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Date: 19980731

Dossier: 96-588-IT-G

ENTRE :

JEAN-LUC BIGRAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L’appelant conteste une cotisation établie le 4 juillet 1994 à l’égard de son année d’imposition 1990. Par cette cotisation le ministre du Revenu national (le “Ministre”) a refusé de lui accorder la déduction pour gains en capital de l’article 110.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “Loi”) à l’égard d’un gain résultant d’une vente d’actions survenue en 1988 mais dont une partie n’a été déclarée qu’en 1990 à titre de réserve réclamée l’année précédente.

[2] La déduction a été refusée au motif que la disposition anti-évitemment du paragraphe 245(1.1) est applicable en l’espèce. Cette disposition applicable aux séries d’opérations ou d’événements commençant après le 21 novembre 1985 est maintenant abrogée et remplacée par la nouvelle disposition générale anti-évitemment de l’article 245 de la Loi. Le paragraphe 245(1.1) était applicable aux opérations faisant partie d’une série d’opérations commençant avant le 13 septembre 1988 et terminée avant 1989[1]. À l’époque pertinente, le paragraphe 245(1.1) de la Loi se lisait ainsi :

(1.1) Idem. Un particulier ne peut déduire aucun montant en vertu de l’article 110.6 au titre d’un gain en capital sur la disposition d’un bien s’il est raisonnable de considérer qu’un des objets d’une série d’opérations ou d’événements a consisté à permettre à ce particulier de convertir en un tel gain en capital un montant qui aurait été reçu par le particulier et inclus dans le calcul de son revenu en vertu de l’alinéa 3(a)

(a) n’eût été une ou plusieurs opérations ou événements de la série; ou

(b) sur une disposition par ce particulier d’un bien à l’égard duquel le bien est un bien substitué.

[3] Dans la Réponse amendée à l’avis d’appel, l’intimée soutient de plus que l’appelant n’a pas droit à la déduction de l’article 110.6 de la Loi parce que la vente des actions a donné lieu à un revenu d’entreprise et non à un gain en capital en alléguant que l’appelant a fait l’acquisition des actions dans le but de les revendre immédiatement à profit.

[4] Les avocats des parties ont soumis une entente partielle sur les faits et la preuve documentaire en se réservant toutefois le droit d’apporter une preuve additionnelle non contraire aux termes de l’entente. Celle-ci se lit comme suit :

1. Jusqu’au 15 juin 1988, l’appelant fut actionnaire unique de Les Entreprises Jean-Luc Bigras Ltée (ci-après “JLB Ltée”).

2. JLB Ltée fut constituée en personne morale en 1980 et son entreprise consista depuis lors en l’achat et la vente de terrains.

3. Les seules actions émises et en circulation de JLB Ltée étaient 100 actions ordinaires qui furent détenues par l’appelant depuis la formation de JLB Ltée. Chacune de ces actions était une action admissible de petite entreprise, telle que cette expression est définie au paragraphe 110.6(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (ci-après la “Loi”) L.R.C. 1985 (5e suppl.).

4. Le capital versé et le prix de base rajusté (ci-après “PBR”) de l’appelant pour chacune desdites actions ordinaires de JLB Ltée étaient de 1 $.

5. Le 16 novembre 1987, l’appelant a reçu une offre d’achat de tiers pour toutes les actions de JLB Ltée ou de toute autre société qui serait propriétaire de certains terrains appartenant à JLB Ltée et décrits à ladite offre (ci-après les “Terrains”).

- Voir document sous l’onglet 49, Volume II, qui pour fins de référence aura la cote “C-49”.

6. Les Terrains représentaient au moins 80% en valeur de l’inventaire de terrains JLB Ltée au moment de ladite offre.

7. L’offre d’achat initiale était de 400 000 $ pour finalement être acceptée le 17 novembre 1987 à 422 500 $.

8. L’appelant, par l’entremise de son comptable, Michel Désilets, c.a., consulta Jacques Pontbriand, c.a., m. fisc., pour étudier les aspects fiscaux reliés à l’offre d’achat décrite au paragraphe 5 ci-dessus.

9. Le 15 avril 1988, Jacques Pontbriand, c.a., m. fisc., compléta son étude au moyen d’un rapport écrit.

- Voir document sous l’onglet 52, Volume III, qui pour fins de référence aura la cote “C-52”.

10. Le 18 mai 1988, 161978 Canada Inc. (ci-après “161978 Inc.”) a été constituée en personne morale avec émission de capital-actions comme suit :

a. 10 actions votantes et participantes de catégorie A à l’appelant; et

b. 90 actions votantes et non participantes de catégorie D à JLB Ltée.

11. Lesdites actions de 161878 [sic] Inc. avaient un PBR et un capital versé de 1 $ l’action.

12. Le 18 mai 1988, 161979 Canada Inc. (ci-après “161979 Inc.”) a été constituée en personne morale avec émission de capital-actions comme suit :

a. 12 actions votantes et participantes de catégorie A à l’appelant; et

b. 110 actions votantes et non participantes de catégorie D à 161978 Inc.

13. Lesdites actions de 161979 Inc. avaient un PBR et un capital versé de 1 $ l’action.

14. Le 16 juin 1988, les transactions suivantes furent effectuées successivement et ce, comme suit :

a. JLB Ltée a vendu certains des Terrains qu’elle détenait à 161978 Inc. pour un prix de 422 500 $. Ce prix de vente a été acquitté par le paiement d’un montant de 22 500 $ comptant et par l’émission d’un billet au montant de 400 000 $ à l’ordre de JLB Ltée, sans intérêt et remboursable sur demande le 1er mai 1991 ;

- Voir document sous l’onglet 6, Volume I, qui pour fins de référence aura la cote “C-6”.

b. 161978 Inc. a vendu à 161979 Inc. les Terrains pour un prix de 422 500 $. Ce prix de vente a été acquitté par l'émission d'un billet au montant de 422 500 $ à l’ordre 161978 Inc. sans intérêt et remboursable sur demande ;

- Voir document sous l’onglet 7, Volume I, qui pour fins de référence aura la cote “C-7”.

c. L’appelant a vendu à 161979 Inc. 44 de ses actions ordinaires de JLB Ltée et a reçu, en contrepartie, 44 actions votantes et participantes de catégorie A de 161979 Inc. La juste valeur marchande des 44 actions de JLB Ltée vendues par l’appelant fut déclarée comme étant de 211 250 $. Un choix en vertu de l’article 85 de la Loi a été produit de sorte que le produit de disposition pour l’appelant des 44 actions ordinaires de JLB Ltée était réputé être égal à 44 $, soit leur PBR ;

- Voir les documents sous les onglets 8 à 10, Volume I, du présent cartable qui pour fins de référence auront les cotes “C-8 à C-10”.

d. JLB Ltée a acheté pour annulation les 44 actions ordinaires de son capital-actions maintenant détenues par 161979 Inc. pour la somme de 211 250 $. En vertu du paragraphe 84(3) de la Loi, JLB Ltée était réputée avoir versé un dividende de 211 206 $, et 161979 Inc. était réputée avoir reçu un dividende de 211 206 $, lors de cet achat pour annulation. Le prix a été acquitté par l’émission d’un billet au montant de 211 250 $ à l’ordre de 161979 Inc. payable sur demande ;

- Voir les documents sous les onglets 11 à 13, Volume I, qui pour fins de référence auront les cotes “C-11 à C-13”.

e. 161979 Inc. a cédé à 161978 Inc. la créance due par JLB Ltée au montant de 211 250 $ et découlant du rachat des 44 actions ordinaires de JLB Ltée, et 161978 Inc. a accepté ladite créance en paiement partiel de la somme qui lui était due par 161979 Inc. en vertu du contrat de vente des Terrains intervenu entre 161978 Inc. et 161979 Inc. plus amplement décrit au sous paragraphe (b) ci-dessus ;

- Voir les documents sous les onglets 14 à 17, Volume I, qui pour fins de référence auront les cotes “C-14 à C-17”.

f. L’appelant a vendu à 161979 Inc. 44 de ses autres actions ordinaires de JLB Ltée et a reçu, en contrepartie, 44 autres actions votantes et participantes de catégorie A de 161979 Inc. La juste valeur marchande de ces 44 actions de JLB Ltée vendues par l’appelant fut déclarée comme étant 211 250 $. Un choix en vertu de l’article 85 de la Loi a été produit de sorte que le produit de disposition pour l’appelant des 44 actions ordinaires de JLB Ltée était réputé être égal à 44 $, soit leur PBR ;

- Voir les documents sous les onglets 18 à 20, Volume I, qui pour fins de référence auront les cotes “C-18 à C-20”.

g. JLB Ltée a acheté pour annulation les 44 actions ordinaires de son capital-actions maintenant détenues par 161979 Inc. pour la somme de 211 250 $. En vertu du paragraphe 84(3) de la Loi, JLB Ltée était réputée avoir versé un dividende de 211 206 $, et 161979 Inc. était réputée avoir reçu un dividende de 211 206 $ lors de cet achat pour annulation. Le prix a été acquitté par l’émission d’un billet au montant de 211 250 $ à l’ordre de 161979 Inc. payable sur demande ;

- Voir les documents sous les onglets 21 à 23, Volume I, qui pour fins de référence auront les cotes “C-21 à 23”.

h. 161979 Inc. a cédé à 161978 Inc. la créance due par JLB Ltée au montant de 211 250 $ et découlant du rachat des 44 actions ordinaires de JLB Ltée et ce, en guise de paiement du solde qui restait dû à 161978 Inc. par 161979 Inc. en vertu du contrat de vente des Terrains intervenu entre ces deux parties et plus amplement décrit au sous paragraphe (b) ci-dessus ; et

- Voir les documents sous les onglets 24 à 27, Volume I, qui pour fins de référence auront les cotes “C-24 à C27”.

i. 161978 Inc. a racheté pour la somme de 90 $ les 90 actions de sa catégorie D détenues par JLB Ltée; et 161979 Inc. a racheté pour la somme de 110 $ les 110 actions de sa catégorie D détenues par 161978 Inc.

15. Suite aux transactions décrites au paragraphe précédent, les seules actions émises et en circulation de 161979 Inc. étaient les 100 actions de catégorie A détenues par l’appelant et chacune de celles-ci constituait une action admissible de petite entreprise, telle que cette expression est définie au paragraphe 110.6(1) de la Loi.

16. Le 23 juin 1988, l’appelant vendit ses 100 actions de catégorie A de 161979 Inc. à Gestion G. Brunet Inc. et Gestion T.V.J.F. Inc. (ci-après l’“acheteur”) pour un prix de 422 500 $ payable comme suit :

a. 22 500 $ payé comptant lors de l’acceptation de l’offre d’achat datée du 16 novembre 1987 ;

b. 100 000 $ payé comptant lors de la vente ; et

c. 300 000 $ payable le ou avant le 1er mai 1993, selon des modalités et taux d’intérêt convenus, à savoir :

- 80 000 $ le ou avant le 1er mai 1989 ;

- 60 000 $ le ou avant le 1er mai 1990 ;

- 160 000 $ le ou avant le 1er mai 1993.

- Voir document sous l’onglet 28, Volume I, qui pour fins de référence aura la cote “C-28”.

17. Ladite vente intervenue le 23 juin 1988 donne suite à l’offre d’achat du 16 novembre 1987 décrite au paragraphe 5 ci-dessus.

18. L’acheteur fut, à tout moment pertinent, une personne n’ayant aucun lien de dépendance avec l’appelant, JLB Ltée, 161978 Inc. ou 161979 Inc.

19. Dans sa déclaration de revenus pour l’année 1988, l’appelant a déclaré un gain en capital de 422 488 $ réalisé sur la disposition des 100 actions de la catégorie A de 161979 Inc. moins une réserve de 300 000 $ pour un gain en capital de 122 488 $ et un gain en capital imposable de 81 658.66 $.

20. Dans sa déclaration de revenus pour l’année 1989, l’appelant a déclaré un gain en capital sur l’inclusion de la réserve de 300 000 $ moins une nouvelle réserve de 220 000 $ pour un gain en capital de 80 000 $ et un gain en capital imposable de 60 000 $.

21. Dans sa déclaration de revenus pour l’année 1990, l’appelant a déclaré un gain en capital sur l’inclusion de la réserve de 220 000 $ pour un gain en capital de 220 000 $ et un gain en capital imposable de 165 000 $.

22. Dans chacune de ses déclarations de revenus pour les années 1988 à 1990, l’appelant a, en vertu du paragraphe 110.6(2.1) de la Loi, réclamé une déduction égale au montant des gains en capital imposables inclus par ailleurs dans ses revenus.

23. Suite à la transaction décrite au sous paragraphe 14(b), ci-dessus, 161978 Inc. n’a pas réalisé de profit lors de la revente des Terrains à 161979 Inc.

24. À compter du 10 août 1992 et ce jusqu’au 11 mars 1994, Jacques Pontbriand, c.a., m. fisc., et Monsieur Pierre Jolin, Division de la vérification, Ministère du Revenu National eurent des discussions concernant les transactions décrites, ci-dessus.

- Voir les documents sous les onglets 53 à 60, Volume III, qui pour fins de référence auront les cotes “C-53 à C-60”.

25. Par une nouvelle cotisation datée du 4 juillet 1994, le Ministre du Revenue National (ci-après le “MRN”), refusait la déduction de 165 000 $ réclamée par l’appelant pour l’année d’imposition 1990 au motif que le paragraphe 245(1.1) de la Loi s’appliquerait.

- Voir documents sous l’onglet 61, Volume III, qui pour fins de référence aura la cote “C-61”.

26. Le 27 septembre 1994, l’appelant s’est dûment opposé à la nouvelle cotisation du 4 juillet 1994.

- Voir document sous l’onglet 62, Volume III, qui pour fins de référence aura la cote “C-62”.

27. Par la suite, des discussions sont intervenues entre les représentants du MRN et Jacques Pontbriand, c.a., m. fisc.

- Voir les documents sous les onglets 63 à 65, Volume III, qui pour fins de référence auront les cotes “C-63 à C-65”.

28. Le 9 novembre 1995, le MRN ratifiait la nouvelle cotisation du 4 juillet 1994 au motif :

“QUE L’UN DES OBJETS DE LA SÉRIE D’OPÉRATIONS SURVENUES ENTRE LE 18 MAI 1988 ET LE 23 JUIN 1988 A CONSISTÉ À PERMETTRE À M. BIGRAS DE CONVERTIR EN UN GAIN EN CAPITAL UN MONTANT DE DIVIDENDE QUI AURAIT ÉTÉ REÇU PAR M. BIGRAS ET INCLUS DANS SON REVENU”;

- Voir document sous l’onglet 51, Volume II, qui pour fins de référence aura la cote “C-51”.

[5] C’est à la demande de monsieur Michel Désilets, le comptable de l’appelant, que monsieur Jacques Pontbriand, comptable agréé spécialisé en fiscalité, a planifié les transactions décrites ci-dessus dans l’entente partielle sur les faits par suite d’une offre de 422 500 $ reçue par l’appelant pour toutes les actions du capital-actions de JLB Ltée ou d’une autre société qui serait propriétaire de certains terrains appartenant à JLB Ltée. Selon monsieur Pontbriand, il s’agissait d’en arriver à structurer la transaction de façon à ce qu’elle soit acceptable aux deux parties. D’une part, la vente par l’appelant de ses actions du capital-actions de JLB Ltée aurait entraîné pour lui la réalisation d’un gain en capital qui aurait été éliminé par la déduction de l’article 110.6 de la Loi. Toutefois, cette solution ne convenait pas aux acheteurs à cause du coût peu élevé des terrains détenus par JLB Ltée. ce qui aurait représenté un montant d’impôt reporté trop important pour eux. D’autre part, la vente des terrains par JLB Ltée à leur juste valeur marchande convenait aux acheteurs en éliminant le problème de l’impôt reporté mais ne pouvait satisfaire l’appelant qui n’aurait pu alors se prévaloir de la déduction de l’article 110.6 de la Loi. Selon monsieur Pontbriand, comme l’appelant désirait vendre ses actions sans conséquence fiscale en se prévalant de cette déduction, le plan conçu permettait pour l’essentiel d’éviter le problème de l’impôt reporté en transférant les terrains à leur juste valeur marchande à une nouvelle société de façon à en augmenter le coût tout en procédant à un roulement des actions du capital-actions de JLB Ltée détenues par l’appelant dans cette nouvelle société en contrepartie d’actions du capital-actions de cette dernière. Il était prévu que l’appelant vende ensuite les actions nouvellement acquises du capital-actions de cette nouvelle société aux tiers acquéreurs réalisant ainsi un gain en capital faisant l’objet de la déduction de l’article 110.6 de la Loi. Comme on peut le constater à la lecture des transactions décrites dans l’entente partielle sur les faits, pour éviter certaines difficultés techniques, monsieur Pontbriand a prévu l’utilisation de deux nouvelles sociétés pour réaliser ses objectifs.

[6] Dans les faits, le plan conçu par monsieur Pontbriand a été exécuté en mai et juin 1988. Les deux nouvelles sociétés, 161978 Canada Inc. (“161978 Inc.”) et 161979 Canada Inc. (“161979 Inc.”) ont été constituées le 18 mai 1988. Le 16 juin 1988, suite à plusieurs transactions effectuées successivement entre JLB Ltée, les sociétés 161978 Inc., 161979 Inc. et l’appelant, la société 161979 Inc. est devenue propriétaire des terrains convoités au prix de 422 500 $ et l’appelant détenteur de 100 actions de catégorie A du capital-actions de 161979 Inc. Au terme des différentes transactions, ces actions étaient les seules actions du capital-actions de 161979 Inc. émises et en circulation. Elles avaient un prix de base rajusté de 1 $ chacune. Lors de la constitution de 161979 Inc. l’appelant avait initialement acquis 12 de ces actions. Les 88 autres furent acquises suite aux deux roulements successifs de 44 actions du capital-actions de JLB Ltée qu’il détenait.

[7] Le 23 juin 1988, l’appelant a vendu à des tiers acquéreurs ses 100 actions de catégorie A du capital-actions de 161979 Inc. au prix de 422 500 $ entraînant la réalisation d’un gain en capital de 422 488 $.

[8] Compte tenu des modalités de paiement du prix des actions, en 1988, l’appelant réclama une réserve de 300 000 $ et déclara un gain en capital de 122 488 $ et un gain en capital imposable de 81 658,66 $. En 1989, il réclama une nouvelle réserve de 220 000 $ et déclara un gain en capital de 80 000 $ et un gain en capital imposable de 60 000 $. Enfin en 1990, l’appelant déclara un gain en capital de 220 000 $ (soit le montant de la réserve réclamée en 1989) et un gain en capital imposable de 165 000 $.

[9] Bien que l’appelant ait réclamé la déduction pour gains en capital de l’article 110.6 de la Loi pour les années 1988, 1989 et 1990, ce n’est qu’après une vérification d’une durée de deux ans et de nombreuses discussions qu’une nouvelle cotisation fut finalement établie le 4 juillet 1994 à l’égard de l’année 1990 seulement puisque les années 1988 et 1989 étaient alors prescrites. Selon monsieur Pontbriand, au point de départ, le vérificateur de Revenu Canada, monsieur Pierre Jolin, contestait la réserve réclamée par JLB Ltée suite à la vente des terrains puis la validité du choix à l’égard de l’un des roulements de 44 actions du capital-actions de JLB Ltée par l’appelant à 161979 Inc. Ces questions ayant été finalement réglées, monsieur Jolin invoqua alors l’application du paragraphe 245(1.1) de la Loi en refusant la déduction réclamée par l’appelant en vertu de l’article 110.6 de la Loi pour son année d’imposition 1990.

[10] Il importe de souligner immédiatement que ce n’est qu’en novembre 1996 que l’intimée, suite à une ordonnance de la cour permettant le dépôt d’une Réponse amendée à l’avis d’appel, ajouta un élément nouveau pour justifier le refus d’accorder à l’appelant le bénéfice de la déduction de l’article 110.6 de la Loi en alléguant que l’appelant avait acquis les actions de 161979 Inc. dans le but de les revendre immédiatement à profit avec la conséquence que la disposition des actions aurait donné lieu à un revenu d’entreprise plutôt qu’à un gain en capital.

[11] Lors de son témoignage, monsieur Pontbriand a admis que les actions du capital-actions de 161979 Inc. acquises par l’appelant devaient être revendues dans un court laps de temps puisqu’il s’agissait effectivement selon la planification proposée de transférer la valeur des actions du capital-actions de JLB Ltée détenues par l’appelant dans la nouvelle société de sorte que cette valeur soit reflétée dans les actions du capital-actions de cette société obtenues par l’appelant suite au roulement de ses actions du capital-actions de JLB Ltée.

[12] Le témoignage de l’appelant n’ajoute pas beaucoup à celui de monsieur Pontbriand sinon qu’il confirme que les tiers acquéreurs étaient fondamentalement intéressés à certains terrains situés à Ste-Marthe que JLB Ltée aurait pu par ailleurs vendre directement.

[13] Selon monsieur Bigras, JLB Ltée ne possédait qu’un seul autre petit terrain qu’elle lui a revendu à perte un peu plus tard. Par la suite, JLB Ltée aurait cessé toute activité.

[14] Monsieur Bigras a confirmé que les différentes transactions ont été effectuées pour faire suite aux recommandations de monsieur Pontbriand et de son comptable monsieur Désilets en qui il avait confiance, et ce, dans le but d’avoir à payer moins d’impôt. Il a ajouté que les tiers acquéreurs avaient souligné lors des négociations qu’ils n’étaient pas intéressés à acquérir “une vieille compagnie à cause des dettes potentielles.”

[15] Avant d’aborder les arguments des avocats des parties, il est utile de souligner que lors d’un interrogatoire au préalable[2] monsieur Pierre Jolin, a reconnu que le fait que JLB Ltée était propriétaire des terrains depuis 1980 ne pouvait être contredit. De plus, étant d’accord pour dire que JLB Ltée avait le droit de recevoir le produit de la vente des terrains, il a par ailleurs considéré que c’était le profit réalisé par JLB Ltée lors de la vente de ces terrains soit un montant de plus ou moins 306 000 $ moins les impôts y afférents (mais sans tenir compte des autres pertes non reliées à la vente) qui aurait pu être reçu par l’appelant soit sous forme de dividende (l’hypothèse la moins onéreuse) ou même de salaire ou de don n’eût été de la série d’opérations. Monsieur Jolin a toutefois reconnu qu’il n’y avait eu aucune déclaration de dividendes par JLB Ltée non plus que de déclaration de boni ou de salaire. Monsieur Jolin a également confirmé qu’il n’y avait aucun lien entre le montant de 306 000 $ qui aurait, selon lui, été reçu par l’appelant et la dernière portion du gain en capital imposable incluse en 1990, soit la somme de 165 000 $ si ce n’est du fait que le paragraphe 245(1.1) de la Loi a effectivement été appliqué pour refuser la déduction de l’article 110.6 à l’égard de cette portion. Cependant, il a affirmé que la vente par l’appelant de ses actions du capital-actions de JLB Ltée (à des tiers) aurait donné lieu à un gain en capital et à la déduction pour gains en capital.

[16] L’avocat de l’appelant a d’abord souligné l’admission que les terrains convoités représentaient au moins 80% en valeur de l’inventaire des terrains de JLB Ltée au moment de l’offre du 17 novembre 1987. En réalité dit-il, il s’agissait d’une proportion égale à 88% puisque l’appelant a disposé en faveur de 161979 Inc. de 88 des 100 actions du capital-actions de JLB Ltée qui lui appartenaient. Se référant à la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l’affaire Imapro Corporation v. The Queen, 92 DTC 6487 à la page 6494, il soutient qu’il s’agissait en quelque sorte pour JLB Ltée de la vente de la presque totalité de son entreprise entraînant ainsi un gain en capital et non un revenu d’entreprise selon la décision de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Frankel Corporation Ltd. v. M.N.R., [1959] S.C.R. 713, 59 DTC 1161. Ainsi selon l’avocat de l’appelant, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Fraser v. M.N.R., [1964] S.C.R. 657, 64 DTC 5224 ne pourrait être applicable puisque la vente par l’appelant de ses actions du capital-actions de JLB Ltée ne pourrait être considérée comme une autre méthode de disposer de biens (les terrains) dont la vente aurait donné lieu à un revenu d’entreprise.

[17] J’avoue avoir certaines difficultés à comprendre la pertinence et la justesse de cet argument pour conclure à la non application de l’arrêt Fraser (précité) selon lequel la vente d’actions d’une société n’était qu’une autre méthode de disposer de terrains détenus pour être revendus et dont la disposition aurait donné lieu à du revenu d’entreprise.

[18] L’article 23 de la Loi établit clairement que lorsqu’il y a disposition d’une entreprise ou d’une partie quelconque de cette entreprise ou encore lors de la cessation d’exploitation totale ou partielle de l’entreprise ou après cette cessation les biens vendus faisant partie du stock d’une entreprise sont réputés avoir été vendus au cours de l’exploitation de l’entreprise. L’article 23 a remplacé l’ancien article 85E applicable aux ventes de biens faisant partie du stock d’une entreprise à compter du 5 avril 1955. L’introduction de cette disposition avait précisément pour but de neutraliser l’effet de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Frankel (précitée).

[19] Est-ce à dire que le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Fraser (précitée) est applicable aux faits de la présente affaire? À mon avis un non catégorique doit être donné comme réponse. Il n’y a aucune preuve que l’appelant ait jamais détenu les terrains dont JLB Ltée était propriétaire depuis 1980. L’appelant était actionnaire de JLB Ltée et rien d’autre. Il suffit ici pour clore le débat de se référer aux propos de mon collègue le juge Bowman dans l’affaire Rudacel Investment Co. Ltd. v. M.N.R., 92 DTC 1118 sur lesquels s’appuie d’ailleurs l’avocat de l’appelant. Ces propos que l’on retrouve à la page 8 de la traduction française sont à mon avis directement applicables en l’instance. Ils se lisent comme suit :

La Kinwest, une entité juridique distincte, a acheté des terrains et s’est occupée pendant cinq ans de les mettre en valeur et de les vendre. La participation des actionnaires au capital-actions de la Kinwest était un placement de capital dans une entreprise commerciale exploitée par une entité juridique distincte. L’entreprise de la Kinwest et les bénéfices qu’elle en tirait étaient les siens propres et non ceux de ses actionnaires. Ce principe fait partie de notre droit depuis au moins un siècle. L’arrêt Fraser ne porte pas atteinte à ce principe ni n’estompe la distinction.

[20] Il ne fait pas de doute que les actions du capital-actions de JLB Ltée détenues par l’appelant étaient des biens en immobilisation entre ses mains. Leur disposition en faveur de tiers n’aurait été ainsi susceptible que d’entraîner un gain en capital et non un revenu d’entreprise.

[21] Avant d’aborder la question de l’application du paragraphe 245(1.1) de la Loi, il importe, en toute logique, de traiter d’abord de la nouvelle prétention de l’intimée selon laquelle la vente par l’appelant aux tiers acquéreurs des actions du capital-actions de 161979 Inc. aurait entraîné un revenu d’entreprise. L’allégation servant de fondement à cette prétention est que ces actions auraient été acquises par l’appelant dans le but de les revendre immédiatement à profit. L’avocat de l’intimée soutient ainsi que l’appelant n’aurait pas eu droit de se prévaloir de la déduction pour gains en capital de l’article 110.6 de la Loi indépendamment de l’application du paragraphe 245(1.1) de la Loi.

[22] L’appelant détenait ses actions du capital-actions de JLB Ltée à titre de biens en immobilisation. La valeur de ces actions reflétait la valeur des terrains détenus par JLB Ltée. Compte tenu de l’offre reçue le 16 novembre 1987, l’appelant était en mesure de vendre ses actions et réaliser un gain en capital mesurable en fonction de la valeur des terrains convoités par les tiers acquéreurs. Dans le cadre de la planification fiscale élaborée par monsieur Pontbriand, il a plutôt transféré 88 des 100 actions détenues du capital-actions de JLB Ltée à 161979 Inc. en utilisant le roulement prévu à l’article 85 de la Loi et en convenant d’une somme égale au prix de base rajusté des actions soit 1 $ l’action aux fins des transactions. En échange, il a reçu 88 actions du capital-actions de 161979 Inc. ayant le même prix de base rajusté. Ayant déjà souscrit à 12 actions dont le prix de base rajusté était le même l’appelant détenait, au terme des différentes transactions, 100 actions du capital-actions de 161979 Inc., les seules émises et alors en circulation. Par ailleurs, 161979 Inc. avait acquis les terrains convoités pour une somme égale à leur juste valeur marchande soit 422 500 $. Il est facile de comprendre que la valeur marchande des 88 actions de JLB Ltée déclarée comme étant de 422 500 $ aux fins du choix exercé en vertu de l’article 85 de la Loi était dès lors transposée ou reportée sur les 100 actions du capital-actions de 161979 Inc. détenues par l’appelant. Cette valeur reflétait aussi celle des terrains acquis par 161979 Inc. Il me paraît évident que les actions du capital-actions de 161979 Inc. détenues par l’appelant ont ainsi été, pour la plus grande partie, simplement substituées aux 88 actions du capital-actions de JLB Ltée qu’il détenait. À mon avis, les nouvelles actions doivent de ce fait avoir la même caractéristique que les anciennes, soit celle d’être des biens en immobilisation. Quant aux 12 autres souscrites lors de la constitution, elles ne l’ont été que pour équilibrer la transaction en fonction des 12 actions du capital-actions de JLB Ltée n’ayant pas fait l’objet des transactions. À mon avis, il n’était même pas nécessaire qu’elles soit émises et acquises par l’appelant.

[23] Somme toute, j’estime que les actions du capital-actions de 161979 Inc. acquises par l’appelant ont été simplement acquises en remplacement des actions du capital-actions de JLB Ltée qu’il détenait comme biens en immobilisation et qui ont été transférées à 161979 Inc. dans le cadre de la planification fiscale élaborée par monsieur Pontbriand. L’appelant ne faisant pas le commerce d’actions et on ne saurait attribuer à des transactions effectuées pour les seuls besoins de cette planification la qualification d’être “un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial” avec la conséquence que la disposition des biens en faisant l’objet puisse donner lieu à un revenu d’entreprise. L’extrait suivant du jugement majoritaire de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Loewen, [1994] 3 C.F. 83 à la page 98 suffit amplement pour régler la question :

En matière de risque de caractère commercial, le critère est objectif et il est fondé sur la norme du « commerçant ou négociant ordinaire » . Si la Loi de l’impôt sur le revenu doit présumer qu’une opération produit un profit fictif, ce profit ne doit pas être considéré comme réel aux fins d’application du critère. Dans le contexte de la présente affaire, cela signifie que la question doit être celle de savoir si ce profit purement fictif servirait à inciter un commerçant à effectuer l’opération. À mon avis, il est clair qu’il n’en serait rien. La seule motivation réelle en l’espèce était le crédit d’impôt. Or, comme nous l’avons vu, cela ne peut servir à transformer l’opération en un risque de caractère commercial.

Je conclus par conséquent, comme l’a fait le juge de la Cour de l’impôt, que l’achat par l’appelant et le rachat subséquent de la débenture donnant droit à un CIRS n’était pas un risque de caractère commercial et que le gain présumé qu’il en a tiré devrait être traité comme un gain en capital et non comme un revenu.

(les soulignés sont de moi)

[24] J’ajouterai simplement que dans la présente affaire, l’acquisition par l’appelant d’actions du capital-actions de 161979 Inc. en remplacement d’actions qu’il détenait dans le capital-actions de JLB Ltée n’a entraîné en soi aucun avantage d’un caractère commercial puisque les actions du capital-actions de 161979 Inc. détenues par l’appelant avant leur vente aux tiers acquéreurs avaient exactement la même valeur que les 88 actions du capital-actions de JLB Ltée ayant fait l’objet des transferts en faveur de 161979 Inc. en utilisant le roulement prévu à l’article 85 de la Loi.

[25] Que la valeur des 88 actions du capital-actions de JLB Ltée détenues par l’appelant ait été reportée sur 100 actions du capital-actions de 161979 Inc. au lieu de 88 importe peu puisque l’appelant était, au terme des transactions, le seul détenteur de toutes actions alors émises et en circulation.

[26] Qu’en est-il maintenant du paragraphe 245(1.1) de la Loi?

[27] L’application de l’alinéa 245(1.1)b) n’est pas soulevée par l’intimée et avec raison puisque les 100 actions du capital-actions de 161979 Inc. sont essentiellement des biens substitués aux 88 actions du capital-actions de JLB Ltée que l’appelant détenait antérieurement. Ces actions étant des biens en immobilisation entre ses mains, leur disposition n’aurait été susceptible que d’entraîner la réalisation d’un gain en capital et non un revenu devant être inclus en vertu de l’alinéa 3a) de la Loi.

[28] En fait, l’intimée invoque l’application de l’alinéa 245(1.1)a) de la Loi au motif que l’un des objets de la série d’opérations ou d’événements était de permettre à l’appelant de convertir en un gain en capital un montant qui aurait été reçu de JLB Ltée à titre de dividende, de salaire, de boni ou à quel autre titre et qui aurait ainsi été inclus dans son revenu en vertu de l’alinéa 3a) de la Loi. L’intimée tient en effet pour acquis que la vente des terrains par JLB Ltée à 161978 Inc. a donné lieu à un profit et que ce profit net d’impôt ou si l’on veut ce surplus aurait été reçu par l’appelant sous une forme ou sous une autre à titre de revenu qu’il aurait dû inclure en vertu de l’alinéa 3a) de la Loi n’eût été une ou plusieurs opérations ou événements de la série.

[29] L’avocat de l’appelant tout en reconnaissant qu’il y a bien une série d’opérations ou d’événements soutient que l’appelant n’a fait que convertir un gain en capital qu’il aurait pu réaliser en disposant de ses actions du capital-actions de JLB Ltée en un gain en capital en disposant plutôt des actions du capital-actions de 161979 Inc. Selon lui, l’appelant n’avait droit à rien d’autre qu’un gain en capital : ni dividende, ni salaire, ni boni.

[30] En ce qui concerne le droit aux dividendes, il s’appuie d’ailleurs sur l’analyse de la question que l’on retrouve dans l’ouvrage La Compagnie au Québec-Les Aspects juridiques par Mes Maurice et Paul Martel, Éditions Wilson & Lafleur, Martel Ltée, 1994, Montréal. Aux pages 345 et 346 les auteurs s’expriment ainsi :

1 — Droit dans les profits: les dividendes. C’est le droit de l’actionnaire de recevoir une partie des profits de la compagnie, proportionnelle à sa mise de fonds dans la compagnie. Cette participation dans les profits s’effectue par le paiement par la compagnie de dividendes. Le droit de l’actionnaire de percevoir des dividendes est cependant sujet à une condition préalable: il faut que des dividendes soient déclarés40. Or, la déclaration de dividendes relève de la discrétion des administrateurs41. Il appartient en effet exclusivement à ceux-ci de déterminer le montant des profits que la compagnie va distribuer en dividendes; il leur est parfaitement loisible de décider que ces profits ne seront pas distribués du tout, mais seront réinvestis dans la compagnie42 ou constituent un « fonds de réserve » 42a. Les administrateurs sont libres de déclarer ou non des dividendes lorsque la compagnie a des profits, et les tribunaux n’interviendront pas pour modifier leur décision à moins de fraude ou de mauvaises foi43. Ceci découle du principe que les administrateurs doivent considérer l’intérêt de la compagnie comme un tout avant celui des actionnaires pris individuellement ou même collectivement.

(les soulignés sont de moi;

les notes infrapaginales ont été omises)

[31] Selon l’avocat de l’appelant, le paragraphe 245(1.1) n’était destiné qu’à couvrir des situations comme celle de l’affaire Fraser (précitée). Il se réfère à cet égard aux notes techniques publiées lors de l’introduction de cette disposition par l’honorable Michael Wilson, ministre des Finances. Il s’agit des “Notes Techniques relatives au projet de loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois connexes”, (Projet de Loi C-84), novembre 1985 aux pages 149 à 151.

[32] À mon avis, le paragraphe 245(1.1) n’était pas destiné uniquement à couvrir des situations semblables à celle que l’on retrouve dans l’affaire Fraser (précitée). Si le critère énoncé à l’alinéa 245(1.1)b) peut, au premier abord, paraître avoir été édicté dans ce but, on peut à bon droit se demander quelles sont les limites du principe énoncé dans l’affaire Fraser (précitée). Si le principe est probablement applicable à d’autres biens que des biens faisant partie du stock d’un contribuable, il n’est pas certain qu’il est susceptible de s’appliquer dans la mesure où une société n’est pas exclusivement formée pour disposer d’un bien en particulier. Compte tenu de son libellé très large, l’alinéa 245(1.1)b) aurait vraisemblablement pu s’appliquer à des situations non couvertes par le principe énoncé dans l’affaire Fraser (précitée) tout comme il aurait également pu être appliqué suite à la disposition d’une participation dans une société ou une fiducie[3]. Par ailleurs, comme on le sait, l’application du principe énoncé par la Cour suprême du Canada a pour conséquence la réalisation d’un revenu d’entreprise et non d’un gain en capital lors de la vente des actions du capital-actions d’une société à laquelle des biens faisant partie du stock d’un contribuable ont préalablement été transférés. Ainsi, point n’était besoin d’avoir recours à la règle énoncée à l’alinéa 245(1.1)b) de la Loi pour refuser la déduction pour gains en capital de l’article 110.6 de la Loi dans de telles circonstances.

[33] Les notes techniques accompagnant l’introduction du paragraphe 245(1.1) de la Loi font état, pour démontrer l’application de cette nouvelle disposition et plus particulièrement de l’alinéa 245(1.1)b), des transferts avec report d’impôt en vertu des dispositions de roulement de la Loi suivis d’une vente d’actions ou des autres intérêts acquis suite à ces transferts. Toutefois, d’autres types de situations étaient également visées comme l’indique le paragraphe suivant de ces mêmes notes à la page 151 :

Le nouveau paragraphe 245(1.1) vise aussi les cas où un particulier, qui a le droit de recevoir un revenu ordinaire, réorganise ses affaires par le biais d’une série d’opérations liées, dans le but de convertir ce revenu ordinaire (qu’on peut à bon droit considérer comme s’étant accumulé jusqu’à la date du commencement de la série d’opérations) en un gain en capital exempt d’impôt. Le paragraphe 245(1.1) peut s’appliquer lorsqu’un particulier convertit un revenu ordinaire, par exemple des dividendes, des loyers ou des intérêts, en un gain en capital, par le biais d’une série d’opérations ou d’événements. Par exemple, si un particulier vend des actions avec dividendes et qu’il réacquiert ses actions après le paiement des dividendes, le paragraphe 245(1.1) peut s’appliquer. Toutefois, cette disposition ne s’applique pas, en général, lorsqu’un particulier remplace son placement dans une obligation par un placement dans des actions ordinaires.

(les soulignés sont de moi)

[34] Cette partie des notes techniques vise plus précisément l’application de l’alinéa 245(1.1)a) de la Loi.

[35] Il est clair à la lecture de cette disposition que l’examen des objets d’une série d’opérations ou d’événements n’est pertinent que dans la mesure où il y a effectivement eu conversion en un gain en capital d’un montant qui aurait été reçu par un particulier et inclus dans le calcul de son revenu en vertu de l’alinéa 3a) de la Loi n’eût été une ou plusieurs opérations ou événements de la série. À mon avis, un tel libellé indique que l’on vise la conversion d’un montant dont un particulier a évité la réception par une ou plusieurs opérations ou événements de la série et qui aurait eu la qualité d’un revenu s’il avait été reçu, d’où l’inclusion normale d’un tel montant dans le calcul de son revenu en vertu de l’alinéa 3a) de la Loi. Cette interprétation est d’ailleurs conforme au paragraphe des notes techniques reproduit ci-dessus. L’exemple qui y est donné de la vente d’actions avec dividendes (cum dividend) et de la réacquisition des actions après la date du paiement des dividendes illustre particulièrement bien le genre de conversion visée. Toutefois, pour en arriver à déterminer si un montant est ainsi couvert par l’alinéa 245(1.1)a) encore faut-il pouvoir affirmer qu’un particulier possédait au départ, à un titre ou à un autre, un certain droit de recevoir le montant en question puisque c’est le fait que ce montant aurait été reçu, n’eût été de la conversion par une ou plusieurs opérations ou événements de la série, qui déclenche avant tout l’application de la disposition.

[36] Or, dans le cas présent, l’appelant n’était pas en droit de recevoir un montant quelconque de “revenu ordinaire” avant que ne débute la série d’opérations. Il n’y avait rien qu’il aurait pu recevoir à titre de salaire, boni ou dividendes car il n’avait droit à aucun montant à un titre ou à un autre qui se serait accumulé et qui aurait pu être reçu par lui et inclus dans le calcul de son revenu en vertu de l’alinéa 3a) de la Loi.

[37] De façon plus spécifique, l’appelant n’avait droit de recevoir aucun dividende puisque aucun n’avait été déclaré. Puisque c’est du surplus de JLB Ltée suite à la vente des terrains dont il s’agit plus précisément et que l’avocat de l’intimée, à l’instar du vérificateur de Revenu Canada, monsieur Pierre Jolin, affirme que l’appelant aurait été en droit de recevoir et qui aurait ainsi été inclus dans le calcul de son revenu s’il avait été distribué sous une forme ou une autre, j’estime que l’appelant n’avait aucun droit de recevoir un tel surplus.

[38] La récente décision unanime de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Newman v. The Queen, 98 DTC 6297, confirme avec force ce point de vue. Cette affaire concernait l’application du paragraphe 56(2) de la Loi dans une situation où il y avait eu déclaration et paiement de dividendes de façon sélective sur des actions de deux catégories différentes du capital-actions d’une société conformément à une clause dite “de dividendes discrétionnaires” énoncée dans les statuts constitutifs de la société. Le paragraphe 56(2) prévoit ce qui suit :

Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne, doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

[39] Dans cette affaire, il s’agissait essentiellement de déterminer si les dividendes déclarés et versés à l’égard des actions d’une catégorie particulière (catégorie F) détenues exclusivement par l’épouse de l’appelant devaient être attribués à ce dernier qui possédait la seule action comportant droit de vote et toutes les actions d’une autre catégorie (catégorie G) du capital-actions de la société. Les actions de cette dernière catégorie avaient été acquises par l’appelant suite à un transfert, en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi, des actions d’une autre société ayant une juste valeur marchande de 120 000 $. Les actions d’une catégorie différente détenues par son épouse avaient été acquises pour un montant nominal. L’épouse avait été élue seule administratrice de la société. Suite à la réception d’un dividende de 20 000 $ sur les actions détenues par la société et acquises lors du roulement en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi, l’épouse de l’appelant, en tant qu’administratrice, déclara un dividende de 14 800 $ à l’égard des actions de catégorie F qu’elle détenait et un dividende de 5 000 $ à l’égard des actions de la catégorie G détenues par l’appelant. Suite à la réception du montant de 14 800 $, l’épouse de l’appelant prêta à celui-ci un montant équivalent garanti par un billet à demande. Ce court résumé des faits suffit pour les fins que je poursuis.

[40] Dans son analyse, le juge Iacobucci, rendant jugement pour la Cour suprême du Canada, reconnaît (au paragraphe 32 de ses motifs) que le paragraphe 56(2) de la Loi “énonce dans son libellé même les quatre conditions préalables à son application”. Au même paragraphe, il y formule la quatrième condition dans les termes suivants :

le paiement aurait été inclus dans le revenu du contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie si ce dernier l’avait reçu lui-même.

[41] Se référant notamment aux motifs de jugement du juge en chef Dickson dans l’affaire McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, le juge Iacobucci conclut essentiellement que le revenu de dividendes ne satisfait pas à cette condition étant donné qu’elle suppose l’existence d’un droit sur les bénéfices non distribués d’une société. Selon lui, un actionnaire ne possède pas un tel droit puisque si des dividendes ne sont pas versés à un actionnaire ils continuent de faire partie des bénéfices non distribués de la société.

[42] Voici d’ailleurs comment il s’exprime à cet égard aux paragraphes 46 à 49, de ses motifs :

46 Notre Cour a statué que, en règle générale, le par. 56(2) ne s’applique pas aux revenus de dividendes étant donné que, jusqu’à ce qu’un dividende soit déclaré, les profits appartiennent à la société à titre de bénéfices non distribués. On ne saurait donc dire que la déclaration d’un dividende constitue un détournement d’un avantage dont le contribuable aurait autrement bénéficié (à la p. 1052). Le juge en chef Dickson a expliqué cette décision de la façon suivante (à la p. 1052):

Bien qu’il soit toujours loisible aux tribunaux de « percer le voile corporatif » afin d’empêcher les parties de profiter de techniques d’évitement fiscal de plus en plus complexes, je suis d’avis que le versement d’un dividende n’est pas visé par le par. 56(2). Ce dernier a pour objet d’assurer que les paiements qui auraient autrement été reçus par le contribuable ne soient pas détournés au profit d’un tiers comme technique d’évitement fiscal. Cet objet n’est pas contrecarré parce que, dans le contexte du droit des sociétés, les profits appartiennent à la société en sa qualité de personne juridique tant qu’un dividende n’est pas déclaré: [B. Welling, Corporate Law in Canada (1984), aux pp. 609 et 610]. Si aucun dividende n’avait été déclaré ni versé à un tiers, il n’aurait pas non plus été touché par le contribuable. Ce montant aurait plutôt simplement fait partie des bénéfices non distribués de la société. Par conséquent, en règle générale, le versement d’un dividende ne peut raisonnablement être considéré comme un avantage détourné par un contribuable en faveur d’un tiers au sens du par. 56(2). [Je souligne.]

47 Bien que cela n’ait pas été indiqué expressément, les observations du juge en chef Dickson, reproduites ci-dessus, concernant la quatrième condition d’application du par. 56(2), à savoir que le paiement aurait été inclus dans le revenu du contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie s’il l’avait reçu lui-même. Pour l’essentiel, le revenu de dividendes ne satisfait pas à cette condition préalable à l’attribution étant donné que le contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie n’aurait pas touché le revenu s’il n’avait pas été versé à l’actionnaire. En fait, notre Cour a interprété implicitement la quatrième condition comme requérant notamment l’existence d’un droit, en ce sens que le contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie aurait autrement reçu les paiements en litige. Le juge Rothstein de la Cour fédérale, Section de première instance, a relevé, à juste titre, ce point en des termes similaires, lorsqu’il a reconnu que le juge en chef Dickson avait subordonné l’application du par. 56(2) à la condition que le paiement en cause eût « autrement été versé au contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie » (p. 164).

48 Une condition d’existence d’un droit, dans le sens que je lui ai donné, est compatible avec l’objet explicite du par. 56(2), qui est de prendre et d’attribuer au contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie les « recettes qu’il aurait autrement touchées » (McClurg, à la p. 1051). Le revenu de dividendes ne peut pas satisfaire au quatrième critère parce que les dividendes, s’ils ne sont pas versés à un actionnaire, continuent de faire partie des bénéfices non distribués de la société; le contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie, que ce soit à titre d’administrateur ou d’actionnaire de la société, n’a pas droit à cette somme d’argent.

49 C’est la seule interprétation logique qui évite une application absurde du par. 56(2), comme l’a fait remarquer le juge en chef Dickson (à la p. 1053):

... le dividende continuerait à faire partie des bénéfices non distribués de la société, si ce n’était de la déclaration du dividende (et de sa répartition). On ne peut légitimement considérer que telle était l’intention du législateur au par. 56(2). Si notre Cour devait conclure le contraire, les administrateurs des sociétés pourraient vraisemblablement être tenus responsables des incidences fiscales de toute déclaration de dividendes faite à un tiers. [...] il s’agirait alors d’une interprétation irréaliste ne respectant ni l’objet, ni l’esprit de ce paragraphe. Cela violerait les principes fondamentaux du droit des sociétés ainsi que les réalités des pratiques commerciales, et cela irait au-delà de l’intention du législateur.

[43] L’une des conditions d’application de l’alinéa 245(1.1)a) est qu’il y ait eu conversion en un gain en capital d’un “montant qui aurait été reçu par le particulier et inclus dans le calcul de son revenu en vertu de l’alinéa 3a) n’eût été une ou plusieurs opérations ou événements de la série”. À mon avis, si un tel libellé peut présenter une certaine similitude avec celui du paragraphe 56(2) en ce qu’il établit comme condition que le contribuable aurait reçu un montant à titre de revenu en l’absence des transactions visées, il énonce, d’une façon encore plus explicite que dans le paragraphe 56(2) de la Loi la condition de l’existence d’un droit sans équivoque sur un montant qui aurait été reçu et inclus dans le calcul du revenu n’eût été de la conversion réalisée par une ou plusieurs opérations ou événements de la série.

[44] Ceci confirme ma conclusion selon laquelle l’alinéa 245(1.1)a) tel que libellé ne pouvait viser qu’un montant qu’un particulier avait droit de recevoir mais dont il a évité la réception en le convertissant en un gain en capital par une série d’opérations ou d’événements. Avant que ne débute la série d’opérations ou d’événements, l’appelant n’avait aucun droit aux surplus ou aux bénéfices non répartis de JLB Ltée, aucun dividende n’ayant alors été déclaré. Il n’avait non plus aucun droit de recevoir un montant quelconque à titre de salaire, boni ou un autre montant de revenu à quelque autre titre que ce soit.

[45] Si le paragraphe 245(1.1) doit être analysé en faisant abstraction d’une ou plusieurs opérations d’une série, il n’est pas permis, à mon avis, d’ajouter une ou plusieurs opérations qui n’ont jamais eu lieu de façon à prétendre qu’un particulier aurait eu droit de recevoir un montant qui aurait été reçu et inclus dans le calcul de son revenu en l’absence d’une ou plusieurs opérations ou événements de la série[4]. Ainsi, on ne peut attribuer à l’appelant un droit qu’il ne possédait pas en présumant d’une opération (comme la déclaration d’un dividende) qui n’a jamais eu lieu et par laquelle il aurait pu acquérir le droit de recevoir un montant à titre de “revenu ordinaire”.

[46] Je conclus donc que le paragraphe 245(1.1) et plus précisément l’alinéa 245(1.1)a) ne peut être appliqué pour refuser à l’appelant la déduction pour gains en capital de l’article 110.6 de la Loi pour son année d’imposition 1990.

[47] En conséquence de ce qui précède, l’appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l’appelant peut se prévaloir de la déduction pour gains en capital de l’article 110.6 de la Loi pour son année d’imposition 1990. Le tout avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de juillet 1998.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.



[1]           1988 S.C. c.55 article 185.

[2]           Voir pièce A-1.

[3]           Voir l’analyse de Wendy Templeton, Anti-Avoidance and the Capital Gains Exemption: Part II (1986) Vol. 34 Can. Tax J. p. 446 aux pages 448 et 449.

[4]           Voir à cet égard l’analyse de Wendy Templeton, loc. cit., supra note 3 à la page 448.

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