où il demeure étant une région peu peuplée, les dépenses que l’appelant a engagées à l’égard de son occupation comme distributeur de produits Amway ont plafonné à environ 25 000 $ ou 27 000 $. Il devait se déplacer et faire des appels interurbains afin de rejoindre les bassins de population plus importants à St. John’s et ailleurs à Terre-Neuve. Durant les années visées en l’espèce, M. Keeping s’est déplacé en automobile vers les villes importantes et des destinations encore plus éloignées plus d’une fois par semaine pour recruter ses groupes de distributeurs et assister à des conférences Amway.

[15] En contre-interrogatoire toutefois, il admet que le pourcentage de marge bénéficiaire autorisé par Amway représentait une autre partie de son problème de rentabilité. Compte tenu de son niveau de dépenses, qui a été le même en 1993 et 1994, il devait réaliser un revenu brut de plus de 300 000 $ par année pour rentrer dans ses frais. Il continuait à éprouver des difficultés à atteindre son seuil de rentabilité même après qu’un groupe de distributeurs était devenu autonome et qu’il obtenait des revenus résiduels. Comme il s’en était clairement rendu compte, il devait continuer à se déplacer et à faire des appels interurbains pour assurer le maintien des activités et la réussite du groupe. Lou Collins, un distributeur au degré « Émeraude » , a confirmé qu’il en était ainsi quand il a témoigné qu’il rencontrait M. Keeping et Noseworthy ou leur téléphonait au moins tous les deux jours tout au long de l’année. Par contre, M. Keeping ne semble pas avoir compris qu’il fallait communiquer constamment avec ses distributeurs directs pour maintenir la cohésion et la motivation du groupe. Il a d’abord recruté un premier groupe de distributeurs puis a consacré le peu de temps dont il disposait à recruter un second groupe. Cependant, puisque le premier groupe était délaissé, il a commencé à perdre son dynamisme et il s’est en fin de compte désintégré. Ainsi, il semble que M. Keeping devra multiplier par deux ou par trois le temps qu'il a consacré à ses déplacements et les dépenses qu'il a engagées jusqu'à maintenant pour arriver à recruter et à garder trois groupes de distributeurs à partir de Garnish. M. Keeping s’est défendu en disant que grâce au courrier électronique, au télécopieur et au nouveau programme « Saphir » de même qu’aux systèmes informatisés et de commandes directes d’Amway, il peut arriver à recruter trois groupes sans dépenser autant de temps et d’argent. Or, ces systèmes et technologies ne sont en service que depuis le début 1997, et M. Keeping ne peut s’en servir pour combler les besoins de ses groupes en matière de soutien et de rapports personnels. C’est pour répondre à ce besoin de rapports personnels que même les sociétés qui disposent des technologies de pointe les plus avancées comptent des démarcheurs. Pour maintenir des rapports personnels avec ses groupes tout en demeurant à Garnish, M. Keeping devra continuer à se déplacer très souvent et à engager des dépenses très importantes.

[16] À mon avis, il est raisonnable de croire que, pour arriver à organiser et à garder les deux ou trois groupes nécessaires pour atteindre le degré « Saphir » (nouveau depuis 1994) ou le degré « Émeraude » , M. Keeping devra consacrer beaucoup plus de temps et dépenser beaucoup plus que les 25 000 $ ou les 27 000 $ qu’il a engagés à titre de dépenses d’exploitation au cours des années précédentes. Il n’y a aucune preuve que la marge de profit a changé. Il n’y a aucune preuve non plus sur les montants réels, les pourcentages ou les variations en pourcentage des revenus résiduels.

[17] Ainsi en 1993 et 1994, deux facteurs représentaient des difficultés importantes pour l’appelant : le très faible pourcentage de marge bénéficiaire et les dépenses élevées qu’il devrait engager pour recruter un deuxième et un troisième groupe de distributeurs et leur fournir des services à partir de Garnish afin de parvenir au degré « Saphir » ou « Émeraude » et percevoir un pourcentage sur les ventes de ses distributeurs. Il ressort clairement du témoignage de l’appelant qu’il ne comprend pas qu’il faut accorder une attention constante à un groupe de distributeurs existant pour qu’il demeure productif et que ces activités requièrent du temps et de l’argent. L’appelant n’avait pas compris non plus ce qu’il devait faire en 1993 et 1994.

[18] Un certain nombre de facteurs ont empêché l’appelant de réaliser un bénéfice, par exemple :

1. Le faible pourcentage de marge bénéficiaire qu’Amway lui permettait d’obtenir.

La péninsule Burin dans les environs de Garnish était peu peuplée et l’appelant devait conduire pendant quatre heures et dépenser beaucoup de temps et d’argent pour trouver des débouchés.

3. Il était un professeur et ne pouvait consacrer qu’un nombre d’heures limité à l’occupation.

4. L’attitude qu’il a conservée jusqu’à aujourd’hui selon laquelle il croit qu’un groupe de distributeurs établi qu’il laisse se débrouiller tout seul et à qui il ne fournit pas de services pourra se maintenir.

Ensemble, ces facteurs ont empêché l’appelant d’avoir une expectative raisonnable de profit en 1993 et 1994.

[19] Ces facteurs n’ont aucune similarité avec les écueils qui surgissent habituellement lors du démarrage d’une entreprise. En 1992, l’appelant avait résolu les difficultés qui étaient survenues au début. Les difficultés éprouvées quant à l’exploitation de l’entreprise et qui sont décrites aux alinéas 1, 2 et 3 du paragraphe [18] étaient présentes dès le début. La quatrième difficulté est devenue évidente en 1993, quand M. Keeping a commencé à recruter son deuxième groupe de distributeurs. Il ne s’est pas adapté aux circonstances ou ne pouvait le faire et il ne l’a pas encore fait. En fait, ses ventes brutes ont diminué d’une façon assez constante et marquée depuis.

[20] En conséquences, il n’y a pas de preuve permettant de réfuter l’hypothèse énoncée à l’alinéa (k) selon laquelle l’appelant n’avait aucune expectative raisonnable de profit à l’égard de l’occupation en 1993 et 1994.

[21] L’appel est rejeté.

[22] Les dépens entre parties sont accordés à l’intimée. Parce que le témoignage de M. Collins était pertinent au présent appel et à celui de M. Noseworthy et qu’il était possible de condenser l’argumentation en raison de la similarité des appels, les dépens sont fixés à la moitié du tarif habituel.

Signé à Ottawa, Canada ce 14e jour de mai 1999.

« D.W. Beaubier »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de février 2000.

Benoît Charron, réviseur

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