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Date: 19990114

Dossier: 97-407-UI; 97-408-UI

ENTRE :

LIONEL ALLARD,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus le 8 décembre 1998 à Winnipeg (Manitoba) par l’honorable juge suppléant Michael H. Porter

Motifs du jugement

(Prononcés oralement à l'audience)

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance concernent la séparation des pouvoirs entre les dirigeants élus et les représentants nommés de la Manitoba Metis Association Inc. (ci-après appelée la “ MMF ”). Plus précisément, ils touchent un cas où les lignes traditionnelles de démarcation ont été estompées ou franchies.

[2] Les appels ont été entendus sur preuve commune avec le consentement des parties.

[3] L'appelant a interjeté appel à la Cour de décisions du ministre du Revenu national (le “ ministre ”) datées du 29 novembre 1996, selon lesquelles il n'était pas employé en vertu d'un contrat de louage de services par la Winnipeg Metis Association Inc. (la “ WMA ”) du 21 octobre 1993 au 7 août 1995 ou par la MMF du 8 août 1995 au 10 mai 1996. La raison donnée dans la décision initiale du directeur — Impôt est qu'à titre de dirigeant élu l'appelant n'était pas un employé. Ce raisonnement a été repris par le ministre dans sa décision, ainsi qu'en font foi les hypothèses de fait énoncées dans la réponse à l'avis d'appel. En résumé, le ministre fait valoir que le poste de vice-président élu de la MMF est identique à celui de gestionnaire régional pour une région donnée et, partant, ne donne pas lieu à un emploi assurable aux termes de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”), qui était en vigueur lors des périodes en cause.

[4] L'appelant fait valoir que ces deux postes n'étaient pas identiques et que ses nominations à titre de gérant de la WMA et de gestionnaire régional de la MMF pour la région de Winnipeg respectivement étaient distinctes de son élection au poste de vice-président régional de la MMF pour la région de Winnipeg.

[5] Les questions de droit sont très claires et je crois qu'il est établi entre les parties que, de façon générale, l'élection à une charge ne donne pas lieu à un emploi au sens de la Loi et que, de plus, l'élection aux postes en question n'était pas visée par la Loi ou ses règlements d'application. Cependant, à mon avis, la question est en réalité factuelle : y avait-il séparation entre l'élection à la vice-présidence de la MMF et la nomination à titre de gestionnaire pour la région, ou les deux postes allaient-ils de pair?

[6] Il est peut-être utile au départ de passer en revue la structure organisationnelle de la MMF. À maints égards, cette structure est semblable à la constitution canadienne. L'organisme est régi par sa propre constitution et il a été constitué en société sans but lucratif sous le régime des lois de la province du Manitoba. Il compte approximativement 35 000 membres, et tous les membres en règle ont droit de vote aux élections tenues tous les trois ans. Les membres de toute la province élisent eux-mêmes le président, qui devient ensuite le président et directeur général du conseil d'administration. Un membre de la Metis Women's Association of Manitoba siège d’office au conseil. Vingt et un administrateurs provenant des régions sont également élus au conseil. Il y a sept régions qui élisent chacune un vice-président, qui pose sa candidature à cette charge en particulier, en plus de deux autres administrateurs. Ainsi, chacune des sept régions est représentée par trois personnes au conseil d'administration, qui comprend sept vice-présidents.

[7] Chaque région compte également une direction régionale, composée du même vice-président et des deux administrateurs élus. Ces représentants sont chargés d'élaborer des politiques dans leurs régions. Ils jouent donc deux rôles. En tant que membres du conseil de la MMF, ils étudient et établissent des politiques pour la province. Chacun d'eux est rattaché à un portefeuille, qui correspond aux ministères d'un gouvernement. À l'époque en cause, il y avait 18 portefeuilles et les présidents des comités en ayant la responsabilité étaient nommés parmi les membres du conseil. En outre, les trios provenant de chaque région étaient chargés d'établir les politiques dans leur région respective.

[8] Les membres n'étaient pas payés pour s'acquitter de l'une ou l'autre de ces fonctions, à l'exception du président, qui était payé en sa qualité de directeur général. Les autres postes ne comportaient que des fonctions stratégiques et ne donnaient lieu à aucune rémunération, si ce n'est le remboursement des frais divers.

[9] Au niveau régional, il y avait des associations locales de la MMF. Il fallait au moins neuf membres pour créer de telles associations. Il en existait un grand nombre. Bien que les dossiers d'une région fussent menés par le vice-président et les deux autres administrateurs de cette région, les associations locales étaient dirigées par un président, un vice-président et un secrétaire-trésorier, élus parmi les membres de l'association locale et par eux.

[10] Aux termes de l'article IX de l'acte constitutif, le conseil d'administration dans son ensemble a le pouvoir de destituer tout dirigeant, que je présume être le président, l'un ou l'autre des sept vice-présidents ou tout membre du conseil d'administration, pour comportement préjudiciable. De plus, les membres d'une région peuvent se réunir et destituer un administrateur ou un vice-président qu'ils ont élus. On pourrait dire qu'il s'agit là d'un exemple du très controversé régime de révocation.

[11] La MMF reçoit du gouvernement fédéral un financement de base. Les budgets sont établis par les régions et soumis à la Fédération, et les fonds sont distribués par le conseil dans toute l'organisation, selon les besoins. Le conseil nomme un directeur exécutif, poste qui est à l'heure actuelle occupé par Donald Roulette, qui a témoigné en l'espèce. Son témoignage a été très utile, et je n'ai absolument aucune raison de le mettre en doute. S'il n'est pas un homme très instruit, M. Roulette m'a donné l'impression d'être parfaitement honnête et fiable et de bien comprendre les principes constitutionnels. Son mandat consiste à mettre en oeuvre les politiques du conseil au niveau de la Fédération. Il est clairement un employé rémunéré et il n'occupe aucune charge élective en ce moment, bien qu'il l'ait fait dans le passé.

[12] Winnipeg est peut-être la plus grande région de la province, certainement sur le plan de la population. Dans les années 1980, elle a commencé à acheter des biens. À cette fin, elle a mis sur pied une société appelée la Winnipeg Metis Association Inc. qui, a-t-on convenu, était elle aussi une société sans but lucratif constituée sous le régime des lois du Manitoba. Elle est le propriétaire actuel de l'immeuble qui, à Winnipeg, abrite les bureaux de la région et loue des locaux à la MMF, qui y a installé son siège social. La structure organisationnelle de cette société n'a pas été expliquée clairement à la Cour. Apparemment, personne n'a pu trouver d'acte constitutif. Cependant, il semble généralement entendu que la société était administrée par la direction régionale, c'est-à-dire le vice-président et les deux administrateurs régionaux. C'est par l'intermédiaire de cette société que la région administrait ses programmes et ses dossiers financiers de 1993 à 1995. En 1995, les choses ont changé et, à compter de ce moment-là, c'est au siège de la MMF que toutes les questions financières ont été traitées, au moyen de budgets-objets en vertu desquels on attribuait à chaque région des fonds qui étaient dépensés en son nom.

[13] Chaque région avait aussi un gestionnaire, qui touchait en général un salaire d'environ 36 000 $ par année. Sa tâche consistait à diriger le bureau régional, à en administrer les programmes et à mettre en oeuvre les politiques de la direction. Le titulaire du poste était payé par la région jusqu'à ce que les dossiers financiers des régions soient transférés au siège social en 1995, date à partir de laquelle celui-ci a versé ce salaire directement.

[14] L'appelant dans la présente affaire était, pendant toutes les périodes en question, le gestionnaire de la région de Winnipeg. Il avait également été élu vice-président de la région de Winnipeg pour les mêmes périodes. C'est ici que la première ligne de démarcation est franchie. Le ministre a fait valoir que l'appelant avait été élu au poste de gestionnaire alors que l'appelant, appuyé par Donald Roulette, fait valoir qu'il y avait été nommé par la direction régionale après l'élection. La façon dont ce poste était comblé et dont le titulaire pouvait être remercié est véritablement le noeud de l'appel. La confusion dans la présente affaire tient peut-être au fait que les deux postes étaient occupés par une seule personne, de manière tout à fait insatisfaisante, ainsi que nous le verrons.

[15] C'est à cette étape-ci que l'excellent travail de la MMF, qui a élaboré un acte constitutif moderne prévoyant une nette séparation des pouvoirs entre les personnes élues pour établir des politiques et les personnes nommées pour les appliquer, a quelque peu été mis en péril. L'article XV de l'acte constitutif est libellé dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Nul dirigeant élu de la Fédération ne peut effectuer un travail pour la Fédération, soit à titre d'employé, soit aux termes d'un contrat, si ce n'est pour s'acquitter des obligations du poste qu'il occupe au sein de la Fédération.

Il demeure entendu, sans restreindre la généralité de ce qui précède, que quiconque touche une rémunération sous forme d'allocation de présence ou d'un paiement pour occuper une charge au sein de la Fédération (c'est-à-dire, comme président ou vice-président) n'est considéré comme un employé de la Fédération. Nulle personne élue à une charge n'a droit, du seul fait qu'elle n'est pas réélue à cette charge, à un autre avis, à une indemnité de départ ou à d'autres avantages sociaux.

[16] La clause 2 a été interprétée, par Donald Roulette notamment, comme signifiant qu'un vice-président peut occuper un poste administratif dans l'organisation, pour lequel il serait payé, sans pour autant contrevenir à la clause 1 du même article. M. Roulette s'est dit d'avis que, du fait de cette clause, le poste ne serait pas considéré comme un emploi. De la même façon, on a indiqué que, du fait de ce libellé, les seules personnes élues au conseil d'administration qui pourraient occuper ce poste administratif étaient les sept vice-présidents. Si le vice-président de la région n'acceptait pas d'occuper le poste administratif régional, celui-ci était confié à une personne qui n'était pas membre du conseil. On en est donc venu à offrir d'abord le poste administratif en question aux vice-présidents après leur élection, lesquels, semble-t-il, l'acceptaient généralement.

[17] Avec égards, il s'agit là à mon avis d'une interprétation erronée de l'article de la constitution en cause, lequel, à mon avis, dit simplement que, si le président, le vice-président ou un administrateur touchait une rétribution sous forme d'allocation de présence (ce qui, de façon générale, n'était pas le cas) ou du fait qu'il occupait un poste (ce que seul le président faisait puisqu'aucun montant n'était versé pour le poste de vice-président en soi), il n'était pas considéré de ce fait comme un employé de la MMF. Par conséquent, s'il n'était pas réélu, il ne pouvait demander d'indemnité de départ ni prétendre qu'il s'agissait d'un congédiement injustifié. La clause 2 prévoit expressément qu'elle ne restreint pas la généralité de la clause 1, laquelle interdit à l'administrateur, qu'il soit président, vice-président ou simple administrateur, d'assumer un poste administratif rémunéré ou de conclure un contrat avec la MMF. La clause 2 indique simplement que les allocations versées au titre de la charge qu'ils occupent, soit celle de président, de vice-président ou d'administrateur, ne donnent pas lieu à un emploi aux termes de la clause 1. Elle ne donne à nul d'entre eux le droit d'accepter un poste administratif en contravention de la clause 1 pendant leur mandat. Une telle nomination contreviendrait clairement à cet article de la constitution. Si, en l'espèce, cette interdiction avait été respectée, la question dont la Cour est saisie ne se serait pas posée.

[18] Mais voilà, elle s'est posée, et je dois maintenant examiner la façon dont l'appelant en particulier est arrivé à occuper le poste de gestionnaire pour la région de Winnipeg. Ainsi que Donald Roulette et l'appelant l'ont indiqué dans leurs témoignages, selon la pratique, il semble que, une fois élus à la direction régionale, les deux autres administrateurs rencontraient le vice-président et lui offraient le poste de gestionnaire régional. Lors des témoignages, on a donné des exemples de cas où la personne en question avait refusé le poste, ce qui avait alors donné lieu à la nomination d'une personne de l'extérieur. On a également mentionné des cas où la personne en question n'avait pas accepté le poste immédiatement, puisque quelqu'un l'occupait déjà. Ce qui m'est apparu clairement, cependant, c'est que, bien que, de façon générale, le vice-président nouvellement élu acceptât effectivement le poste administratif, il y avait un processus entre l'élection au poste de vice-président et la nomination au poste en question. Les personnes concernées refusaient probablement de prendre part au processus décisionnel de la direction sur cette question puisque, dans le cas contraire, elles se seraient clairement retrouvées en conflit d'intérêt. Les deux autres membres de la direction devaient donc se mettre d'accord sur le choix de la personne qui occuperait le poste en question. En outre, il est clair que ces deux mêmes administrateurs avaient également le pouvoir de renvoyer cette personne. Ils fixaient son salaire et détenaient la majorité pour décider quelles politiques seraient mises en oeuvre ou appliquées dans la région.

[19] Le rôle du gestionnaire était clairement différent de celui du vice-président et de l'administrateur. Le gestionnaire était chargé de diriger le bureau régional, d'engager, de congédier et de superviser le personnel de bureau, d'administrer les programmes de logement, d'éducation et d'aide sociale à l'enfance et autres choses semblables. Le bureau de Winnipeg était ouvert tous les jours de 8 h 30 à 16 h 30. Bien que l'appelant puisse à l'occasion laisser de côté son rôle de gestionnaire pour assumer celui d'administrateur ou de vice-président, ses fonctions étaient néanmoins différentes dans chaque cas. Il est vrai que, de façon générale, il présentait des rapports sur ses fonctions administratives au siège social plutôt qu'à la direction régionale, mais j'ai pu comprendre, compte tenu de la preuve, que cela était davantage une condition se rattachant au financement continu des programmes qui étaient administrés. La direction régionale, il me semble, avait en tout temps le pouvoir de superviser et de renvoyer l'appelant s'il avait une raison de le faire.

[20] De fait, cela s'est produit. Lorsque, en 1993, tous les membres du conseil ont démissionné et qu'un nouveau conseil a été formé par intérim, l'appelant a été renvoyé de son poste administratif. Cette décision est distincte de sa propre décision de démissionner du conseil. Dans le même ordre d'idées, en 1996, un séquestre nommé pour gérer les dossiers financiers de la MMF a renvoyé l'appelant de son poste de gestionnaire régional. Ce dernier a cependant continué d'occuper le poste de vice-président jusqu'à l'élection suivante. Cela montre que les deux postes étaient traités différemment et que l'un ne dépendait pas de l'autre.

Conclusion

[21] En conclusion, je suis d'avis que, même si l'appelant n'aurait pas dû être élu au poste de vice-président et être nommé en même temps au poste de gestionnaire régional, pas plus qu'un ministre ne pourrait occuper en même temps le poste de sous-ministre, et que cela était contraire à l'acte constitutif de la MMF, dans les faits, c'est ce qui s'est produit, et les deux rôles qu'il a assumés étaient distincts l'un de l'autre. L'un ne dépendait pas de l'autre. Même si, de façon générale, les vice-présidents élus étaient nommés à ces postes administratifs, le processus intermédiaire de sélection et de nomination n'en faisait pas une nomination d'office. Les hypothèses du ministre énoncées dans la réponse à l'avis d'appel sont incorrectes lorsqu'il est affirmé que le poste de gestionnaire régional faisait partie des fonctions d'un vice-président. Ce n'était pas le cas. La preuve est claire à cet égard. Le ministre a également tort d'affirmer que les vice-présidents touchaient un salaire annuel pour occuper le poste administratif. Ce n'était pas le cas. Le poste administratif assorti d'un salaire était un poste auquel la nomination était distincte et qui n'avait rien à voir directement avec l'élection d'une personne au poste de vice-président. Ce n'est qu'accessoirement que la pratique est née et que l'on a offert le poste aux personnes ainsi élues. L'acte constitutif de la WMA ne contenait aucune disposition prévoyant que la personne élue vice-président devenait, d'office, le gestionnaire régional, et le ministre a eu tort d'affirmer que c'était le cas. Là encore, l'appelant pouvait être congédié par la direction régionale en sa qualité de gestionnaire régional, et le ministre a eu tort d'affirmer qu'il ne pouvait pas l'être. Enfin, le ministre a eu tort d'affirmer que le gestionnaire régional devait quitter son poste s'il n'était pas réélu. Aux termes du règlement sur les élections, tout titulaire d'un poste rémunéré au sein de la MMF devait obtenir un congé avant de se présenter à une élection. Cependant, si le titulaire en question choisissait de ne pas se présenter à l'élection, il pouvait, comme on l'a expliqué au moyen d'un exemple dans la preuve, continuer d'assumer le poste de gestionnaire régional après l'élection.

[22] À mon avis, le fait que, sur une période de deux ans, le salaire de l'appelant a été payé par la WMA puis par la MMF directement n'a aucune importance. C'est là une simple procédure comptable et rien se rapportant à l'occupation du poste n'en dépendait.

[23] Je conclus donc que l'appelant était effectivement un employé, même s'il n'aurait pas dû l'être, pendant les deux périodes en question, et que son emploi était un emploi assurable au sens de la Loi. Il était employé en vertu d'un contrat de louage de services. Il n'avait pas été élu au poste de gestionnaire régional. Les appels sont par conséquent accueillis et les décisions du ministre sont annulées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 14e jour de janvier 1999.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour d’août 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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